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Jean-Baptiste Natama à propos de la transition : « Que chacun donne le meilleur de lui-même en plaçant les intérêts de la Nation au-dessus de ses intérêts égoïstes ! »

mardi 2 décembre 2014.

 

Jean-Baptiste Natama que l’on ne présente plus fait figure de valeur sûre du rayonnement de la diplomatie burkinabè à l’international. Ancien secrétaire permanent du Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP), il est depuis deux ans le directeur de cabinet de la présidente de la Commission de l’Union africaine. Après l’insurrection populaire des 30-31 Octobre, il était cité parmi ceux qui pouvaient jouer un rôle dans la transition du pays. De cette transition ainsi que de ses ambitions pour le Burkina, M. Natama en parle dans cet entretien à nous accorder à l’occasion de sa visite, ce lundi 1er Décembre 2014, au réseau Africain d’Expertise en Biosécurité (ABNE).

Lefaso.net : Dans quel cadre êtes-vous au pays ?
Jean-Baptiste Natama :
J’ai pris quelques jours de congé, pour venir marquer ma solidarité avec mon peuple qui vit un moment particulier de son histoire. Ce peuple que j’aime et que j’ai toujours servi avec dévouement et patriotisme. Mes compatriotes ne m’ont peut-être pas entendu ou vu pendant les temps forts de la crise mais je puis vous assurer que j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt ce qui s’est passé et apporté de manière plutôt assez discrète ma contribution, comme à mon habitude, pour que notre pays retrouve la stabilité et reprenne une vie normale.

Est-ce à dire que vous faites partie de ceux qui agissent selon le principe de l’efficacité dans la discrétion ?

Si vous le voulez. Mais aussi de cohérence. Mon attitude a été dictée d’une part par la volonté de ne pas m’ingérer dans l’accomplissement de la mission officielle conjointe UA, CEDEAO et ONU et d’autre part par le fait que je n’ai jamais été dans la démonstration quant à mes actions et initiatives. Toutefois, souvenez-vous qu’en dépit du devoir de réserve auquel mes fonctions au sein de l’UA m’astreignent, j’ai dénoncé sans ambages la modification de la loi fondamentale dans une interview accordée à vos confrères de Burkina 24 en janvier dernier.

Pensez-vous que vos avis après les événements de 2011 n’ont pas été pris en compte par le Président Compaoré, puisque dans une autre interview à ‘’Notre Afrique’’ vous disiez également en guise de commentaires aux pancartes « Blaise dégage » qu’aucun message n’était à mépriser en politique…

A mon humble avis, je crois qu’il faut toujours avoir le courage d’affirmer ses opinions avec un sens élevé de responsabilité, dans le sens des intérêts de la nation. C’est cette cohérence là que je m’évertue à cultiver dans la vie.

Comment avez-vous vécu ces événements qui ont chamboulé en l’espace de quelques jours la donne politique ?

Vous me conviez à un exercice de schizophrénie ! Puisque là je vais devoir m’exprimer en tant que compatriote burkinabè et non fonctionnaire de l’UA.

Vous êtes en congé et donc non soumis au devoir de réserve…

Soit et j’y viens sans détour ! J’ai vécu cela comme tous les Burkinabè avec appréhension mais aussi avec fierté de voir que notre peuple a fait montre de responsabilité en prenant en main son destin pour imposer sa volonté au cours des événements. Pour une révolution, c’en était une. C’est une leçon, pour tous les Burkinabè, mais aussi pour les Africains et le reste du monde, qui permet de comprendre cette vérité de toujours qui est que lorsque le peuple se met débout, rien ne lui est impossible. En clair, cela devrait nous amener, surtout pour ceux qui l’auraient oublié, à ne jamais perdre de vue le fait que nous sommes chacun de nous, en sa capacité individuelle ou collective, une émanation du peuple à l’écoute duquel nous devons permanemment rester. Et ce peuple qui a voix au chapitre n’est pas un peuple auquel nous devons nous imposer mais nous devons plutôt lui donner plus de possibilité de s’exprimer et de choisir le chemin qui lui sied en fonction de ses légitimes aspirations. A ce propos, permettez-moi de vous rappeler aussi ce que je disais, toujours dans la même interview accordée à Notre Afrik, en 2011 : « Les causes de la crise qui secoue le Burkina sont multiples mais, la principale, à mon avis, réside dans le fait que la gouvernance du pays est marquée par un déficit de dialogue social couplé d’un déficit social. C’est, en effet, l’absence de mécanismes appropriés de dialogue ouvert et inclusif, à la fois, sur les plans vertical et horizontal, qui a progressivement conduit à la rupture de confiance entre les gouvernés et les gouvernants de sorte que le citoyen se sent obligé d’utiliser aujourd’hui des moyens de revendication et d’expression qui constituent une menace à l’ordre public, à la paix et à la stabilité sociales. De même, les gouvernants, à presque tous les niveaux de responsabilités, ont fini par être isolés du peuple dont ils ignorent les dures conditions de vie et n’ont pas vu eux aussi venir la crise. La question du déficit social lié au faible accès des populations aux services sociaux de base, quant à elle, a cultivé chez les citoyens issus des couches sociales les plus défavorisées de la population un sentiment de révolte justifié à leur sens par ce qu’ils considèrent comme une injustice économique et sociale dans le partage du fruit de la croissance accentué par le phénomène de la vie chère. » Pour en revenir aux derniers évènements, je voudrais saisir la présente occasion pour rendre un hommage appuyé à ces nombreux héros anonymes, à cette vaillante jeunesse, à ces courageuses femmes, à ces valeureux paysans et paysannes, à ces ouvriers et travailleurs des villes et des campagnes, à ces agents des forces de défense et de sécurité dont l’engagement et l’action ont été déterminants dans le dénouement de la crise. Je m’incline devant la mémoire des martyrs tombés les armes à la main et à qui la patrie devra être éternellement reconnaissante. Je sais qu’ils et elles sont les véritables artisans et artisanes de cette révolution même si c’est d’autres qui sont actuellement sous les feux des projecteurs à leur place. Mais il en a toujours été ainsi malheureusement du destin des grandes âmes qui donnent beaucoup et reçoivent peu en retour. Je remercie aussi tous les amis et partenaires du Burkina Faso pour leurs soutiens multiformes dans la gestion de la crise et les exhorte à rester à nos côtés au nom du principe de solidarité entre les peuples.

Comment appréciez-vous la suite des événements, la gestion du processus de transition jusqu’à maintenant ?

Il y a un processus qui suit son cours. Ce processus, je l’espère, nous permettra de mesurer le degré de sincérité des différents acteurs. Les uns et les autres se disent représentants des différentes composantes de notre société. J’ose espérer que c’est de façon sincère que les uns et les autres vont apporter leurs contributions à la gestion de cette transition afin de nous permettre d’identifier les meilleures voies par lesquelles nous pouvons passer pour faire avancer notre pays. En tout état de cause, je souhaite que chacun donne le meilleur de lui-même en plaçant les intérêts de la Nation au-dessus de ses intérêts égoïstes. Je le dis parce que nous avons remarqué, dans la mise en place des institutions devant gérer la transition, la manifestation de quelques relents d’intérêts égoïstes et individuels. Tout en me gardant de porter un jugement de valeur sur les différents acteurs, j’insiste sur le fait que, et je pèse mes mots, le danger en pareils cas c’est de privilégier l’intérêt égoïste à l’intérêt national. Et cela ne devrait pas être acceptable. Si le peuple s’est mis debout, c’est justement parce qu’il voulait remettre en cause ce système d’exclusion où l’intérêt national avait été bafoué au profit de l’intérêt individuel ou d’intérêt de groupe ou de clan. Dans tous les cas, notre peuple restera vigilant.

D’aucuns estiment que les militaires n’ont pas véritablement remis le pouvoir aux civils. Qu’en pensez-vous ?

Il me semble évident que les militaires restent au cœur du pouvoir. Et ça, tout le monde le voit, le sent et le sait. Mais, c’est une décision qui a été prise, dit-on, de manière consensuelle entre les acteurs qui s’étaient assis autour de la table des concertations au lendemain de la chute du régime de la 4ème république. En ce qui me concerne, je n’en connais pas les tenants et les aboutissants mais, le plus important, c’est que chacun joue franc jeu dans le processus afin que la transition arrive à son terme dans les meilleures conditions et que le pays puisse reprendre une vie constitutionnelle normale. Pour le reste l’avenir dira et l’histoire jugera.

Il est prévu à la fin du processus des élections libres, transparentes et démocratiques. Peut-on s’attendre à votre candidature à l’élection présidentielle comme le souhaitent vos partisans ?

C’est vrai que l’on cite mon nom depuis environ un an maintenant et je me sens tout aussi prêt et capable mais, j’aviserai le moment venu, dans la mesure où nous ne connaissons même pas encore le calendrier électoral. En attendant, je saisis l’occasion pour exprimer mon immense et profonde gratitude à tous ces nombreux Burkinabè de l’intérieur et de la diaspora pour la confiance qu’ils témoignent à ma modeste personne.

Certains laissaient entendre que vous étiez disposé à jouer un rôle dans cette transition. Finalement, on ne vous a pas vu à l’arrivée. Est-ce à dire que vous n’avez pas été consulté ?

Non. Je n’ai pas été consulté pour jouer un rôle dans la transition, ni dans la constitution du gouvernement, ni dans la mise en place du Conseil National de Transition, ni dans la mise en place des sous-commissions. Ceci étant, je remercie très sincèrement toutes celles et tous ceux qui me portent dans leurs cœurs et qui, ouvertement ou secrètement, ont souhaité me voir apporter mon expérience dans la gestion de la transition. J’ai ressenti cela comme un immense honneur qui m’a été fait par des hommes et des femmes patriotes et sincères et qui pensaient que je pouvais porter leurs aspirations à ce moment crucial et délicat de la vie de la nation. Tout en leur donnant rendez-vous à d’autres occasions, je forme à l’endroit de ceux de mes compatriotes qui ont été appelés à la tâche des vœux de succès dans l’exercice de leurs fonctions.

Etes-vous frustré pour cela ?

Non, je ne me sens aucunement frustré, ni n’éprouve aucun ressenti. J’estime qu’on ne s’impose pas ou on n’impose pas ses services. Si je n’ai pas été consulté, c’est que l’on estime que mes services ne sont pas nécessaires. Ceci dans la mesure où il ne s’agissait pas de se déclarer candidat ou volontaire. Servir son pays ce n’est pas seulement occuper des postes politiques. Souvenez-vous que sous le régime de la 4ème république je n’ai jamais été ministre ou élu politique mais mes compatriotes m’ont vu à l’œuvre, au service de la patrie, accomplir des missions techniques sans état d’âme dans l’intérêt exclusif de la nation. Et c’est ce qui m’a toujours valu l’estime et la reconnaissance de mes compatriotes. Enfin, j’imagine que je fais partie de ces nombreux Burkinabè qui n’ont pas été consultés et je présume que vous aussi vous n’avez pas été consulté (rire).

Entretien réalisé par Grégoire B. BAZIE
Lefaso.net



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