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Smockey et de Sams’K Le Jah en tournée européenne : Cinéma et débats avec le Balai Citoyen à Genève

mardi 27 octobre 2015.

 

Le samedi 24 octobre 2015 le Balai Citoyen a animé un ciné-débat et un concert en Suisse. C’était dans la Vieille-Ville de Genève, au Théâtre de la Madeleine où le public a assisté nombreux aux témoignages de Smockey et de SamsK LeJah. Ces musiciens sont des figures emblématiques de la résistance de la société civile burkinabè face au long règne du Président Compaoré jusqu’à sa chute et sa fuite en octobre 2014.

Artistes militants, ils ont su rallier une grande partie de la jeunesse Burkinabè en quête de repères, de justice et de transparence dans la gestion de la chose publique. Ils ont été des observateurs privilégiés et des acteurs directes des derniers évènements survenus au Burkina burkinabé avec le coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015.

Cette rencontre a été organisée dans le cadre d’une tournée européenne et en partenariat avec l’association Buud Yam de Abel Sankara et Christophe Kessler du journal genevois Le Courrier. La conférence qui a débuté en milieu d’après-midi a été précédée du film « Capitaine Thomas Sankara » de Christophe Cupelin. Sous la modération du journaliste Guorgui Ndoye de Continent Premier, c’est le Professeur Jean Ziegler qui fera la première intervention, par un poignant témoignage épistolaire entre le Capitaine Thomas Sankara et l’éminent sociologue-militant suisse. Pour qui connaît l’œuvre de Ziegler, il semblait naturel pour Sankara, dans son enthousiasme débordant et dans sa soif de savoirs, de contacter ce dernier. Ne serait-ce que pour leur espoir commun de voir les pays dit pauvres comme le Burkina Faso, accéder à une autodétermination et une indépendance réelle face aux ravages et aux crimes séculaires d’un impérialisme sans foi ni loi.

L’Empire est sans pitié. Il broie tous ceux qui osent porter la voix des sans-voix, car ce qu’ils dénoncent est d’une telle limpidité que si on les laissait faire, les citoyens comprendraient vite où sont leurs vrais intérêts et qui sont leurs véritables bourreaux et exploiteurs… Ce début d’échanges de lettres et d’invitations entre Sankara et Ziegler n’aura pas de suite… stoppé par le cours des évènements tragiques du 15 octobre 1987 que notre précieux octogénaire évoque avec émotion et un brin de colère jamais résignée.

Sankara est parti, mais il a semé des graines. Et parmi elles SamsK LeJah, Smockey, Didier Awadi, Kara, tous des artistes présents ce soir-là et qui ont bu à la source de Sankara, parmi tant de milliers et de millions de jeunes africains qui se lèvent et disent maintenant : « Ca suffit ! ». Y en a marre ! On ne va pas éternellement se laisser envahir et confisquer son destin par ces ordures et prédateurs politico-économiques qui se sont incrustées dans le tissu social de nombreux Etats africains, comme c’est la cas du Burkina de Blaise Compaoré.

Que faire alors, les mains nues ? L’art d’abord, les mots, la musique… Et c’est avec le reggae, le rap et ces sonorités de leur cru que les artistes fondateurs du Balai Citoyen entament la contestation et réclament un véritable état de droit et de justice au Burkina et en Afrique, francophone notamment où de nombreux régimes patrimoniaux ont fini par déposséder les populations et les confiner dans une misère innommable.

Les Cibals ont le sens de la métaphore. Ils observent alors qu’une multitude de brindilles éparpillées ne sont que des ordures ajoutées aux pires ordures du pays. En rassemblant ces brindilles qu’on scelle avec une vision, une conviction et un réel amour pour son prochain et son pays, on arrive à en faire un vigoureux balai qui peut contribuer à faire un sacré ménage dans un Etat. Et c’est ce que fait et démontre le Balai Citoyen en réseau avec d’autres organisations de la société civile.

L’unité des forces sociales, critiques et citoyennes dans la lutte sont le secret de ce pouvoir réel. C’est en substance le témoignage de Smockey SamsKa sur la genèse de leur mouvement. Dans un langage direct et largement compris par la majorité des jeunes et la population dans son ensemble, les artistes du Balai Citoyen contribuent ainsi à une prise conscience indispensable aux changements nécessaires à la construction d’institutions solides et capable de redonner confiance aux peuples africains en assurant/assumant pleinement leur rôle de services publics, de tous pour tous.

Sur le putsch manqué du Général Diendéré, ils ont instruit le public des péripéties de cette semaine incertaine à Ouaga où les putschistes du RSP ont ciblé certaines personnes dont ces leaders du Balai Citoyen. Leur organisation propre, leur connaissance du « pays réel » ainsi que l’étau qui se resserrait autour du Général putschiste ont fini par donner raison à la résistance du peuple burkinabé appuyée par les forces armées loyales pour mettre fin au putsch.

Quant aux implications de personnes et d’états étrangers, le Balai Citoyen a rappelé le cas de la Côte d’Ivoire. En effet ce pays est soupçonné d’être impliqué dans le coup d’Etat manqué et la résidence ouagalaise du président de l’assemblée nationale ivoirienne, l’ex-rebelle Guillaume Soro, a été perquisitionnée par les enquêteurs burkinabé. L’enquête est toujours en cours, mais ce qui est bien gagné, c’est la dissolution du RSP, l’arrestation des putschistes et l’organisation des élections prévues pour le 29 novembre 2015… Sans compter la réouverture dossier sensibles comme celui de l’assassinat de Sankara.

A la suite des intervenants, le public a confirmé son intérêt pour cette rencontre en posant de nombreuses questions et commentaires… Entre autres : comment le Balai Citoyen est-il financé ? Quels sont ses rapports avec les chancelleries occidentales au Burkina … Pour couper court à une crainte que ces mouvements de société civile locale seraient financées en sous-mains par des officines derrières des ONG comme l’USAID, le Balai Citoyen déclare formellement ne recevoir de financement de personne. Il s’autofinance grâce aux soutiens des membres engagés et à leurs activités artistiques (concerts et autres) dont une part des recettes leur permet d’organiser et de financer les manifestations (essentiellement de la logistique).

Mais la focalisation sur les élections présidentielles le 29 novembre ne risque-t-elle pas de faire perdre vue que ces élections, aussi bienvenues soient-elles ne sont qu’une étape, un commencement vers certain renouveau du paysage politique burkinabè ? Que deviendra le Balai Citoyen maintenant que le régime Compaoré a été mis a bas ? Est-t-il envisageable que le Balai Citoyen, mouvement dynamique de jeunes de toutes les catégories socioprofessionnelles locales, se mue en parti politique ? Après tout, ce serait même légitime. Pourquoi laisser l’avenir du pays à une classe politique sclérosée, dont de nombreux jeunes se méfient et dont les principaux leaders ont officié sous le régime Compaoré ? Quel espoir et quelle assurance que les équipes et personnels politiques qui seront issus des élections prochaines ne retomberons pas dans les mêmes travers que ceux du régime précédent ?

Petite digression : les initiales du Balai Citoyen et de Blaise Compaoré sont les mêmes : BC ! Ils ont fait exprès ou quoi SamsK et Smockey !! Plus sérieusement, pourquoi ceux qui « ont compris » ne mettraient-ils pas la main dans le cambouis de la politique ? En assumant des mandats législatifs et exécutifs pour être au plus prêt de là où le destin des peuples se jouent et se décident ? N’est-ce pas commode de camper pour toujours dans la posture de l’observateur critique ? Les lois se discutent (ou ne se discutent pas) et se votent à l’assemblée ; les négociations sur les échanges entre Etats et tous les accords et conventions qui lient le pays sont faits au niveau exécutifs et accessoirement juridiques et législatifs. Toutes ces dispositions impactent sur la vie des burkinabé. Pourquoi le Balai Citoyen, qu’on peut classer parmi ceux qui « ont compris », ne pourrait-il pas envisager un engagement politique ferme à l’avenir. Ne serait-ce que par une fédération des jeunes et associations partenaires qui militent et partagent avec lui les mêmes idéaux et revendications. Les compétences ne manquent pas dans l’élite consciente et contestatrice du Faso. Est-ce par peur que le pouvoir politique corrompt toujours ou par pur choix de s’engager volontairement dans la critique et la veille socio-politique qu’il refuse de faire de la politique (tout en la faisant à sa manière) ?

Et le Balai Citoyen de rassurer et d’affirmer qu’il revendique et reste dans son rôle et sa mission de Veilleur… et de Balayeur. C’est dans cette posture qu’il entend servir le Burkina et l’Afrique en veillant, par l’art, musique, le débat et les coups de gueules nécessaires à une conscientisation de la jeunesse africaine qui veut s’émanciper des complexes et fléaux socio-historiques qui maintiennent le continent dans une misère absurde. A ceux qui arriveront au pouvoir de donner des gages et de prouver qu’ils méritent la confiance et l’espoir que le peuple placera en eux à travers ces élections. Pour les Cibals, veiller sur les acquis citoyens de l’insurrection populaire d’octobre 2014 et du coup d’Etat manqué du 16 septembre, et refuser toute patrimonialisation de la gestion de l’Etat et des affaires publiques sont aussi nobles et nécessaires que d’assumer un mandat politique exécutif ou législatif. Et pour cela il faut être indépendant et en dehors de la conquête du pouvoir politique.

C’est dans cet esprit que les débats ont été clos, avec un vif hommage aux invités Smockey, SamsK et Awadi et une reconnaissance réaffirmée au professeur Jean Ziegler dont l’œuvre contribue sans aucun doute à cette prise conscience de la jeunesse africaine. Le concert qui suivra plus tard dans la soirée verra les prestations des quatre artistes ( Smockey, SamsK, Awadi et Kara) accompagnés de leurs musiciens respectifs burkinabé et sénégalais qui ont tenu le public en haleine jusque tard dans la nuit. Ce fut une belle occasion pour la communauté burkinabé locale et des amis suisses du Burkina de se revoir et de partager des moments forts dans l’esprit de Sankara et de la marche actuelle des peuples burkinabé et africains vers plus de dignité, de liberté, justice et responsabilité.

Une correspondance particulière de Parfait Bayala
Polygraphe – Journaliste indépendant
Genève, 26 octobre 2015



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