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Coexistence religieuse au Burkina : Les regards de l’International Crisis Croup

vendredi 23 septembre 2016.

 

« Burkina Faso : préserver l’équilibre religieux ». C’est sous cet intitulé que l’International Crisis Group a publié le 6 septembre dernier, un rapport sur la coexistence religieuse au Burkina. Pour l’ONG, « le Burkina Faso est une exception parmi les pays sahéliens en raison de sa grande diversité religieuse et de la tolérance qui y règne ». Cependant, l’organisation attire l’attention de l’ensemble des acteurs sur un certain nombre d’aspects. Le rapport a fait l’objet d’échanges avec les journalistes ce jeudi, 22 septembre 2016 à Ouagadougou.

« S’il est solide, le modèle burkinabè de coexistence religieuse connaît des tiraillements », indique l’Organisation non-gouvernementale (ONG) dans son rapport. En effet, révèle le responsable régional Ouest africain, Rinaldo Depagne, depuis plusieurs années, les responsables musulmans déplorent le faible nombre de cadres musulmans dans l’administration et estiment que l’Etat ne traite pas toujours christianisme et islam équitablement. Situant le contexte, les conférenciers ont fait observer que la montée en Afrique de l’Ouest et au Sahel d’une violence qui se réclame de la religion (créant ainsi un contexte régional nouveau), la situation du pays qui se remet d’une période d’instabilité liée à la chute du Président Blaise Compaoré, l’urgence sécuritaire et la forte demande sociale sont autant d’éléments qui pourraient amener le pouvoir actuel à ignorer ces aspirations (préoccupations).

Selon Cynthia Ohayon, celle qui a piloté l’étude, les questions liées à la religion restent encore un tabou, quand bien même les autorités en sont conscientes. « Ouvrir la question sensible de la religion dans un pays où elle est un marqueur d’identité secondaire comporte des risques », souligne-t-elle dans le rapport avant d’ajouter la nécessité, pourtant, de prendre des mesures « dès maintenant » pour atténuer les frustrations et réguler le discours religieux afin de garantir la pérennité du modèle de coexistence pacifique.

« Le Burkina se trouve à la croisée des deux grands espaces qui composent l’Afrique de l’ouest : la région sahélienne, où un islam rigoriste semble gagner du terrain et des groupes armés et terroristes sont actifs ; et la zone côtière, marquée par l’essor de nouvelles églises protestantes, qui adoptent parfois un discours intolérant à l’égard des autres religions. Compte-tenu de la porosité des frontières et de la vitesse à laquelle circulent les idées, le pays ne peut demeurer éternellement imperméable aux évolutions qui affectent ses voisins », dévoilent les conférenciers. Pour Crisis Group, si le Burkina n’a jamais connu de conflit civil ou de tensions liées à l’appartenance religieuse, et que musulmans, chrétiens et animistes vivent ensemble, les attentats de janvier 2016 ont constitué un choc, tant pour les populations que pour les dirigeants. « Ils ont été suivis de cas isolés d’agression verbale contre des musulmans, révélant une certaine stigmatisation et une inquiétude jusque-là inexistante », affirme l’ONG. Selon ses responsables, propulser la question de la religion dans la sphère publique et politique comporte des risques, tant d’exacerbation des différences religieuses que d’instrumentalisation politique des identités. Pourtant, convainquent-ils, face à un contexte régional préoccupant et à l’émergence de certaines crispations internes, il est temps de lever le tabou. Ils affirment qu’il existe, depuis longtemps, des frustrations parmi les musulmans, liées au décalage entre leur poids démographique (environ 60% de la population, contre 25% de chrétiens et 15% d’animistes ; un chiffre qu’ils précisent tenir d’un recensement contesté) et leur faible représentation au sein de l’élite politique et administrative.

« Si les frustrations sont parfois exagérées, la perception est plus importante que la réalité. Dans un Etat dirigé depuis longtemps par une élite majoritairement chrétienne, ce déséquilibre ne résulte pas d’une discrimination intentionnelle mais de la colonisation et d’un système d’enseignement à plusieurs vitesses », partage Imam Alidou Ilboudo, par ailleurs directeur du Centre culturel et islamique du Burkina (CCIB). Pour les conférenciers, cela devra être corrigé sans pour autant verser dans le sectarisme, notamment en valorisant l’enseignement franco-arabe qui vise à combiner éducation islamique et enseignement général. « A défaut, certains pourraient ne plus percevoir l’Etat comme un interlocuteur valable et choisir d’autres moyens d’expression », averti Crisis Group. Cela est d’autant important que, selon eux, des responsables musulmans s’inquiètent de l’influence étrangère, notamment des pays du Golfe, qui peut contribuer à un raidissement des pratiques religieuses. C’est également le cas chez les protestants, attirés, dit le rapport, par le discours de nouvelles églises qui prônent parfois des valeurs peu compatibles avec la tolérance.

Les auteurs du rapport indiquent qu’il ne faut cependant pas assimiler montée de la religiosité et risque de violence, « une distinction trop rarement soulignée dans le débat actuel sur l’extrémisme violent et la radicalisation religieuse ». Pour eux, le retour à un islam plus strict n’implique pas nécessairement une plus forte propension à la violence. « De même, la violence qui se réclame de la religion trouve souvent ses origines ailleurs : délinquance, appât du gain, doléances locales, ethniques ou socioéconomiques », lit-on dans le rapport. Pour l‘International Crisis Group, le Burkina constitue un bel exemple de pluralisme religieux et de tolérance et pour cela, Etat burkinabè et partenaires internationaux ont intérêt à ne pas ignorer les crispations qui commencent à apparaître entre les communautés religieuses et entre celles-ci et l’Etat. D’où les recommandations ci-dessous adressées (au bas de l’article).

Oumar L. OUEDRAOGO
(oumarpro226@gmail.com)
Lefaso.net

Recommandations

-Pour assurer une meilleure représentation au sein de l’élite politique et administrative

A-Aux autorités du Burkina

1-Oeuvrer à améliorer la représentation des musulmans au sein de l’élite politique et administrative sans tomber dans la dangereuse logique des quotas, en :

a-poursuivant les efforts de valorisation de l’enseignement franco-arabe, notamment en augmentant le niveau de français exigé et en établissant un programme uniformisé pour toutes les écoles franco-arabes validé par l’Etat, et faire connaître ces efforts auprès du public, notamment à travers les médias,

b-facilitant l’obtention d’équivalences pour les diplômés issus des universités des pays arabes, y compris en s’assurant que ces derniers sont suffisamment informés sur les démarches, pour faciliter leur insertion professionnelle et réduire leur sentiment d’exclusion sociale,

c-explorant les possibilités de faciliter l’apprentissage de la langue française pour les diplômés des universités arabes, par exemple en mettant en place des centres de formation, éventuellement avec le soutien des partenaires techniques et financiers.

2-Prendre conscience des dangers liés à la mendicité et des perspectives limitées pour les milliers d’enfants des écoles coraniques, et dégager des ressources financières pour remédier à ces problèmes.

3-Revaoriser la langue arabe dans l’enseignement secondaire et supérieur, par exemple en proposant des cours d’arabe et en reconsidérant la création d’un département de langue arabe à l’Université de Ouagadougou.

B- Aux responsables musulmans :

4-Mieux communiquer auprès du public sur les efforts de l’administration pour valoriser l’enseignement franco-arabe afin de réduire les malentendus entre l’administration et les responsables et citoyens musulmans.

5-Travailler avec l’administration pour réformer l’enseignement franco-arabe, et accepter de se conformer aux exigences de l’Etat.

-Pour assurer une visibilité équilibrée des religions dans l’espace public
A-Aux autorités du Burkina :

6-Favoriser une meilleure représentativité des différentes confessions lorsque la participation des autorités religieuses est sollicitée, en accordant une représentation égale aux chrétiens et aux musulmans.

7-Garantir une visibilité équitable de toutes les confessions religieuses dans l’espace public et médiatique, en particulier à la Radio-télévision du Burkina (RTB) et lors des fêtes religieuses.

-Pour mieux réguler le discours religieux et promouvoir la coexistence :
A-Aux autorités du Burkina

8-Commencer, dans la mesure des ressources disponibles, à produire une cartographie complète des lieux de culte et leurs responsables sur le territoire, en s’inspirant de l’exemple ivoirien où les chefs religieux ont une carte électronique présentant leurs noms, coordonnées et le lieu de culte auquel ils sont affiliés.

9-Accorder davantage de ressources financières à la direction des libertés publiques et des affaires politiques au sein du ministère de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure (MATDSI) pour que son personnel ait les moyens de travailler efficacement.

10-Adopter l’avant-projet de loi sur la liberté religieuse préparé par le MATDSI, puis communiquer sur la nouvelle loi auprès du public.

11-Concrétiser l’objectif de redynamisation de l’observatoire national des faits religieux (ONAFAR) en augmentant ses ressources financières, en engageant du personnel administratif pour soutenir ses membres bénévoles, et en lui fournissant le matériel nécessaire pour équiper ses locaux.

B- Aux représentants des différentes religions :

12-Assurer une présence plus importante des jeunes et des femmes au sein des associations confessionnelles pour préparer la relève, et travailler à une plus grande unité au sein de chaque mouvement et de chaque confession.

C- A l’ONAFAR :

13-Etablir une stratégie de communication pour vulgariser son rôle et ses activités auprès du public, mener des campagnes de sensibilisation, notamment à travers les médias (en particulier la radio), et, à terme, mettre en place des démembrements dans les régions et provinces.

D-Aux autorités, aux responsables religieux et aux médias :

14- Assurer une plus grande visibilité des exemples de coexistence religieuse et de vivre-ensemble à travers les médias, notamment la radio.

E- Aux partenaires techniques et financiers :

15-Soutenir davantage les initiatives de dialogue interreligieux, qu’elles émanent de l’administration ou des associations confessionnelles, en privilégiant les organisations de jeunesse, et explorer les possibilités d’assistance financière à l’ONAFAR et de soutien budgétaire pour les réformes que l’administration doit conduire (enseignement franco-arabe, cartographie des lieux de cultes, etc.).



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