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Publication des biens des autorités : la pilule amère de la transparence démocratique

samedi 18 avril 2015.

 

Si la déclaration des biens des personnalités de la Transition n’est pas suivie d’une vérification sur leur exhaustivité par des services compétents indépendants et d’un appel à justification de leurs origines, cette démarche ne sera qu’un artifice démocratique qui viendrait encore conforter une propension au populisme déjà en vogue. .

Après le Contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga qui s’est hâté de déclarer ses biens pour se conformer à la Charte de la Transition, les autres autorités de ce régime transitoire viennent de se plier, devant l’insistance d’une partie de l’opinion, à cette exigence de transparence. Vu le temps mis pour s’exécuter, le Président du Faso, le Premier ministre, les membres et le secrétaire général du gouvernement ne se sont certainement pas donné à cet exercice de gaieté de cœur.

La nature déclarative de cette recommandation de la Charte de la Transition ne doit pas seulement s’afficher comme une posture à adopter pour contenter l’opinion. Elle donne là une sacrée occasion pour jauger la probité des dirigeants actuels. Des « bourgeois » et des « loups » jouent habilement aux « prolétaires » et aux « agneaux ». Dans ce « Burkina Faso, pays où plus de 45% de la population vivent en dessous du seuil de la pauvreté », refrain des préambules des projets et programmes de développement, ce n’est certes pas un sacrilège d’être nanti mais la Transition gagnerait à œuvrer pour que dorénavant des explications plausibles soient trouvées à certaines fortunes, en premier lieu, celles des agents de l’Etat.

Au fur et à mesure que le régime de Blaise Compaoré s’inscrivait dans « l’éternité », certains corps de la Fonction publique ont habilement développé des activités parallèles et toutes sortes de trafics dont les acteurs, devenus subitement et sauvagement riches, narguent actuellement le peuple en épousant une étoffe de comédiens sur une scène de myopes dans une salle de citoyens larmoyants de misère. Il est évident que des autorités actuelles étaient des partenaires sûrs de ceux appelés aujourd’hui « anciens dignitaires du régime déchu » dans le pillage tous azimuts du pays. Elles ont si amassé qu’elles en abusent actuellement pour entretenir leurs réseaux de soutiens cagoulés au sein des OSC et des partis politiques. Si le Burkina Faso veut réussir cette étape de son expérience démocratique, il appartient à sa population de créer la vraie rupture pour rompre définitivement avec les usurpations, les accointances et les compromissions qui ont terni son avenir pendant plus de trois décennies.

La liste des biens des personnalités de la Transition pourrait ouvrir une brèche pour mieux comprendre comment Ouaga-2000 a été grandement construit par des fonctionnaires et des militaires qui se sont mués en de véritables concurrents des opérateurs économiques. Elle pourrait aussi révéler l’existence d’une certaine mafia dont certains principaux acteurs sont aujourd’hui aux commandes d’une Transition arrachée de haute lutte dans la faim, la soif, la sueur et le sang. Etant donné qu’il s’agit d’un virage à ne pas rater, plusieurs soupçons sont susceptibles de trouver par là leurs réponses. Le délit d’apparence ne saurait continuer à être un vain mot. Tous les partisans d’un Burkina Faso débarrassé de ses rapaces de toutes sortes (anciens et nouveaux dignitaires) sont appelés à poursuivre le combat de la moralisation et de la probité. Quels que soient leurs bords et le moment auquel elles ont accédé aux affaires, de nombreuses autorités burkinabè ont emprunté la voie de l’oligarchie. Leurs attitudes de « s’enrichir sans suer par le front » ont entrainé plus d’hommes désintégrés au sein de leurs compatriotes. Il ne faut pas vouloir enterrer un cadavre en laissant ses pieds dehors.

Les biens de certaines personnalités sont compréhensibles, Pour d’autres ils sont difficilement acceptables. Pour d’autres encore, ils sont incompréhensibles, inacceptables. Il va sans dire que ce désarroi va être taxé d’une récrimination d’aigri. Toutefois, à défaut de prouver la source ou l’origine de sa fortune, il va apparaitre que certaines autorités ont toujours été de vrais soutiens de la cause du peuple. Et le tournant actuel n’est que l’aboutissement de leur sincérité pour l’édification d’un Burkina Faso plus juste. Il sera aussi établi que cette étape cruciale a été savamment saisie par des « individus devenus personnalités subites » qui ont craint de perdre subitement leurs avantages à cause de la furie de la population. Ils ont su exploiter la naïveté des uns et des autres pour infiltrer le peuple et accaparer sa destinée à des fins inavouées.

La divulgation de certains biens, comme la maison de 350 millions du Premier ministre, Lieutenant-Colonel Yacouba Isaac Zida, semble déjà donner le tournis. Il faut alors opposer, à cette déclaration, la stratégie du Fisc qui consiste à s’appuyer sur le système déclaratif pour procéder à des enquêtes et à des vérifications plus approfondies. Des tricheries ne sont pas à écarter. Celui ou celle qui a menti, dans la déclaration de ses biens, devrait en assumer les conséquences. Celui ou celle qui se montre incapable de donner l’origine de ses ressources (salaires, dons, consultance, retombées d’entreprises, héritages, deals divers, etc.) se verrait aussi administrer la rigueur de la loi. Il faut s’assurer maintenant que tout a été déclaré et que certains biens ne résultent pas de pratiques illicites.

Comme « Plus rien ne sera comme avant », « déclarer ses biens » ne signifie plus « déposer une enveloppe au contenu inconnu » auprès du Conseil constitutionnel. Il s’agit pour les « braves femmes et hommes » qui prétendent avoir consenti le sacrifice d’aider le pays à un moment crucial de montrer patte blanche. Et toute haute personnalité de cette période de l’histoire politique du pays a dorénavant le devoir de rendre public, voire dévoiler et justifier, tout ce qu’il possède avant d’accéder aux affaires. Cet exercice s’avère aujourd’hui un couteau à double tranchant. Aussi bien les anciens dignitaires que des nouveaux vont passer à la trappe.

Comme dit l’adage, « Quand un cheval doit sauver des flammes, il doit s’assurer, avant tout, que sa queue est bien protégée étant donné que celle-ci fait partie de son corps ». Dans la précipitation, les têtes pensantes de la Transition semblent avoir oublié que lorsqu’on montre du doigt un individu, il y a trois doigts qui se retournent vers ou contre soi-même. L’aboutissement heureux de la Transition commande l’application effective de la Charte, dans toutes ses dimensions, aux anciens, nouveaux et actuels dignitaires.

Filiga Anselme RAMDE
filiga_ramde@yahoo.fr
Pour Lefaso.net



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