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Alin-Noumonsan Kambou, coordonnateur de l’ABSM : « On ne se lève pas aujourd’hui pour devenir fournisseur minier demain »

jeudi 11 juin 2015.

 

Le Salon international de l’énergie, des mines et des carrières (SEMICA) s’est tenu du 28 au 30 mai 2015 à Ouagadougou, sous le thème « la promotion des matériaux locaux et de la fourniture de biens et services miniers ». Pour profiter pleinement du boom minier, les opérateurs économiques burkinabè ont mis en place l’Alliance burkinabè des fournisseurs de biens et services miniers (ABSM) depuis 2012. Nous nous sommes entretenus avec son coordonnateur, Alin-Noumonsan Kambou. Dans l’entretien ci-après, il parle de cette association, mais aussi des exigences des mines vis-à-vis des fournisseurs locaux.

Quelle appréciation faites-vous du thème du SEMICA 2015 et du déroulement de cette manifestation ?

On a été suffisamment honoré parce qu’on traite d’un thème qui fait l’objet de notre combat, que ce soit au niveau national ou sous régional. Je n’ai pas pu participer pleinement au salon, mais j’ai co-animé un panel ou les gens ont posé beaucoup de questions sur les achats locaux et l’approvisionnement local. Cela dénote de l’intérêt que les uns et les autres portent actuellement quant aux retombés qui reviennent aux populations, aux opérateurs et à l’Etat de façon globale. Le sujet est d’intérêt et il est pertinent. Nous ne pouvons que remercier les organisateurs du SEMICA pour avoir choisi ce thème et avoir permis aux différents acteurs d’en débattre.
Il faut qu’on arrive à un stade où l’économie locale serve le secteur minier et vice-versa. Si on arrive là, on pourra tirer suffisamment profit du secteur.

Comment est venue l’idée de créer l’ABSM ?
Essakane avait initié, avec la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina et l’ambassade du Canada, d’envoyer des opérateurs économiques au niveau du Canada parce que c’est le pays qui est pionnier dans le développement de l’industrie minière de façon globale. C’est en 2011 qu’une équipe d’une vingtaine de membres de la délégation du Burkina a participé au SIM (Institut canadien des mines et de la métallurgie). C’est de retour de cette mission que la vingtaine d’entreprises qui étaient de la délégation a décidé de créer l’ABSM. D’abord pour défendre les intérêts des opérateurs économiques vis-à-vis du secteur minier et probablement travailler au renforcement des capacités de ces fournisseurs-là pour que ceux-ci soient à même de répondre convenablement aux besoins du secteur minier.

Est-ce que les objectifs demeurent toujours les mêmes ?
En termes d’objectifs, nous travaillons à faire croitre la part des achats locaux dans la consommation des sociétés minières. Aujourd’hui, on est à 60%, et on travaille à ce que dans cinq ans, nous soyons à 70%, dans quinze ans à 95% pour certains produits. Dépendamment de certains produits, on peut acheter tout localement. Mais, ce n’est pas aujourd’hui qu’on atteindra les 100%, vu que certaines conditions ne sont pas réunies, notamment la qualité des prestations, la gouvernance d’entreprise ou même la gestion de façon globale au niveau de certaines entreprises. C’est toutes ces capacités qu’il faut renforcer pour permettre aux fournisseurs locaux d’être plus professionnels, plus efficaces et plus dynamiques.

Par quoi, il faut entendre fournisseurs de biens et services miniers ?
Le fournisseur de biens et services miniers, c’est l’opérateur économique immatriculé au Burkina, qui paie ses impôts au Burkina, qui emploie du personnel burkinabè, et qui fournit des biens, du matériel ou qui fait des prestations au profit du secteur minier.

Quel type de biens ?
Quand on dit fournisseur de secteur minier, il y a la construction métallique, le transport du carburant, la vente des boulets, le cyanure, les équipements de protection individuelle, les services liés à l’électrification, à l’adduction d’eau, la plomberie… C’est un ensemble de services. Quand quelqu’un fait de la location de grues, on le considère comme étant un fournisseur de services miniers parce qu’il fournit quelque chose à la mine.

Combien de membres compte l’ABSM aujourd’hui et comment adhère-t-on ?
Il y a 37 sociétés membres. Ce sont des entreprises qui sont membres et non des individus. Pour être membre, il y a un dossier que vous devez fournir composé d’une demande accompagnée d’un formulaire que l’on vous fait renseigner pour collecter les informations administratives, commerciales et financières sur votre société. On vous demande une copie de votre registre de commerce, le numéro IFU, le numéro de l’employeur, une attestation fiscale, une attestation cotisante et une attestation de non faillite.
Lorsque vous voulez rentrer au niveau de la minière, on vous demande les mêmes documents. Donc, on commence à corriger ça à notre niveau pour que lorsqu’on arrive à la minière, que ce soit quelque chose qui est déjà encré dans les habitudes.
Nous fonctionnons sur nos fonds propres pour le moment. Donc, les frais d’adhésion sont de 150 000F CFA, payables à l’entrée une fois et la cotisation annuelle est de 600 000F CFA.

C’est donc dire que la société doit être d’une certaine taille pour prétendre être membre de l’ABSM ?
Un fournisseur minier est une société qui livre déjà des biens ou qui fait des prestations de services au profit d’une mine. On n’a jamais forcé une entreprise à adhérer à l’ABSM. C’est vous qui savez quelles sont vos capacités et vous adhérez. Mais, pour certains opérateurs économiques principalement au niveau des provinces ; actuellement la stratégie pour nous, c’est de les mettre en groupement par filière. Si individuellement ces opérateurs économiques ne sont pas à mesure de payer ces cotisations, n’empêche qu’on puisse leur faire profiter de ce qu’on a comme ressources, expériences et les accompagner parce que c’est eux qui sont directement impactés par la mine. Maintenant s’il y a un apport à donner, on donne au groupement et tous les membres profitent.

Vous parliez de normes, standards ou exigences à respecter pour être fournisseur de biens et services miniers, quelles sont ces exigences ?
Les minières communiquent beaucoup plus par mail parce que ça laisse des traces. Et vous voyez nos opérateurs économiques qui sont plus enclin à communiquer via téléphone. Pour prouver que vous êtes une entreprise légalement créée, que vous fonctionnez normalement, on vous demande le registre de commerce, le numéro IFU et votre RIB (relevé d’identifiant bancaire), ces trois documents prouvent que vous êtes une entreprise parce que le premier c’est ce qui vous donne l’autorisation d’exercer ; le deuxième prouve que vous payez vos impôts, et le troisième c’est ce qui permet à la minière de faire le virement. Mais, beaucoup n’ont pas ça, surtout l’IFU et le RIB. Pour ceux qui ont fonctionné une ou deux années, ils ont ces éléments. Mais en province, c’est plus difficile. Souvent ce sont des commerçants ou des gens qui ont pu ouvrir de petits ateliers. Lorsqu’on dit à la personne d’avoir un téléphone, un mail ; une situation géographique bien définie, c’est parce que la minière peut décider de vous rendre visite ; l’organisation, l’hygiène, la santé, la sécurité et l’environnement font partie des exigences. C’est des volets sur lesquels la minière ne badine pas dessus. Il faut que vous respectiez les normes de santé, d’hygiène et de sécurité aussi bien pour le personnel que pour l’environnement dans lequel vous menez vos activités.
Ensuite, il y a la réactivité parce que la minière fonctionne 24h/24. Du fait que vous n’ayez pas répondu à une sollicitation de la minière, si elle s’arrête une journée, elle perd des centaines de millions. Donc, si vous ne répondez pas à temps, ça fait partie des engagements que vous n’avez pas respectés et ça peut jouer négativement sur la collaboration avec la minière qui peut être emmenée à ne plus vous solliciter pour certains achats. Le respect des délais de livraison fait partie des exigences de réactivité. Il y a l’exigence de professionnalisme, de disponibilité. Il y a aussi l’exigence de partenariat, surtout le service après-vente et la garantie. Les minières exigent qu’on puisse respecter les engagements liés à la garantie, à l’assurance… Il faut s’assurer que le client est complètement satisfait.

Que faites-vous pour permettre à vos membres de respecter ces normes et exigences ?
C’est un secteur à haut risque et les exigences sont de taille aussi. Donc, nous faisons de la formation parce que certains ne comprennent pas pourquoi on leur demande un tas de documents.
Pour ce qui est de notre accompagnement, nous sommes en partenariat avec des structures au Canada, notamment 48e Nord international qui est un réseau comme ABSM qui fait les mêmes prestations pour permettre aux équipementiers, aux fournisseurs, les constructeurs qui sont là-bas de pouvoir vendre, mais pas directement. Elle travaille à nouer des partenariats avec des fournisseurs du Burkina par exemple et des fournisseurs du Canada de sorte à ce que le fournisseur local burkinabè puisse aider celui du Canada à vendre ses produits et permettre à celui d’ici de pouvoir satisfaire le marché.

Donc, vous faites de la sensibilisation et de la formation au profit de vos membres…
Nous faisons d’abord la collecte d’information que nous mettons à la disposition des acteurs, prioritairement les fournisseurs, et aussi le gouvernement et les autres partenaires qui ont besoin de comprendre davantage ce que nous sommes en train de faire. Il y a ce volet information. Il y a la formation sur certains thèmes. Comme, je l’ai dit, le processus est long. On ne se lève pas aujourd’hui pour devenir fournisseur minier demain. Il faut gravir les échelons et vous accompagner en développant certains thèmes spécifiques liés au secteur pour permettre aux gens par exemple de connaître la chaine des valeurs minérales et comprendre qu’à telle étape de la mine, voilà ce qu’elle consomme. Cela, afin que le fournisseur n’aille pas proposer quelque chose que la mine ne veut pas.

Toutes les sociétés membres de l’ABSM sont-elles réellement des fournisseurs de services miniers ?
Au départ, il y en a qui n’étaient pas fournisseurs mais qui étaient membres et qui l’ont été par la suite. Et, il y en a qui ont été fournisseurs en adhérant. Mais, aujourd’hui, notre priorité, c’est de faire en sorte que nous prenions les gens qui sont fournisseurs. Quand vous prenez des gens qui ne sont pas fournisseurs, chacun vient avec des objectifs souvent personnels. Nous sommes en train de défendre une cause nationale, au profit même de ceux qui ne sont pas membres de l’ABSM. Quand on fait du plaidoyer pour qu’on tienne compte de nos préoccupations, soit dans le code, soit dans les décisions prises par le gouvernement, on ne le fait pas pour nos membres seulement. On le fait pour qu’il y ait plus de retombés pour le Burkina, aussi bien en recettes directes, en recettes indirectes, en création d’emplois, en partage de revenus.

D’aucuns disent de vous que vous êtes un syndicat ou un club qui fait du lobbying pour vous accaparer l’essentiel des marchés au détriment d’autres entreprises ?
On ne peut pas dire aujourd’hui que l’ABSM est un syndicat qui s’accapare des marchés.On n’a pas encore fait les statistiques, mais si vous prenez le nombre de fournisseurs au Burkina, je sais que ce n’est pas 37. Il y a certains fournisseurs qui ne sont pas membres de l’ABSM mais qui ont des chiffres d’affaires plus importants que ceux qui sont membres de l’ABSM. 

Mais, il se dit que vous êtes en train de pousser ces derniers vers la porte ?
La minière n’achète pas avec un fournisseur parce qu’il est membre de l’ABSM. Nous sommes en train de promouvoir des valeurs. Et, c’est dans la promotion de ces valeurs que nous allons rendre professionnels les fournisseurs qui ont décidé d’être membres de l’ABSM et qui ont décidé aussi d’épouser la cause que nous sommes en train de promouvoir. Vous n’êtes pas obligé d’être membre de l’ABSM pour aller dans une mine par exemple. C’est à chacun de voir ce que nous sommes en train de défendre comme valeur, et d’adhérer ou pas. On n’oblige pas quelqu’un à adhérer à l’ABSM si non, aujourd’hui, on allait être à 200 ; 300 ou même 400 membres. Ça fait trois ans qu’on existe et on est toujours à 37 membres. On fait avec ceux qui acceptent s’engager pour le combat.

Est-ce que vous êtes satisfait aujourd’hui du niveau de fourniture locale vis-à-vis des minières ?
On aurait souhaité que le taux soit plus haut. Mais, est-ce que nos réalités nous permettent dès à présent d’être à ce niveau. C’est ce qu’il faut prendre en compte. Il ne suffit pas de dire qu’on veut que la minière achète 60 ou 80% ou 100% localement ; est-ce que l’existant actuel permet à la mine d’acheter 100% localement ?

Quand on écoute les OSC, on a comme l’impression que les sociétés minières vont chercher même le minimum à l’extérieur, est-ce votre avis aussi ?
On est en train de mener un combat pour avoir plus de retombés. On continue le combat parce qu’on n’a pas atteint cet objectif. Mais, dire que la minière commande même les petits objets, je ne suis pas dans une minière, j’ai des membres qui arrivent à livrer des biens dans les minières et j’ai d’autres fournisseurs qui sont au niveau local qui ne sont pas membres de l’ABSM et qui arrivent à livrer des biens. Pour le moment, on part sur cette base. Il faut se demander aussi pourquoi ces minières prennent ces produits à l’étranger. On a parlé des exigences, des normes, des standards. On ne peut pas se cacher derrière ça pour tout acheter à l’étranger certes. C’est des opérateurs économiques comme nous. Si vous êtes opérateur économique, est-ce que vous allez accepter d’acheter plus cher si vous avez l’occasion d’acheter moins cher le même produit. Les minières ne sont pas venues s’installer au Burkina parce qu’elles aiment le peuple burkinabè. Elles sont venues pour faire un business. Et dans le business, c’est gagnant-gagnant. Dépendamment du côté où vous vous placez, l’aspect gagnant-gagnant ne peut pas être équilibré. Vous ne pouvez pas partager la poire à 50-50, ce n’est pas possible.

D’aucuns estiment qu’il faut durcir davantage la législation pour contraindre les mines à s’approvisionner autant que possible au Burkina, pensez-vous qu’une loi peut régler l’affaire ?
Une loi ne règle pas tout. Dépendamment du pays où vous êtes, il y a des lois qui ont été votées mais qui ne sont pas mises en œuvre. A quoi, ça a servi de voter une loi si on ne peut pas l’appliquer, si on ne peut pas pousser les parties prenantes qui peuvent contribuer à la mise en œuvre de cette loi à le faire.

La solution, c’est quoi alors ?
La minière dira toujours au gouvernement que les opérateurs économiques locaux ne remplissent pas les conditions. Si on veut pouvoir débattre, qu’on renforce les capacités de l’économie locale. Une fois que c’est renforcé, la minière ne pourra plus avancer cet argument.Il y a un certain nombre d’éléments sur lesquels il faut agir. Quand la minière dit qu’on ne respecte pas les engagements, on ne respecte pas les délais, les produits ne sont pas de qualité ; résolvons étape par étape ces différents éléments et voir si elle continuera de dire ça. C’est vrai qu’ils sont en train d’extraire nos ressources, mais faisons attention.
Pour que le pays bénéficie davantage, on ne doit pas faire une guerre. Les minières, ce sont des partenaires. Allons-y en partenariat et il faut savoir négocier, c’est tout. Je ne pense pas que la solution soit de durcir la loi ou mettre des lois plus contraignantes.
C’est l’économie locale qui, en saisissant les opportunités, va créer plus d’emplois, générer plus de ressources indirectes aussi bien pour l’Etat que pour les populations. L’entreprise qui a été créée ou qui s’est développée pour saisir les opportunités qu’offre le secteur minier continue de mener ses activités et continue de partager de la valeur ajoutée même après la mine.

Quelles sont les perspectives de l’ABSM ?
On continue le plaidoyer, on continue la communication au niveau local, au niveau du Burkina. L’une de nos perspectives, c’est aller au niveau de la sous-région. On a pu appuyer la Côte d’Ivoire dans la création de son association de fournisseurs miniers. Nous sommes en train d’échanger actuellement avec le Sénégal, le Mali, le Niger, la Guinée. Nous voulons porter le débat hors du Burkina parce que les autres pays miniers vivent, à peu près, les mêmes réalités que nous. Et, les autres pays qui vont venir après nous auront les mêmes problèmes si on n’anticipe pas sur certains aspects. Donc, la perspective, c’est aller au niveau de l’UEMOA et probablement au niveau de la CEDEAO, pour porter le plaidoyer plus haut.
L’autre perspective, c’est de pouvoir réaliser notre plan stratégique et notre plan d’activités dont le lancement est intervenu il y a deux mois. Nous pensons que nous allons pouvoir donner suffisamment d’informations aux gens et permettre à beaucoup plus de gens d’adhérer à l’association.

Entretien réalisé par Moussa Diallo
Lefaso.net



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