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LE DROIT A UN PROCES EQUITABLE : reflet d’un Etat de droit

mardi 10 novembre 2015.

 

« Pendant que les cris, les pleurs, les lamentations de l’épouse et des enfants du présumé coupable me couvraient de tristesse, en ce même moment, les visages pâles et tuméfiés, inondés de larmes de la veuve et des orphelins de la victime me révoltaient. Entre ces deux contraires inconciliables, il m’est demandé de dire une justice juste : face à cette aporie, il me faudra plus que la sagesse de SALOMON » disait un juge dans son for intérieur.

Ce soliloque traduit bien à propos la difficulté qu’il y a à juger « ex aequo et bono » c’est-à-dire en équité. Ce qui constitue pourtant une exigence dans un Etat de droit.
Le droit à un procès équitable s’entend du droit de se faire entendre et d’obtenir une décision d’un juge ou d’une juridiction indépendante et impartiale, le droit d’exercer un recours contre une décision ou de la faire exécuter, le tout dans un délai raisonnable.
Ces principes sont garantis par différents instruments juridiques internationaux : La déclaration universelle des droits de l’Homme (article 10), le pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 14), la charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 7) tous ratifiés par le Burkina Faso.
Dès lors tout Etat ayant ratifié ces différents instruments juridiques doit faire siennes les dispositions y continues car l’Etat doit dans un état de droit être soumis à la règle de droit.
Cette tautologie juridique vise à rappeler que « le procès équitable est un idéal démocratique majeur » disait Eva JOLY, ancienne magistrate française dans son ouvrage « est-ce dans ce monde-là voulons-nous vivre ? ».
Le droit à un procès équitable est une notion extensive qui, outre le droit à la motivation du jugement , le droit d’être entendu avant que le jugement ne soit prononcé, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, pourrait se résumer à deux principes cardinaux que sont : le droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant (I) et le droit au respect du contradictoire et des droits de la défense(II)

I) LE DROIT A ETRE JUGE PAR UN TRIBUNAL IMPARTIAL ET INDEPENDANT

Tous ont droit à ce que leur cause soit entendue par une juridiction indépendante et impartiale : ainsi dispose en substance l’article 4 de la constitution burkinabé.
Tous les cours et tribunaux doivent être indépendants et impartiaux. Tel est le principe.
L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de partis pris.
En principe tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit se récuser.
A défaut il pourrait être récusé par une partie au procès pour des causes déterminées par la loi : parenté ou alliance, lien de subordination, amitié ou inimitié notoire etc. . Quand la récusation est formulée contre plusieurs juges, cela peut entrainer le renvoi de l’affaire devant une autre juridiction : c’est le renvoi pour cause de suspicion légitime.

Dans la même optique, en matière pénale il est interdit à un juge qui a procédé à l’instruction d’une affaire de participer au jugement de la même affaire car celui-ci s’est déjà formé une opinion sur ladite affaire ; ce qui comporte le risque de peser dans la balance dans le sens de la condamnation surtout si le prévenu avait déjà fait l’objet d’une détention préventive.
L’exigence de l’indépendance se traduit par la non soumission à une autorité non judiciaire quelconque, le juge devant statuer seulement à l’aune de la loi et de sa conscience.
« La justice à deux vitesses » ou le principe inéquitable du « deux poids deux mesures » ne doivent point avoir droit de citer dans nos prétoires.
Contrairement à certains pays ou les magistrats sont élus, comme par exemple dans le canton de Genève, il convient de reconnaitre que l’indépendance de la justice dans de nombreux pays africains à l’instar du Burkina Faso est mise en mal par la tutelle administrative et financière. En effet l’exécutif a la haute main sur le recrutement, la nomination, les affectations et la rémunération des magistrats.
C’est pourquoi il sied de saluer la réforme constitutionnelle entreprise par le Conseil National de Transition(CNT) dans ce sens. Le Président du Faso n’assumera plus la fonction de président du conseil supérieur de la magistrature(CSM). Désormais le premier président de la cour de cassation en sera président et le président du Conseil d’Etat assumera la présidence.
D’autre part, l’ensemble des acteurs du corps judiciaire ont une obligation de diligence vis à vis des Justiciables.

Autant les magistrats ont des obligations, les avocats ne sont pas en reste.
En effet, les avocats doivent exercer leur compétence professionnelle avec une conscience qui assure l’application concrète et effective de la garantie d’un procès équitable.
S’il est vrai que l’avocat n’est pas tenu à une obligation de résultat quant à l’issue du procès, il est tenu à une obligation de résultat tenant à l’efficacité des actes qu’il rédige ou encore au respect des délais de procédure .
Par ailleurs, tous les acteurs qui participent au fonctionnement de l’appareil judiciaire ont le devoir de respecter la dignité du justiciable (prévenu, accusé, .. .) , d’assurer la sécurité des victimes et des témoins.
Le fait de ne pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat lors d’une garde à vue ou d’une détention provisoire peut également compromettre le caractère équitable du procès.
A ce titre, il convient de féliciter le Ministère de la justice qui avait pris une directive le 05 mars 2015 pour rendre effective la présence de l’avocat durant l’enquête préliminaire conformément au règlement n 05/CM/ UEMOA relatif à la profession d’avocat dans l’espace UEMOA qui dispose en son article 5 ceci : « les avocats assistent leurs clients dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire , dans les locaux de la police , de la gendarmerie ou , devant le parquet (…) ».
Toutes choses permettant de limiter les abus et les dérives.
Aussi toute allégation plausible de traitement inhumain ou dégradant lors de la garde à vue pourrait donner lieu à l’ouverture d’une enquête officielle effective afin d’identifier et de sanctionner les auteurs.
Car l’impunité des auteurs en l’espèce n’est rien d’autre qu’une prime aux mauvais traitements.

II) LE RESPECT DU CONTRADICTOIRE ET DES DROITS DE LA DEFENSE
Le droit à un procès équitable inclut le respect du principe de l’égalité des armes.
Le procès est contradiction. La contradiction est l’essence même du procès contentieux.
« Nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé » ; tel est l’expression du principe du contradictoire consacré par l’article 5 du code de procédure civile.
Cela signifie que tous les éléments versés au débat doivent être soumis à la discussion des parties.
Chaque partie doit se voir offrir la possibilité de présenter sa cause devant une juridiction dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage.
La défense étant un droit naturel, elle offre la possibilité d’attaquer et de défendre, de connaitre et de discuter des pièces, documents, témoignages produits par la partie adverse.
Le principe du contradictoire assure la protection des plaideurs contre les manœuvres de l’adversaire mais aussi contre les négligences ou la partialité du juge.
Pour garantir « un combat loyal » le juge a le pouvoir d’enjoindre la communication et la restitution des pièces et documents à une partie qui refuserait de les communiquer.
Un lien étroit existe entre le principe du contradictoire et les droits de la défense.
Les droits de la défense selon la doctrine est tout ce qui contribue à un procès équitable.
Le procès équitable est une notion extensive qui comprend également le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et lors d’une audience publique sauf dans certaines circonstances.
Un axiome bien connu chez les juristes du monde entier dit que « tout retard au cours de la justice n’est rien d’autre qu’un déni de justice ».
Bien attendu l’appréciation du caractère raisonnable prend en compte la complexité de l’affaire, le comportement du requérant, le comportement des autorités judiciaires et administratives, ainsi que l’enjeu de la procédure pour le requérant.
« La justice doit être prompte. Point austère » (MONTESQIEU)
Une justice expéditive ne peut être juste.
Une justice qui va et vient au gré et aux caprices de l’opinion publique frôle dangereusement le spectacle ou le théâtre.
Ce fut cette même opinion publique qui avait préféré la crucifixion pour CHRIST le sauveur et la liberté pour BARRABAS le grand criminel.
Hors de nos prétoires l’opinion publique qui tire la justice par la queue, qui la mène et la malmène !
Par ailleurs l’’audience doit être publique, exception faite de certaines circonstances liées à l’ordre public et à la vie privée des parties.
Le caractère public de l’audience participe du procès équitable. Il vise selon l’élégante formule de BALZAC à permettre à « Monsieur le public d’exercer un contrôle virtuel sur la manière dont la justice est rendue en son nom ».
En même temps que cela favorise l’équité, l’audience publique instaure une certaine transparence.
In fine, la justice demeure la clef de voute du système démocratique, elle doit constituer le dernier rempart du citoyen lorsque celui-ci a tout perdu.
Une justice saine, impartiale et équitable est le reflet d’une démocratie plus belle et plus solide. Ce principe n’est pas un luxe pour le BURKINA FASO, il peut et doit y faire sien.
Telle est notre profonde conviction.

Wilfried ZOUNDI
JURISTE
CONSULTANT EN DROIT DE L’HOMME
DEPUTE MEMBRE DE LA COMISSION DES LOIS AU CNT
WILZOUNDI@YAHOO.FR



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