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Contribution de l’orpaillage au développement communautaire : L’ARM préconise la voie de la certification des sites

samedi 8 août 2015.

 

Sur la base d’un partenariat avec plusieurs associations locales, l’ONG latino-américaine ‘’Alliance pour une mine responsable ‘’ (ARM, sigle anglais) intervient sur un site d’orpaillage dans la province du Sanmatenga et sur un autre dans la province du Tuy. Ce dernier est situé dans la commune rurale de Koumbia, et précisément dans le village Gombélédougou. Là, l’AMR a lancé le 23 juillet dernier, un projet de reboisement dans le souci de compenser les énormes pertes végétales engendrées durant ces dix dernières années par les activités d’orpaillage. A l’occasion, nous avons réalisé une interview avec Yves Bertran, le Coordinateur de projets Afrique au sein d’ARM, sur le sens de l’intervention de son ONG. Et voici ce que nous en dit le consultant en exploitation minière…


Dans quel cadre êtes-vous arrivé au Burkina Faso ?

Alors, je suis là dans le cadre d’un projet qui a démarré en 2013 pour une durée de trois ans. Il va donc prendre fin en 2016. Ce projet couvre le Mali, le Burkina Faso et le Sénégal. C’est un projet qui est financé par la France et par le Fonds mondial pour l’environnement. Il a un objectif double. D’une part, il vise à créer une filière d’or équitable.

Le deuxième objectif est de réduire les émissions de mercure dans l’activité minière. Il s’agit de faire des projets pilotes qui permettent de démontrer qu’on peut pratiquer l’orpaillage soit sans mercure, soit en réduisant fortement l’utilisation du mercure. Réduire fortement, c’est réduire de 90%, l’utilisation du mercure. Il ne restera donc qu’une infime dose de mercure dans l’opération.

Evidemment, l’objectif ultime, c’est d’arriver à une exploitation sans mercure. Mais cela est très technique et relativement cher. Il faut donc y aller progressivement, en faisant en sorte que les orpailleurs aient la capacité de capitaliser leurs rendements pour s’acheter des machines qui marchent mieux. Cela veut dire qu’ils devront avoir la capacité de s’organiser de façon interne, notamment en tenant une comptabilité, en créant un cadre de regroupement officiellement reconnu et qui détienne des droits d’exploitation. Ce sont là, des étapes qu’il faut franchir. Et nous, nous sommes là pour les aider à franchir ces étapes.

Mais comment est-ce qu’on y procède ?
Nous n’intervenons pas directement. Nous intervenons par l’intermédiaire soit d’une ONG locale, ou d’un autre cadre local de regroupement parce que ce sont ces structures qui sont censées être en contact au quotidien avec les orpailleurs. Et les membres de ces structures locales acquièrent dans le cadre de notre collaboration, des compétences qui leur permettent d’encadrer les orpailleurs au cas où ARM se retirait.

Parlez-nous de l’organigramme institutionnel de ce projet au niveau du Burkina
Moi je suis le coordonnateur du projet au Burkina. Et dans le cadre de l’intervention dudit projet à Gombélédougou, on a établi un partenariat avec une ONG, en l’occurrence l’AFDC (Association pour la facilitation et le développement communautaire) basée à Gaoua. Cette ONG a recruté un agent local pour suivre au quotidien les interventions du projet. On a un deuxième site qui se trouve dans la zone de Kaya. Là-bas, nous travaillons avec une autre ONG dénommée Réseau Afrique jeunesse qui s’active dans le secteur minier depuis un moment. Comme elle, l’AFDC travaille depuis quelques années sur des sites d’orpaillage, dans le cadre d’un projet de retrait des enfants des mines, grâce à un financement de l’UNICEF. Ces deux ONG sont donc animées par des acteurs qui ont déjà de l’expérience. Et nous avons essayé d’établir un partenariat avec ces structures pour créer une sorte de réseau ouest-africain d’ONG qui maîtrisent le processus de certification.

L’objectif final, c’est d’arriver à avoir plusieurs sites miniers formalisés qui demandent une certification et qui arrivent à produire de l’or équitable. Cet or étant vendu sur le marché international sur la base d’un label développé par ARM. Aujourd’hui, on est dans une phase pilote et nous espérons pouvoir avoir des sites certifiés d’ici à 2017.

Quels sont les critères sur la base desquels vous choisissez les sites d’orpaillage dans le cadre de vos interventions ?

Le critère numéro un, c’est la volonté, la motivation. Il faut qu’on tombe sur des gens qui sont organisés, qui ont la volonté de travailler dans le sens que nous proposons, c’est-à-dire la transparence, l’établissement d’une comptabilité, la responsabilisation des producteurs.

Malheureusement, on a beaucoup de sites sauvages, éphémères, mal organisés ou qui sont sous la coupe d’un patron. Ce dernier est généralement le seul détenteur d’autorisation d’exploitation artisanale et ne veut pas du système que nous proposons. En effet, nous, nous donnons l’autonomie à ceux qui travaillent ; et ce sont eux qui récupèrent le bon prix proposé sur le marché international.

En termes de critères de choix, il y a d’abord, ce qu’on appelle les critères généraux. A ce titre, il faut être complètement légal avec les lois du pays, mener des activités compatibles avec la destination d’une mine artisanale, avoir la transparence dans le cadre d’une comptabilité établie.

Une deuxième série de critères, est celle qui regroupe les critères environnementaux. Ce sont des critères qui sont très simples : il faut réduire les impacts pendant et pour l’après-exploitation, il faut maîtriser la gestion des produits chimiques. Tout cela implique la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures.

Une autre série de critères se rapporte à la non-discrimination entre orpailleurs, à l’interdiction du travail forcé, à la veille sur les conditions sociales à l’égard notamment des enfants et des femmes, mais aussi à la santé et à la sécurité sur le site, particulièrement pour les mineurs. Il faut que les orpailleurs travaillent dans des conditions qui ne réduisent pas leur espérance de vie. Il faut donc que l’activité minière préserve la santé des orpailleurs. Et on évalue suivant une certaine périodicité, le respect de ces conditions sur la base d’une série d’indicateurs convenus dans le cadre d’un plan d’actions établi avec les orpailleurs. Eux et ARM cosignent ce plan d’action. Ce plan d’action, il peut avoir des modifications après. Mais en tout cas, c’est la base de notre travail.


Quel lien y-a-t-il entre l’orpaillage et le reboisement que vous êtes venus faire ?

En général, le défrichage est l’acte premier dans le cadre d’activités d’exploitation artisanale d’or. Quand les orpailleurs arrivent dans une zone, ils font une coupe à blanc. De plus, ils creusent des puits et renforcent ces puits avec du bois. On appelle ça le boisage, et c’est une façon pour eux d’assurer une sécurité au niveau de ces puits. Il y a donc sur ces sites, un besoin constant de bois à cet effet, sans compter les hangars et autres utilisations de bois sur place.
Tout cela a donc un impact sur les forêts aux alentours. Cet impact peut même s’avérer conflictuel avec les usages des villageois. Pour parer à un tel problème, on a demandé à la Coopérative des orpailleurs de mettre en place une pépinière. Aujourd’hui, on arrive à la mise en terre de cette pépinière. C’est une activité qui est lancée et qui normalement, devrait devenir pérenne avec le temps.

La deuxième activité qu’on a identifiée et qui devrait avoir un impact important, c’est l’usage de l’eau. On a demandé à la Coopérative - et on va l’appuyer pour cela - de gérer les eaux minières. Et ce, parce que ces eaux repartent dans des versants environnants. Il est important qu’elles soient propres, et ne soient donc pas chargées de minerai. Il ne faudrait qu’elles posent des problèmes chimiques.

On a vérifié et on a trouvé qu’il n’y avait pas de problème chimique. Mais on envisage la décantation de ces eaux, avant de les laisser se déverser dans les rivières environnantes. Ce qui permettra d’éviter la surcharge des eaux de matières en suspension et qui sont susceptibles de créer des problèmes environnementaux.

Le troisième point sur lequel on va travailler, c’est l’utilisation du mercure. Et là, on va vraiment les appuyer techniquement pour qu’ils essayent des méthodes qui leur conviennent, des méthodes qui soient abordables sur le plan financier et qui permettent d’éviter d’émettre du mercure dans la nature.

Vous parlez de mercure, mais on sait aussi que dans le cadre de l’exploitation artisanale de l’or, il est fait recours à bien d’autres produits chimiques comme l’acide nitrique, le cyanure. Est-ce que vous sensibilisez les orpailleurs avec lesquels vous travaillez, par rapport aux dangers que comporte la manipulation de ces produits aussi ?

Absolument ! Nous leur avons proposé - au lieu qu’ils revendent leur minerai restant aux entrepreneurs qui font de la cyanuration en brousse de façon sauvage - de broyer à nouveau le minerai pour en extraire les éventuels restants d’or avec méthodes gravimétriques qui sont très fines, très précises et très techniques. Ce sont des techniques qui devraient nous permettre d’améliorer la quantité d’or à récupérer, et qui réduiraient l’intérêt de traiter le minerai au cyanure. Mais ne peut pas éviter totalement le cyanure.

Et pour rendre effective cette proposition que leur avons faite, ils doivent s’engager à ne plus vendre aux sociétés qui viennent pour acheter leur minerai, mais à traiter eux-mêmes avec d’autres méthodes que le recours au cyanure et où il y a une récupération moins forte qu’avec le cyanure ; mais il y aura une récupération quand même. Ce qui les motiverait à ne pas vendre.

Vous l’avez dit, l’objectif à terme de votre intervention c’est de réaliser la certification de sites d’orpaillage. En quoi consiste cette certification et quel est son impact sur les conditions de vie des populations locales ?

La certification, elle répond exactement au schéma du commerce équitable en général. Le commerce équitable est basé sur deux principes. D’abord, il y a le principe du producteur qui vend directement à l’utilisateur final sans intermédiaire. Ce qui permet d’augmenter la marge bénéficiaire du producteur.

Ensuite, l’acheteur final est prêt à payer un surplus par rapport au prix convenu sur le marché. Le surplus qui va, non pas au producteur, mais à la communauté pour le développement local. Ainsi, on relie l’exploitation aurifère au développement communautaire. Cela est aussi un moyen pour les orpailleurs eux-mêmes de mieux s’intégrer dans leur communauté avec des réalisations effectives. Tout ceci étant basé sur le financement privé, puisque c’est l’acheteur final qui finance le développement.

Le commerce équitable s’organise donc sur la base du financement privé par l’achat, et qui promeut le développement communautaire. Nous, nous sommes sur un schéma similaire. Le minerai qui est payé, l’est à l’équivalent de 95% du cours mondial. Ce qui est beaucoup plus important que ce que les orpailleurs gagnent sur place, d’environ 20% plus cher. Ces 20%, ils vont en amputer la taxe sur la production qui est de 6%. Il restera donc 14% de bénéfice.

Par ailleurs, les sites reçoivent sur chaque kilo d’or certifié et ainsi vendu, 4 000 dollars de prime. Ces 4 000 dollars, ils peuvent, en collaboration avec la communauté locale, décider de les mettre dans certains projets communautaires.

Sur un site comme Gombélédougou, on peut espérer durant la saison minière, d’avoir au moins un kilo par mois. Or, on a entre neuf à dix mois d’orpaillage ; ce qui peut procurer 40 000 dollars de prime. On peut donc avoir 20 000 000 FCFA comme prime. Et pour une communauté d’environ 3 500 personnes comme à Gombélédougou, ça peut aider à réaliser beaucoup de projets. C’est quelque chose qui doit également servir à améliorer la qualité de l’exploitation.

On sait qu’au Burkina, il y a beaucoup de sites d’orpaillage. Est-ce que vous avez exploré d’autres sites pour leur proposer votre système ?

Effectivement, on a déjà passé beaucoup de temps à essayer de trouver des sites. On a parcouru le pays à la recherche de sites, on a fait beaucoup d’entrevues et d’évaluations de sites. On est souvent face à une problématique qui met le système un peu en difficulté, parce qu’il y a beaucoup de propriétaires d’exploitation qui ont des autorisations, mais qui ne sont que des collecteurs d’or et non des producteurs. Les producteurs travaillent sur le site ; mais ils n’ont pas d’aide, ils n’ont pas d’autorisation. Ce sont de simples travailleurs qui revendent leur production à celui qui détient l’autorisation.

Face à cette pratique, nous, on n’a pas la capacité d’obtenir des droits d’exploitation pour les orpailleurs. Et le système commercial que nous proposons, n’est vraiment pas compatible avec la pratique sur beaucoup de sites au Burkina Faso. On se retrouve face à des problèmes par rapport à notre modèle. Il faut qu’on trouve des sites qui sont libres, et que des gens exploitent de façon autonome.

Néanmoins, on a déjà eu des interactions avec des propriétaires de sites qui seraient prêts à rentrer dans le système que nous proposons, moyennant une compensation financière. On est dans les négociations. Et on est aujourd’hui à l’aube d’une deuxième phase qui va impliquer des syndicats d’exploitants miniers qui s’intéressent à notre façon de faire. Parce que cette façon instaure sur une base volontariste, la qualité et la traçabilité de la production. Ça, c’est hyper-important pour les propriétaires de sites. Et là, on a un levier qui nous permettrait d’envisager d’autres modes de collaboration.

Dans le cadre de votre intervention à Gombélédougou, qu’attendez-vous des autorités burkinabé et quels messages avez-vous à l’endroit des habitants de ce village ?

Je pense que les autorités doivent mener une politique claire en matière mines artisanales. L’orpaillage au Burkina est pratiqué sur plus de 500 sites, occupe environ 1 000 000 de personnes, et rapporte beaucoup au pays. C’est un secteur d’activité qui est énormément productif. Ne pas avoir une politique forte en matière de gestion et d’encadrement dans ce secteur, il y a quelque chose qui ne va pas. Moi, j’attends beaucoup des autorités de ce côté.

Je crois que les choses sont entrain de bouger ; les autorités ont pris la mesure de l’impact de ce secteur d’activité. Elles réalisent qu’on a besoin d’accompagner les orpailleurs vers d’autres modes d’organisations. Dans ce cadre, nous en tant que partenaires, nous essayons de montrer une voie. Nous ne disons pas que tous les sites du pays doivent être certifiés ; mais c’est une des voies pour arriver à quelque chose de meilleure qualité.

On peut apporter beaucoup d’éléments, parce qu’on est sur le terrain, nous disposons de beaucoup d’éléments en ce qui concerne la formalisation, le changement de pratique, les aspirations des orpailleurs. Nous pouvons apporter des conseils aux autorités. Cela se fait déjà, puisque le projet en cours dispose d’un comité national de pilotage, et nos activités sont bien suivies. Mais on attend des prises de positions fortes. Il y a par exemple de la responsabilisation à instaurer au sein des autorités locales.

A l’endroit des orpailleurs, il faut que chez eux, il y ait un changement de conception de leur activité. Ils sont toujours entrain de se faufiler, de se conduire en acteurs informels, illégaux. Ils n’envisagent de capacités à se développer, ils ne perçoivent pas leur activité comme quelque chose de normal. Or, c’est un métier comme tant d’autres. Et ce métier, il a des techniques, il a des pratiques exactement comme les autres métiers. Il faut que les orpailleurs fassent valoir leurs droits, il faut aussi qu’ils respectent leurs obligations.

Comme vous l’avez indiqué au début de cette interview, le projet en cours arrive à terme en 2016. Alors, peut-on espérer la continuité de votre intervention dans le cadre d’autres projets ?

Oui, parce que nous sommes vraiment dans une dynamique de continuité. On a créé un réseau avec des ONG locales. Ce sont là, des partenaires avec lesquels on pourrait monter d’autres projets et avoir d’autres sources de financement. Je suis persuadé qu’on va rester assez longtemps pour investir ici au Burkina.

Interview réalisée par Fulbert Paré
Lefaso.net
Lien utile : Orpaillage à Gombélédougou : Réduire les pertes végétales par le reboisement



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