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Tempête de "grévisme" sur le Faso : Jusqu’où les autorités pourront-elles tenir ?

LEFASO.NET | Anselme Marcel Kammanl
lundi 13 février 2017.

 

S’il y a un phénomène sociopolitique qui a pignon sur rue de façon récurrente ces derniers temps, c’est bien celui des mouvements d’humeur répétitifs des organisations syndicales. Qui pour réclamer une bonification salariale de la corporation, qui pour revendiquer davantage de meilleures conditions de travail ou contester une nomination jugée inadéquate. Une avalanche de grèves sous les cieux du Faso qui n’est pas sans susciter des inquiétudes fondées quant à la capacité de l’Etat de toujours trouver des ressources pour garder le cap et offrir des solutions visionnaires.

Du "grévisme" à outrance, c’est l’expression que l’on créerait pour caractériser cette hémorragie de revendications syndicales tous azimuts en cours au pays des Hommes intègres. Car il ne se passe pas un mois sans qu’une organisation ne sorte du bois pour laisser libre cours à son ire et exiger que l’Etat s’assume en accédant à ses revendications. Si, dans une démocratie, cette pression est légitime et peut permettre aux dépositaires des pouvoirs publics de réguler leurs politiques en fonction des préoccupations socioéconomiques exprimées, elle peut a contrario, lorsqu’elle devient chronique et tyrannique, être source de tâtonnements et de vicissitudes préjudiciables à la bonne marche de l’Etat pour l’intérêt général. Or, à l’allure où les revendications se brusquent et se cristallisent dans la savane burkinabè, craindre un grippage de l’Etat dans le futur ne serait pas faire preuve de cécité d’analyse de la situation dans sa globalité.

Un printemps syndical qui perdure et qui inquiète…

Depuis l’avènement de la transition jusqu’à nos jours, les organisations syndicales burkinabè ont appris de nouvelles manières de donner plus dents et de muscles à leurs approches revendicatives vis-à-vis de l’Etat. C’est ainsi qu’à des degrés divers, l’Etat a du courber l’échine devant certaines d’entre elles. Des syndicats en tout cas ont eu la grâce de voir leurs revendications maîtresses exaucées. Ce ne sont pas les syndicats de magistrats qui diront le contraire…

Ce faisant, l’on a comme l’impression que désormais toutes les structures syndicales ont compris qu’il suffit de faire preuve de fermeté absolue vis-à-vis du gouvernement pour avoir la satisfaction de ses réclamations. Ainsi en est-on arrivé à la grève sans service minimum du Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) dont les conséquences ont été on ne peut plus catastrophiques. Ce même syndicat, pas plus tard que le jeudi 09 février dernier a encore organisé un mouvement d’humeur pour dénoncer un climat d’insécurité dans lequel les professionnels de la santé travailleraient.

Des concertations concluantes ayant eu entre les premiers responsables de la structure et leur hiérarchie de tutelle, on a pu faire l’économie d’une continuation du mouvement. Plus tôt, le mardi 07 février, c’est le Syndicat national des agents des finances (SY.N.A.FI) qui organisait un sit-in pour se plaindre du ministre Rosine Coulibaly qui ne voudrait respecter les engagements de l’Etat vis-à-vis des travailleurs de ce domaine. A noter, que ce syndicat n’est d’ailleurs pas à sa première messe revendicative. Le lendemain 08 février, ce sont les transporteurs qui faisaient leur entrée dans la protestation par un débrayage qui a fait craindre une pénurie de carburant. Le même jour, le syndicat national des professionnels de l’éducation préscolaire (SYNAPEP) informait l’opinion publique par voie de presse de son intention d’entrer dans le tango.

Et le samedi 11 février dernier, le Syndicat national des agents du ministère de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (SYNAMICA) annonçait un sit-in de 72 heures à partir du lundi 13 février dans les directions régionales pour contester une tentative de remise en cause des clauses du protocole d’accord signé le 24 janvier 2017 avec le gouvernement. Ce syndicat a laissé planer la menace d’une grève illimitée à partir du 17 avril s’il n’a pas gain de cause concernant ses revendications.
A l’appréciation de tous ces soubresauts dans le monde des travailleurs, notamment ceux de la Fonction publique, l’on peut soutenir que les syndicats sont dans leur rôle. En effet, l’objectif du syndicalisme est défendre les intérêts moraux, financiers et matériels des travailleurs. De ce point de vue, il est légitime pour les syndicats de faire des démarches et des mouvements afin d’obtenir la satisfaction de leurs différentes plateformes revendicatives.

Au demeurant, il faut dire que la répétitivité des mouvements et leur caractère de plus en plus jusqu’au-boutiste ne sont pas sans inquiétudes en crescendo au niveau de la population. Ce d’autant plus que lorsqu’ils surviennent, ce sont la plupart du temps les services publics dont les non fonctionnaires ont aussi besoin qui entrent dans une phase de léthargie. Sur une population de 19 millions d’habitants, la masse des fonctionnaires atteindrait à peine 200 000. Le fait que cette catégorie d’individus prenne en otage les services étatiques ne va-t-il pas faire le lit d’une méfiance et d’une cassure sociale ? Vraiment avec ce flot grandissant de grognards aux multiples réclames, l’Etat pourrait-il tenir ? Le fait de recevoir les syndicats et leur faire des promesses est en soi une bonne méthode pour prévenir d’autres séditions syndicales ?

Travailler à la bonne gouvernance et communiquer…

L’Etat devrait apprendre à devancer l’iguane dans l’eau. De deux manières pourrait-on dire. La première est de travailler à l’émergence d’une République vertueuse qui tire ses racines des bonnes mœurs politiques. Les gouvernants ont l’obligation d’incarner ces qualités-là. Si les autorités établissent et appliquent des codes de conduite qui défendent les principes de bonne gouvernance, elles deviendront des miroirs dans lesquels les citoyens pourraient se reconnaître et réajuster leurs comportements. Dans cette perspective, il faudrait mettre l’accent sur la gestion transparente des finances publiques de sorte à ce qu’elles n’échappent pas au contrôle public et aux médias. Pour conduire les destinées d’un Etat vers le meilleur, il faut forcement faire preuve d’ingéniosité en matière de politique de développement de manière à ce que les différents projets puissent être en adéquation avec non seulement les réalités du pays, mais encore avec ce que le peuple se définit comme priorités. Il s’agit par-là d’œuvrer à susciter une responsabilité populaire évidente dans la préservation de l’intérêt général et dans la conduite de la destinée de la nation. Quoi qu’on dise, la force, dans le bon sens, d’un pouvoir ne peut que venir du peuple qui sans crainte et sans compromission est capable de participer activement à la gouvernance proposée dans toutes ses variantes.

Cette complicité est indispensable pour générer des résultats qui satisfassent le peuple. C’est parce que les travailleurs ont comme l’impression que les gouvernants ne travailleraient pas à cela que leurs syndicats ne font pas un mois sans sortir réclamer quelque chose. Il y a donc une rupture de confiance, d’où la nécessité de toujours dialoguer, de communiquer.

La communication, et la bonne, est la deuxième solution qu’il faut coupler à la culture de la bonne gouvernance. Or selon toute vraisemblance, même si cette communication existe, soit elle n’est pas bien exercée, soit elle est faite à minima. Ce qui est à la base de toutes sortes de frustrations et de supputations qui somme toute matérialise un désaveu de l’autorité dans ses méthodes de travail. De toute évidence, une bonne communication aurait pu permettre une entente sur l’essentiel et prévenir ces grèves à répétition qui mettent en difficulté le fonctionnement des services publics au grand dam de la population dans sa majorité. Quand on écoute les explications des syndicats, l’on ne manque d’entendre cette frustration due au fait que les pouvoirs publics cultiveraient une sorte de mutisme ou de langue de bois qui ne permettrait de comprendre sur leur volonté réelle de traiter les préoccupations syndicales.

De ce point de vue, il est plus que jamais temps que l’Etat révise rapidement sa façon de communiquer afin d’exorciser la méfiance qui tend à se généraliser. Il faut vraiment travailler à l’essor véritable d’une culture d’ouverture d’esprit, d’intégrité dans la gouvernance et de dialogue franc qui sert l’intérêt public. Sans quoi, l’Etat va toujours tomber dans le troisième dessous sur le plan démocratique et sur le plan développemental parce qu’en divorce avec un peuple qui lui reproche de faire bande à part et de ne pas prendre en compte ses préoccupations.

Anselme Marcel Kammanl
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