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Jean-Martin Coulibaly, ministre de l’éducation nationale et de l’alphabétisation : « Notre système éducatif ne doit plus produire des généralistes au cursus scolaire tout tracé du CP à l’université »

mardi 16 février 2016.

 

Il est l’héritier d’un ministère qui a tous les traits d’un iceberg. Petit et simple de l’extérieur mais grand et complexe de l’intérieur. Depuis sa prise de fonction, le 18 janvier 2016, à la tête du ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation, Jean Martin Coulibaly semble conscient qu’il a du pain sur la planche ou du pain « dans la planche », comme dirait l’autre. Son ambition est « de poser les fondements d’un système rénové pour les années et les générations à venir et qui fait une place prépondérante à la formation des compétences, en accord avec les besoins de l’économie nationale, régionale et internationale ». Pour ce faire, l’homme entend être le bon manager, prêt à défendre ses collaborateurs, mais aussi à sévir car « il y aura zéro impunité ». Lisez !

Lefaso.net : Vous êtes à la tête d’un département qui « se retrouve » après 38 ans de dislocation. Quel regard portez-vous sur cette reprise de dénomination ?

JMC : Je voudrais d’abord vous dire merci de me donner l’opportunité de m’exprimer à travers votre organe, dont je salue l’immense travail d’information des Burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur. Je vous encourage à persévérer.
Ceci dit, quoique le département ait conservé son appellation de 2011, c’est dans ses attributions qu’il faut lire toute l’ambition du président du Faso, de mettre sous un pilotage unique, l’éducation nationale telle qu’on la connaissait, allant du préscolaire, au primaire et secondaire, en passant par l’enseignement et la formation techniques et professionnels et le non formel.

Ce redimensionnement traduit la volonté du Chef de l’Etat d’implémenter une vision holistique du système éducatif, résolument orienté vers l’enseignement et la formation techniques et professionnels des jeunes burkinabè. Il s’agit de rompre avec les saucissonnages à visée politicienne, d’améliorer la coordination avec les autres secteurs en économisant des coordinations intra-éducation, précédemment rendues nécessaires par les saucissonnages pour assurer dorénavant un pilotage unique. A titre d’exemple, le seul fait de ce redimensionnement à éteint toutes les actions de transfert et réduit les conflits qui existaient entre structures concernées de l’ex- MENA et de l’ex- MESS, dans le cadre du continuum et qui a coûté des milliards au budget de l’Etat, avec le résultat que tout le monde connait.

Le seul fait de ce redimensionnement favorise également une gestion plus efficace et efficiente, dans le cadre d’une mutualisation des ressources humaines, matérielles et financières. De même, il permettra de garantir un meilleur taux de transition entre les différents niveaux du système dans le but d’assurer à nos jeunes une éducation/formation à même de faire d’eux des citoyens créatifs, autonomes et productifs, capables de s’insérer et socialement et économiquement.

Lefaso.net : La composante « secondaire » de l’ex-MESS est désormais rattachée au ministère de l’éducation nationale. Il y a donc des doublons au niveau des directions régionales (DR). Comment le travail sera-t-il organisé concrètement ?

JMC : Le cas des doublons que vous évoquez ne se pose pas seulement au niveau des DR. Nous l’avons aussi au niveau de certains services centraux (DGESS, Directions des inspections, Directions des examens, etc.) et rattachés ou de mission. Nous sommes en train de préparer le nouvel organigramme qui devra traiter de cette situation et nous permettre d’éviter ces doublons et parallélismes qui sont sources d’accroissement des charges de fonctionnement et qui au demeurant contrasteraient avec la vision holistique du système éducatif, telle que souhaitée par les plus hautes autorités du pays. Mon ambition est donc très claire de réduire ces doublons et d’arriver à des entités uniques du Ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation.

Mais avant cela, au regard de certaines contraintes objectives (cas de la préparation déjà en cours des examens scolaires), nous aurons dans la gestion des doublons de directions existantes, une approche souple et progressive qui permettra aux acteurs de mieux faire connaissance et de mener conjointement et en bonne intelligence les activités planifiées.

Lefaso.net : La ponctualité, l’exigence des délais impartis et la lenteur administrative sont autant de défis qui vous attendent au ministère. Quel mode d’emploi comptez-vous mettre en place ?

JMC : il est connu que l’exemple enseigne mieux que la parole. La discipline que je m’imposerai fera école. En donnant des instructions, assorties de délais que je suivrai personnellement, cela permettra d’engager mes collaborateurs dans ce sens pour plus de productivité de notre travail. Le Gouvernement, du reste, réfléchit à ces questions de façon plus globale au niveau de l’ensemble de l’Administration d’Etat. Sur la question plus spécifique du suivi, il y a aussi la possibilité, que j’exploiterai naturellement, de former les collaborateurs qui en auront besoin aux méthodes et outils y relatifs. Je pense que vous ne l’ignorez pas, que ces déficits sont parfois aussi malheureusement dus à un manque de qualification.

Lefaso.net : Le premier ministre Paul Kaba Thiéba prône une tolérance zéro soutenue par l’éthique et la probité. Toutefois lors d’une rencontre que vous avez eue le 4 février avec vos directeurs régionaux et centraux, vous avez dit que vous serez le premier à être le défenseur de vos collaborateurs sur leurs « droits » et leur « raison »…

JMC : Oui, j’ai dit que je défendrai mes collaborateurs sur leurs droits et leur raison. Il me semble que cela va de soi, que les collaborateurs sachent qu’ils peuvent trouver auprès de leur manager un tel soutien pour être pleinement en confiance, pour innover, prendre des initiatives et donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais, j’ai aussi précisé que pour cela, chacun devra être vertueux dans tout ce qu’il entreprendra au quotidien car il yaura effectivement zéro impunité pour tous ceux qui tricheront à quelque niveau que ce soit. Nul doute donc que les sanctions négatives, lorsqu’elles seront justifiées, seront prises sans état d’âme et la justice passera. Et comme vous l’avez si bien relevé vous-même, cette volonté vient aussi, forte, du sommet de l’Etat.

Lefaso.net : Lors de la même rencontre,vous avez affiché votre ambition de « faire de l’enfant un acteur social, économique et responsable ». Comment ?

JMC : Le président du Faso, dans son programme politique « bâtir avec le peuple un Burkina Faso de démocratie, de progrès économique et social, de liberté et de justice » a prévu que le Burkinabè qui doit sortir du système éducatif devra pouvoir s’insérer socialement (c’est-à-dire en accord avec le projet de société) et économiquement (c’est-à-dire gagner sa vie par un travail décent).L’ambition est donc claire, de faire en sorte que notre système éducatif ne soit plus une longue montée d’escaliers vers un point perçu à tort d’ailleurs comme un sommet (l’accès à l’université), en oubliant toutes les autres possibilités que nous avons trop peu envisagées jusque-là.

Nous avons aujourd’hui des exemples de jeunes, qui ont pris des passerelles pour se former par exemple à l’aviculture traditionnelle améliorée et qui gagnent autant leur vie qu’un médecin, un professeur d’université, un consultant, un haut cadre de l’Etat ou un Ministre. Ce Gouvernement, issu de l’insurrection populaire a bien compris et fait sienne l’aspiration du peuple et notamment de sa frange jeune, que notre système éducatif ne produise plus que des généralistes au cursus scolaire tout tracé du CP à l’université. Le nouveau système que nous ambitionnons de construire pour les années et les générations à venir devra faire une place prépondérante (la plus importante) à la formation des compétences, en accord avec les besoins de l’économie nationale, régionale et internationale.

Lefaso.net : Le ministère a pris un arrêté le 11 janvier sur les nouveaux horaires scolaires. Pour le primaire, les élèves ont désormais cours les soirs de 14h à 16h sauf les mercredis. N’est-ce pas épuisant pour eux ?

JMC : Vous ne pensez tout de même pas qu’à ce niveau de décision, il soit pris des décisions qui ne tiennent pas compte du rythme des enfants ? Quels sont les arguments qui ont prévalu à cette décision ? C’est bien les conséquences qu’induisait l’instauration de la journée continue pour les enfants en lien avec l’indisponibilité des parents pour aller les chercher à midi et les ramener l’après-midi. Mais aussi la situation des parents eux-mêmes dans leurs emplois. Et enfin, il fallait aussi prévoir qu’en cas de problème, l’autorité puisse être saisie. Or, sans cette décision, l’autorité finissait à 15h30 dans le cadre de la journée continue et les enseignants à 17H00, créant ainsi un vide.Ce sont là les principales raisons qui ont prévalu à la prise de la décision. Au demeurant, les horaires ont été fixés conformément au volume horaire prévu pour chaque classe. Le volume horaire hebdomadaire est respecté et le samedi et le dimanche sont libres pour le repos. Ensuite, comme pour toute mesure nouvelle, il y aura un moment où nous regarderons comment cela s’est passé et aviserons en collaboration avec tous les acteurs du système éducatif (partenaires sociaux, parents d’élèves, enseignants, encadreurs et gestionnaires, etc.)

Lefaso.net : Lors de sa Déclaration de Politique Générale, le premier ministre a annoncé la normalisation en 2016 de 160 écoles sous paillotes sur les 800 existantes. Que doit-on entendre par normalisation ?

JMC : Il s’agit des écoles aménagées sous abris précaires, souvent sous des hangars ou avec des matériaux non définitifs. Les normalisations consisteront à remplacer ces abris en bâtiments construits en matériaux définitifs. Il s’agira aussi de transformer certaines écoles à trois classes, en fonction du ratio seuil, pour les amener à six classes et favoriser ainsi un recrutement annuel pour booster le taux de scolarisation.

Lefaso.net : Au cours du quinquennat du président Roch Kaboré, il est également prévu la construction de 13 lycées scientifiques régionaux. Quelle est la différence d’avec les lycées classiques ?

JMC : Les lycées scientifiques sont conçus pour former les élèves destinés aux études scientifiques comme les mathématiques, les sciences naturelles, la physique, la chimie, etc. Vous savez que le Burkina devient un pays de moins en moins scientifique. Le nombre d’élèves qui s’orientent en série C n’a fait que baisser depuis près de 10 ans. De sorte que notre système est en difficulté par exemple pour recruter des enseignants dans les matières scientifiques citées plus haut. Il était indispensable de prévenir, par l’ouverture de ces lycées, la pénurie de ressources humaines dans ces matières et créer un vivier de jeunes burkinabè capables de s’orienter dans des grandes écoles internationales pour la formation des talents.

Lefaso.net : Quelle est votre ambition pour ce gigantesque ministère et qu’attendez-vous de vos collaborateurs et partenaires ?

JMC : Mon ambition est de réaliser avec l’appui du Chef de Gouvernement, les objectifs assignés au département par le président du Faso dans son programme de gouvernement. Au-delà, c’est véritablement comme je l’ai dit plus haut, de poser les fondements d’un système rénové pour les années et les générations à venir et qui fait une place prépondérante (la plus importante) à la formation des compétences, en accord avec les besoins de l’économie nationale, régionale et internationale. Quand vous observez la crise actuelle de l‘emploi et regardez les taux de chômages dans les pays à travers le monde et notamment celui des jeunes, vous constatez que les pays où ils sont les plus bas, ce sont les pays où l’enseignement et la formation techniques et professionnels occupent au moins 75 à 80% des effectifs du post-primaire et du secondaire. Au Burkina Faso, en 2013-2014, ce taux était de moins de 4%.

Lefaso.net : Pour finir ?

JMC : Merci à Lefaso.net pour l’opportunité qui m’a été donnée d’exposer notre vision de la mission qu’il a plu au Premier ministre et au président du Faso de nous confier. Vous me permettrez de les en remercier.

Ensuite, je voudrais inviter l’ensemble des acteurs du système éducatif à méditer sur cette citation du président Nelson Mandela : « l’Education est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde ». Dans cette vision, nous sommes tous invités à agir dans la cohésion, la solidarité, la probité et avec abnégation pour une Education pour tous de qualité pour changer le Burkina Faso.

A l’endroit des élèves, je lance un appel à se mettre au travail. Le travail ne ment pas. Aux enseignants surtout, mais aussi aux encadreurs et gestionnaires de l’Education, je demande de faire preuve de sacerdoce. Quant aux parents d’élèves et mères éducatrices, je les invite à plus de suivi de leurs enfants. Aux partenaires sociaux, je demande l’accompagnement dans le dialogue. Merci !

Propos recueillis par Herman Bassolé
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