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Professeur Françoise Barré-Sinoussi : « Ce qui bloque encore aujourd’hui la découverte d’un vaccin contre le VIH/SIDA, c’est la méconnaissance de la défense immunitaire »

vendredi 7 mars 2014.

 

Le Burkina Faso, à l’instar de nombreux autres Etats de la planète, commémore ce 8 mars 2014 la Journée internationale de la femme. Et il y a treize jours, une grande dame de l’humanité, une grande scientifique, en l’occurrence la française Françoise Barré-Sinoussi de l’Institut Pasteur, était de passage à Ouagadougou pour prendre part à la première réunion du comité de pilotage du « Programme de prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) dont le VIH auprès des routiers du Burkina ». Avec le Prix Nobel de médecine 2008 pour la découverte en 1983 du virus du SIDA, nous avons fait le point de son séjour ouagalais et échangé sur les perspectives en matière de recherche sur la problématique de la lutte contre le VIH/SIDA. Entretien.

Le faso.net : Professeur, pouvez-vous brièvement vous présenter à nos lecteurs ?

Professeur Françoise Barré-Sinoussi : Je suis Professeur à l’Institut Pasteur à Paris, où je dirige un laboratoire qui travaille depuis plus de 30 ans dans le domaine du VIH /SIDA. Etant donné que ce virus responsable du SIDA a été identifié à l’Institut pasteur et j’ai en partie contribué à cette découverte, Il y a 30 ans.

Quel est l’objet de votre présence à Ouaga ?

Je suis venue dans le cadre de la première réunion du comité de pilotage du Programme de prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) dont le VIH dans le milieu des transporteurs routiers du Burkina. C’est un programme qui est piloté ici au Burkina Faso par l’association AAS (ndlr : Association African Solidarité), en relation étroite avec le CNLS/IST (ndlr : Conseil national de lutte contre le SIDA et les infections sexuellement transmissibles). Donc, c’est un projet qui est mené ici, par les acteurs locaux avec le soutien financier de la fondation TOTAL à travers la filiale locale de TOTAL. Moi je ne suis là que pour conseiller.

Après cette réunion avec les acteurs locaux du programme, qu’est-ce qu’on peut retenir comme actions menées sur le terrain de la lutte contre le VIH au Burkina, du moins en ce qui concerne les routiers ?

Le projet a démarré il y a huit mois. En 8 mois il y’a déjà eu plus de 7 000 personnes qui ont bénéficié de tests de dépistage, il y a déjà eu un bon nombre de formations qui ont été dispensées. Des formations à la fois de leaders, des formations à la fois d’éducateurs, de pères éducateurs. Il y a des gens qui vont participer maintenant à la formation sur le terrain, l’organisation de campagnes de sensibilisation qui ont déjà eu lieu grâce aussi à des véhicules mobiles qui vont sur le terrain, sur des aires d’arrêt de routiers, sur les gares routières etc. Donc il y a déjà eu beaucoup de choses qui ont été faites. On est en phase intermédiaire, on reviendra au mois d’avril prochain pour faire un point.

Est-ce à dire que vous êtes satisfaite des actions menées ?

C’est tout à fait satisfaisant ! De ce qui a été fait, cette progression correspond avec des indicateurs quantitatifs qui sont tout à fait satisfaisants. On s’est fixé ce matin des objectifs pour l’étape suivante. Et on reviendra par exemple pour une étude comportementale, pour avoir aussi des notions, des indicateurs qualitatifs, en plus des indicateurs quantitatifs. Par exemple aussi, améliorer les comités SIDA au sein des entreprises de camionneurs, où il y a beaucoup de choses à améliorer, il faut renforcer les kiosques. Je ne donne que quelques exemples. Il y’a encore beaucoup de choses à faire certes, mais c’est bien parti.

Dites-nous, vous qui êtes une grande spécialiste de la question, quels sont les enjeux, aujourd’hui, de la lutte contre le VIH/SIDA ?

Ce sont deux grands types d’enjeu. Le premier grand enjeu est interventionnel et le deuxième grand enjeu repose sur la recherche scientifique. Donc, Recherche et Intervention constituent les deux enjeux. Intervention, comme mise en œuvre, implémentation de tous les outils que la recherche a développés au cours de ces 30 années en termes de diagnostic, de prévention et de traitement. Au niveau de l’enjeu de la recherche : il s’agit de découvrir un vaccin, un traitement de sorte que les patients puissent arrêter leur traitement. Mieux, il s’agit de comprendre pourquoi sur le très long terme, un petit pourcentage de patients meurt, pas du SIDA, mais d’autres pathologies lorsqu’ils sont traités.

Qu’est ce qui bloque aujourd’hui l’accès à un vaccin parce qu’après 30 ans de recherche, il devrait y avoir maintenant un vaccin ?

Ce qui bloque, c’est la méconnaissance scientifique. Bien sûr qu’il faut toujours de l’argent pour la recherche, mais ce qui bloque c’est parce qu’on a encore beaucoup à comprendre sur notre défense immunitaire. Est-ce que faire découvrir ces échecs ; je n’aime pas dire échec, parce que chez nous les scientifiques, on apprend toujours des échecs. Et ce qu’on a appris, c’est que finalement de tous les acteurs de notre défense immunitaire, certains sont connus et certains sont méconnus. Et tous ces acteurs interagissent ; et on a beaucoup à apprendre justement encore de cette communication, de ce dialogue entre tous les acteurs de notre défense immunitaire, pour développer un vaccin dans le domaine du VIH, mais pas seulement. Pourquoi on n’a pas encore de vaccin contre le paludisme ? Pourquoi on n’a pas de vaccin sur l’hépatite C ? Eh bien, il nous faut d’abord bien comprendre le mécanisme de défense immunitaire !

Entretien réalisé par Grégoire B. BAZIE

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