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Journée d’Hommage aux Martyrs : le Pr Mahamadé Sawadogo parle des causes et conséquences des insurrections dans le monde

jeudi 28 mai 2015.

 

En prélude à la Journée nationale d’hommage aux Martyrs de l’insurrection populaire, le gouvernement a initié une série de conférences publiques dont la première a eu lieu dans la soirée de mercredi, 27 mai à l’Université de Ouagadougou autour du thème « Causes et conséquences des insurrections dans le monde ». Un thème qui a été scruté par le Pr. Mahamadé Sawadogo, enseignant de philosophie à l’Université de Ouaga I avec la modération de Aboubakar Sango, également enseignant en science juridique et politique, droit, à l’Université Ouaga II.

C’est par une vue globale de l’insurrection même que le conférencier a campé le décor de sa communication, en relevant que les insurrections, partout dans le monde, sont des évènements qui marquent la mémoire collective. Selon le conférencier, ces évènements ne se situent pas dans l’ordre institutionnel normal ; ce sont des mobilisations qui ne sont pas prévues par les textes et qui, souvent, surprennent la collectivité mais qui aboutissent à des changements et qui laissent des traces importantes. Les insurrections se caractérisent par leur aspect populaire, impliquant des conséquences sur le cours de la vie collective.
Pour le Pr. Sawadogo, on distingue les insurrections basées sur la nature des acteurs impliqués (paysans, militaires, ouvriers, élèves, étudiants), la portée géographique (région, province, nationale). Sur celle intervenue les 30 et 31 octobre 2014 au Burkina, il fait observer qu’elle a eu une ampleur nationale. Dans cette classification, on loge également une distinction selon les moyens employés (armée ou non armée). On peut aussi prendre en compte les résultats obtenus (succès ou échec). « Au Burkina, elle a été populaire mais pas armée, même si elle a été violente », a constaté le philosophe, Mahamadé Sawadogo. De là, le communicateur s’est interrogé sur les causes possibles des insurrections dans le monde. Ici également, il a procédé par une typologie qui dégage trois causes des insurrections : les causes structurelles, conjoncturelles et celles ponctuelles.
La cause structurelle se caractérise, explique-t-il, par son caractère fondamental, c’est-à-dire qu’elle apparaît seulement dans un laps de temps donné mais traverse l’organisation même de la société. Dans une société divisée en groupes sociaux différents, il apparaît des oppositions dans la répartition des différents avantages qu’engendre la vie collective. C’est ainsi qu’on est amené à distinguer les « dominants » et les « dominés », les « exploiteurs » et les « exploités » etc. « C’est-là la matrix fondamentale des luttes politiques en général, et des insurrections en particulier », a souligné le Pr. Sawadogo, ajoutant que ces contradictions se trouvent dans toutes les sociétés, mais beaucoup plus déguisées par moment.

Les causes conjoncturelles sont, en ce qui les concerne, liées aux comportements des différents acteurs politiques. « Quand vous prenez la société Burkinabè, il y a des institutions avec leurs représentants mais en dehors de ceux-ci, il y a des formes d’organisation des citoyens (OSC, partis politiques, ONG, etc.). Les luttes entre les acteurs collectifs peuvent donc aboutir à l’intervention d’une insurrection. Sur ce que nous avons connu au Burkina, il y avait un parti au pouvoir avec ses alliés qui ont entrepris des démarches pour rester longtemps au pouvoir et en face, ceux qui aspiraient au changement », a-t-il reconstitué en substance.
Quant aux causes ponctuelles, le communicateur les a illustrées en expliquant que la date de l’insurrection au Burkina a été fixée par Blaise Compaoré et les siens qui se sont réunis, en conseil des ministres, pour décider de l’introduction du projet de loi à l’Assemblée nationale et avec toutes les étapes qui ont suivi dans cette dynamique d’adoption. C’est, selon lui, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et l’insurrection n’aurait peut-être pas eu lieu, si le projet avait été retiré avant le 30 octobre.
Abordant les conséquences, le conférencier a expliqué qu’une insurrection qui a échoué n’a pas la même portée que celle qui a réussi. Une insurrection peut avoir une portée locale (soulèvement d’une catégorie de citoyens, dans une province, région, etc.) ou nationale (cas de la Tunisie, de l’Egypte et du Burkina). L’insurrection peut aussi aboutir à un coup d’Etat, à une guerre civile (cas de la Lybie), tout comme à une révolution (octobre 1917 en Russie).
Pour bien mesurer la portée des insurrections, Pr. Mahamadé Sawadogo a relevé leurs implications, laissant entrevoir les incidences immédiates, proches et celles lointaines.
Les premières s’appliquent, dit-il, au cas du Burkina où dès le 30 octobre, le projet de loi a été retiré, le gouvernement dissout et le 31 octobre, « le Président du Faso a, lui-même, rendu sa démission avec un changement de dirigeants ».
Parmi les conséquences proches, il y a ce qu’on appelle l’affirmation du pouvoir populaire qui s’incarne par une prise de conscience de la rue de sa propre force. C’est une conséquence importante, dit-il, des insurrections et partout dans le monde.
Les insurrections peuvent également avoir des implications plus radicales (lointaines) à travers une modification des institutions elles-mêmes, pouvant même, au stade de la révolution, engendrer une transformation de l’ordre social.

Quelles leçons peut-on universellement, tirer des insurrections ?

Pour Pr. Mahamadé Sawadogo, les conséquences des insurrections ne sont jamais exactement les mêmes en fonction des résultats, des différents acteurs, des différentes formes de mobilisation et varient d’une société à l’autre. Il relève au passage que ce qui s’est passé en Tunisie, n’est pas la même qu’en Egypte ou au Burkina.

Le communicateur fait constater qu’il y a un retour en force des insurrections ces dernières années sur le continent africain ; un signe des temps qu’il faut savoir interpréter. Ce qui traduit une crise du jeu politique institutionnalisé qui se retrouve confronté à des limites, tout simplement parce qu’il a été utilisé pour servir des catégories sociales (quand on montre qu’on peut manipuler la Constitution comme on veut, le code électoral à sa guise, on finit par susciter la méfiance des citoyens qui vont s’interroger). L’insurrection traduit donc la crise du jeu politique institutionnel.

La deuxième grande leçon que le Pr. Sawadogo a énumérée est « la primauté des mass » dans la vie politique. Quand on s’en tient au jeu politique institutionnalisé, on ne voit pas les mass ; chacun va poser son bulletin dans l’urne et il retourne chez lui. « Ce qui est très intéressant après les insurrections, c’est la passion pour la politique qui s’empare des populations ; partout c’est comme cela. Le succès des émissions d’expression directe au Burkina est une conséquence directe de l’insurrection et elle s’observe dans tous les pays », a-t-il illustré. L’insurrection conduit aussi à une multiplication des citoyens actifs qui se sentent directement concernés par la vie politique, qui s’intéressent aux décisions et essaient de les comprendre. « C’est une sorte de folie collective qui s’empare des gens ».

Enfin, la dernière grande leçon est que les mass s’impliquent dans la vie politique pour demander le changement. « C’est comme si avant l’insurrection, rien ne bougeait ; tout le monde se met à croire au changement et demande le changement. Tout le monde découvre donc que la société est une réalité susceptible de changement, elle n’est jamais figée », a expliqué le conférencier.
En somme, Pr. Mahamadé Sawadogo a relevé que les insurrections ne sont rigoureusement pas prévisibles. Néanmoins, il y a des caractéristiques et conditions globales partagées par les pays qui connaissent l’insurrection. Chaque société a des acteurs et au Burkina, il y a des acteurs collectifs qu’on ne trouve pas dans d’autres pays. Chaque société à son histoire et au Burkina, avant les 30 et 31 octobre, il y a eu le 3 janvier 1966 (cela compte dans notre histoire). C’est aussi, scrute-t-il, les mobilisations qui ont suivi l’assassinat du journaliste, Norbert Zongo et ses compagnons. « Nous avons eu de grandes mobilisations populaires ; nous savons organiser des mobilisations populaires. C’est pour cela d’ailleurs qu’on peut conduire à des changements avec le départ des dirigeants sans que, pour le moment, on ne dégénère dans une guerre civile », a situé le conférencier avant d’émettre qu’il y a un contexte international qui favorise les évènements.

Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net



Vos commentaires

  • Le 28 mai 2015 à 23:33, par Hermann arzouma KABORE En réponse à : Journée d’Hommage aux Martyrs : le Pr Mahamadé Sawadogo parle des causes et conséquences des insurrections dans le monde

    Message très claire et a porté de tout le monde ! Le Pr Mahamadi Sawadogo, vous excellez dans la brillance et la clairvoyance. Beaucoup de Professeurs doivent et devrons suivre votre exemple dans leur domaine respectif tout en étant des gens humbles et en voulant mettre leur savoir au profit des masses. Je suis très fier de vous pour ce message claire et limpide. Vous êtes un exemple que je suis prêt à imiter.

  • Le 29 mai 2015 à 12:20, par Big philosophe En réponse à : Journée d’Hommage aux Martyrs : le Pr Mahamadé Sawadogo parle des causes et conséquences des insurrections dans le monde

    Haaa le grand Professeur Mahamadé SAVADOGO. Je vous admire tellement. J’ai eu le plaisir de vous suivre, de vous lire. Vous m’avez inspirer sur bien de plans. Vous êtes un exemple à suivre. Et vous êtes humbles avec tout le monde. Vous avez près d’une dizaine de livres philosophiques à votre actif (c’est pas comme les autres qui se contentent des articles), vous êtes parmi les plus grands philosophes africains et parmi les plus reconnus mondialement. Votre école doctorale en quelques années à produit au moins une quinzaine de docteurs. Vous militez pour qu’à défaut de supprimer les frais de laboratoire de 3ème cycle, qu’on revoit le montant à la baisse. Vous êtes de ceux qui s’impliquent et qui s’engagent dans la vie de la nation à travers le mouvement manifeste pour la liberté et également le journal hakili. Bien de choses à vous professeur.
    En ce qui nous concerne ’sociologue’, comme d’habitude nos grands professeurs de sociologie de l’université sont en train de courir derrière leur gombo au lieu de s’intéresser à la vie de la nation...Vraiment...Aucune conférence, aucune intervention depuis la période préinsurrectionnelle et postinsurrectionnelle. Pardon messieurs les grands sociologues, jouer votre rôle d’enseignants, de chercheurs et laissez un peu les gombos.