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Energies renouvelables : « Il faut que nos Etats passent des discours aux actes », dixit Emmanuel Kaboré, président de l’association des professionnels des énergies renouvelables de la CEDEAO

samedi 20 février 2016.

 

Difficile de parler énergies renouvelables au Burkina Faso sans qu’il n’en soit associé. A la tête d’une importante entreprise spécialisée dans le domaine de l’énergie solaire (Projet Production Solaire), il est également depuis le 15 janvier 2016, le président de l’association de professionnels des énergies renouvelables de la CEDEAO (APER- CEDEAO). Emmanuel Kaboré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, pense que les Etats africains doivent passer du discours à l’acte s’ils ne veulent pas rater la révolution énergétique. Dans une interview, qu’il nous a accordée mercredi 17 février 2016, l’homme nous parle des ambitions de cette association sous-régionale mais aussi des problèmes qui minent ce secteur « porteur », celui des énergies renouvelables.

Lefaso.net : Présentez-vous à nos lecteurs !

E.K : Je suis Emmanuel Kaboré, ingénieur électrotechnicien. J’ai un Master 2 en Droit international et Gestion économique de l’université de Jean Moulin de Lyon III. Je suis également le directeur général de Projet Production Solaire (PPS).

Lefaso.net : Quelles sont vos activités dans le domaine des énergies renouvelables ?

E.K : Dans le domaine des énergies renouvelables, nous sommes beaucoup plus dans l’énergie solaire. Nous faisons des études et les installations pour les bâtiments, les industries et l’administration.

Lefaso.net : Depuis quand avez-vous été élu président de l’APER-CEDEAO ?

E.K : Officiellement, j’ai été élu président de l’association des Professionnels des Energies renouvelables de la CEDEAO, le 15 janvier 2016 à Bamako à l’assemblée générale de l’association.

Lefaso.net : Vous étiez donc à Bamako, le jour des attaques terroristes à Ouagadougou ?

E.K : Exactement ! Au moment des attaques, nous étions à Bamako. Je tiens à noter qu’en réalité l’assemblée générale devait se tenir à Ouagadougou à l’hôtel Splendid. Mais suite à un accompagnement sérieux d’un des membres fondateurs d’Akon lighting Africa à savoir Monsieur Bathily Samba qui a financé et organisé cette assemblée générale, nous avons délocalisé l’AG de Ouagadougou à Bamako.

Lefaso.net : Pourquoi et comment est née cette association ?

E.K : L’APER-CEDEAO est née pour pouvoir regrouper tous les professionnels des énergies renouvelables. Pourquoi les regrouper ? C’est pour pouvoir les accompagner au mieux. Et vu que tout le monde ne maitrise pas cette technologie qui évolue sans cesse, il faut encadrer et former sur le plan technologique et managérial les professionnels du domaine afin qu’ils puissent bien s’implanter au niveau sous-régional. Tant que nous ne serons pas organisés, les entreprises étrangères, excusez-moi le terme, viendront toujours exécuter les marchés. Cela ne profite pas forcément à nos économies locales. Mais si nous sommes bien formés et bien organisés, nous pourrons défendre l’économie nationale à travers le développement de ce secteur.
Soulignons que l’association est née par la volonté de ECREE (Centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la CEDEAO) et de IRENA qui est l’Agence internationale des énergies renouvelables regroupant 184 pays. C’est donc par la volonté de ces deux partenaires et des acteurs de l’énergie solaire que l’association a été initiée depuis 2012 à Bangalore en Inde. Après cette rencontre en Inde, nous avons eu plusieurs autres rencontres au Burkina, au Togo au cours desquelles l’idée est toujours revenue de fédérer les professionnels pour voir quels sont leurs problèmes et besoins.

Lefaso.net : Comment l’APER-CEDEAO est-elle organisée à l’interne ?

E.K : Nous avons deux présidents d’honneur. Samba Bathily du Mali et Abdoul Fall du Sénégal. Le bureau exécutif est composé de la présidence et des différents secrétariats généraux. Dans l’organisation, nous travaillons avec des structures de chaque pays. C’est-à-dire que dans chacun des 16 pays membres de la CEDEAO, il doit y avoir une association des professionnels des énergies renouvelables. Nous travaillons avec ces associations ; nous faisons remonter les informations au niveau du centre de la CEDEAO pour voir dans quelle mesure développer les énergies renouvelables dans chaque pays et au niveau de la sous-région et pouvoir participer à des activités continentales et internationales. L’objectif est de parvenir à une autonomie énergétique et aussi développer l’économie locale. Comme vous le savez, les énergies renouvelables sont un domaine très porteur à cause de la question du réchauffement climatique. L’Afrique de l’Ouest est la zone la plus défavorisée en matière de développement énergétique. Et quand il y a un grand besoin, il y a des affaires. Si nous ne sommes pas bien formés et structurés, les consultants externes viendront toujours nous donner des conseils. Ces conseils ne répondent pas forcément à nos besoins socioéconomiques.

Lefaso.net : Quels sont les activités prévues au cours de votre mandat ?

E.K : Durant les trois années de mon mandat, nos activités seront exécutées suivant trois grands axes. D’abord, nous allons faire en sorte que les professionnels des énergies renouvelables de chaque pays soient bien formés et outillés avec des certifications. Ensuite, il s’agit de créer une sorte de EIE (Espace Infos Energie, ndlr) au niveau sous-régional qui permette quand même d’avoir des unités d’assemblage des panneaux solaires ou d’autres accessoires tels que les batteries pour développer le secteur de façon qualitative et quantitative. Le troisième axe, c’est de pouvoir accompagner nos autorités dans les prises de décisions en matière d’énergie.

Lefaso.net : En tant que professionnel du domaine, quel constat faites-vous de la place qu’occupent les énergies renouvelables en Afrique et dans l’espace CEDEAO en particulier ?

E.K : L’Afrique est le continent qui regorge le plus de potentialités en matière d’énergies renouvelables. Vous avez l’hydraulique, la biomasse, le solaire, l’éolienne, la géothermique qui constituent d’importantes sources d’énergie. En Afrique de l’ouest, nous avons beaucoup plus le soleil mais nous sommes dans les énergies traditionnelles parce que la technologie n’a pas été épousée très rapidement. On attend toujours de voir comment les autres se débrouillent pour pouvoir singer. On a raté la révolution industrielle, si on ne fait pas attention, on va également rater la révolution énergétique. Pour le moment, nous sommes dans une phase de tâtonnement et nous pensons que c’est l’heure de la prise de décisions surtout après la COP 21 (Conférence des Parties) où des résolutions ont été prises. Nous pensons que l’Afrique est fortement engagée actuellement à imposer les énergies renouvelables.

Lefaso.net : Parlons un peu de l’accord de cette COP 21 trouvé à Paris fin 2015. Il s’agit de maintenir la température en dessous de 2 °C et de poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Pensez-vous que cela soit possible ?

E.K : C’est possible. Je vous le dis honnêtement, c’est possible ! Maintenant, il faut de la volonté politique. Le tout ne réside pas dans les discours mais dans les faits. Si en Afrique, nous nous disons « Ok, on a d’autres sources d’énergie, profitons-en ! » ça ira. Je prends le cas du Burkina Faso où on a le soleil. Les gens pensent que nous parlons parce que nous sommes des commerçants du domaine ! Non, je suis désolé. Je suis patriote et je veux bien jouer ma partition au développement de mon pays, de mon continent. Nous avons le potentiel dans le domaine des énergies renouvelables et il faut qu’on s’investisse sérieusement. Quand la planète va se chauffer ailleurs ça sera en Afrique, je pense, que les gens vont venir.

Lefaso.net : 10 Gigawatts d’énergies renouvelables à l’horizon 2020, c’est l’ambition que les chefs d’Etat africains comptent réaliser à travers l’initiative « Energie Pour Tous en Afrique ». Comment appréciez-vous ce projet ?

E.K : Pour être honnête, c’est un projet assez faramineux. Le potentiel est là et il faut plus que de la volonté. Il faut que les gens apprennent à faire des sacrifices. Si actuellement l’Europe vend l’énergie moins chère, c’est parce qu’ils ont eu le courage d’investir à temps quand ce n’était pas forcément très rentable. Il faut que nous apprenions à investir. Quand on veut développer un domaine, il faut aller jusqu’au bout. Par exemple, ce n’est pas parce que l’armée est économiquement rentable qu’on investit dans la défense. Il faut se décider à donner à la population un besoin qui est là et qui manque sérieusement. Il faut que nos Etats passent des discours aux actes. On a le potentiel pour produire plus de 10 Gigawatts ; on a les moyens de le faire. Maintenant, est-ce que nos gouvernants en feront une priorité ? Je l’ai toujours dit, c’est la première priorité pour un développement économique et social. Sans énergie, on ne peut pas développer la santé, l’éducation, l’agriculture, la sécurité, etc. Il faut que les gens sachent que c’est une priorité et qu’on se décide à y aller au lieu de chercher à voir la rentabilité dans l’immédiat.

Lefaso.net : A la CEDEAO, il existe un projet de la facilité d’appui à l’entrepreneuriat dans les énergies renouvelables surtout dans le solaire ? En quoi consiste cette facilité d’appui ?

E.K : Il existe effectivement une facilité d’appui au niveau de la CEDEAO. L’une des agences est basée à Praia au Cap-Vert et l’autre est au 2iE (Institut international de l’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement, ndlr) à Ouagadougou. Cette dernière est dirigée par l’honorable Bachir Ouédraogo. Cette facilité consiste à accompagner les entrepreneurs sur plusieurs plans. Pour développer le domaine des énergies renouvelables, il faut des financements et pour les avoir, il faut savoir monter un business plan. Et les entrepreneurs ne sont pas forcément des professionnels de la finance. Cette facilité va leur permettre donc de monter des projets banquables.
Ensuite, la facilité va sensibiliser les entrepreneurs afin qu’ils puissent offrir des services de qualité aux consommateurs ; tant que vous ne le faites pas, c’est vous-même qui allez détruire l’activité. Cette facilité est là pour sérieusement former et encadrer parce qu’il y a un peu de désordre. Les gens font de l’amateurisme. On ne peut pas empêcher quelqu’un de mener une activité mais comme c’est un domaine assez sérieux, sensible, il faut encadrer les entrepreneurs. C’est une facilité d’accompagnement, on ne leur donne pas de l’argent.

Lefaso.net : Et quelles sont les difficultés que rencontrent les entrepreneurs évoluant dans le domaine des énergies renouvelables ?

E.K : La grande difficulté reste l’organisation du secteur. Actuellement tout le monde veut faire de l’énergie solaire parce que c’est un domaine porteur. Au Burkina Faso nous sommes à moins de 20% de taux d’électrification. Il reste donc 80% à satisfaire. Il faut encadrer le secteur. Quand vous sortez, vous voyez des gens qui vendent des yougouyougou (friperie, ndlr) ou des cacahuètes avec des panneaux solaires. Nous ne voulons pas interdire aux gens de s’aventurer dans le domaine mais il y a un minimum de connaissance et de formation qu’il faut avoir. Nous demandons donc à l’Etat de nous accompagner dans l’encadrement des structures.
Le deuxième problème que nous avons, c’est le financement. Actuellement les banquiers, à raison ou à tort, ne font pas confiance forcément à l’énergie solaire. Ce qui fait qu’ils ont des difficultés à accompagner le secteur. Avec les banquiers nous avons eu plusieurs formations financées par IRENA et ECREE. Au Burkina, il y a près d’une vingtaine de structures qui sont assez fiables, qui ont des ingénieurs, des techniciens et qui font du bon boulot. Il faut encadrer ces structures-là, leur donner plus de moyens technologiques et plus de visibilité. Cela donnera confiance aux banquiers pour pouvoir accompagner les clients. Enfin, il y a le rachat de structures de production. Si la SONABEL (Société nationale burkinabè d’électricité, ndlr) ne permet pas à des gens qui produisent de l’énergie solaire de pouvoir se connecter à leur réseau et de pouvoir racheter le surplus de production, ça contribue à renchérir le coût dans le domaine de l’énergie solaire.

Lefaso.net : Votre appréciation des actions prévues dans la Déclaration de politique générale du premier ministre, notamment dans le volet énergie ?

E.K : Pendant la présidentielle, on a vu que le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, parti au pouvoir, ndlr) a mis un accent particulier sur l’énergie solaire. On a vu également qu’après sa nomination, le premier ministre s’est également engagé à développer le domaine de l’énergie solaire. Nous ne pouvons que l’accompagner. Nous leur disons que nous sommes disponibles en tant que professionnels, en tant qu’experts du domaine, à les accompagner pour atteindre cet objectif. Nous ne sommes pas des politiciens mais nous pensons que c’est une très bonne décision pour le gouvernement de donner de la valeur à l’énergie solaire. Nous pensons qu’ils vont pouvoir mettre en place une agence qui va s’occuper spécifiquement de ce domaine ; nous pensons qu’ils vont pouvoir donner plus de sensibilisation et d’accompagnement à la SONABEL pour qu’elle puisse investir dans les énergies renouvelables si elle veut survivre.

Lefaso.net : Un dernier mot…

E.K : Nous tenons à encourager le gouvernement qui s’est engagé à mettre à la disposition de nos populations l’énergie solaire. Toutes les structures qui évoluent dans le domaine sont inclusives. Actuellement nos clients ne sont pas forcément les plus aisés de la société. Nous demandons au gouvernement de nous accompagner à pouvoir satisfaire les besoins de ces populations des zones rurales et péri-urbaines qui veulent faire de l’agriculture mais qui ont besoin d’énergie. Nous voulons que le gouvernement sache que nous ne sommes pas des prédateurs, nous ne sommes pas des saprophytes, nous ne cherchons pas forcément, coûte que coûte, des marchés. Nous voulons juste contribuer au développement de notre cher pays, le Burkina Faso.

Réalisé par
Herman Frédéric BASSOLE
Photo : Bonaventure PARE
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