« Il faut s’attendre à ce que cette Transition ne soit pas à la hauteur des aspirations que le peuple place en elle », dixit Pr Mahamadé SavadogoLa Transition en cours avec son corolaire de développement spectaculaire de sujets qui suscitent des débats passionnés par endroits, a été au centre d’un entretien que nous avons eu avec le philosophe Mahamadé Savadogo. Enseignant de philosophie morale et politique ainsi que de l’histoire de la philosophie moderne et contemporaine à l’Université de Ouagadougou et dans bien d’autres Universités à travers le monde, Pr Savadogo s’est voulu précis et concis, mais démonstratif, sur beaucoup de sujets se rapportant à la marche de la Transition burkinabè. Avec lui, il a, en effet, été question de l’insurrection populaire d’où est partie la Transition, de la réduction du train de vie de l’Etat, de la lutte contre la corruption, des élections à venir, de la Commission réconciliation nationale et des réformes (CRNR). Il est à signaler que cet entretien a été enregistré le jeudi 12 mars 2015, donc avant la démission d’un des membres de la CRNR, et avant les nouveaux développements relatifs aux candidatures de cadres militaires aux élections à venir. Lisez ! Lefaso.net : Quel souvenir gardez-vous des journées insurrectionnelles des 30 et 31 octobre 2015 ? Mahamadé Savadogo : Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’ampleur de la mobilisation populaire. C’est une mobilisation qui s’est déployée sur tout le territoire national. Souvent, on parle de Ouagadougou, mais on oublie qu’à Bobo-Dioulasso, à Ouahigouya, à Fada N’Gourma, dans le Yagha, les populations sont sorties. Mais le gouvernement aussi, à plusieurs occasions, a indiqué avoir consenti des efforts dans ce sens en évoquant la non-réfection des bureaux ministres à leur prise de fonction, la renonciation aux voyages par avion en classe affaire, les déplacements à l’intérieur du pays dans un même car. Comment appréciez-vous ces efforts affichés comme s’inscrivant dans la dynamique de réduction du train de vie de l’Etat ? Ce sont des mesures qui traduisent une indication de volonté. Mais au bout du compte, l’impact reste faible. Je pense qu’on pourrait communiquer sur d’autres aspects. Par exemple, j’ai parlé des avantages qui sont accordés aux dirigeants au niveau des traitements. Vous avez suivi la contestation qu’il y a eue quand on a découvert les avantages qui étaient accordés aux membres du CNT (Conseil national de la Transition, ndlr). On a aussi assisté à l’accélération de la formalisation du projet de loi relatif à la lutte contre la corruption et à son adoption par le CNT. N’est-ce pas là aussi un acte fort allant dans le sens de la réduction du train de vie de l’Etat ? Disons que cela traduit une volonté de limiter les gaspillages de ressources publiques. Effectivement, l’adoption de cette loi qui a d’ailleurs été réclamée par des organisations de la société civile dont le REN-LAC (Réseau national de lutte anti-corruption, ndlr), est à saluer. Maintenant, une chose est d’adopter une loi, une autre est de l’appliquer ; ce d’autant plus qu’indépendamment même de cette loi, on sait qu’il y a des dossiers qui sont entre les mains de l’ASCE (Autorité supérieure de contrôle d’Etat, ndlr). Comment doit s’amorcer dans la pratique, la nouvelle dynamique de lutte anti-corruptive avec loi portant prévention et répression de la corruption dans notre pays ? Il faut montrer qu’on est disposé à punir les coupables de corruption, les coupables de crimes économiques. C’est par là que la dissuasion va intervenir. Autrement, si la loi proscrit des comportements et qu’il n’y a pas de réactions pour punir ceux qui auront transgressé la loi, il n’y aura pas de résultat. C’est pour cela je parle des dossiers qui sont entre les mains de l’ASCE et qu’il faut commencer à traiter au niveau judiciaire. Il faut demander des comptes à ceux qui sont incriminés. Et ceux dont l’innocence sera établie, on les laisse. Ceux dont la culpabilité sera établie, il faut les obliger à aider à la récupération des ressources qui ont été dilapidées, et prendre des dispositions pour qu’ils ne puissent prétendre à des postes de responsabilité. Cette loi anti-corruption a établi une liste de personnalités assujetties à l’obligation de déclaration d’intérêts et de patrimoine. Est-ce une mesure efficace dans le cadre de la prévention de la corruption ? Il faut dire que c’est une mesure qui existait déjà et qui concernait certaines personnalités. Peut-être que la loi a étendu le nombre de personnalités concernées. L’objectif essentiel c’est de permettre d’établir un écart entre l’état des biens d’une personnalité au moment où elle est appelée à entrer en fonction et à la fin de l’exercice de cette fonction, pour savoir si elle ne s’est pas enrichie de façon illicite. C’est une disposition qu’il faut saluer. Mais encore une fois, il faut veiller à son application. On sait aussi que sur cette question de candidatures indépendantes, les avis sont également divergents sur le point de savoir s’il faut les autoriser aussi bien aux élections législatives qu’aux municipales, ou aux seules élections municipales, ou aux seules législatives, étant donné qu’elles sont déjà autorisées à la présidentielle. Dans quel sens tranchez-vous ? Mon point de vue, c’est qu’il faut les autoriser à tous les niveaux. Maintenant, je constate qu’il y a un consensus qui semble se dégager au niveau de beaucoup d’organisations de la société civile et même des partis politiques, pour les admettre au niveau des élections municipales. Toujours relativement aux élections à venir, la décision a été prise de ne pas faire voter les Burkinabè de l’extérieur. Comment appréciez-vous cette décision ? D’abord, il faut rappeler que l’implication des Burkinabè de l’étranger dans le processus électoral, constitue une étape importante de notre vie politique. Justement, dans cet élan de communication que vous suggérez, une délégation dépêchée à Abidjan a fait l’objet d’incident. Cet incident, était-il prévisible ? Prévisible, je ne sais pas. Mais il faut quand même savoir que c’est seulement en Côte-d’Ivoire que l’incident s’est produit, et que dans d’autres pays, il n’y a pas eu un tel incident. Je crois savoir que là-bas, depuis un certain temps, on a assisté à une effervescence d’activités de la part d’un certain nombre d’organisations qui protestent contre le report du vote de nos compatriotes de l’extérieur. Est-ce que cela doit faire peur dans la conduite de cette dynamique de communication avec tous nos compatriotes de l’étranger ? Faire peur, je ne crois pas, puisqu’apparemment, il y a déjà eu des rencontres dans d’autres pays avant celle d’Abidjan. Et je crois savoir que même après cet incident d’Abidjan, certaines associations ont écrit pour présenter leurs excuses au ministre. Donc, je ne crois pas que l’incident remette en cause la démarche de communication en tant que telle qui consiste à chercher à communiquer sur le report de ce vote. Parlons à présent des réformes dont on entend parler tant. A cet effet, une Commission de réconciliation nationale et des réformes a été mise en place. Comment appréciez-vous la composition de cette Commission ? D’abord, je dois dire que je ne connais pas tous ceux qui ont été proposés pour être membres de cette Commission. Ceux que je connais parmi eux, présentent des compétences intellectuelles pour mener le travail attendu d’eux. Concrètement, comment aurait-on pu organiser cet autre mode de désignation impliquant les citoyens ordinaires ? On aurait pu demander à différentes composantes, par exemple les syndicats, les organisations de défense des droits de l’homme, les partis politiques, de faire des propositions. Vous vous rappelez les conditions de constitution de la Commission qui a eu en charge l’élaboration de la Charte ; sauf que dans ce cas particulier, les syndicats et les organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas été impliqués. En tout cas, mon souci est tout simplement de montrer à la population qu’on est soucieux de son implication dans l’édification des institutions qui dirigent le pays. Avez-vous été contacté pour faire partie des membres de cette Commission ? De cette commission, beaucoup de réformes sont attendues. Quelles sont les réformes qui vous paraissent fondamentales et urgentes à opérer ? Je crois que la Commission est subdivisée en sous-commissions avec différents thèmes. Je ne veux pas rentrer dans les détails. Ceux qui sont là-bas, sont les mieux placés pour réfléchir sur ces questions. Dans la foulée des prétentions de réformes, d’aucuns estiment qu’il est temps d’élaborer une nouvelle Constitution pour aller à une Vè République. Quel est votre avis sur cette question ? J’ai, moi-même déjà dit que j’étais favorable à une constitutionnalisation du droit à l’insurrection. Donc, je pense effectivement qu’il y a des dispositions qu’on peut prendre pour aller dans le sens de ce que j’ai appelé l’exercice du contrôle populaire sur la vie politique d’une manière générale. Dans le sens de la lutte contre l’impunité tant souhaitée, et au regard non seulement du temps déjà consommé par la Transition mais aussi des actions menées par le gouvernement, est-ce que vous avez le sentiment qu’au moins, les dossiers les plus emblématiques de crimes de sang et de crimes économiques connaîtront une évolution intéressante au cours de cette Transition ? Le Conseil des ministres, je pense, s’est saisi il y a une semaine, de certains dossiers et a commencé à en parler. Ce qui est important, c’est d’initier une démarche, montrer que la Justice est prête à se saisir de ces dossiers et qu’aucun dossier n’est tabou ; et que, quelles que les personnalités qui sont censées être impliquées dans ces dossiers, ils seront traités. Revenons aux réformes. Quelles sont, selon vous, les réformes qui s’imposent en ce qui concerne le monde universitaire ? Holà ! Le cas du monde universitaire est un peu particulier. Mais ce que je peux dire, c’est qu’il y a déjà eu différentes occasions au cours desquelles on a parlé de l’Université. Il y a même eu des textes importants. Si je prends le cas de l’Université de Ouagadougou, il y a différents plans, plan de développement institutionnel, plan stratégique, plan décennal, etc. L’élaboration de tous ces plans est passée par la convocation d’instances au cours desquelles les différents acteurs ont eu à discuter. Peut-on présager, au regard de l’environnement actuel, d’un climat apaisé aux temps forts des élections à venir ? Disons qu’il y a des dispositions à prendre pour prévenir les tensions, sinon les conflits. Déjà, vous avez entendu parler de certaines actions que certaines organisations veulent initier, même de certaines initiatives tendant à montrer qu’on veut œuvrer à un retour de l’ancien président. Je pense que telles initiatives ne sont pas de nature à favoriser l’installation de la paix. Il faut aussi prendre des dispositions pour prévenir toutes ces entreprises qui vont au bout du compte, exacerber les tensions entre les citoyens. Il y a aussi des divergences quant à la participation en tant que candidats, de certains cadres de l’armée aux élections à venir. Quel est votre avis sur cette question ? Je ne connais pas les dispositions exactes qui encadrent les candidatures des militaires. Ce que nous savons globalement, c’est qu’ils sont censés prendre une disponibilité à l’égard de l’armée avant de pouvoir être candidat. Pour terminer, appréciez la marche globale de la Transition. J’ai déjà eu à dire que la Transition se trouve dans une situation difficile. Elle est arrivée à la tête du pays à la suite d’une insurrection populaire qui traduit un désir de changement. Et elle se donne un an pour agir. Il faut s’attendre à ce que cette Transition ne soit pas à la hauteur des aspirations que le peuple place en elle. Et on constate que de plus en plus, l’objectif de la Transition est en train de se résumer essentiellement à l’organisation des élections. Entretien réalisé par Fulbert Paré Vos réactions (18) |