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Bemahoun Honko Roger Judicaël, auteur du sondage de Bendré : « Je ne suis d’aucune chapelle politique »

jeudi 18 juin 2015.

 

Dans sa dernière livraison, notre confrère Bendré rendait publics les résultats d’un sondage réalisé sur le « monitoring de la transition ». Cette fois, l’échantillon de l’étude est passé de 700 à 1000 personnes dans huit capitales régionales. A ceux qui l’accusent de rouler pour tel ou tel homme politique, le statisticien-Économiste Bemahoun Honko Roger Judicaël, auteur du sondage, clame qu’il n’est d’aucune chapelle politique. Nous l’avons rencontré pour cette interview exclusive. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Quel est la spécificité de ce deuxième round par rapport au premier ?

Bemahoun Honko Roger Judicaël : Le premier round qui s’est déroulé du 23 janvier au 8 février avait concerné 4 villes, Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Koudougou et Ouahigouya. L’échantillon était de 700 personnes, des deux sexes, ayant au moins 20 ans. Le deuxième round a concerné huit capitales régionales : Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Koudougou, Ouahigouya, Fada N’Gourma, Tenkodogo, Dori et Gaoua. Mais cette fois-ci, nous avons voulu prendre en compte un certain nombre d’observations, d’autant que dans les rubriques spécifiques, il y avait des questions d’intention de vote. Et quand on sait qu’il faut avoir 18 ans pour voter, il fallait prendre cela en compte dans l’échantillon, avoir 18 ans pour être sélectionné.

Concernant la méthode de sélection, c’est toujours la méthode des quotas marginaux. Cette méthode a intrinsèquement des limites. Ce qui fait qu’il est souvent sujet à beaucoup de critiques. Cette fois, nous avons amélioré notre méthodologie. D’abord en identifiant le ménage par un pas de sélection. Donc nous avons voulu nous approcher des sondages empiriques. Une fois que le ménage a été sélectionné, toutes les personnes ayant au moins 18 ans dans le ménage sont répertoriées dans une grille, la grille de Kish. Cette grille détermine la personne à enquêter. L’avantage c’est qu’elle donne la même probabilité dans l’échantillon, mais le choix de la personne à enquêter ne dépend plus de l’agent enquêteur, alors qu’auparavant le choix de la personne à enquêter était en définitive du ressort de l’agent, ce qui pouvait biaiser la sélection.

La méthode de sondage a donc été améliorée ?

Naturellement. Cela a été amélioré. D’abord sur le point de vue de la taille de l’échantillon, si on part de 700 à 1000, naturellement en terme de précision, on gagne un peu plus. En terme également de diversité socio culturelle et linguistique, nous gagnons également.

Ce sur quoi je veux insister, c’est la méthode de sélection. C’est tout le problème. Cette méthode, ce n’est pas parce que c’est moi qui l’applique, n’importe qui qui voudrait utiliser la méthode des quotas sera confronté à ce problème. Dans cette approche, nous avons par expérience, capitalisé pour appliquer la méthode. Lorsqu’on regarde les statistiques qui ressortent d’abord sur des variables comme le niveau d’instruction, la catégorie socio-professionnelle, les langues parlées, les religions, et que l’on compare ces statistiques avec celles données par le RGP 2006 (Recensement général de la population, ndlr), on se rend compte que notre échantillon est parvenu à faire ressortir ces éléments avec une précision incroyable. C’est ce qui nous renforce dans la conviction sur la qualité de notre travail.

Pourquoi avoir reconduit la méthode des quotas marginaux, il n’y a –t-il pas d’autres méthodes en matière de sondage ?

Dans la grande famille des sondages, il y a deux approches. L’approche empirique dont la méthode des quotas fait partie et l’approche probabiliste. Cette méthode demande assez de ressources. La belle preuve c’est que ce sont des instituts nationaux de statistiques qui l’appliquent. C’est pourquoi nous appliquons la méthode des quotas, mais on fait toujours en sorte d’avoir l’aléa. Le plus important, c’est cela. La difficulté des méthodes empiriques, c’est que la position étant du ressort de celui qui doit enquêter, on peut avoir des probabilités nulles de telle sorte que certaines personnes ne soient même pas dans l’échantillon. C’est justement ce qui fait la limite de ces méthodes, sinon il y a eu beaucoup d’expériences qui montrent qu’un sondage mené par la méthode des quotas, s’il est véritablement bien appliqué, va donner aussi des résultats aussi précis qu’un sondage mené avec la méthode probabiliste. La méthode des quotas s’impose à nous sinon nous avons conscience de ces limites.

Dans quelles conditions le sondage a été réalisé ?

Toujours les mêmes conditions. C’est la volonté qui nous guide, parce que nous croyons en quelque chose. Nous avons commencé le travail depuis septembre, avant les journées des 30 et 31 octobre. Nous avions fait un sondage pour éclairer la classe politique à l’époque et nous avions trouvé un résultat qui montrait qui des pro et anti référendum gagnerait la bataille. Notre sondage avait montré que dans la ville de Ouagadougou, ce sont les anti référendum qui l’emporteraient, la suite est connue. Nous avions également montré qu’un certain nombre de personnalités étaient désavouées, les journées des 30 et 31 octobre l’ont encore prouvé.

Après l’insurrection, étant donné que nous sommes dans une phase transitoire, nous nous sommes dit qu’il était bon qu’on maintienne l’exercice et c’est dans ce sens que le monitoring de la transition en termes de perception sur des généralités a été mis en place. Lorsque nous étions en train d’élaborer le round 1, nous avons échangé avec le Journal Bendré qui était aussi dans la même dynamique pour évaluer les 100 jours de la transition. Nous avons donc convenu de mutualiser nos forces pour réaliser quelque chose d’assez conséquent. Actuellement, c’est un projet entièrement porté par Bendré et nous comptons continuer avec d’autres sondages avant la fin de la transition.

C’est d’abord parce que nous croyons en quelque chose et on se dit qu’aucune décision ne peut être prise de nos jours si on ne fait pas ce genre d’exercice et nous estimons que cela peut améliorer notre processus démocratique.

Que retenez-vous de ce deuxième round ?

Ce que nous avons pu retenir de ce sondage, c’est que les populations ont besoin de s’exprimer. Par exemple à Ouahigouya, la tension était véritablement vive. Lorsque que nous sommes arrivés et qu’on a choisi une personne dans les ménages, d’autres ont estimé qu’on devrait leur donner la parole. Nous avons beau expliquer que c’est notre méthode qui ne nous autorisait pas à les prendre, ils ont voulu intervenir. Nous avons dû prendre des fiches pour les écouter, évidemment ces fiches ne sont pas comptabilisées.

Aussi, certaines personnes étaient un peu réservées. Il fallait attendre, les convaincre. Sur les intentions de vote par exemple, le taux de refus est assez élevé, avec celui de ceux qui ne savent pas. Ce n’est pas parce que les gens ne savent pas qui ils vont voter, mais ils ont clairement dit qu’ils attendaient les programmes politiques avant de s’exprimer. Certaines personnes, nous pensons aux militants de l’ancienne majorité, n’ont pas voulu se prononcer.

C’est pour dire que ce travail qui consiste à recueillir des opinions, n’est pas aisé. Il faut avoir du tact, des personnes déterminées sur le terrain.

Quel est le profil de ceux qui ont mené les enquêtes ?

En règle générale, tous ceux qui ont mené l’enquête ont un niveau minimal de Bac+2. C’est seulement pour le cas de Dori, où le problème de langue s’est posé. Nous n’avons donc pas pu avoir ce profil, mais nous avons eu des gens qui s’y connaissaient dans la collecte des données. Dans toutes les autres villes, nous avons travaillé avec des gens qui avaient un niveau d’au moins Bac +2, une expérience dans la collecte des données, et qui parlaient les principales langues des localités. Ils étaient au total 24 personnes.

Que cherchiez-vous à savoir à l’occasion de ce sondage ?

L’objectif de ce sondage, l’objectif général, c’est l’évaluation des organes de la transition. Quelle est la perception des citoyens des trois grandes figures de la transition. Nous pensons que le reflet que ces gens donnent, peut permettre de comprendre si oui ou non les populations adhèrent à ce qu’ils font.

Nous avons également évalué un certain nombre d’actes qui ont été posés par les autorités de la transition, en ce qui concerne notamment les arrestations. D’aucuns ont trouvé que c’est arbitraire, d’autres ont estimé que c’est bien, mais qu’est-ce que le citoyen lambda pense de ces questions. Il ya d’autres questions sur les réformes électorales, en tant qu’observateurs de la scène politique, nous essayons d’anticiper sur certaines questions. La fameuse loi que certains qualifient d’exclusion adoptée le 7 avril par le CNT, nous avons voulu voir si cette loi telle que formulée est en phase avec les aspirations de la population. Ce sont entre autres questions, en plus des questions sur les intentions de vote. L’horizon est en train de s’éclairer et nous avons voulu faire une simulation avec 4 personnalités …

Pourquoi dites-vous que l’horizon est en train de s’éclairer ?

D’abord le travail que nous avons fait a montré a qu’il y a un second tour qui se profilait à l’horizon. Il y a d’autres études dans un échantillon plus large qui ont prouvé qu’il y a un second tour qui se dessinait. Nous admettons, au regard des forces politiques de nos jours, qu’il serait difficile qu’une force arrive à remporter l’élection au premier tour. Nous nous sommes alors demandé si dans ce cas il y aura des alliances, comment estimer les intentions de vote. On a donc pris 4 personnalités et on a fait des confrontations deux à deux de ces personnalités pour voir en cas de second tour, comment les forces se positionneraient.

Nous avons obtenu des résultats qui montrent qu’au niveau même de la culture partisane il ya beaucoup de choses à faire. Tenez-vous bien, il ya des citoyens qui disent vouloir voter pour un parti, mais au second tour, il votera pour l’adversaire du candidat de son parti. Cela pose la question de savoir si les gens votent pour l’appareil politique ou pour l’individu. À l’analyse de nos données, il nous semble que c’est sur les individus que les choses se passent.

Comparativement à la côte de popularité lors du premier round, comment se comportent les trois figures de la transition au niveau du sondage ?

Au niveau de l’image, comparativement au dernier round, on se rend compte que la côte de popularité a augmenté. Le président Michel Kafando a une cote de popularité de 72,2%, le premier ministre autour de 59,8%, et Shérif Sy autour de 49,7%. Il y a une progression au niveau de l’image.

Concernant le nouveau code électoral, 76,6% sont totalement d’accord. Si les gens ont une bonne perception de la loi, cela pourrait expliquer pourquoi la côte des trois grandes figures de la transition est en hausse.
L’échantillon a été réparti proportionnellement au potentiel électoral de chaque ville.

Venons- en maintenant aux intentions de vote que révèle le sondage ?

Ce qu’on peut dire c’est que les tendances du premier round se maintiennent ; notamment pour les personnalités comme Zéphirin Diabré, Rock Marc Christian Kaboré ,Bénéwendé Stanislas Sankara et Djibril Bassolé. Ce qu’il y a à noter, c’est le cas de Ablassé Ouédraogo, lui qui disputait la troisième place avec Me Bénéwendé Sankara, passe à la huitième position. Lorsqu’on regarde de près les chiffres, on se rend compte qu’au premier round c’est à Bobo Dioulasso que le candidat de Le Faso Autrement avait plus de faveur. Il y avait fait un passage et avait aussi beaucoup communiqué lors de l’insurrection.

En termes d’intentions de vote, Zéphirin Diabré vient en tête avec 26,10%, Rock Marc Christian Kaboré en deuxième position avec 22 ,2%, BénéwendéSankara avec 8,2 % et Djibril Bassolé 2,5%. Ce sont ces personnalités qui maintiennent leur place du premier sondage. Quand on regarde les scores également, on se rend compte que véritablement les choses n’ont pas avancé en termes d’intention, ce qui nous amène à réfléchir sur autre chose. Avec 4 villes, on avait un résultat, à 8 villes, on a des statistiques assez proches. Finalement, on peut se poser la question de l’opportunité d’élargir l’échantillon.

Pensez-vous qu’en élargissant l’échantillon cela ne changerait rien au résultat ?

Ce sont des hypothèses parce qu’il y a des tendances fortes qui se dégagent. En augmentant on aura peut-être beaucoup plus de précisions, mais les tendances ne changeront pas.

Zéphirin Diabré est en tête des intentions de vote à chacune des deux études que vous avez menées. D’aucuns se demanderont si vous ne roulez pas pour cet homme politique en cherchant à guider la volonté des électeurs ?

Ceux qui disent que c’est intentionnellement fait, peuvent se rassurer. Nous n’avons pas manipulé les chiffres, nous n’avons aucun intérêt à le faire, notre moralité ne nous permet nullement de faire cela, parce que nous connaissons les enjeux. Justement voilà pourquoi nous avons introduit la question sur le candidat qui a plus de chance de gagner. Et là, on a un résultat qui dit que c’est Rock Marc Christian Kaboré qui a plus de chance de gagner.

Quelle différence y a-t-il entre l’intention de vote et le candidat qui a beaucoup plus de chance de gagner ?

Pour l’intention de vote, l’individu dit qu’il votera tel candidat. Mais quand on lui demande le candidat qui a plus de chance de gagner, cela ne relève plus de son l’intention. Il peut prendre un certain nombre d’éléments objectifs, soit par sa propre lecture ou par l’effet de son environnement. Ces deux questions sont donc à nuancer, la seconde permettant de prendre en compte l’environnement immédiat.

Quel contenu donnez-vous à la notion de « Chance » ?

Lorsqu’on regarde les forces qui se présentent aujourd’hui, il y a des candidats qui ont des appareils politiques qui leur permettent de remporter ces élections. Les élections se gagnent avec les hommes, il faut avoir les ressources également ; c’est tout cela mis en commun qui donne la notion de chance.

Notre sondage a montré qu’au-delà des ressources humaines et des moyens financiers, il y a d’autres valeurs sur lesquelles les citoyens sont regardants. Ils disent qu’ils ont besoin de changement. La belle preuve c’est que certains disent qu’ils attendent des programmes pour se décider ; comme pour dire qu’il y a des valeurs à prendre en compte.

Le résultat du sondage est donc différent selon qu’on parle de vote ou de chance ?

Oui c’est totalement différent. Il y a par exemple des gens qui disent qu’ils vont voter UPC, mais à la question de savoir le candidat qui a plus de chance de gagner, la personne répond que c’est Rock Marc Christian Kaboré.

Vous avez des résultats des tendances qui restent, on peut quand même se féliciter, parce que si vous donnez un résultat aujourd’hui et demain vous faites encore un sondage qui révèle un autre résultat, il faut se poser beaucoup de questions. Mais dans ce que nous avons fait, il y a des tendances qui se dessinent et qui collent à la réalité, sur certaines questions. Quoique nous ayons rencontré des difficultés dans la conduite du travail, ce qui est inhérent à ce type d’exercice. Ce sondage apporte également des réponses à des préoccupations actuelles. Vu sous cet angle, nous estimons n’avoir pas prêché dans le désert, ça pourrait donc être utile dans la prise des décisions.

Après votre premier round, il y a eu d’autres sondages qui sont venus prendre le contre-pied des résultats auxquels vous étiez parvenus. Votre commentaire ?

Oui j’ai eu vent de ces résultats. Il y a même eu un article écrit par un docteur qui avait essayé de montrer les limites de notre travail. C’est normal, quand on fait ce type d’exercice, il faut s’attendre à ce qu’il y ait des critiques. Mais nous sommes dans une perspective ou nous voyons le verre à moitié plein. Ce qui est dit n’est pas fondamentalement faux, nous capitalisons à ce niveau. Il y a des gens qui ont fait des observations que nous avons prises en compte. Sur d’autres questions, nous préférons nous taire, le moment viendra ou nous répondrons.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que chaque politicien à son technicien qui organise un sondage et qui tout naturellement arrive à la conclusion que c’est son mentor qui remporterait l’élection ?

Qu’on nous dise M. Bemahoun est manipulé par qui ou Bendré est manipulé par qui. Qu’ils tentent, ils auront la réponse, si on peut nous manipuler. A ce niveau, nous sommes sereins et nous travaillons en toute âme et conscience. Ceux qui pensent qu’on peut venir nous manipuler peuvent essayer, nous les invitons d’ailleurs à essayer et ils verront notre posture.

Qui finance ces recherches ?

Ce travail si nous le réalisons, c’est parce que nous y croyions. Nous avons travaillé à convaincre des jeunes qui ont accepté nous accompagner. Bien évidemment il faut se déplacer pour réaliser le travail et c’est avec Bendré que nous travaillons pour avoir ces moyens à mettre à la disposition de ceux qui nous accompagnent sur le terrain.

Y aura-t-il un troisième round avant les élections ?

Nous sommes dans cette perspective. Et cette fois nous envisageons aller dans les 13 régions. Au-delà de tout ce qu’on peut dire de toutes les limites objectives, les lecteurs peuvent se rassurer qu’il n’y a pas une main invisible derrière. Nous l’avons fait avec une entière autonomie, une entière indépendance, en toute impartialité.

Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net

Lire aussi [Sondage sur la présidentielle : Zeph toujours en tête, suivi de Rock->http://www.lefaso.net/spip.php?article65277



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