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Michel Kafando sur RFI : le Faso ne peut être « à la merci des véreux »

mercredi 19 novembre 2014.

 

Pour la première fois après sa désignation comme Président de la transition au Burkina, Michel Kafando s’est exprimé sur les ondes d’une radio internationale, en l’occurrence RFI. Qui va-t-il désigner au poste de Premier ministre ? Que va-t-il advenir de Blaise Compaoré ? Que pense-t-il des chefs d’Etat voulant modifier les constitutions de leurs pays pour briguer de nouveaux mandats ? Nous vous retranscrivons in extenso l’entretien.

RFI : Monsieur le Président, bonjour…

Michel Kafando : Bonjour Monsieur Boisbouvier

RFI : Quel a été votre sentiment dimanche soir après votre désignation ?

Michel Kafando : Lorsque j’ai été désigné, moi qui étais à la retraite, j’ai vu que j’aurai encore une occasion de servir mon pays. Voilà le sentiment premier que j’ai eu, en me disant du reste que par rapport à ce que j’ai eu à rendre comme service avant, cette fois-ci c’est une occasion pour moi de me rattraper sur certains sujets où je pense que je n’avais pas été tout à fait conforme.

RFI : Vous rattrapez sur quel sujet, peut-être le sujet du combat contre la corruption et l’impunité, un point sur lequel vous avez insisté pendant votre exposé de dimanche ?

Michel Kafando : Effectivement, je crois que c’est sur ces deux points là essentiellement que notre pays ne peut pas être laissé comme ça entre les mains des individus véreux qui font des détournements et qui ne sont pas punis. Donc effectivement, je travaillerai à relever le défi, lutter contre la corruption, sévir sur le plan des sanctions.

RFI : Dès votre désignation, vous avez dit, j’entrevois l’immensité de la tâche et les écueils qui m’attendent, quels sont les pièges qu’il faut éviter ?

Michel Kafando : Il faut éviter l’écueil qui consiste à stigmatiser ceux qui étaient là, ceux de l’ancien régime parce que si vous le faites, les conséquences peuvent être redoutables. En même temps qu’il faut mettre l’accent sur des sanctions, par exemple le jugement de certaines personnes qui ont exagérément fait dans la prévarication et dans la concussion des deniers publics, il faut travailler aussi à la réconciliation nationale.

RFI : Donc, il ne faudra pas exclure les membres de l’ancien parti au pouvoir, CDP, du futur parlement provisoire ?

Michel Kafando : Non. De toute façon, la charte que nous venons de voter prévoit une représentation de ce que nous appelons l’ancienne majorité. Donc, ils ne sont pas exclus, en dehors évidemment de ceux que la loi ne peut pas épargner, en tout cas qui doivent encourir les sanctions.

RFI : Quelle sera la place de l’armée ? Est-ce que le lieutenant-colonel Zida pourrait devenir votre premier ministre ?

Michel Kafando : Notre armée a joué un rôle essentiel dans la stabilisation que nous connaissons actuellement. Si nous n’avions pas eu de jeunes militaires de leur trempe pour se convaincre du fait que l’armée est une composante de la nation. S’ils n’avaient pas eu cette conscience de se mêler à la population, de comprendre les problèmes de la population et de se dire non, des Burkinabè ne doivent pas tirer sur d’autres Burkinabè ; peut-être qu’aujourd’hui le Burkina serait encore dans les affres d’une guerre civile. Je dis bien une guerre civile parce que toutes les projections laissaient dire que la situation que nous avons connue risquait d’être encore pire que la RCA. Donc, moi je dis que l’armée doit avoir sa place. Alors, ne soyez pas surpris que l’armée puisse véritablement être représentée dans le gouvernement. Déjà, elle est représentée dans le conseil national de la transition. Je pense aussi qu’elle aura sa place dans le futur gouvernement que nous aurons à mettre en place à partir de demain.

RFI : Le lieutenant-colonel Zida serait intéressé par le poste de Premier ministre, est-ce que vous seriez prêt à le lui offrir ?

Michel Kafando : Ecoutez, tout dépend. Ce n’est pas seulement le Président qui nomme – c’est vrai que c’est les prérogatives du Président – mais tout dépend aussi des consultations que nous sommes en train de mener. Personnellement, je ne serais pas contre que le lieutenant-colonel Zida, qui a joué un rôle essentiel dans la stabilisation même du pays, puisse véritablement avoir une ambition de Premier ministre. Je serai particulièrement en clin à dire que si telle est son ambition, pourquoi ne pas prendre en compte.

RFI : Dans ce cas-là, est-ce que vous ne risquez pas de devenir l’otage des militaires ?

Michel Kafando : Non. Parce que les militaires ont suffisamment démontré, par la décision qu’ils ont prise de se retirer dans les casernes, en tout cas de laisser la place aux civils, que s’ils font partie d’un gouvernement, ils pourront aussi accepter de travailler en bonne collaboration, en bonne entente avec les civils. Je ne pense pas que ça puisse vraiment être un problème.

RFI : D’ici combien de temps pensez-vous pouvoir organiser l’élection présidentielle ?

Michel Kafando : Nous nous sommes fait un point d’honneur d’organiser les élections présidentielles dans les délais impartis. Ça veut dire qu’à partir d’aujourd’hui, de la date d’investiture du nouveau Président de la transition, nous avons en principe 12 mois francs pour organiser les élections.

RFI : Depuis votre désignation, vous avez reçu beaucoup de félicitations. Avez-vous eu plusieurs chefs d’Etat au téléphone ?

Michel Kafando : Oui, hier soir simplement j’ai reçu un coup de fil du Président du Mali que je connais bien. J’ai aussi des appels me disant que le Président du Sénégal cherche à me contacter.

RFI : Est-ce qu’à votre avis, Blaise Compaoré peut rester en Côte d’Ivoire ou pas ?

Michel Kafando : Vous savez que ça c’est une question qui concerne les Ivoiriens. Le Président Blaise Compaoré a quand même beaucoup d’affinités avec le Président Ouattara. Donc, ça c’est des problèmes qui concernent le Président Blaise Compaoré et les autorités ivoiriennes.

RFI : Quand vous dites que certains Burkinabè devront passer en jugement, pensez-vous notamment à l’ancien Président Blaise Compaoré ?

Michel Kafando : Non, n’allons pas vite en besogne. Je vois surtout des affaires pendantes. Nous avons des contentieux qui trainent depuis près de trois ans. Personnellement, je ne comprends pas que si quelqu’un est convaincu de prévarication, si quelqu’un est pratiquement sous le coup d’un flagrant délit que son dossier puisse durer deux ans, trois ans. Non. Mais pour ce qui concerne le Président Blaise Compaoré, n’allons pas vite en besogne. Parce que nous n’avons que 12 mois et en 12 mois, on ne peut pas tout régler.

RFI : Le fait que la France ait aidé Blaise Compaoré à s’enfuir a été interprété par certains comme une ingérence de l’ancienne puissance coloniale dans vos affaires intérieures, qu’est-ce que vous en pensez ?

Michel Kafando : Bon ! Peut-être que la France aussi a pu agir pour des raisons humanitaires. Tout compte fait, ç’a été une bonne chose que le Président Blaise Compaoré ait démissionné très tôt parce que s’il était resté, certainement que nous allions avoir des conséquences incalculables. Donc, je me dis que si le Président est parti plus tôt en démissionnant, peut-être que ç’a sauvé aussi la situation.

RFI : Que répondez-vous à certains qui vous reprochent d’être trop proche de l’ancien régime ?

Michel Kafando : Je leur demanderai d’apporter les preuves. Lorsque j’ai été contacté par ceux que vous appelez l’ancien régime pour aller à New York défendre des dossiers notamment le Libéria et la Sierra Léone, j’ai bien donné comme condition que je ne veux pas qu’il y ait une connotation politique à l’acceptation de ma charge. Donc, je ne vois pas en quoi, j’ai collaboré avec l’ancien régime. Je n’ai jamais fait partie du CDP. Je n’ai jamais appartenu à un parti politique.

RFI : Et qu’est-ce que vous pensez des Présidents africains qui souhaitent modifier les constitutions de leurs pays pour briguer un troisième mandat ?

Michel Kafando : C’est des attitudes pour moi qui ne s’expliquent pas. Lorsqu’on a donné son engagement, il faut respecter les choses jusqu’au bout. En tout cas, pour moi, je pense que ce n’est pas bon de tripatouiller les constitutions.

RFI : Et, pensez-vous comme Ablassé Ouédraogo qu’il faudrait introduire les deux mandats maximum dans la charte de l’Union africaine ?

Michel Kafando : Moi, je suis d’accord avec Ablassé Ouédraogo. Je crois qu’il faut désormais que dans la charte de l’Union africaine, qu’il y ait une charge supranationale qu’on puisse inscrire dans la charte qu’aucun Président ne devait aller au-delà de deux mandats.

RFI : Monsieur le Président, merci.

Entretien réalisée par Christophe Boisbouvier (RFI)
Retranscription : Moussa Diallo (Lefaso.net)



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