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Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

mardi 16 juin 2015.

 

Le dispositif législatif et règlementaire du secteur de la construction est plutôt étoffé, cependant il reste en proie à des pratiques malsaines. L’incivisme et l’affairisme y règnent toujours en maîtres. Le nombre croissant des effondrements d’immeuble à Ouagadougou doit inquiéter et inciter les autorités à accentuer les contrôles.

L’arsenal législatif devrait permettre un encadrement efficace du domaine mais que constatons-nous ? Le secteur de la construction au Burkina reste miné par des pratiques répréhensibles, occasionnant des drames récurrents ces dernières années.

Dans la nuit du 12 au 13 septembre 2011 un bâtiment en construction R+4 s’écroule à Ouaga 2000 faisant trois morts. Le 12 juin 2014 un bâtiment en construction R+4 s’écroule dans le quartier Samandin, faisant des blessés. Plus près de nous, c’est un sous terrain en construction à Boinsyaaré qui s’est effondré le 21 avril 2015 faisant un mort et trois blessés. La liste est loin d’être exhaustive. Le Réseau national de lutte anticorruption a mené une enquête courant septembre 2014 sur les présomptions de corruption dans le domaine de la construction dans la ville de Ouagadougou afin de pouvoir situer les responsabilités. Nos investigations, révèlent deux principales causes à cet état de fait : l’insuffisance du contrôle et la corruption rampante dans le domaine.

En principe, tout projet de construction doit être soumis à un double contrôle. Un contrôle interne contracté par le promoteur auprès d’un cabinet agréé chargé du suivi des travaux et un contrôle externe, effectué par le ministère de l’habitat et de l’urbanisme à travers la Direction Générale du Contrôle des Opérations d’Aménagement et de Construction (DGCOAC). Le plus souvent, le contrôle interne s’avère inopérant, du fait des connivences entre le contrôleur et le promoteur. Il s’agit dans la plupart des cas d’entente entre amis, ce qui n’est pas gage de rigueur dans le suivi du travail de construction.

Le contrôle externe, inopiné, devrait pallier les insuffisances du contrôle interne mais aussi le rendre plus rigoureux. Malheureusement, la DGCOAC se trouve dans une situation de dénuement telle qu’elle est dans l’incapacité de mener à bien cette fonction. Il ressort aussi qu’un très grand nombre de chantiers sont entrepris sans autorisation préalable. Une campagne spéciale de contrôle menée courant 2011, par la DGCOAC, a révélé que sur 1998 bâtiments contrôlés (exclusivement des bâtiments R+), seulement 436 disposaient de permis de construire. Soit environ 21%. En plus, il a été relevé que sur les 1998, 99% se construisaient en l’absence d’un technicien avisé. C’est-à-dire sans architecte et sans technicien quelconque.

A Bobo-Dioulasso, sur 643 constructions contrôlées (R+ et bâtiments destinés à recevoir du public, notamment les stations d’essence, les entrepôts les magasins, les lieux de culte etc.), seulement 50, soit 7% disposaient d’un permis de construire. A Banfora, on était à 2/49. A Ouahigouya, 3/30. A Dédougou, 8/14.

Les pratiques anormales dans le domaine de la construction

Plusieurs cas de figures existent en ce qui concerne la pratique de la corruption dans le domaine de la construction au Burkina Faso.

Le promoteur entreprend les démarches nécessaires pour l’obtention en bonne et due forme du permis de construire auprès du Centre de facilitation des actes de construire (CEFAC). Il obtient le permis mais ne met pas en application les prescriptions du permis. Les dosages de ciment, les ferraillages, la taille des poteaux, etc. ne sont pas respectés. C’est le cas du bâtiment effondré le 14 juin 2014 au quartier Samandin. Le promoteur de ce bâtiment, Abdou Ouédraogo, dispose bel et bien d’une autorisation de construire. Il s’agit de l’autorisation de construire N°4805 du 26/08/2013, signé par le maire de la commune de Ouagadougou, Marin C. Ilboudo, pour la construction d’un immeuble à usage commercial de type R+4.

Le dossier de demande d’autorisation a été déposé au CEFAC le 16/07/2013 sous le N°0458/13. Courant novembre 2013, pendant que le chantier était au niveau du 2e étage, sur dénonciation de tiers, une équipe de la DGCOAC a effectué une mission sur le chantier. L’équipe était venue visiblement avec la ferme intention d’arrêter les travaux. L’un des membres de l’équipe tenait en main la boîte de peinture rouge destinée à mettre la fameuse mention « MHU/ ARRET DE CHANTIER ». Mais suite à des pourparlers avec le promoteur, arrivé précipitamment sur les lieux après avoir été alerté, cette mention qui devrait consacrer l’arrêt des travaux du chantier n’a finalement pas été marquée sur le mur.

Le promoteur leur aurait présenté ses documents attestant que son chantier était en règles et ils se seraient contentés de prendre les mesures de certains poteaux qu’ils auraient eux-mêmes jugé conformes, avant de rebrousser chemin. Pourtant, il était manifeste que le bâtiment présentait des anomalies graves. On le sentait même bouger par moment, explique un témoin. Suite à cette mission, le CEFAC a délivré une plaque que le promoteur est venu implantée sur le chantier, comme pour dire que le chantier est homologué et reconnu par l’autorité. Tous ceux qui avaient commencé à s’exciter autour pouvaient désormais se taire. L’incident était clos. C’est dans cette ambiance que le bâtiment s’est effondré le 14 juin 2014.

Autre pratique, parfois le promoteur peut postuler et obtenir un permis en vue de la construction d’un bâtiment de type R+3. Mais à l’exécution, il se permet de construire un bâtiment de type R+4 ou même plus. C’est le cas du bâtiment effondré en septembre 2011 à Ouaga 2000, non loin du monument aux héros nationaux. Le promoteur de cet immeuble R+4 avait sollicité et obtenu une autorisation pour la construction d’un bâtiment de type R+3. C’est sur la base de cette autorisation qu’il a construit le R+4. Naturellement, cela ne pouvait que se terminer de façon tragique.

Les prescriptions techniques pour les deux types de bâtiment n’étant pas les mêmes. Sans oublier qu’après le drame, vérification faite, les dosages de ciment et le ferraillage utilisés étaient en deçà des prescriptions prévues même pour le R+3. Au temps fort de ce drame ayant occasionné trois pertes en vie humaine, le ministre de l’habitat et de l’urbanisme, Yacouba Barry, était monté au créneau. Il avait promis que des poursuites judiciaires allaient être engagées contre le promoteur. Mais, curieusement on apprend qu’aucune procédure judiciaire n’a encore été entamée contre l’intéressé.

Dans les cas les plus fréquents, le promoteur ne s’embarrasse pas de demander une quelconque autorisation. Il s’attache tout simplement les services d’un simple tâcheron qui, sur la base d’expériences antérieures, prétend pouvoir réaliser le bâtiment, cela sans la moindre note de calcul, ni le moindre avis de spécialiste, encore moins la moindre étude de sol. C’est ainsi que de nombreuses constructions sont faites à Ouagadougou et sur toute l’étendue du territoire national. La cherté des différentes prestations est avancée comme élément justificatif de cette tendance à une auto-construction malsaine non assistée.

Malheureusement, même l’administration centrale s’adonne à cette pratique. En 2012, sur 964 constructions sans permis dénombrés à Ouagadougou, près d’une vingtaine appartiennent à l’Etat et à ses démembrements. La construction de la trésorerie régionale du centre à la ZAD, sur le Boulevard circulaire et la construction du nouveau siège de la Grande chancellerie des Ordres burkinabè à Ouaga 2000 sont citées sur cette triste liste. Un coup d’œil sur les panneaux de chantier des deux infrastructures ne donne aucune trace de référence de permis de construire.

La corruption et le caractère non opérationnel de la structure de contrôle n’incitent à aucun optimisme. Même s’il s’avère difficile de faire la preuve matérielle de cette corruption, les impairs sont suffisamment éloquents pour témoigner de l’existence de la pratique. La sensibilité du secteur ne devait-elle pas nous conduire à une plus grande prise de conscience et à plus de rigueur dans ce domaine ?

Le Secrétariat Exécutif
01BP 2056 Ouagadougou 01, rue Zomsoba, 17 572-Porte 23, Pissy
Tél : (226) 25 43 32 83
Fax : (226) 25 43 32 82
E-mail : renlac@renlac.com
Site Web : www.renlac.com
Numéro vert : 80 00 11 22



Vos commentaires

  • Le 16 juin 2015 à 18:38, par zopa En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    Je pense que dans le cas des promoteurs promoteur privés, il y’ a beaucoup plus d’ignorance que de corruption au prime abord. Nos opérateurs économiques (analphabètes pour la plupart ) n’acceptent pas de payer 10 ou 15 millions à un ingénieur pour faire les études et le suivi d’un immeuble qui peut coûter entre 300 et 400 millions. Je suis du domaine et je sais due quoi je parle. Ces messieurs se contentent donc de prendre un neveu ou un cousin qui a peut être quelques bribes de connaissances en bâtiment, et ils nomment chef de chantier, ingénieur, et architecte à la fois. Les résultats ne peuvent qu’être catastrophiques. L’état devra donc être très vigilant dans l’attribution des autorisations de construire, et doter la DGAHC (peut être que le nom a changé ) de moyens nécessaires pour le contrôle

  • Le 16 juin 2015 à 18:50 En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    Bravo Dédougou 57%. Ce n’est pas arrivé mais c’est mieux que les autres

  • Le 16 juin 2015 à 20:30, par adan En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    Soyons sérieux deux secondes sa fait 3 ans que j’ai déposé un dossier de déclassement dans le but d avoir une autorisation de construction d un r+3 j attend toujours. On me balade de service en service je vous passe les pots de vin. Au final je fais quoi ? Je laisse pourrir mon ciment ? Il faut que l état joue aussi le jeu en s assurant que les dossiers complet aient rapidement leur autorisation...

  • Le 17 juin 2015 à 03:13, par Le burkinabè En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    C’est dommage ce que vous voyez n’est que la partie visible de l’ice Berg. L’Etat n’existe pas en matière de construction au Burkina Faso. car c’est au ministère de l’habitat que l’état a confié cette tâche de construction or cette structure est très faible avec des responsables très forts et anciens qui sont eux même des bureaux d’études et de construction. Croyez vous que quelqu’un peut se faire du mal s’il peut se faire du bien ? surtout en matière d’argent ? La direction de contrôle ne fait que vérifier la réglementation et la conformité des actes de construire. c’est la Direction Générale de l’architecture de l’habitat et la construction DGAHC qui doit s’occuper du contrôle de normes mais hélas, c’est tout simplement décourageant d’être au sein des entrepreneurs cacher derrière des habits de directeurs ou de ministres qui constituent un clan si vous n’êtes pas dans le clan vous risquez de faire plus de 3 ans sans avoir votre déclassement. Ce sont les mêmes personnes qui sont les directeurs dans l’administration et les propriétaires de bureaux d’études et d’entreprises , leurs cousins, amis ,épouses etc sont eux qui sont partout à la justice a la gendarmerie , ce sont eux qui sont les Sg du ministère les PCA de toute les structures juteuses de ce pays. Nous risquons de nous evanouir, regardez au ministère de l’habitat il y a beaucoup de ratés sociaux, ils ont été frustrés jusqu’à franchir la limite pour devenir comme ça. tout ce qu’ils vont dire sont relégués au rang de folie. Je ne pourrai pas tout dire. nous ne pouvons que constater.

  • Le 17 juin 2015 à 09:00, par le juste En réponse à : Licenciez le Ministre Bagoro et réaménagez le Ministère de l’habitat et le CEFAC

    Commencez par regarder la tête de l’arbre et vous comprendrez pourquoi ça pourrit ! brillant article du REN-LAC mais aucun mot sur les architectes qui sont très très chers ! J’ai voulu construire un duplex et l’architecte m’à pris près de 1,5 millions. Pourquoi sont-ils si chers et le CEFAC aussi est trop gourmand : la procédure d’un permis de construire est perçue par l’État comme une occasion de s’enrichir. Je pense que tout ca est une politique concertée pour orienter les gens vers les logements sociaux pourris de la CGE et de Wend Panga et autres. Pour revenir à la tête pourrie : le Ministre Bagoro est magistrat que peut-il faire d’autres que voyager voyager à la tête de ce ministère ? Mr Karim Ilboudo qui dirigeait la Direction chargée du contrôle des permis de construire est un grand politicien du CDP plus intéressé à se faire de l’argent (il aurait plus de 100 parcelles dans la ville de Ouagadougou ! ) plutôt qu’à contrôler les constructions. La DGAC dont vous parlez serait également très corrompue. Même chez les architectes qui sont chers il semble que les jeunes sont entrés en rébellion et que le Ministère a mis une de ses employées la fille de Cyril Goungounga à la tête de leur Ordre pour mieux les mater. L’arbre pourrit par le sommet. Tant que l’État ne se mettra pas au sérieux pour réaménager le Ministère de l’habitat les immeubles continueront de s’écrouler et faire perdre la vie à d’honnêtes citoyens.

  • Le 17 juin 2015 à 13:05, par Siébani DIARRA En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    "Le plus souvent, le contrôle interne s’avère inopérant, du fait des connivences entre le contrôleur et le promoteur. Il s’agit dans la plupart des cas d’entente entre amis, ce qui n’est pas gage de rigueur dans le suivi du travail de construction." ???!!!

    Promoteur : personne physique ou morale initiatrice du projet de construction

    "Contrôle interne" : personne physique ou morale engagée par le promoteur pour assurer les opérations de contrôle dans le cadre du projet en cours et pour le compte du promoteur. La personne physique ou morale sur laquelle s’exercent ces opérations de contrôle est l’Entreprise de construction.

  • Le 17 juin 2015 à 20:04, par Bastaflex En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    Internaute 5,si tu pense que donner 1.5 million a un architecte ou un ingénieur mieux vaut consulter un boutiquier pour ton projet.tu dit vouloir construire un duplex ;le coût minimum d’un duplex est de 50 brik,je pense que pour 1.5 million pour sécuriser ton investissement de 50 brik devrait pas te fâcher.

  • Le 18 juin 2015 à 13:21, par Jeunedame seret En réponse à : Présomptions de corruption dans le secteur de la construction au Burkina : Le mépris de la règlementation érigé en doctrine

    Tout ça c’est l’intégrité. Tout le monde est malhonnête.