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Affaire Salifou Nébié, sécurité des magistrats, Statut de la magistrature : Antoine Kaboré parle de ses projets à la tête du syndicat autonome des magistrats du Burkina

mardi 10 juin 2014.

 

Le Syndicat autonome des magistrats du Burkina a tenu le vendredi dernier à Ouagadougou son congrès ordinaire. L’indépendance de la magistrature était au centre des débats. Les participants ont également procédé au renouvellement du bureau exécutif et se sont aussi penchés sur l’affaire Salifou Nébié, membre du Conseil constitutionnel retrouvé mort sur la route de Saponé. Dans cette interview, Antoine Kaboré, procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Koudougou et nouveau secrétaire général du SAMAB fait la synthèse de leurs travaux.

Lefaso.net : le SAMAB a tenu son congrès ordinaire dans un contexte politique national tendu. Quelles sont les conclusions de cette rencontre ?

Antoine Kaboré : le SAMAB conformément à ses textes tient ses congrès chaque deux ans. C’est dans ce sens que le bureau exécutif a organisé un congrès qui s’est tenu sous le thème : « le respect des décisions de Justice et indépendance de la magistrature ».

Concernant le thème, nous avons tous constaté que depuis un certain temps il y a des difficultés à exécuter les décisions de justice. Nous avons détecté les causes probables et avons arrêté qu’il faut travailler à ce que les décisions de Justice soient exécutées. Dans ce sens, nous avons invité tous les acteurs : magistrats, greffiers, GSP (Garde de sécurité pénitentiaire) et organisations de la société civile à œuvrer pour cela. A l’issu de ce congrès, on va transmettre des recommandations très fortes à tous les acteurs afin que les décisions de Justice soient exécutées.

En plus de ce panel, nous avons procédé au renouvellement du bureau exécutif pour permettre au syndicat d’avancer. Après un bilan très satisfaisant présenté par le camarade Stéphane Sory, à qui je rends un hommage très appuyé, les camarades ont porté leur choix sur ma modeste personne pour conduire le nouveau comité exécutif durant les deux années à venir.

Vous l’avez dit, vous avez détecté les causes probables de la non-exécution des décisions de Justice. Quelles en sont les principales ?

A l’analyse du thème, nous nous rendus compte qu’il y a plusieurs raisons. Certaines sont liées, comme les acteurs l’ont relevé, à l’incompréhension des décisions de Justice. D’autres sont relatives à l’agencement de notre système juridique qui ne permet pas au justiciable de comprendre parfois ce que c’est que la règle de droit. Il y a aussi des causes internes. Car pour nous, la décision de Justice se doit d’être respectée parce qu’elle est assise sur le droit. Pour certains acteurs, il y a des décisions qui donnent lieu à polémiques. Nous reconnaissons effectivement que la polémique peut exister mais étant donné qu’il y a des voies de recours contre les décisions et qu’il y a des procédés pour pouvoir remettre en cause les décisions de Justice, on doit les suivre. Mais si la décision est rendue définitivement, elle se doit d’être respectée. Parce que le fait de ne pas respecter la décision de Justice c’est remettre en cause le pouvoir judiciaire. Nous avons donc invité tous les acteurs et surtout le pouvoir exécutif qui est garant de l’exécution des décisions de justice à jouer son rôle.

Est-ce que le choix du thème a été motivé par l’affaire Sona-Or ?

C’est peut-être un cas. Mais il y a eu d’autres qui impliquent les pouvoirs publics, les institutions du pouvoir exécutif et qui sont aussi des faits de justiciables. On se rappelle de la sortie des militaires en 2011 contre l’exécution d’une décision de Justice, le cas Youmoré à Ouahigouya, récemment les orpailleurs l’ont fait à Kaya. Il y a moins de 10 jours, c’était à Banfora que les populations sont sorties pour s’opposer à une décision de justice. C’est un phénomène qui tend à se généraliser et si nous ne trouvons pas des solutions dès maintenant, on court de grands risques. Le droit est le garant de la démocratie. C’est pour cela que nous avons choisi ce thème et il est important qu’on réfléchisse à des solutions. Les conséquences de ce phénomène sont les vindictes populaires qui sont relevées çà et là par la presse. Et les faits interpellent sur la nécessité de trouver des solutions.

Vous venez d’être porté à la tête du SAMAB. Quels seront vos combats ?

Le premier grand combat que les camarades ont confié au bureau est de faire aboutir les textes fondamentaux de la magistrature. Il s’agit notamment du Statut de la magistrature qui est en relecture, de la loi organique sur le conseil supérieur de la magistrature. Ces textes ont été adoptés plus d’une dizaine d’années. Nous disons que ces textes doivent être adoptés au plus tôt. Le CSM a donné son avis depuis le 15 avril 2013 et nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement n’est pas encore saisi. Il va falloir qu’ici et maintenant ces textes soient relus et transmis au parlement pour leur adoption.

Le deuxième est notre plateforme revendicative qui tourne au tour des conditions de travail, des conditions matérielles de vie des magistrats et la condition actuelle de sécurité des magistrats. En 2011, le gouvernement avait promis de prendre des mesures pour la sécurité des magistrats en érigeant des clôtures parce que plein de palais n’en disposent pas, en mettant en place la sécurité au sein des palais ce qui n’existe pas partout et en permettant aux magistrats de pouvoir assurer leur sécurité sur leur lieu de travail et à domicile. Cela n’est pas une réalité. Nous notons que ces promesses qui avaient été faites en temps de crise s’apparentent celles dites simplement pour ceux qui veulent y croire. Je pense que le gouvernement doit revoir sérieusement ces promesses et les appliquer. Il y a des agressions contre des magistrats. Nous avons enregistré le 24 mai dernier mort d’homme. On l’avait dénoncé cette situation d’insécurité des magistrats depuis longtemps. Le SAMAB n’acceptera plus qu’un magistrat soit tué. Nous disons clairement qu’il appartient au gouvernement de prendre ses responsabilités pour régler ce problème.

Le congrès s’est tenu au lendemain de l’assassinat du juge Salifou Nébié. Que dit le congrès sur cette affaire ?

Je voudrais d’abord m’incliner devant la mémoire de cet illustre militant qui nous a toujours soutenus. Il est très connu dans le corps comme un travailleur acharné, quelqu’un de très simple que tout le monde fréquentait quel que soit le bord. Sa mort ne peut pas rester impunie. C’est pourquoi le SAMAB, dès le départ, a exigé toute la lumière.

Je tenais à apporter ma solidarité, celle du SAMAB et de l’ensemble des magistrats à toute sa famille. Je leur dis que nous sommes sur le terrain du combat pour que cette affaire soit élucidée.

Je tiens aussi à remercier tous ceux qui nous soutiennent pour réclamer justice et lumière pour notre camarade. Nous avons promis que nous ferons tout afin que ces assassins soient découverts et jugés. Dès, demain (NDLR, lundi 9 juin), nous avons la levée du corps du camarade Nébié. Pour cela, nous avons demandé, en tant que SAMAB, à tous les magistrats du Burkina de venir à Ouagadougou en toge afin que nous accompagnons le camarade à sa dernière demeure. Nous appelons tous les acteurs de la justice à sortir massivement. Car le message de ses assassins s’adresse à tous les magistrats et à tous ceux qui travaillent au sein de la Justice. Nous nous devons de dire à ceux qui ont perpétré ce crime que les choses ne pourront plus se passer ainsi. Nous les appelons aussi à observer toute la journée un deuil à sa mémoire.

L’autopsie a été réalisée par un médecin français. Ets-ce que le SAMAB est de plus en plus rassuré quant à l’avancée du dossier ?

Nous avons eu une position très claire dès le départ parce que les conditions de l’enquête étaient critiquables. Nous avons demandé un certain nombre d’actes. L’autopsie a été réalisée. C’est une étape dans l’enquête. Mais il reste d’autres points pour lesquels nous pensons que les enquêteurs doivent agir le plus rapidement possible pour éviter que les traces ne disparaissent et permettre pour qu’on puisse établir une vérité judiciaire autour de cette affaire. L’autopsie n’est pas le seul élément qui va permettre de savoir qui l’a tué. On saura peut-être les coups qu’il a reçus et leurs impacts sur son corps. Mais elle ne nous dira pas qui a tué le camarade Nébié. L’autopsie a été réalisée mais le travail est encore long afin de savoir qui a tué le camarade Nébié. Et nous veillerons au grain pour que ce travail soit fait afin qu’on sache qui l’a tué et pour quelle raison.

On sait désormais que le juge Salifou Nébié a été assassiné mais ce que l’on ignore ce sont les raisons. Pensez-vous, comme beaucoup d’autres personnes, que ce sont des raisons politiques qui ont guidé cet assassinat ?

Il y a toujours plusieurs pistes dans une enquête. Nous disons qu’il a été atrocement tué et que c’est un assassinat. Nous nous sommes rendus sur les lieux. Mais les mobiles peuvent être divers. C’est la raison pour laquelle nous demandons la lumière. Son assassinat peut être lié à ses fonctions de magistrat ou à son poste au Conseil constitutionnel ou même à ses rapports avec d’autres personnes. On nous dit qu’il avait des amitiés politiques. C’est possible. Mais pour un crime comme celui-là, perpétré sur une personnalité comme Salifou Nébié, pour éviter les supputations, il faut que les gens avancent vite pour nous donner le mobile. Ceci étant, les mobiles peuvent se retrouver dans toutes les sphères y compris celle politique.

Le silence du gouvernement et du Conseil constitutionnel après la mort du Juge Nébié. Est-ce suspect selon vous ?

Au regard du parcours du camarade Nébié, des services qu’il a rendus au Burkina Faso, les institutions comme le gouvernement et le Conseil constitutionnel ne pouvaient pas avoir un silence aussi plat et les arguments avancés ne nous convainquent nulle mesure. Car le fait de communiquer ne signifie pas qu’on est en train d’entraver l’évolution de l’enquête. Lorsque le procureur parle, c’est au nom de l’institution judiciaire. Ce n’est pas au nom du gouvernement. Dire que la sortie du procureur suffisait est un argument fallacieux, léger que nous n’allons pas accepter. Le gouvernement ne peut pas se taire sur cette question. Nous n’avons même pas un communiqué en Conseil des ministres sur la mort du camarade Salifou Nébié.

Pour le Conseil constitutionnel, nous pensons que c’était à cette institution de se mettre au-devant de la lutte pour que les choses soient élucidées. A supposer que c’est pour la fonction qu’il occupait là-bas qu’il a été tué, aucun membre du Conseil ne sera en sécurité. cette réaction est en deçà de ce que les magistrats attendaient. Et le Congrès l’a dit, nous sommes déçus de cette manière de faire du gouvernement et du Conseil constitutionnel.

Le Juge Salifou Nébié était militant du SAMAB. Vous parlait-il souvent de menaces contre sa personne ?

Le camarade Nébié discutait avec les magistrats et surtout avec les militants du SAMAB. J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui à plusieurs reprises. Je dois avouer que nos débats étaient autour de questions syndicales. Car il était membre-fondateur du SAMAB. Il nous prodiguait beaucoup de conseils de par l’expérience qu’il a eue dans la vie. Il n’abordait pas des questions politiques avec nous encore moins de ce qui est arrivé. S’il nous en avait parlé, nous nous serions rapidement mis à la disposition des enquêteurs pour faire avancer les choses.

D’aucuns pensent que tout comme les affaires Thomas Sankara, Norbert Zongo, celle désormais au nom du Juge Nébié Salifou restera sans suite…

En tant que Secrétaire général du SAMAB, je ne pense même pas à cette éventualité. Pour moi, ceux qui sont chargé du dossier doivent trouver les causes de la mort du camarade Nébié. Voilà le point que nous nous sommes fixé. Le reste ne nous intéresse pas. Nous redisons aux autorités que ce dossier doit connaitre une issue permettant de connaitre les mobiles de l’assassinat du camarade. Il n’y a même pas de raison que les auteurs ne soient pas retrouvés. Cela ne traverse pas la tête d’un militant du SAMAB. C’est la raison pour laquelle nous suivons cette affaire de très près et nous nous ferons entendre vigoureusement à chaque fois qu’il y aura des failles dans la conduite de l’affaire.

Je voudrais remercier tous les Burkinabè qui soutiennent. J’invite tous les camarades à rester unis car nous sommes là pour que les choses changent, nous sommes là pour l’aboutissement de ce qui avait commencé avec le bureau passé.

Propos recueillis par Jacques Théodore Balima

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