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Lamine Passoulé, SG de la section communale du SYNATRA-CTB de Bobo-Dioulasso : « Des agents n’ont toujours pas de bureaux après l’incendie de la mairie »

lundi 10 août 2015.

 

Secrétaire général de la section communale du Syndicat national des travailleurs, Lamine Passoulé est un agent de la mairie de Bobo-Dioulasso. Dix mois après l’incendie de l’Hôtel de ville lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, il nous parle dans cette interview de ce que sont devenus les agents qui occupaient les locaux de ladite mairie mais surtout de leur statut qui peine à bouger comme le syndicat le réclame depuis belle lurette.


Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Lamine Passoulé : Je me nomme Passoulé Lamine, fonctionnaire des collectivités territoriales à la Commune de Bobo-Dioulasso. Dans le mouvement syndical, je suis le secrétaire national chargé des relations extérieures et des sections et le secrétaire général de la section communale du Syndicat national des travailleurs des collectivités territoriales du Burkina Faso (SYNATRA-CTB).

Lefaso.net : Vous êtes donc agent de la mairie, qu’est-ce que vous devenez, vous et vos autres collègues depuis l’incendie de la mairie centrale ?

Je voudrais au nom de la structure que je représente, manifester notre sentiment de regret pour les incidents malheureux que notre pays ait connus suite à l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014. Une grande pensée pour nos martyrs dont nous garderons en mémoire leur héroïsme et leur sacrifice suprême. Que leurs âmes reposent en paix auprès de leurs devanciers.
Pour répondre à votre question, je dirai que depuis l’incident fort regrettable qu’a connu notre maison à tous, les agents ont travaillé, malgré les précipices à garder le moral et continuer de servir la population bobolaise au mieux qu’ils peuvent. Mais vous conviendrez avec nous qu’un agent consciencieux qui perd son outil de travail est forcément abattu moralement. Ce fut le cas mais l’opinion nationale dans sa majorité avait une autre lecture de la scène. Ce qui est triste c’est que nous avons été obligés d’errer durant des mois sans savoir à quel saint se vouer. Certains d’entre nous ont été obligés de se réfugier auprès de leurs collaborateurs des services déconcentrés de l’Etat pour assurer la continuité de leur service avant d’avoir droit à un local. Nous profitons remercier toutes les bonnes volontés qui nous ont accompagnés durant ce moment difficile. Aussi, nous félicitons le personnel communal qui a fait preuve de professionnalisme et de sagesse en gardant la ligne. Pour preuve, dès début novembre, certains agents touchés n’ont pas hésité à utiliser leurs biens personnels pour d’abord reconstituer les données indispensables et ensuite assurer la continuité de l’administration communale.

Quelles sont les locaux qu’on vous a attribué en attendant la réhabilitation de la mairie ?

Il faut signaler qu’en plus du cabinet du Maire et des bureaux des adjoints au maire, la Mairie Centrale abritait le secrétariat général et des directions. Et chaque direction était organisée en services et en sections. Après le malheureux incident, les directions affectées ont rejoint d’autres directions qui ont été moins touchées. A titre d’exemple, le secrétariat général et la direction de l’administration générale ont rejoint le service d’état civil central de la commune et la direction des affaires financières occupe un bâtiment de la commune dans le quartier Bobo 2010. Ce qui nous oblige à faire face à des problèmes d’espace et de logistique.

Comment ça se passe ? Est-ce que vous vous sentez bien ?

Dans l’ensemble le moral est bas. Mais la tournée organisée par le Président de la Délégation Spéciale en mars a remonté un tant soit peu le moral du personnel qui se sent de plus en plus oublié.

Quel est le climat qui se dégage entre les agents de la mairie ?

Les conditions sont minimales sinon insuffisantes. Certains agents n’ont toujours pas de bureau et attendent impatiemment que des solutions idoines soient trouvées pour leur permettre de travailler dans les conditions acceptables. Tout bien considéré, le climat reste favorable entre les agents qui du reste se battent au quotidien pour la résolution des préoccupations des différents usagers du service.

En 2014, des remous avaient eu lieu sur les conditions socioprofessionnelles des agents. Qu’en est-il aujourd’hui ?

C’est exact. En mai 2014, nous avons, avec l’ensemble du personnel des collectivités territoriales du Burkina, dénoncé la précarité de nos conditions de vie et de travail. Mais hélas ça demeure le statut quo. Certains prétendent que nous devons être un peu plus durs pour nous faire entendre. Pour notre part, nous estimons qu’il faut privilégier le dialogue et la communication. Il reste aux autorités de fournir un effort de compréhension afin qu’il y ait un consensus entre les deux parties.

Le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, à son passage à Bobo-Dioulasso en novembre dernier, encourageait les agents de la Justice mais aussi de l’hôpital tant moralement que financièrement, sans faire cas de ceux de la mairie. Pourquoi à votre avis ?

Le constat est amer mais très juste. C’est exact que le Premier Ministre Yacouba Isaac Zida a été en visite le 30 novembre 2014 à Bobo-Dioulasso. Ce qui a été surprenant est qu’au-delà du fait qu’il n’a pas cherché à rencontrer le personnel communal affecté par la perte de son outil de travail, le Premier Ministre, après avoir visité l’hôpital Sourou Sanou et le Palais de Justice de Bobo-Dioulasso et soutenir le personnel de ces entités, a passé un message dont le sens et la portée restent à notre avis, ambigus : « Ce n’est pas vraiment une priorité pour l’instant. » Parlant de la Mairie de Bobo-Dioulasso, notre ministre de tutelle, malgré ses multiples déplacements sur Bobo-Dioulasso ne nous a pas rencontrés. Pourtant celle qui a la charge de la justice a rencontré en son temps le personnel du palais de justice de Bobo-Dioulasso.
A cela s’ajoute l’allocution du ministre de la Fonction publique lors de son message à l’occasion de la fête du travail le 1er mai 2015 et celle du premier ministre lors de sa déclaration sur la situation de la nation le 12 juin dernier. Ces deux personnalités dans leurs allocutions respectives, nous semble-t-il, n’ont aucunement fait mention de la situation des travailleurs des collectivités qui sont régis par la loi 027. Nous le disons parce qu’ils ont pris le bon soin de parler des autres catégories de travailleurs du Burkina Faso. L’analyse de ces messages laisse penser que certaines autorités manifestent moins de considération à l’égard des fonctionnaires des collectivités qui, à observer de près, abattent au quotidien des efforts considérables pour le bien-être des populations burkinabé. Nous travaillons dans des conditions très difficiles pour peu qu’une oreille attentive et un regard particulier nous soient accordés pour s’en rendre compte.
A notre humble avis la plupart de nos concitoyens croient que la Mairie n’abrite que des Maires qui sont des hommes politiques. Et de ce fait, déplorer ce qu’a vécu l’hôtel de ville de Bobo-Dioulasso, c’est compatir avec ces Maires donc contre ceux qui ont causé les dégâts. Cela n’est pas juste, c’est une page importante de l’histoire de la commune de Bobo-Dioulasso qui s’écrit et nous devons tous tirer leçon de ce qui s’est passé.

On parle aujourd’hui d’audit sur la gestion du personnel communal, qu’en pensez-vous ?

Pour nous, l’audit est un moyen utilisé pour interpeller ceux qui ont la charge des affaires publics. Lorsqu’on gère la chose commune, le droit de redevabilité voudrait que l’on rende compte aux populations qui sont les contribuables. Et c’est tout à fait normal. Mais, pour notre part, des mécanismes doivent être mis en œuvre pour minimiser les éventuelles bavures. En ce qui concerne le cas de la Mairie, j’espère que c’est dans le strict intérêt de la Commune et que cela va assainir le climat de collaboration entre l’administration communal et la population.

S’il y a des propositions d’améliorations à faire, en tant que syndicat, qu’est-ce que vous proposerez ?

Nous aurons souhaité, avant tout, interpeller notre ministère de tutelle sur la mise en œuvre de l’article 51 de la loi 027-2006/AN du 05 décembre 2006 portant régime juridique applicable aux emplois et agents des collectivités. Savoir qui est responsable des conséquences subit par les agents des collectivités. Car il est urgent que le conseil national consultatif des emplois et des agents des collectivités territoriales se prononce sur les conditions actuelles des agents.
En outre, nous proposons :
-  La relecture de la grille salariale applicable aux agents des collectivités territoriales. A ce titre, le constat qui découle de notre grille est qu’elle est revêtue d’une injustice criarde. Il est vrai que comparaison n’est pas raison mais à titre d’exemple nous pouvons énumérer les différences constatées entre elle et celle de la fonction publique corrigée en décembre 2008.
-  Les agents des collectivités de la catégorie A Echelle 1 avancent de 30 points dans les classes 1 et 2 et de 110 points dans la classe 3 alors que ceux de la fonction publique avancent de 65 points dans la classe 1, de 90 points dans la classe 2 et de 110 points dans la classe 3. Ce qui veut dire que pour bénéficier des avantages obtenus en 10 ans par un agent de la fonction public, celui des collectivités aura besoin de plus de 20 ans de travail. En claire, à comparer, nous avançons réellement après plus de 04 ans de travail dans la classe 1 et tous les six (06) ans dans les classes 2 et 3 au lieu de 02 ans.
A cela, il faut noter que l’atteinte à la classe 3 exige de l’agent au moins trente-six (36) années de service. De ce fait, combien pourront en bénéficier des avantages de cette classe et cela pendant combien d’année ?
-  Lorsque nous observons les autres catégories (B, C, D et E), le constat est alarmant. Dans la catégorie B1 nous bénéficions du tiers (1/3) des avantages (avancement) de ce que ceux de la fonction public dans la classe 1, du quart (¼) dans la classe 2 et du cinquième (1/5) dans la classe 3.
-  La relecture de la grille indemnitaire applicable aux agents des collectivités territoriales.
Notre grille indemnitaire actuelle nous octroie en indemnités de logement à peine 30% du montant dont bénéficies ceux de la fonction publique de la même catégorie. Le constant est le même en ce qui concerne les indemnités de sujétion (astreinte).
Quant à l’indemnité de technicité, elle est quasi inexistante dans les collectivités.
-  La gestion des carrières en permettant aux agents des collectivités de bénéficier de formations adéquates et d’accéder à des catégories professionnelles supérieures par le biais de concours professionnels ;
-  La révision de la grille des frais de mission alloués au personnel des collectivités ;
-  La relecture de la loi 027-2006/AN du 05 décembre 2006 portant régime juridique applicable aux emplois et agents des collectivités qui, à notre avis, est anti-travailleur, antidémocrate et antisociale.

Un dernier mot pour clore cette interview

Nous saisissons cette opportunité pour d’abord réitérer notre remerciement au personnel de leFaso.net pour son effort quotidien et pour la présente interview qui est très significative pour nous.
Ensuite nous encourageons vivement les agents des collectivités qui, malgré les conditions précaires auxquelles ils sont soumis, donnent le meilleur d’eux pour que la décentralisation intégrale amorcée depuis 1995 soit une réussite. Nous voudrions enfin demander à nos autorités de privilégier le véritable dialogue. Car la plupart des gouvernements qui se sont succédés ont mis en marge le bien-être des agents des collectivités territoriales ; pourtant ces derniers ont un grand rôle à jouer dans la mise en œuvre de notre politique nationale de la décentralisation dont nous nous ventons tant sur le plan national qu’international. Encore une fois de plus merci pour l’intérêt que vous accordez à la cause des agents communaux. Nous souhaitons bon vent à lefaso.net, tout en souhaitant les recevoir dans nos locaux pour un constat des réalités ci-dessus signalées.

Interview réalisée par Bassératou KINDO
Lefaso.net



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