Fonction publique : le Directeur général parle des perspectives liées à la mise en œuvre de la Loi 013La Loi 013 est, avec d’autres, la plus connue des dispositions qui régissent la carrière des fonctionnaires burkinabè. Tant elle est toujours au cœur des revendications des syndicats. Sa relecture a été promise par les autorités de la transition. Le processus a été engagé mais n’est pas encore arrivé à termes. Dans cette interview, Francis Paré, directeur général de la Fonction publique présente de façon exhaustive la fameuse loi 013. Il parle aussi des implications de sa relecture et de sa mise en œuvre sur la carrière des fonctionnaires. Lisez ! Lefaso.net : Qu’est-ce que la loi 013 ? Francis Paré : Je voudrais tout d’abord remercier Lefaso.net pour l’occasion que l’organe nous offre de nous exprimer sur ce que l’on pourrait appeler le dossier Loi 013. On a souvent parlé d’iniquité introduite par l’ancienne loi entre fonctionnaires et contractuels ; de quoi s’agit-il précisément ? La spécificité de la loi n°013 par rapport aux différents statuts qui se sont succédé depuis l’adoption en date du 20 octobre 1959 du premier Statut Général de la fonction publique par l’Assemblée Législative sous le nom de Loi 22/AL, est le fait qu’elle ait prévu deux situations porteuses de difficultés :
Cela est-il désormais corrigé ? Je puis vous rassurer que la fonctionnarisation de tous les agents de la Fonction Publique consacrée par le nouveau Statut Général de la Fonction Publique va mettre fin à toutes ces disparités qui, non seulement sont fastidieuses pour le travail quotidien du gestionnaire, mais aussi et surtout émoussent la motivation de beaucoup d’agents et mettent à mal la cohésion entre animateurs de l’Administration publique. Certains travailleurs pensent qu’il devrait y avoir une indemnisation des fonctionnaires par rapport à cette iniquité salariale ; qu’en pensez-vous ? Quelles sont les autres raisons ayant nécessité la relecture de la loi ? La Loi 013 aura 17 ans révolus le 1er janvier 2016. C’est le record de longévité après la Loi 22/AL qui a régi notre Fonction Publique de 1959 à 1986, soit 27 ans. Aussi, dans une démarche de la recherche de l’équité, il était apparu nécessaire de créer une catégorie « P » pour classer les personnels occupant des emplois exigeant un niveau de doctorat (médecins généralistes, docteurs vétérinaires etc.) ou un niveau de baccalauréat plus sept (7) années de formations professionnelles cumulées. Dans la même optique, les P6/6P, P4 et P7 qui sont des catégories de rémunération devraient être formalisées en catégorie P de carrière avec respectivement les échelles A, B et C. Cela devrait apporter plus de cohérence entre la gestion de la carrière des intéressés et leurs rémunérations. Dans la même logique de l’équité, il était également devenu nécessaire de revoir le nombre d’échelons par classe pour tenir compte de la « carrière utile » par catégorie d’emploi occupé, afin d’éviter qu’un agent épuise les échelons de sa classe et se retrouve sans perspective d’avancement d’échelon. Le régime de sanctions disciplinaires a lui aussi justifié la relecture de la loi 013 afin qu’une échelle de fautes professionnelles soit esquissée en cohérence avec l’échelle des sanctions disciplinaires. Il y a également le besoin de renforcement des dispositions relatives à l’éthique et à la déontologie de la fonction publique qui constitue une des raisons de la relecture. In fine, l’aboutissement de la relecture a permis d’atteindre ces différents objectifs qui constituent en faite les principales innovations introduites dans la nouvelle loi. Pouvez-vous nous rappeler le processus qui a conduit à la relecture ? Dès les premières années de l’application de la loi 013, des difficultés pratiques constatées ça et là ont suscité un premier réajustement en 2005. En 2009, une étude d’évaluation de la mise en œuvre de la Réforme Globale de l’Administration Publique (RGAP) a mis en exergue un certain nombre d’insuffisances de la RGAP en général et de la loi 013 en particulier. Recommandation avait donc été faite de relire la loi 013. Le processus de relecture de la loi a été entamé effectivement en juin 2013 par la mise sur pied d’un comité de réflexion de six membres. Ce comité a produit un premier draft qui a fait l’objet de concertations internes au ministère avant d’être transmis au Conseil des ministres qui l’a examiné en sa séance du 28 novembre 2013. Dans le souci de ratisser large et d’asseoir une démarche participative, le Conseil des ministres a préconisé l’élargissement du comité de réflexion. Le comité de réflexion a donc été élargi et a produit un deuxième draft qui a été soumis à des amendements avec l’ensemble des Directeurs des ressources humaines des ministères et institutions en 2014. Par la suite, ce document a été soumis à l’examen du Conseil de cabinet du 6 mars 2015 qui a levé certains obstacles à la poursuite du processus de relecture. En mars 2015, le comité de réflexion a fait place à un comité de finalisation de la relecture qui, après plusieurs séances de travail marathon, a produit un avant–projet de loi. Cet avant-projet de loi a été examiné en août 2015 par un comité DRH, avant d’être présenté aux organisations syndicales lors du dialogue Gouvernement/Syndicats, puis soumis à leurs amendements du 11 au 17 octobre 2015 lors d’un atelier bipartite. C’est après cette phase que l’avant-projet de loi a été soumise les 26 et 27 octobre 2015 au comité technique de vérification des avant-projets de loi (COTEVAL) qui a fait ses amendements et observations. Le document final d’avant-projet de loi a été ensuite soumis au Conseil des ministres qui l’a examiné et adopté en sa séance du 04 novembre 2015. Le projet de loi qui en a résulté a été transmis au Conseil National de la Transition (CNT) qui l’a examiné en commission du 18 au 21 novembre 2015 avant de l’adopter à l’unanimité en sa séance plénière du 24 novembre 2015. Il s’agit donc d’un long et fastidieux processus qui s’explique par les exigences de qualité que requiert une telle loi et par les enjeux qu’elle comporte. Enfin, tout est bien qui finit bien ! Quelles sont les principales modifications qu’apporte la relecture de la loi ? Il ne s’agit pas de simples modifications, mais de l’introduction d’innovations majeures en congruence avec les réalités sociologiques, économiques et techniques de l’environnement. Comme abordé plus haut dans mes propos, les innovations les plus significatives sont entre autres :
Que faut-il entendre par approche « métier » qui, comme vous l’expliquez va au-delà de l’approche « emploi » ? L’approche « métier » est une stratégie de management des ressources humaines qui recommande le regroupement des activités de l’organisation et leur exercice en pôles cohérents appelés métiers. L’on pourrait parler dans notre contexte de « métier d’éducation », de « métier de soins », de « métier de justice », etc. En fonction des objectifs et de la taille de l’organisation, le métier peut être plus ou moins large. La finalité de l’approche « métier » est de basculer de la gestion basée sur l’occupation physique du poste de travail vers une gestion basée sur la compétence. En résumé, l’approche « métier » est la démarche technique qui vise à mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ! Que deviennent les statuts particuliers ? La nouvelle loi prend-elle cela en compte ? Je tiens à priori à dissiper les amalgames que beaucoup d’acteurs font en parlant de statuts particuliers. En fait, le statut particulier vient en application de dispositions spécifiques d’un statut général. Ainsi, lorsque le statut général est une loi, les statuts particuliers pris en application de cette loi ne peuvent qu’être des décrets. Leur but est d’apporter plus de précisions ou de mettre en exergue certaines spécificités d’un emploi ou d’un corps de métier. Ceci étant, vous comprenez que les statuts existants sont autonomes ou indépendants, mais ne sont pas des statuts particuliers. Il s’agit essentiellement des statuts de la magistrature, des forces armées, des enseignants du supérieurs et chercheurs, de la police nationale, de la garde de sécurité pénitentiaire, des eaux et forêts, de la douane, des établissements publics de l’Etat et des fonctions publiques parlementaires et territoriales. Dans le cadre du statut général de la fonction publique d’Etat, et conformément à l’approche « métier », il serait élaboré des statuts particuliers pour chaque corps de métier, toute chose qui permettra de prendre en compte les spécificités organisationnelles, promotionnelles et disciplinaires de ces métiers ainsi que des emplois qui les constituent. Quel est le calendrier de mise en œuvre de la nouvelle loi ? Le nouveau Statut est prévu pour entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2016. Mais de façon opérationnelle beaucoup de choses restent à faire. Il s’agit prioritairement :
Pour toutes ces activités, le nouveau statut lui-même impose à l’Administration un délai maximum d’une année à compter de sa date d’entrée en vigueur pour disposer des livrables. Malgré certaines innovations au cours de ces dernières années, on a l’impression que le problème de gestion des carrières de la fonction publique se pose toujours ; quelles sont les principales difficultés ? En tant qu’humain, nous ne prétendons pas atteindre la perfection, sinon nous devenons des « dieux ». Néanmoins, je suis de ceux-là qui refusent de croire que ce que nous faisons ne peut plus être amélioré. Ceci dit, il y a toujours des problèmes de gestion de carrière dans notre Fonction Publique. En effet, les dispositifs de gestion dans notre Administration, à regarder de très près, sont pour la plupart ceux mis en place depuis les indépendances. Vous comprenez qu’un dispositif prévu pour gérer par exemple 20 000 agents ne peut pas performer dans la gestion de 140 000 agents. Il y a eu certes des innovations comme l’opérationnalisation en 2002 du système intégré de gestion administrative et salariale du personnel de l’Etat (SIGASPE), comme l’opérationnalisation de l’enrôlement biométrique des agents amorcée en 2011, comme la décongestion de la gestion de certains actes de carrière au niveau des ministères et institutions. Cependant, il reste un travail de mise en cohérence de ces innovations et de leur mise à jour permanente pour optimiser leur valeur ajoutée. Sinon aujourd’hui, ni le SIGASPE dans son déploiement actuel, ni le dispositif biométrique, ni même la décongestion des actes dans les ministères et institutions, ne dispensent un fonctionnaire qui est à Déou ou à Gobnangou de se référer à Ouagadougou pour la gestion de sa carrière. C’est ce que nous devrons corriger. Par ailleurs, jusque-là, la description des postes de travail qui constitue le socle de la démarche gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) n’est pas encore effective. La conséquence est que nous faisons de la gestion administrative au quotidien, sans pouvoir maitriser la configuration des effectifs présents et des compétences disponibles ; sans pouvoir mieux appréhender la dimension prospective de la population de notre Fonction Publique, tant sur le plan quantitatif que qualitatif ; sans pouvoir projeter avec certitude les rémunérations en lien avec les effectifs à moyen et à long terme. Pour les lenteurs quotidiennes imputées à la fonction publique, il faut dire que dans le dispositif actuel, le Ministère en charge de la Fonction Publique reste le point de convergence de toutes les situations sensibles, complexes ou irrégulières relatives aux carrières. Nous nous retrouvons ainsi avec des milliers de dossiers complexes à gérer, souvent dans un laps de temps réduit, sans moyens particuliers. Ce n’est pas toujours évident. Au demeurant, je dois reconnaitre et saluer l’abnégation au travail et le sens du sacrifice des femmes et hommes qui animent actuellement les services de la Direction générale de la Fonction Publique. Que ce soit les chargés d’études des requêtes, que ce soit les rédacteurs, que ce soit le personnel de soutien, chacun s’investit au delà de ce qui est exigé de lui, en dépit des conditions difficiles de travail, des pressions et souvent même des menaces directes proférées par certains usagers. Je ne peux que les encourager à maintenir le cap, tout en cherchant ensemble des solutions pour l’amélioration des conditions de travail. Y a-t-il des pistes de solutions ? Bien sûr que nous avons la vision des solutions et nous pourrions travailler dans ce sens. Essentiellement :
Pour terminer, nous tenons à vous réitérer nos remerciements pour l’intérêt que vous portez aux activités de la Fonction Publique en général et à celles de la Direction générale en particulier en nous donnant l’occasion, bien sûr avec l’accord de notre hiérarchie, de partager ces informations. Nous souhaitons que ce partenariat se renforce afin que Lefaso.net qui est accessible sur mobile, puisse constituer une plate-forme de communication entre nous et l’ensemble des fonctionnaires des campagnes et des villes. Cela devrait renforcer la confiance mutuelle et accroitre notre productivité. La Rédaction Vos réactions (36) |