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Interdiction des couvertures médiatiques de « campagnes déguisées » : leaders politiques et acteurs de la société civile apprécient diversement

mercredi 24 juin 2015.

 

Pour rappeler l’obligation de respecter les termes de l’article 68 bis du code électoral qui interdit la couverture médiatique d’activités de campagne électorale déguisée, le Conseil supérieur de la communication a fait un communiqué. Il a ensuite pris une décision pour recadrer la compréhension de la ‘’campagne déguisée’’. Comment cette interdiction est accueillie et comprise ? Des leaders politiques ainsi que des acteurs de la société civile que nous avons rencontrés les 22 et 23 juin 2015, ont répondu à cette question. Lisez plutôt !

Tahirou Barry, président du PAREN (Parti de la renaissance nationale) :
Le Conseil supérieur de la communication dans sa décision du 22 juin, entend veiller au respect des dispositions de l’article 68 bis du code électoral qui interdit la couverture médiatique de toute campagne électorale déguisée 90 jours avant l’ouverture même de la campagne. Une telle volonté ainsi exprimée peut être saluée mais sa mise en œuvre peut être source d’abus et de dérives graves susceptibles de tuer la dynamique actuelle de certains partis politiques.A titre d’illustration, l’article 2, alinéa 2 de cette décision assimile à la campagne électorale déguisée, la publication d’émissions ou de discours mettant en scène un candidat ou parti politique.Peut-on aujourd’hui retenir une telle qualification sans remettre en cause les activités relevant du fonctionnement normal et permanent des partis politiques ?Doit-on interdire la couverture d’activités d’information,d’éducation,de sensibilisation, d’organisation, d’interpellation, de dénonciation et de promotion des valeurs incarnées par le projet d’un parti sous le motif de l’exercice d’une campagne déguisée alors que ces activités font souvent l’objet de financement public en dehors de toutes campagnes ?
La décision parait violer de façon flagrante l’article 13 de la constitution qui confère aux partis et formations politiques, la mission d’animation de la vie politique, d’information et d’éducation du peuple.
Je pense que le CSC ne doit pas se tromper de combat. Il doit plutôt veiller à l’égalité d’accès des partis aux médias publics et cela rendrait service à notre démocratie et aux citoyens qui veulent se déterminer sereinement sur la base des visions et non sur celle des moyens.

Hervé Ouattara, coordonnateur du CAR :

Depuis un moment, il y a un certain nombre de mesures qui sont prises par le Conseil supérieur de la communication (CSC) et de par le passé. Nous avons essayé de comprendre certaines d’entre elles. Mais ce qui est important, c’est de savoir si les décisions prises puisent leur fondement de textes existants. L’appréciation doit partir de cette considération et je pense que c’est le code électoral qui, dans ses dispositions, a prévu de telles mesures. De ce point de vue, le CSC n’a fait que se conformer à des textes, le code électoral dans le cas d’espèce.
Mais, comme dans toute décision, on peut essayer de la reconsidérer si, réellement, cela doit porter atteinte à la liberté de la presse. Car, nous pensons que le combat aujourd’hui dans notre pays n’est pas de combattre la presse. Bien au contraire, nous voulons une presse indépendante et libre. Alors, si une décision peut entraver la liberté de la presse, je pense qu’il y a encore lieu que les forces vives de notre nation s’y penchent et voient réellement quelles sont les dispositions qu’on peut prendre pour que la presse puisse être dans son rôle.

Me Bénéwendé Stanislas Sankara, président de l’UNIR/PS (Union pour la renaissance/ Parti sankariste) :

L’UNIR/PS, du fait qu’elle était impliquée dans une dynamique de préparatif de la convention des sankaristes, n’a pas, à proprement parler, eu à s’approprier les dispositions de l’article 68 du code électoral.
Et de deux, la loi du 7 avril avait beaucoup mis en exergue l’article 135 qui a suscité un très long débat aujourd’hui. Ce qui a occulté l’article 68 du débat politique. Nous avons donc été véritablement surpris de son contenu, surtout du flou artistique qui entoure l’expression campagne déguisée.
J’avoue que c’est d’abord par Lefaso.net que j’ai pris connaissance de façon plus détaillée, du contenu de la loi. Je voudrais à ce stade de mon propos, féliciter Lefaso.net pour son travail. J’étais à Paris. Et quand j’ai lu cela, j’ai cherché à comprendre davantage.
C’est ainsi que nous avons interpellé notre député, Alexandre Sankara qui est au CNT (Conseil national de la Transition, ndlr) qui a essayé d’expliquer à l’organe dirigeant du parti, les tenants et les aboutissants de cette disposition. Mais personne n’en était convaincu ; ni de la pertinence de cette loi, ni de son opportunité.
Nous avons estimé que c’est une loi extrêmement dangereuse et liberticide pour la presse elle-même et pour les partis politiques. Pour nous, c’est un recul monstrueux sur le terrain des libertés.Ça nous a échappé ; autrement dit, l’UNIR/PS ne peut que condamner un tel recul. On ne peut pas, à quelques encablures d’élections majeures, museler la presse, bâillonner les partis politiques.
La régulation est tout à fait normale. Mais elle doit rentrer dans le cadre du professionnalisme et de la déontologie. Les partis politiques aussi doivent jouer leur partition dans l’éthique et dans le respect des textes qui encadrent leurs activités, en l’occurrence la charte des partis politiques. Aujourd’hui, on demande d’ailleurs aux partis politiques ou aux candidats de s’engager dans un code d’éthique. On ne peut pas exiger tout cela des acteurs politiques et en même temps leur ôter le support indispensable de la défense des idées, c’est-à-dire la presse.

« Le Burkina Faso vient de se tirer une balle dans le pied »

Avec cette loi, le Burkina Faso vient de se tirer une balle dans le pied. Mais ce que je ne comprends pas, c’est que le président du CNT est un journaliste. Je veux parler du camarade Sy Cheriff. Il a été le responsable de la Société des éditeurs de la presse privée (SEP), il a animé le Centre de presse Norbert Zongo. Beaucoup d’acquis et de conquêtes des espaces de liberté pour la presse, l’ont également été avec lui.Comment cela a pu être possible ?
Il convient de travailler à rattraper le flou que cette loi contient quant à la notion de campagne déguisée. C’est vrai, il y a des aspects positifs là-dedans, notamment dans son esprit. Mais dans sa forme, la loi a péché par son flou. Ce qui a pu mettre en mal aussi bien les acteurs politiques que les journalistes. Elle aurait dû être claire, précise, concise, identifier des comportements comme cela a été à l’article 135 du même code électoral.
On dit que dans les 90 jours qui précèdent la campagne, toute campagne déguisée est interdite. Mais qu’est-ce qu’on entend par campagne déguisée ? La loi ne la précise pas. Elle est donc vague. Or, une loi vague est dangereuse.
Au-delà d’une démarche palliative qui permettrait de s’accorder sur le contenu de la campagne déguisée, il va falloir tôt ou tard, réviser cette loi. Il faut la revoir dans le sens de donner plus de liberté à la presse de faire son travail comme cela se doit. Moi, je suis de ceux-là qui pensent qu’on ne peut pas mettre un frein à la liberté de la presse.
Les acteurs politiques, par rapport à notre Constitution, tirent la légitimité de leurs activités de l’article 13. Cet article de la Constitution dit que les partis politiques se créent pour animer la vie publique et politique. On ne peut pas animer la vie publique et politique sans la presse. C’est pourquoi je dis que l’alibi de 90 jours avant la campagne ne tient pas parce que ça devient une violation flagrante de l’article 13 de la Constitution.Un parti politique sérieux ne va jamais accepter que la presse soit sanctionnée pour son travail.

Marcel Tankoano, président du M21 :

Sur la mesure du Conseil supérieur de la communication (CSC), nous disons que nous la sentions venir. Les choses avaient déjà pris une allure de campagne. Alors que la campagne n’est pas encore ouverte. Pire, les discours des uns et des autres étaient devenus aussi hostiles, haineux et la tension avait commencé à monter..., allant même à vouloir porter atteinte aux éléments de la cohésion sociale. Il était donc important de rappeler aux uns et aux autres que non seulement la campagne n’est pas encore ouverte, mais qu’il y a également des dérives à éviter. La décision n’empêche pas les partis politiques d’aller mener leurs activités. Ils le font sans l’accompagnement de la presse.
Cela pourrait même permettre aux hommes de presse de pouvoir se reposer avant l’ouverture officielle de la campagne qui demande encore beaucoup d’efforts de leur part. Si déjà, on fatigue les hommes de médias, qui seront obligés de revenir sur les mêmes discours et propos pendant les campagnes, ce n’est pas intéressant. J’apprécie donc positivement cette mesure car, au-delà de la presse, elle permet aussi aux partis politiques d’avoir de la substance parce qu’il y en a qui, sur le terrain, disent qu’ils vont revenir après. Donc autant attendre en même temps le moment pour s’y rendre.

Mamadou Benon, secrétaire national à l’organisation de la NAFA :

Par rapport à la mesure du Conseil supérieur de la communication, nous disons aussi que c’est une décision qui vient en application d’une loi et à la NAFA, nous respectons la légalité. Cependant, il n’en demeure pas moins qu’elle cache quelques difficultés. Aux termes de la Constitution et du code électoral, « les partis politiques animent la vie politique … ». Cela consiste dans plusieurs activités à la fois, et l’activité de propagande politique en fait partie. Alors, si sur une période de 90 jours, il faut empêcher de couvrir les activités des partis politiques, comment ces derniers peuvent-ils transmettre aux populations, leur programme, leurs visions des choses et l’ensemble des actions qu’ils ont pour le bien de l’ensemble du pays ?
C’est vrai que tous les partis politiques ont des canaux politiques, mais la presse est un instrument privilégié pour parler à tout le monde. Un autre aspect qui pose problème est le fait qu’on dise que les investitures peuvent être couvertes ‘’à raison d’une investiture par candidat’’. Que dit-on des partis politiques qui ne présenteront pas de candidat à la présidentielle mais qui compétissent aux élections législatives ? Ces partis se trouvent du coup brimés.
Nous pensons donc que cette loi gagnerait à être modérée pour que nous puissions aller à des élections saines parce que, dans 90 jours, nous aurons juste le temps de la campagne et si on vote justement en fonction des programmes politiques, je ne suis pas sûr que les populations auraient eu le temps de comprendre les uns et les autres. Et pour la presse, on lui enlève une matière essentielle. Donc, la décision porte atteinte à la fois au droit à l’information du citoyen et à l’instrument même de l’information qu’est la presse.

Adama Kanazoé, président du parti AJIR (Alliance des jeunes pour l’indépendance et la République) :

AJIR tient à rappeler qu’il s’agit d’une disposition du code électoral adopté par le CNT (Conseil national de la Transition, ndlr). Le Conseil supérieur de la Communication (CSC) met la loi en application selon son interprétation qui reste cependant ambiguë pour les acteurs des medias et les politiques. Pour notre part, nous exhortons le législateur à plus de précision dans la formulation des lois afin d’éviter des situations aussi embarrassantes.
Nous souhaitons que le CSC organise au plus vite des concertations avec tous les acteurs concernés afin de clarifier les choses.
Aux acteurs politiques, il est important de s’approprier les lois afin d’anticiper un certain nombre de choses. C’est une mission dévolue aux personnes en charge des affaires juridiques au sein de l’Exécutif de chaque parti.
En tout état de cause, pour notre part, nous avons pris nos dispositions pour tenir nos instances majeures avant l’entrée en vigueur de la loi et nous nous conformerons toujours aux lois de la République.

Propos recueillis par Fulbert Paré et Oumar Ouédraogo
Lefaso.net



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