Retour au format normal
lefaso.net

La mort du général Tiémoko Marc Garango, emblématique ministre des finances burkinabè (1/2)

dimanche 15 mars 2015.

 

C’est hier, mardi 10 mars 2015, au cimetière municipal de Ouagadougou, qu’a été inhumé le général Tiémoko Marc Garango, mort le vendredi 6 mars. Le tout Burkina Faso version 2015, post-Compaoré, avait fait le déplacement pour saluer une dernière fois celui qui était une des dernières mémoires de la Haute-Volta.

Il y avait là le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, le contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga, le président du Conseil national de transition (CNT), Chériff Sy, le président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), Zéphirin Diabré, le deuxième vice-président du Mouvement pour le progrès du peuple (MPP), Simon Compaoré. Mais aussi les généraux Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré, et Djibrill Y. Bassolé, ancien ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, les deux seules figures « survivantes » des années Compaoré.

Garango était une personnalité incontournable de l’histoire de la Haute-Volta d’abord, du Burkina Faso ensuite. Incontournable même si elle était passablement oubliée, l’Afrique ayant trop souvent la mémoire courte. Il faut rappeler cependant que le jeudi 13 novembre 2014, alors que la situation de crise que connaissait le Burkina Faso n’était pas encore dénouée, le colonel Zida, qui était chef de l’Etat et pas encore premier ministre, avait tenu à rencontrer trois personnalités historiques* parmi lesquelles Tiémoko Marc Garango qui, aux dires de Zida, lui avait « prodigué des conseils et des encouragements […] pour le travail abattu ».

Le Président de la Transition, Président du Faso, Président du Conseil des ministres, Michel Kafando, de son côté, a dès le vendredi 6 mars 2015 adressé ses condoléances à la famille, soulignant à cette occasion, « le riche héritage que ce digne et valeureux fils du Burkina Faso lègue à la postérité pour que notre pays soit toujours une terre de dignité, de paix et de prospérité ».

Le parcours de Garango débute à Gaoua le 27 juillet 1927. Gaoua se trouve dans l’extrême Sud-Ouest, en pays Lobi, non loin de la frontière avec le Ghana et la Côte d’Ivoire. Peu de temps après sa naissance, en 1932, la colonie de la Haute-Volta va être démembrée et Gaoua se retrouvera intégrée dans la colonie de Côte d’Ivoire ; situation qui va perdurer jusqu’en 1947.

La carrière de Garango sera d’abord militaire. Dans ses mémoires, il ne s’étend pas sur cette période de sa vie qui, cependant, va le formater. Enfant de troupe, engagé volontaire dans l’armée française le 30 octobre 1946, il fera deux séjours en Indochine (1951-1953 et 1954-1957) puis un séjour en Algérie (1959-1961). Entre temps, en 1958, il aura suivi les cours de sous-officier de l’Ecole militaire de Saint-Maixent. Au cours de ces guerres coloniales, il décrochera la Médaille militaire et la Croix de guerre. Il accèdera au grade de sous-lieutenant le 1er octobre 1959 puis de lieutenant le 1er octobre 1963. C’est l’année où il intègre l’armée voltaïque. Auparavant, il aura été admis à l’Ecole supérieure de l’intendance de Paris le 18 juillet 1963. En 1965, il est promu capitaine et est nommé intendant-adjoint de l’armée voltaïque le 1er juillet 1965.

Débute alors sa carrière « politique ». Le 3 janvier 1966, Maurice Yaméogo va tomber sous la pression populaire. L’armée va s’emparer du pouvoir sous la férule de Sangoulé Lamizana. Garango est alors en France. Après avoir suivi les cours de l’Ecole supérieure de l’intendance, il avait entamé un stage au Commissariat de l’Air français.

Le Conseil supérieur des forces armées, qui a pris le pouvoir, va s’atteler à former un gouvernement. Ce sera chose faite dès le 7 janvier 1966. Sauf en ce qui concerne les Finances. « Tous les hauts fonctionnaires voltaïques expérimentés dans le domaine des finances publiques, racontera Lamizana dans ses mémoires, sachant que la situation était catastrophique tant au sein de ce ministère clé qu’au Trésor public, refusèrent de s’aventurer dans ce bourbier. Tous ceux qui furent pressentis pour ce poste déclinèrent poliment l’offre ». C’est le chef de bataillon Baba Sy** qui proposera de faire appel à l’intendant militaire Garango. Qui, du même coup, se retrouvera nommé ministre des Finances et du Commerce dans le gouvernement du 8 janvier 1966. Il conservera son portefeuille des Finances jusqu’au 9 février 1976, sans le commerce qui lui est retiré le 11 février 1974 (il sera remplacé aux Finances par l’intendant militaire Mamadou Sanfo qui ne conservera son portefeuille que quelques mois, jusqu’au 23 juillet 1976).

Lamizana sera particulièrement élogieux à l’égard de Garango. « C’est une vraie chance que nous ayons pu trouver un homme de cette trempe au lendemain des événements du 3 janvier. Cet officier d’une valeur exceptionnelle, dès sa prise de fonction, aborda avec maîtrise la situation catastrophique de nos finances publiques ». Rapidement, Garango va dresser l’état des lieux ; ce sera l’objet d’un rapport intitulé : « Redressement financier de la République de Haute-Volta ». Il sera présenté en conseil des ministres le 7 février 1966 (et édité sous forme de livre blanc en 1971). « Seule l’armée, pétrie d’honneur et d’abnégation, portée par son sens élevé du devoir et du sacrifice, pouvait constituer l’unique recours. Elle prit ses responsabilités sans hésiter et s’attaqua à bras-le-corps à une situation jugée désespérée. Elle assuma le devoir de mener à bien cette tâche difficile, mais combien noble et exaltante », s’enthousiasmera Lamizana. Zéphirin Diabré, leader de l’ex-opposition politique***, lui-même ancien ministre des Finances, a dit le jour des obsèques de Garango : « Dans notre histoire moderne, c’est clairement le meilleur ministre des Finances que nous n’ayons jamais eu. Le travail qu’il a fait […] est un travail de grand génie. Toute la réglementation financière que le pays a aujourd’hui provient de lui ».

La recette était simple. Elle a été dévoilée par Lamizana : « Ne pouvant rien espérer de nouveau du côté des recettes, nous nous sommes retournés tout naturellement vers les dépenses pour chercher le moyen d’équilibrer le budget ». Les mesures seront drastiques : réduction systématique des indemnités des fonctionnaires ; limitation du nombre des ambassades voltaïques ; réduction du salaire du chef de l’Etat (ramené de 1,5 million à 400.000 francs CFA) ; réduction du train de vie des ministres ; « contribution patriotique » : cession d’un demi-mois de salaire par les fonctionnaires. Le budget deviendra excédentaire dès 1968 et le restera jusqu’en 1973. Mais pour les Voltaïques, la pilule sera amère. « Pour vivre à Ouagadougou, disait-on alors, il faut être un héros ». Le mal qui va frapper les fonctionnaires voltaïques va dès lors porter un nom : la « garangose ». Ce qui, bien sûr, ne rendra pas populaire Garango, accusé alors de tous les maux. Aujourd’hui, la vision qu’ont les Burkinabè de la « garangose » est plutôt positive : ils l’associent à la bonne gouvernance, à la rigueur de gestion ; au temps de Garango, la « garangose » c’était l’austérité pour les plus démunis, pas nécessairement pour les plus riches ; un ajustement structurel. Eternel dilemme dont la Grèce, le Portugal, l’Espagne… sont aujourd’hui les illustrations au sein de l’Union européenne.

* Les deux autres personnalités rencontrées ce jour-là (cf. LDD Burkina Faso 0455/Vendredi 21 novembre 2014) étaient Me Halidou Ouédraogo, « Monsieur droits de l’homme », et l’ancien médecin-militaire, Jean-Baptiste Ouédraogo, président du Conseil de salut du peuple (CSP), chef d’Etat, du 26 novembre 1982 au 4 août 1983.

** Général de corps d’armée, Grand chancelier du 15 janvier 1980 au 27 septembre 1989 (il donnera sa démission pour protester contre l’exécution de Jean-Baptiste Lingani et de Henri Zongo alors qu’on lui avait assuré que la peine de mort ne leur serait pas appliquée), Baba Sy est le père de Chériff Sy, président du Conseil national de transition (CNT).

*** Zéphirin Diabré a préfacé l’ouvrage de Tiémoko Marc Garango, « Le Devoir de mémoire » publié en 2007.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique



Vos commentaires