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Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

dimanche 15 juin 2014.

 

A Ouagadougou, le samedi 24 mai 2014, entre 18 h 30 et 19 h, le juge Salifou Nébié, membre du Conseil constitutionnel burkinabè, prend seul le volant de sa voiture, un 4 x 4. Le policier qui lui est affecté pour assurer sa sécurité lors de ses déplacements – à l’instar de tous les membres du Conseil constitutionnel – n’est pas là. Sans doute parce que nous sommes samedi, que Salifou Nébié a passé l’après-midi avec son ami Germain Nama, directeur de publication de L’Evénement, participant à un anniversaire juste en face du domicile de celui-ci, et qu’il n’a pas l’intention de sortir de la capitale : il ne conduisait pas la nuit et confiait le volant à une tierce personne quand il devait sortir de Ouaga.

A 20 h, la gendarmerie de Saponé, à une trentaine de kilomètres au Sud de Ouagadougou, est informée que son corps a été retrouvé sur la chaussée. Le juge Salifou Nébié a été assassiné ; plus encore massacré (cf. LDD Burkina Faso 0419/Mardi 3 juin 2014). Germain Nama, qui raconte rapidement à L’Observateur Paalga (mercredi 28 mai 2014) ce qu’ont été les dernières heures de Salifou Nébié, ne fait état d’aucune préoccupation particulière de son ami, d’aucune confidence, d’aucun rendez-vous inhabituel, d’aucune pression politique ou autre. Salifou Nébié n’était pas un naïf ; il avait vécu les temps troubles de la « Révolution » ; il connaissait mieux que quiconque l’atmosphère politique spécifique burkinabè ; il savait quels sont actuellement les enjeux, à dix-huit mois d’une présidentielle dont on dit, en ville, qu’elle sera celle de tous les dangers.

Pour Nama, il s’agit d’un « kidnapping » suivi d’une « liquidation ». Sans que, jusqu’à présent, ni l’un ni l’autre ne s’expliquent. Sur ce dossier, c’est la magistrature qui, pour l’instant, monte au front. L’assassinat d’un juge – comme celle d’un homme politique ou d’un journaliste – est toujours un événement tout autant dramatique que symbolique. Au Burkina Faso comme ailleurs. Pour Moussa Stéphane Sory, secrétaire général du Syndicat autonome des magistrats du Burkina (Samab), qui a été le premier magistrat sur les lieux, dit qu’il s’agit « d’un crime bien planifié, bien prémédité et bien exécuté ». Il ajoute : « Il n’y a aucun doute ». Le doute porte sur le pourquoi de ce drame. Et on n’échappe pas, bien évidemment, à la grande interrogation : un crime politique ? Sans exclure, pour autant, en cette matière, la provocation (n’oublions pas que le président du Faso est aussi président du Conseil supérieur de la magistrature).

Sory, qui avait un contact fréquent avec Nébié (membre du Samab), dit qu’ils échangeaient peu sur les questions politiques mais bien plus sur les questions juridiques. Il ne savait pas, d’ailleurs, que Nébié avait été nommé au Conseil constitutionnel par Blaise Compaoré. « J’ai ouï dire après sa mort qu’il aurait été nommé par le président de l’Assemblée nationale » déclare-t-il à Jean-Stéphane Ouédraogo et Mireille Bayala (L’Observateur Paalga du mercredi 4 juin 2014), le président de l’Assemblée nationale étant alors Roch Marc Christian Kaboré. Avec lequel Nébié entretenait de « bonnes relations ».

Mais ces « bonnes relations », il les avait aussi avec des membres du gouvernement. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays où les « élites » de sa génération (celle de la « Révolution ») se tiennent dans un mouchoir de poche et ont vécu ensemble des moments particulièrement fondateurs ? Il y a près de 500 magistrats au Burkina Faso et seulement dix juges constitutionnels, c’est dire que si un assassinat pouvait être symbolique, c’est bien celui-là, au-delà même de la personnalité de Salifou Nébié.

On ne peut nier que c’est Salifou Nébié qui était visé. Mais en massacrant un juge, un des dix membres du Conseil constitutionnel, c’est aussi la République du Faso qui prend des coups. On serait tenté de dire « une fois encore » après les dramatiques événements de 2011 qui ont mis en ébullition (jusqu’à l’explosion) l’armée de cette même République.

Certes, la force du Faso, c’est que ce pays règle toujours en interne ses crises mais il serait bon, aussi, d’éviter d’en créer. On me rétorquera que le « Pays des hommes intègres » a parfois tendance à… désintégrer ses hommes ; l’opposition aime à stigmatiser une violence politique qui serait la marque de fabrique du régime en place depuis la « Révolution ». C’est vrai qu’on « flingue » pas mal dans ce pays dont Hermann Yaméogo ne manque pas de rappeler qu’il a toujours été dirigé par des militaires depuis que son père a été viré du pouvoir par la rue. On flingue pas mal, mais on évite (ce qui ne justifie rien et surtout pas le massacre de Salifou Nébié) les drames qui ont été ceux du Togo, de la Côte d’Ivoire, des deux Guinées d’Afrique de l’Ouest, du Mali, etc.

Qui se souvient que la création du Conseil constitutionnel résulte d’une autre mort brutale : celle du journaliste Norbert Zongo, carbonisé le dimanche 13 décembre 1998 dans son 4 x 4 sur la… route de Léo, non loin de Sapouy, cette même route empruntée par Salifou Nébié en ce soir tragique du samedi 24 mai 2014.

La crise politique subséquente conduisit le Collège des sages et le Forum national sur la justice à proposer l’éclatement de la Cour suprême. Ce sera fait en avril 2000 avec la création du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes, de la Cour de cassation et, enfin, du Conseil constitutionnel. Ses premiers membres en seront nommés le 9 décembre 2002, soit quatre ans après « l’affaire Norbert Zongo ».

« Gardien de la Constitution », le Conseil constitutionnel prend des décisions sans recours. « Ce n’est pas un organe politique et il ne doit pas participer aux batailles politiques ou se laisser entraîner dans ces batailles », rappellent les constitutionnalistes. Or, on peut penser que c’est justement ce que tentent de faire, consciemment ou inconsciemment, les protagonistes de l’assassinat du juge Salifou Nébié : terroriser cette institution qui se trouve au cœur de l’actuel débat politique mais n’a d’autre mission que de « dire le droit ». Alors qu’aucune compétence n’est formellement requise pour être nommé au Conseil constitutionnel, les magistrats y sont largement majoritaires.

Rappelons que le Conseil constitutionnel compte neuf membres élus pour neuf ans et renouvelables par tiers tous les trois ans + un président. Si le président, quatrième personnage de l’Etat, est purement et simplement désigné par le président du Faso, les membres le sont par le président du Faso (3) et le président de l’Assemblée nationale (3) ; viennent s’y ajouter 3 magistrats désignés par le président du Faso sur proposition du ministre de la Justice. Le président du Conseil constitutionnel, quant à lui, est désigné par le président du Faso sans qu’aucune limite ne soit fixée à son mandat. C’est, depuis le 4 septembre 2007, Dé Albert Millogo, magistrat de carrière, ancien ministre du Travail, de la Sécurité sociale et de la Fonction publique (octobre 1987-septembre 1988), ancien ministre de la Défense (juin 1997-novembre 2000). Les trois derniers membres nommés ont prêté serment le vendredi 23 décembre 2011. Il s’agit de Sibila Franck Kaboré, de Michel Karama et de Georges Sanou. Ce qui signifie que le prochain renouvellement devrait être opéré d’ici la fin de l’année 2014 !

La réforme du Conseil constitutionnel a été envisagée récemment. A l’instar du Conseil constitutionnel français, il était envisagé d’y accueillir les anciens présidents du Faso et de faire élire le président par ses pairs. Il était question également que le président du Sénat (dont l’existence est inscrite dans la Constitution) puisse y désigner ses représentants au même titre que le président de l’Assemblée nationale. Mais alors que le Burkina Faso est, d’ores et déjà, entré en campagne, le temps n’est plus aux réformes.

Le samedi 24 mai 2014 sera, désormais, un samedi noir pour la démocratie burkinabè ; reste à espérer qu’il ne soit pas, également, un samedi noir pour sa justice. Ce jour-là, au « Pays des hommes intègres », un juge a été assassiné ; cet assassinat sans mobile apparent doit être rapidement élucidé. Par la police et la justice burkinabè. Il y a urgence.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique



Vos commentaires

  • Le 15 juin 2014 à 10:51, par Moud En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    "République du Faso" est un pléonasme. Les deux mots signifient la même chose. Ensuite, toujours à vouloir croire que le BF est plus "malin" que le Togo, la CI, le Mali..., voilà pourquoi il arrive à éviter les dénouements tragiques de ses crises est une erreur grossière. Moi je dis simplement (en priant toutes fois pour le contraire) que c’est "le moment qui n’est pas arrivé." Mais dans tout ça, la nette impression que j’aie, c’est que tout ça va mal finir mes chers concitoyennes et concitoyens !

  • Le 15 juin 2014 à 11:18, par Kamélé En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    Nos descendants retiendront qu’il était une fois, en 2014, un peuple (celui du Burkina Faso) a assassiné son juge (juge constitutionnel Nebié). Ce juge, né le 12 janvier 1956 a été assassiné le 24 mai 2014. Il avait passé tout son temps à se battre pour son peuple. A sa mort, son peuple a préféré l’enterrer dans le bruit et est retourné boire sa bière fraiche et faire confiance à sa justice qui depuis 1987 n’avait plus été juste. Ce peuple a préféré vivre dans « la paix » que de se battre pour une véritable justice pour tous. Tout en sachant que leurs ancêtres ont été de véritables combattants, ce peuple a préféré reporter le combat pour la justice en se disant que leurs descendants seraient des combattants. Et ça serait à ces derniers de se battre pour avoir le type de dirigeants qu’ils veulent. Ainsi, ce peuple a assassiné son juge. Ce peuple a préféré une injustice reposant sur la paix que de se battre contre l’injustice pour une paix de qualité.

    • Le 16 juin 2014 à 09:39, par La Cour En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

      Soit !!!
      Mais toi, qu’est-que tu nous propose concrètement ? Il ne suffit pas de s’asseoir dans son bureau, derrière son clavier, traiter le peuple de tous les noms d’oiseau et hope, le changement s’opère . Thomas SANKARA avait dit : << on ne décrète pas le changement...! >>. Vous qui savez ce qu’il faut faire et comment il faut faire pour obtenir le changement, sachez que l’histoire retiendra de vous que n’avez rien fait de concrèt quand vous pouviez le faire. Le peuple n’attend que vos initiatives et actions concrètes pour se manifester et démontrer son raz le bol !!

      • Le 16 juin 2014 à 19:53, par Kamélé En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

        Si tu connais mes écrits sur ce site, tu dois savoir ce que j’ai proposé depuis l’assassinat du juge. on n’avait pa sbesoin d’attendre le rapport de ce médecin français. on devait reclamer une commission d’enquête indépendante. j’ai suggéré cela à qui de droits (mais pas sur ce site) et j’ai reçu comme réponse : attendons le rapport. ceux qui nous tournent en rond au sujet d’une enquête transparente n’ont pas tord de tourner en rond. c’est nous qui avons tord de leur faire confiance. J’ai proposé des actions concrètes on a reprocher d’être pressé et de patienter. Le rapport d’enquête est tombé maintenant, j’ai patienté, je n’ai plus de proposition nouvelles à faire. j’attends qu’on me propose sinon je serai qualifié encore d’être pressé.

  • Le 15 juin 2014 à 16:09, par Pat Le Démocrate En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    Si la justice humaine a failli la justice divine ne faillira pas.

    • Le 17 juin 2014 à 17:26 En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

      C’est ce qu’on avait dit pour Norbert aussi mais les morts suspectes se poursuivent ; peut être qu’il y a un quota à atteindre pour déclencher le processus divin. Attendons alors ce nombre ; la peur pour moi est qu’on finisse la race humaine de mon pays dans cette attente. Vivons bien en attendant, surtout nous qui aimons nos femmes et nos enfants, vivons.

  • Le 15 juin 2014 à 16:11, par Pat Le Démocrate En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    Si la justice humaine a failli la justice divine ne faillira pas.

  • Le 15 juin 2014 à 16:21, par Yako En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    Vraiment le BF est un pays special meme trop special ou les institutions dites republicaines existent mais que personne ne fait confiance a commencer x l,elite.Exemple la cour constitutionnelle qui est au-dessus de tout soupcon et qui est le dernier recours face a la crise de la democratie elettive du 21siecle naissant.Or,au Burkina nos braves politiciens ouagalais font tout pour la discrediter
    aux jeux des citoyens en fonction de ses propres interets et selon les circonstances du moment ce qui ne contribue guere au renforcement de nos institutions bref.Si nous voulons batir notre democratie sur des basses solides alors ,chacun doit faire un effort de respect vis a vis de ces institutions surtout les institutions judiciaires, socle d,etat de droit.

  • Le 17 juin 2014 à 00:05, par Ka En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    Depuis le président Maurice Yaméogo à nos jours, tous les changements au Burkina ce sont faits dans le sang et dans les rues.
    A présent avec un président et son frère qui tiennent tout un peuple en otage pour accaparer toute la richesse d’une nation, et s’éterniser au pouvoir, la seule solution est encore la rue comme se fut le mois décembre 1998 avec l’assassinat de Zongo Norbert, la société civile les étudiants, les élèves, l’opposition, les syndicats, tous étaient dans la rue pour mettre le feu aux fesses du président Blaise Compaoré qui a trembler et sauver par le conseil des sages à cause d’une parole donné qu’il oubli de respecter en 2014.

    • Le 17 juin 2014 à 06:54, par mytibketa En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

      Et bien on nous dit que salifou a été tamponné par un engin renversant non identifié(ERNI), foi d’un expert blanc qui a tous les outils pour disséquer et lire dans la bile d’un décédé. Impérialisme quand tu nous tiens. Vous voyez on ne dira pas assez qu’il ne faut pas prendre le burkinabe le vrai pour un niais. De tout façon on attend ce que la justice aux ordres dira. Moralisons un peu le climat politique et vous verrez que tout ira. Respectons notre parole donnée et vous verrez que les choses évolueront dans le bon sens .Que ceux qui parlent la bouche pleine sachent qu’il y en a qui cherche leur ration quotidienne et qui ne viendra que par une répartition équitable des richesses de ce pays sinon hééii.

  • Le 17 juin 2014 à 08:54 En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

    Tous mes arguments ne tiennent plus depuis que j’ai lu que dans le rapport d’autopsie il ressort qu’on a retrouvé des traces d’alcool sur la dépouille lors de l’opération. Quand l’alcool rentre dans le circuit on ne peut plus rien dire ; on ne cessera de dire, on ne peut rien construire de bon tant qu’on est pas lucide. En ces périodes troubles de notre histoire chacun doit éviter de traîner des casserolles. Tout ce qui peut être dit sur quelqu’un en état d’ébriété peut être vrai ; évitons alors de donner raison à ceux qui nous cherchent en étant nous mêmes conséquents et rigoureux dans ce que nous faisons.

    • Le 17 juin 2014 à 11:33, par YIRMOAGA En réponse à : Assassinat sans mobile apparent d’un citoyen au-dessus de tout soupçon (3/3)

      L’histoire ratrapera tout un chacun ? Qu’on collabore ou qu’on opte pour la lutte pour une cause juste, chacun aura le résultat de sa traitrise ou de sa fidélité à la lutte ? Après la mort du defunt PF, il ya eu des missions d’information à travers le Monde ? Qui faisait parti de ces missions ? Quels sont ceux qui ont sugéré juridiquement de porter sur le certificat de décès "MORT NATURELLE" ? Qui a bénéficié d’une promotion après cette triste aventure ? Quand on collabore, il faut aller jusqu’au bout.Ceux qui collaborent aujourd’hui tiendrons en compte de cette situation.Un choix clair, et on a le fruit de sa position soit qu’on est traitre ou fidèle à une cause. Loin de là l’idée d’ incriminer qui que ce soit, mais en simple observateur de la flore politaique. Observez et remarquez tout un chacun, mais sachez qui est martir ? Paix à l’âme du defunt et que dieu le venge de ses bouraux, puisq’une vie a été ôtée avant terme.