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Assimi Kouanda étant très occupé du côté du CDP, Sanné Topan revient au cabinet du président du Faso (1/3)

mardi 28 janvier 2014.

 

« Réfléchir et agir ». Tel serait désormais, au Burkina Faso, le mot d’ordre au sein des formations politiques membres de la majorité présidentielle. C’est ce qu’a laissé entendre, ce jeudi 23 janvier 2014, Michel Ouédraogo, membre du secrétariat exécutif national du CDP. « Réfléchir et agir » pour « préserver la cohésion sociale et la stabilité » alors que « la mise en œuvre des réformes politiques, notamment sur la forme ou la mise en place du Sénat, ou encore la question récurrente de l’article 37 » provoquent « débat » et « opinions divergentes ».

C’est le moins que l’on puisse dire dès lors que des têtes d’affiche de la vie politique, à commencer par le triumvirat Kaboré/Diallo/Compaoré (cf. LDD Burkina Faso 0403/Jeudi 9 janvier 2014), ont choisi de claquer la porte du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) sans que l’on sache, pour autant, de quel poids ils pèseront au sein d’une opposition qui déborde, elle aussi, de leaders.

La réaction du côté de la présidence du Faso n’a pas tardé. Mercredi 22 janvier 2014 : Sanné Mohamed Topan, professeur certifié, est nommé directeur de cabinet à la présidence du Faso. Jeudi 23 janvier 2014 : son prédécesseur à ce poste, Assimi Kouanda, participe à la réunion constitutive du « Front républicain » qui se veut « une force de propositions, un outil de partenariat politique et de collaboration avec toute autre formation, structure ou institution ».

Le FR rassemblerait 40 partis qui se revendiquent « républicains » et disent « participer à la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles issues des assises nationales du CCRP » (cf. LDD Burkina Faso 0241/Lundi 17 janvier 2011). L’opération, vite menée, apparaît d’emblée comme « la réponse du berger à la bergère ». Pour cela, Kouanda, a été recentré sur son cœur de métier : le parti présidentiel plutôt que la présidence du Faso. Sans que l’on ait la conviction que ce soit le meilleur choix. Mais, après une année 2013 politiquement agitée et peu probante pour le CDP, il était plus facile de se défaire rapidement d’un directeur de cabinet que d’un secrétaire exécutif national, président du BP national.

A force d’être partout, Kouanda donnait l’impression d’être nulle part. Il était, depuis le 5 mars 2004 (près de dix ans !), directeur de cabinet du président du Faso avec rang de ministre. Huit ans plus tard, le 4 mars 2012, il était propulsé à la tête du parti présidentiel. Dans le même temps, il était nommé ministre d’Etat, ministre chargé de mission à la présidence du Faso. Ajoutons à cela que Kouanda est fondamentalement un professeur d’histoire et accessoirement un amateur-collectionneur de chevaux ; il ne pouvait pas cumuler les fonctions, plus encore en une période délicate pour le pouvoir en place à Ouaga 2000.

Quand Blaise Compaoré lui a confié les rênes du CDP, on pouvait penser qu’il s’agissait de donner plus de proximité entre Kosyam, siège du pouvoir, et le CDP, outil du pouvoir. Le Pays, quotidien privé burkinabè, dans son éditorial (mardi 6 mars 2012) avait écrit : « L’homme n’est pas connu comme un activiste mais plutôt comme une personne qui a de la pondération. Ce caractère ne devrait pas lui être de trop en ce moment où le pays ne s’est pas encore complètement remis de la crise qui l’a secoué en 2011 ». La « pondération » pouvait être de mise en 2012. Elle n’est plus à l’ordre du jour en 2014. Et Assimi, s’il conserve la direction du parti (ce qui n’est pas certain), devrait se souvenir des années où il était un des animateurs des Inter-CDR, ces gardes rouges qui luttaient « contre la déviation, les analyses gauchisantes et tous les trafics de mentalité ».

Sauf, bien sûr, que tout cela n’est plus dans l’air du temps. La question fondamentale est de savoir si, au sein de la classe dirigeante burkinabè, on a pris conscience que le temps avait changé. C’était un sujet de discussion avec Kouanda. Je ne cessais de dénoncer une « distanciation » qui, selon moi, était devenue le mode de production politique du président du Faso et que l’on ne manquait pas, ici et là, de lui reprocher, particulièrement au lendemain de cruelles inondations qui avaient rudement secoué le pays en septembre 2009 ; puis, à nouveau, à la suite des « mutineries » de 2011 qui ont été un drame d’autant plus traumatisant que personne ne pensait (à tort d’ailleurs car il y avait eu des signes avant-coureurs) que cela pouvait arriver au « pays des hommes intègres » (on fêtera le 4 août 2014 le trentième anniversaire de cette appellation).

Pour Kouanda, cette « distanciation » était l’expression du bon déroulement du processus de démocratisation de la vie politique : le président préside, le premier ministre est le vrai chef d’un gouvernement qui gouverne, tandis que l’Assemblée nationale s’assemble et vote les lois, que l’opposition s’oppose, que les médias commentent librement, etc. Autrement dit : tout baigne. En substance, Kouanda, me disait que la forme avait peut-être changé mais pas le fond et que les institutions mises en place dans le cadre de la démocratisation devaient fonctionner en toute indépendance. Il ajoutait : « Notre système politique, diversifié, ne nécessite plus l’omniprésence du chef de l’Etat sur la scène politique ».

Pas sûr qu’il ait eu raison ; ou alors pourquoi les débats « récurrents »* sur le Sénat (qui affirmait, initialement, la prééminence du chef de l’Etat sur la scène politique) et la possible révision de l’article 37 ? Voilà donc, après dix ans de service, Kouanda dégagé de la direction du cabinet du président du Faso (et, sans doute, de ses activités gouvernementales dès lors que son titre de ministre d’Etat était lié à la direction de cabinet : début 2011, il avait ainsi été nommé ministre chargé du cabinet présidentiel dans le dernier gouvernement de Tertius Zongo à la veille des « mutineries »). Il lui restera à gérer le CDP où il n’a pas que des amis, sauf à retourner, bien sûr, à ses « chères études ».

Pour prendre sa suite, Blaise Compaoré a rappelé un homme qu’il connaît bien : Sanné Mohamed Topan. Il a déjà exercé la fonction avant d’y être remplacé par Yéro Boly, aujourd’hui ambassadeur au Maroc après avoir été ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants. J’ai connu Sané Topan dans le Sourou. Drôle d’endroit pour une rencontre, mais qui ne saurait étonner : il en était le député. C’était le 1er octobre 1993. Vice-président de la commission des affaires sociales et culturelles de l’Assemblée nationale, il me recevait dans l’extrême Ouest du Burkina Faso où était implanté un projet hors du commun.

Topan est Samo, ce qui signifie qu’il ne cesse de chicaner les Mossi, qui le lui rendent bien ; à Tougan, où nous nous sommes retrouvés, il est chez lui. Mais nous étions allés au-delà, jusqu’à Di, à un jet de pierre du Mali. En bordure du Débé, affluent du Sourou, avait été implanté le projet d’Aménagement et de mise en valeur des périmètres irrigués du Sourou (AMVS). Une cinquantaine de garçons et filles, ayant reçu une formation universitaire, avaient quitté la ville pour y vivre une expérience de « colon ». Ils avaient une licence ou une maîtrise. Ils étaient juristes, économistes, informaticiens, agronomes, etc. Ils s’appelaient Frédéric, Mamadou, Estelle, Nandy (il n’y avait que six femmes sur le projet), Rachid, Raphaël, Hubert, Anatole, Abdoulaye, etc. Ils y croyaient. Ils voulaient que d’autres y croient avec eux.

La colonisation de la vallée du Sourou était un projet initié par le Fonds national pour la promotion de l’emploi (Fonape), dont le patron était alors Ousmane Jean-Marie Sourabié (qui avait été, auparavant, secrétaire général du CBC). Le Fonape visait à créer des emplois définitifs par l’autopromotion. Le Sourou en était un « projet-pilote ». Chaleur torride, lumière qui brûle les yeux, moustiques et serpents, fièvre qui gagne tout le corps, soif, bière trop chaude et Coca bouillant ; et des corps encore jeunes que l’on brise déjà, du matin au soir, courbés sur la daba. C’était, en 1993, la plus forte concentration « d’intellectuels » au mètre carré à Niassan : 51 diplômés. Une expérience, rien qu’une expérience ; mais aussi une formidable aventure humaine.

* Pour reprendre l’expression de Michel Ouédraogo, ce matin, lors de l’annonce de la constitution du « Front républicain ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique



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