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Dr Jean-Marc Leblanc, Représentant de l’IRD au Burkina Faso : « Peu de gens le savent, mais en termes de productions et de publications scientifiques, la recherche Burkinabè est l’une des meilleures en Afrique »

vendredi 17 juillet 2015.

 

Généticien des plantes qui parcourt les pays africains depuis plus de 40 ans, le Dr Jean-Marc Leblanc est le représentant de l’Institut de recherche pour le Développement au Burkina. Il est un passionné de la recherche pour le développement. Nous l’avons rencontré à l’occasion du séminaire bilan des dix éditions du Forum national de la recherche scientifique et des innovations technologiques. Il nous parle de l’initiative et de façon générale, de la recherche scientifique au Burkina Faso, qui selon lui, est l’une des meilleures en Afrique, même si elle souffre de sous médiatisation.

Lefaso.net : Comment avez-vous apprécié le bilan des dix éditions du FRSIT ?

Jean-Marc Leblanc : Il était temps d’avoir cette initiative. Cela fait 20 ans que le FRSIT existe et a eu 10 éditions. Mais force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur de l’engagement de tous ceux qui ont participé à ces forums. Je pense qu’il est capital qu’on communique, que les gens sachent que la recherche produit des résultats. Mais aussi qu’on prenne en compte les difficultés socio-culturelles pour la diffusion des résultats de la recherche.
Je suis dans la recherche africaine depuis 40 ans. Quand je suis entré à l’IRD, on disait, doubler les rendements on sait le faire, mais pousser les paysans à utiliser les techniques, on ne sait pas le faire. Hélas aujourd’hui, 40 ans après, on dit maintenant, tripler les rendements, on sait le faire, mais on ne sait toujours pas entrainer l’agriculture familiale dans ces nouvelles solutions. Ceci, parce qu’il y a des freins de diffusion, de présentation des résultats, d’organisation et de communication. Et la fameuse phrase que l’on entend souvent, « des chercheurs qui cherchent, on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche », une grande part de la responsabilité est dans la communication, un petit peu aussi dans les médias.

Les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, mais qu’est-ce qui peut expliquer cela en 20 ans d’existence du FRSIT ?

C’était le but de cet atelier. Cela a donné lieu à trois groupes de réflexion, sur les problèmes de gouvernance, d’organisation et des objectifs non attendus. Je faisais partie de ce dernier groupe et nous avons essayé de faire un diagnostic sur les objectifs qui ont été partiellement atteints ; souvent par manque de moyen, manque d’engagement politique, en plus la recherche endogène n’est pas suffisamment intégrée.
Le ministre de la recherche du BurkinaFaso d’il ya trois ans, me disait que les semences améliorées produites par les instituts comme l’INERA ne sont pas utilisées par le ministère de l’agriculture qui achète des semences à l’extérieur. Là nous sommes dans un problème interne au gouvernement, de prise en compte de la recherche qui existe.
A l’IRD, nous essayons de créer différents plateaux d’information, de communiquer sur la recherche du Burkina qui, peu de gens le savent, est la meilleure d’Afrique à mon sens, puisqu’en termes de production et de publications scientifiques, le Burkina publie autant que le Sénégal qui a, à peu près quatre fois plus de chercheurs. Le Burkina publie deux fois plus que la Côte d’ivoire. En termes d’appels à projets, le Burkina fait jeu égal avec le Cameroun qui a six fois plus de chercheurs. Donc en termes de production, le Burkina est un bon pays, et c’est bien pour cela que nous IRD, sommes là pour avoir des collaborations d’excellence. Mais, il n’y a pas assez de communication. Des problèmes de vulgarisation, de langues locales, de rédaction de médias…En Europe, ça ne fait que 20 ans qu’on commence à aller vers les médias avec des pages scientifiques dans les journaux. Actuellement on ne peut plus ouvrir un magazine européen sans trouver une page science. Il faut donc arriver à intéresser les médias, la société à la science, en particulier à la science endogène.

Pensez-vous que cet atelier permettra de recadrer les missions du FRSIT afin qu’il atteigne ses objectifs ?

Il va y avoir des réorganisations, il y en a déjà eu. Ce fut même un regret des panelistes et des participants à cet atelier, c’est qu’on n’avait pas toutes les clés du système. Mais vous savez, maintenant, il y a l’ANVAR (Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche) qui s’appuie aussi sur une direction de la communication et de la recherche et le FRSIT. Cette organisation a déjà été faite et elle était souhaitable.
Je suis certain que le FRSIT va évoluer. Atteindre les objectifs ? Là je resterai plus prudent. Tous les scientifiques restent prudents. Je pense que la raison de la non atteinte des objectifs du FRSIT est peut-être due à une mauvaise définition des objectifs à atteindre par le FRSIT. Ils sont multiples. Il y a une attente des innovateurs, nous scientifiques, nous ne savons pas comment les gérer. Eux aimeraient avoir des prix plus forts, être pratiquement rémunérés à travers les salons, etc., ce qui n’est pas le cas. Il faut entrer dans un processus de chambre de commerce, et de commercialisation du produit. Si c’est cela l’objectif du FRSIT, je ne pense pas qu’on puisse l’atteindre.
Si l’objectif du FRSIT est d’aider les chercheurs à montrer leurs recherches et l’application qui va avec, il faut travailler sur des secteurs de communication, sur un objet. Si on ne le fait pas, on n’atteindra pas cet objectif.
Au lieu de demander si le FRSIT pourra atteindre ses objectifs, il faut plutôt demander si le FRSIT de demain se fixera des objectifs atteignables, c’est là la question ?

Et quelle est votre réponse ?

La balle est dans le cas du FRSIT. En tant qu’étranger, associé au système, ce que je peux dire, c’est que le Burkina est probablement en Afrique de l’ouest et des pays que j’ai côtoyés, l’un des pays les plus pragmatiques qui soient. C’est ce qui fait que j’ai confiance dans le Burkina Faso de demain, je sais que les gens trouveront des solutions.
En termes de l’organisation du ministère de la recherche et de l’innovation, le Burkina d’aujourd’hui a 10 ans d’avance sur tous les autres pays africains de la sous-région. Il s’est doté d’une loi d’orientation, d’un plan stratégique, d’un fonds national de la recherche, une loi des biotechnologies depuis 2006 ; pas un pays de la sous-région n’a cela.

Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net



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