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Tahirou Barry, président du PAREN :« Un gros os était dans la gorge de la transition et il empêchait toute alimentation »

dimanche 18 octobre 2015.

 

La situation nationale, marquée par les séquelles du coup d’Etat manqué du 17 septembre dernier, est suivie avec beaucoup d’intérêt par les leaders politiques parmi lesquels certains n’ont de cesse de renforcer leur position sur les questions qui fâchent. Est de ceux-là, le président du PAREN. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Tahirou Barry revient sur la crise à travers un diagnostic, livre une vision de son parti sur certaines questions majeures et se projette sur les élections, surtout celle présidentielle, à venir.

Lefaso.net : Alors que toutes les pensées étaient focalisées sur les élections prévues pour le 11 octobre 2015, le processus a été interrompu le 16 septembre. Comment avez-vous appris et accueilli la nouvelle ?

Tahirou Barry : Je m’incline tout d’abord devant la mémoire des victimes et souhaite prompt rétablissement aux victimes. J’étais hors de Ouaga quand j’ai été informé par un collègue. J’ai immédiatement cherché et obtenu confirmation. J’ai compris tout de suite que la nation était en danger et qu’il fallait rapidement réagir pour arrêter cette folie des ennemis du peuple avant qu’elle ne se transforme en tragédie. J’ai dû plus tard rentrer à Ouaga à moto avec un collègue pour participer à la gestion de la situation au regard de la paralysie des transports pour raison de couvre-feu.

Lefaso.net : Aviez-vous, tout de suite, pensé à l’hypothèse d’un coup d’Etat ?

Tahirou Barry : Franchement, je n’avais pas pensé à un coup d’Etat car, je ne voyais pas un soldat raisonnable envisager une telle entreprise dans un contexte de sortie apaisée de la transition saluée par tous les acteurs de la vie nationale et internationale. Une personne lucide ne pouvait dans notre contexte politique s’ériger encore en lion pour épouvanter les loups et régner par l’épée. Je pensais simplement à des actes de sabotage, de terreurs et de menaces pour faire triompher la cause perdue du RSP. Malheureusement, celui-là même qu’on présentait comme le plus renseigné de la sous-région a commis le plus tordu coup de notre histoire démontrant ainsi son ignorance d’un renseignement élémentaire : la maturité du peuple Burkinabè et son aspiration à la démocratie et à la justice.

Lefaso.net : Vous avez été prompt à demander à l’Armée d’intervenir. Qu’est ce qui a justifié une telle position ?

Tahirou Barry : Le PAREN a été le premier parti à demander à l’Armée d’intervenir. Après analyse de la situation, on a conclu à une attaque des terroristes nationaux armés contre le peuple aux mains nues. Les forces étaient donc inégales. En la matière, mon professeur Laurent Bado (qui est judoka), nous a appris que lorsque l’adversaire est plus fort que toi, il ne faut jamais l’affronter en boxeur, sinon il va te pulvériser ! Il faut plutôt l’affronter en bon judoka en le tirant dans le sens de son mouvement. C’est pourquoi, dès le lendemain du coup à savoir le 17 septembre, nous avons publiquement appelé l’Armée républicaine à prendre toutes ses responsabilités pour sauver la patrie en danger. Dieu merci, notre appel a reçu un écho très favorable au sein de l’opinion qui a incité nos jeunes soldats à montrer le chemin à leur hiérarchie qui se montrait hésitante.

Lefaso.net : Etes-vous de ceux-là qui disent n’avoir jamais cru en la tenue des élections à l’échéance initiale du 11 octobre ?

Tahirou Barry : Je savais que le chemin vers la tenue des élections était particulièrement sinueux et parsemé d’embûches. La raison était simple. Un gros os était dans la gorge de la transition et il empêchait toute alimentation. Le RSP était devenu un cancer qui rongeait le Faso. Au lieu de s’engager dans la lutte contre le terrorisme, il s’est érigé en terroriste du peuple pour servir la cause d’un système et celle de son chef. On devait courageusement amputer la tumeur cancéreuse. Au lieu de cela, on a tergiversé, louvoyé, fait des compromissions comme par exemple le dernier remaniement du 19 juillet pour sacrifier l’un des meilleurs ministres de la transition, un remaniement que j’ai dénoncé avec force sur ma page facebook. Le RSP était à sa 4è forfaiture après celles de décembre, février et juin. Je n’ai donc pas compris pourquoi on a voulu jouer avec l’œuf et la pierre surtout qu’on savait que ce corps de l’armée n’allait pas se réconcilier avec son peuple. Le serpent peut changer de peau mais jamais de nature. Nous rendons grâce à Dieu pour nous avoir sorti de l’ornière.

Lefaso.net :Une crise était-elle envisageable au regard de la conduite de la transition et/ou de l’atmosphère politique ?

Tahirou Barry :La transition avait certes des insuffisances mais cela ne justifiait en rien un coup d’état.Je répète que la crise est l’aboutissement d’un plan savamment et minutieusement orchestré par le sombre et sinistre instrument de répression du système Compaoré à savoir le RSP pour anéantir le processus de transition et enterrer définitivement les valeurs de l’insurrection. On n’a rien fait pour prévenir la menace qui était manifeste or on le sait tous, l’inaction est mère de tous les maux. Nos dirigeants dont je ne doute point de la bonne foi, ont certes commis des erreurs mais ont certainement tiré les leçons de cette dure épreuve et comme toutes épreuves, elles nous aideront à grandir, à être plus fort face à l’adversité dans notre marche vers la construction d’une nouvelle république.

Lefaso.net : L’organisation communautaire, la CEDEAO, a vu son projet d’accord battu en brèches par surtout les partis politiques de l’ex-CFOP-BF, des OSC et la majeure partie des citoyens burkinabè ; comment avez-vous vécu ces moments de recherche de solutions et quelle leçon en tirez-vous ?

Tahirou Barry :La CEDEAO s’est rendue indigne de la confiance que le peuple a voulu placer en elle. Dans son projet d’accord se dégageaient des incohérences graves ! On s’attendait à ce qu’elle enjoigne aux putschistes l’ordre de restituer l’ordre constitutionnel. Elle a plutôt négocié des incongruités.Au mali en mars 2012 après le coup d’Etat de Amadou Aya Sanogo, la CEDEAO n’a pas tergiversé. C’est des moyens de contraintes allant jusqu’à la suspension des activités d’émission d’agent de la banque centrale qui ont fait abdiquer les putschistes en moins d’une semaine. Au Burkina, c’est autres choses. Comment peut-on proposer l’amnistie à ceux qui terrorisaient encore la population aux mains nues ?Peut-on imposer par les armes, l’oubli là où le devoir de vérité, de justice et de mémoire s’impose ? Peut on pardonner à ceux qui n’éprouvent aucun remord et qui étaient toujours dans la même dynamique criminelle ? Le dimanche 20 septembre, jour même du rendez-vous avec le médiateur, les fous du coup d’état étaient toujours en action malgré le résultat macabre de leur forfaiture. Personnellement, j’ai été pourchassé par deux jeunes en civil à moto au sortir de l’hôtel Lybia (hôtel Laïco à Ouaga 2000, ndlr) où se déroulaient les négociations. Avant ma sortie, mon véhicule a été fouillé de fond en comble par deux éléments du RSP parqués à la porte.La course poursuite s’est engagée à une centaine de mètres de l’hôtel.C’est après quatre virages à vive allure dans le quartier de Ouaga 2000 qu’ils ont rebroussé chemin. L’intention était manifestement de nuire et de faire taire autrement.

Lefaso.net : Que pensez-vous de la proposition faite de permettre aux candidats recalés de participer aux élections présidentielle et législatives ?

Tahirou Barry :Ce n’est pas à la médiation de la CEDEAO de se substituer à l’organe chargé de valider les candidatures aux élections au Burkina Faso. Même, la cour de la CEDEAO a souligné avec force son refus de s’instituer juge de la légalité interne des Etats et qu’elle n’a pas vocation à trancher un procès dont l’enjeu est l’interprétation de la loi des Etats.
Ne soyons pas amnésiques ! On doit toujours se rappeler que la transition a été rédigée avec le sang des martyrs et nul n’a le droit d’effacer les traces de cette écriture.

Lefaso.net : L’issue de la crise vous donne-t-elle satisfaction et quels doivent être les axes prioritaires des autorités ?

Tahirou Barry :Je salue la fin de la crise grâce au professionnalisme et à la bravoure de nos Forces de défense et de sécurité qui n’ont pas eu d’autres alternatives que d’user de la force pour arrêter la barbarie et l’asphyxie de la nation. Comme,axes prioritaires des autorités, c’est de s’engager à rendre justiceà tous nos martyrs et victimes des violences politiques et à achever le processus électoral brutalement interrompu par cette bande de sans foi ni loi. Les Burkinabè en ont assez de l’impunité et de la dictature.

Lefaso.net : Le général Gilbert Diendéré a donné l’allure, par ses propos aux derniers moments, d’un supérieur militaire venu limiter les dégâts et non d’un instigateur du coup d’Etat ; quelle est votre analyse sur cet aspect précis ?

Tahirou Barry :Seule la justice et une enquête crédible peuvent nous instruire en la matière.

Lefaso.net : Beaucoup de dossiers sont associés au nom du général notamment ceux liés à l’assassinat de Thomas Sankara et de Norbert Zongo sur lesquels le peuple affiche une grande attente ; quelles sont les issues possibles par rapport à toutes ces affaires dans lesquelles ressort son nom ?

Tahirou Barry :Les dossiersThomas Sankara et Norbert Zongo doivent livrer leurs secrets et que les auteurs soient punis à la hauteur de leur forfait.Au-delà de ces dossiers,d’autres crimes de sang comme ceux de Lingani,Henri Zongo,DaboBoukary crient lumière et justice et le voile opaque qui les recouvre doit disparaitre. On ne peut pas construire une grande nation sur les fondements de l’impunité.

Lefaso.net : Pensez-vous à un grand déballage devant la justice de la part du général Diendéré avec tous les risques de bouleversements politiques que cela pourrait impliquer ou êtes-vous plutôt de ceux-là qui croient qu’il s’exprimera dans le sens de l’apaisement et de la consolidation de l’intérêt national (c’est-à-dire en évitant de mettre en péril la cohésion sociale) ?

Tahirou Barry :Le général est face à son destin et il ne doit pas le fuir. Dire la vérité est un impératif, s’il veut rendre service à la nation et à l’histoire. J’espère qu’il ne se dérobera pas.

Lefaso.net : Selon un récent sondage, le second tour pourrait se jouer entre Zéphirin et Roch.Le même sondage vous place en 5è position sur 14 candidats.Qui allez-vous soutenir au second tour si ce scénario se réalise ?

Tahirou Barry :Je me bats actuellement pour mériter la confiance du peuple afin de conquérir le pouvoir et le mettre à son service.Par conséquent,la question du report des voix n’est pas à l’ordre du jour. C’est vrai que certains ne croient pas en nos chances parce qu’on est sans moyens et sans réseau international ! Mais avoir de longues plumes ne veut pas dire voler haut. Les réseaux internationaux sont des instruments de servitude. Même sans moyens,on a de grands rêves et de fortes convictions. Le prophète Mahomet nous enseigne que la richesse n’est pas dans l’abondance mais plutôt dans la grandeur de l’âme et ce sont des valeurs qui nous éclairent chaque jour et nous guident. L’essentiel, c’est de travailler, comme le disait le président Thomas Sankara , à avoir des hommes convaincus de notre idéal et non des hommes vaincus.

Lefaso.net : Une récente « prophétie » du père Christian Boglo qui a prédit la chute de Blaise et la dissolution du RSP vous donne vainqueur à la prochaine présidentielle. Croyez-vous à une telle prédiction ?

Tahirou Barry :Je dis merci au père Boglo pour cette prophétie mais ce qui m’importe est de me battre sur le terrain en implorant Dieu pour sa protection et sa guidance. « L’avenir n’est à personne. L’avenir est à Dieu ! » nous dit Victor Hugo dans les chants du crépuscule. Je suis engagé dans une longue marche à travers des chemins tortueux où je supporte beaucoup de coups, de blessures, de trahisons tant dans ma personne que dans ma profession mais je prie toujours le seigneur pour qu’il me conduise sur le rocher que je ne puis atteindre. C’est Dieu seul, l’omniscient et l’omnipotent qui sait ce qui est en nous et ce qui est meilleur pour nous.

Lefaso.net :Qu’est-ce qui vous tient encore à cœur comme message ;
-d’abord, à l’endroit des autorités de la transition,

Tahirou Barry :C’est de ne jamais oublier d’où on vient et ne jamais trahir les valeurs de l’insurrection. Nos dirigeants devraient s’investir à fond pour parachever certaines œuvres dans cette période car c’est le moment idéal de jeter les bases d’une nation nouvelle et forte.La France a fait sa révolution en aout 1789 pour abolir les privilèges.Elle a fait son soulèvement en juin 1848 pour asseoir les fondements de l’égalité.Nous avons fait notre révolution en aout 1983 pour restituer au Burkinabè sa dignité et son intégrité.Le Mali a fait son insurrection en mars 1991 pour restaurer la démocratie après 23 ans de dictature.Chez nous,notre insurrection s’est engagée pour restaurer la démocratie et la justice. La transition ne doit pas s’y dérober.
-ensuite, à la classe politique,
C’est d’avoir l’amour de la patrie et se refuser à servir au peuple des hallucinogènes en lieu et place des idées face aux profondes aspirations du peuple.

-et, enfin, à l’ensemble du peuple burkinabè ?
C’est de se déterminer lors des prochaines élections en toute âme et conscience en mesurant tous les enjeux et en pensant à l’avenir de la nation.

Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
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