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Me Prosper Farama, avocat des familles Sankara et Zongo : « Blaise Compaoré est indigne de gouverner ce pays parce qu’il ne respecte pas sa parole »

samedi 21 décembre 2013.

 

Maitre Prospère Farama est l’un des loups blancs des avocats du Burkina Faso. Il est connu pour être l’avocat des veuves et des orphelins. Son nom est collé à certains dossiers emblématiques qui hantent les tiroirs de la justice burkinabè tel celui de Thomas Sankara et de Norbert Zongo. Il est très remonté contre l’institution judiciaire de son pays, mais surtout contre la gouvernance du régime actuel. Dans cette interview, il prône ouvertement un avènement de la « révolution » pour redonner un espoir au peuple.

Mutations : L’affaire Norbert Zongo était à l’ordre du jour à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) en Tanzanie le 28 novembre 2013. A quelles conclusions est-on parvenu ?

L’audience plénière s’est effectivement tenue le 28 novembre dernier. Il s’agissait de la présentation officielle et orale du condensé des arguments que les parties ont développés à l’écrit et la Cour se donnera un temps pour rendre son verdict. Pour les conclusions, il faudra donc attendre.

Pourquoi avoir fait recours à cette Cour de justice ?

C’était une des pistes que les avocats et conseils de la famille Zongo avaient envisagéés depuis un certain temps. Parce qu’au plan national, on était arrivé à une sorte de cul de sac depuis le fameux non lieu de 2006. Il fallait trouver un autre recours. Le recours légal qui se présentait à nous, c’était de saisir une des Cours internationales pour faire constater le non-respect par l’Etat burkinabè de ses obligations légales. C’est ce qui nous a donc amené à saisir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui nous semblait plus appropriée au regard du contexte.

La CADHP est de création récente. Quelle opinion avez-vous sur cette Cour ?

Nous sommes tous dans l’attente de voir comment évoluera cette Cour qui est effectivement de création récente. Aujourd’hui, tous les Africains, tous les démocrates épris de justice et de paix sur le continent fondent un grand espoir sur les positions de principe que prendra cette Cour. Nous espérons que dans les années à venir, la CADHP aura l’opportunité d’affirmer sa contribution forte dans la consolidation des droits humains en Afrique. Mais pour le moment, nous attendons de voir comment elle évoluera.

S’il y a de plus en plus de recours vers des Cours de justice étrangères, c’est que la justice interne ne donne pas satisfaction. Qu’est-ce que vous reprochez à la justice burkinabè.

Ce qu’on reproche à la justice burkinabè, c’est ce qu’on reproche à l’ensemble de la gouvernance locale au Burkina Faso : la mal gouvernance. Et la justice qui est un des maillons de cette gouvernance ne fonctionne pas depuis quelques années. La justice burkinabè est grippée. Il y a une sorte de politisation de cette justice. Ce qui fait qu’elle n’est pas du tout indépendante. Cela s’est constaté à plusieurs reprises dans des dossiers comme l’affaire Norbert Zongo. A partir de ce moment là, il faut dire que le Burkina court un grand danger. Car moi j’ai toujours dit que dans ce pays, il y a probablement trois choses qui peuvent conduire à une guerre civile : la justice, les parcelles et le football. Si la justice censée être le dernier rempart de l’être humain est lui-même source d’injustice, je pense que notre société court un grand danger. C’est ce qui nous amène à recourir à des juridictions supra nationales. On aurait bien aimé se fier à notre justice au niveau local. Malheureusement, il y a un constat amer que les choses ne vont pas bien à ce niveau.

Vous dites que le Burkina court un risque de guerre civile ?

C’est un constat que tout le monde devrait faire de façon objective. Ça fait près de 25 ans que ce pays tourne en rond. Ça fait 25 ans que cette société est au point mort. Rien ne fonctionne bien et les choses vont de mal en pis. La preuve, il n’y a qu’à regarder le mécontentement social qu’il y a avec ses différentes formes d’expression qui sont pour le moment contrôlables. Mais jusqu’à quand on arrivera à tenir le couvercle sur la marmite alors que cela bouillonne dedans ? C’est pour cela que je dis que nous sommes à la croisée des chemins pour ce pays et si on n’y prend garde, on pourrait aboutir à une situation que tout le monde voit venir et contre laquelle personne ne réagit.

Comment faire pour redorer le blason de la justice ?

J’avais pensé à un moment donné qu’on pouvait procéder à l’application des solutions de façon sectorielle. En procédant par exemple au niveau de la justice, à une sorte de toilettage et de nettoyage, voire à une refondation. Mais aujourd’hui, j’ai une autre lecture de la situation. La justice n’est que le reflet partiel d’une situation générale. Donc il ne sert à rien, à mon avis, de continuer à colmater des pans d’un tissu usagé, mais il faut changer totalement le tissu. La situation que vit le Burkina Faso, c’est une situation de mal gouvernance. Le poisson pourrit toujours par la tête. Et on peut dire que tout a été essayé sauf une chose : c’est de changer la tête. Donc aujourd’hui, ce qu’il faut faire, c’est de changer tout le système. Il est insensé de penser aujourd’hui qu’une reforme sectorielle ou partielle peut redonner de l’espoir à ce pays. Il faut changer carrément de système politique. Et il faut que cette équipe qui est en place depuis plus de 25 ans avec à sa tête Blaise Compaoré parte pour qu’il y ait peut-être une autre alternative pour ce pays.

Vous évoquez en filigrane la question de l’alternance qui fait débat aujourd’hui dans plusieurs cercles.

Quand on est à un seuil de saturation par rapport à un pouvoir donné, on est prêt à tout. On a envie, vaille que vaille, de voir un changement, ne serait-ce que pour le changement. Je pense que ce sentiment relève de l’essence même de la nature humaine ! Mais je suis quelque peu idéaliste et pour tout vous dire, ce n’est pas un changement de régime qui m’intéresse. Ce dont je rêve dans ce pays, c’est que je puisse être dans un pays où j’ai le sentiment qu’il fait bon vivre. Que ce peuple profite au moins une fois en passant des richesses de ce pays et que chacun se sente heureux. Je n’ai pas besoin d’un perpétuel recommencement. C’est vrai que quelquefois, il m’est arrivé de penser que si on remplaçait ce régime par des moutons, cela me satisferait. Mais cela ne pourrait être qu’une satisfaction éphémère.

On ne doit pas faire continuellement un travail de Sisyphe, c’est-à-dire un perpétuel recommencement ! Il faut une alternance mais l’alternance doit proposer une alternative crédible pour ce peuple. Il faut qu’il y ait un changement radical de système. On en a marre tous de vivre à des degrés divers dans la pauvreté, dans la gabegie, dans un système qui oppresse les pauvres, dans un système qui prône une égalité illusoire et utopique. Parce que quand vous êtes riche, vous serez plus riche et quand vous êtes pauvre, vous serez plus pauvre.

Justement quelle est votre contribution ou votre proposition pour réaliser cette alternative ?

(Rires). Les sociétés se meuvent sous la houlette de leaders d’opinion, mais finalement, c’est le peuple lui-même qui forge le changement. Donc chacun en ce qui le concerne a le pouvoir d’apporter sa pierre à l’édifice. Moi j’estime que ce que je fais tous les jours relève de ma contribution. Quand j’ai l’occasion de donner mon point de vue sur une situation, c’est ma contribution. Quand je suis interpellé pour participer à une activité qui, à mon avis, a un sens pour l’intérêt général, j’y vais. Chacun apporte sa contribution, aussi modeste soit-elle. Pour le moment, je n’ai pas de prise de position dans une organisation quelconque, mais cela se pourrait car les choses évoluent et rien n’est immuable. Mais en attendant, comme tous les citoyens burkinabè, j’apporte modestement ma pierre à la construction de l’édifice.

On vous a vu aux différentes manifestations contre le sénat et contre la modification de l’article 37. En tant que juriste, que reprochez-vous au sénat ?

J’ai participé à ces manifestations, par solidarité d’idéologie. Parce que quand le peuple combat une institution qu’il qualifie d’inutile et de budgétivore, il est du devoir de tout citoyen d’y contribuer. C’est à ce titre que j’ai participé à ces manifestations. Mais la lecture que j’ai sur ces questions n’est pas juridique.

J’en ai marre que chaque fois, on nous ramène sur le terrain du droit alors que personne ne croit au droit dans ce pays. On a atteint un stade où moi je suis dépité par ce débat qui n’a pas de sens. On me dit que le sénat est budgétivore. Je suis d’accord qu’il est effectivement budgétivore et j’ai marché contre sa mise en place. Mais il n’y a pas que le sénat qui est budgétivore ! Donnez-moi une seule institution mise en place par le régime de Blaise Compaoré qui ne soit pas budgétivore et dont le rapport utilité/budget est acceptable. Je n’en connais aucune, à commencer même par l’Assemblée nationale.

Et moi je suis quelque fois déçu par le comportement des acteurs aussi bien de la société civile que de la scène politique. Quand on a augmenté le nombre de députés au Burkina, personne ne s’est plaint en disant que c’était budgétivore parce que des gens ont vu qu’ils avaient des chances d’avoir des postes à l’Assemblée. Et je parie que si on venait à augmenter les sièges de l’Assemblée à 300, il y a des gens au niveau de la société civile et des politiques qui ne trouveraient rien à redire.

Quand on me parle de la modification de l’article 37, je trouve que c’est un épiphénomène. Blaise Compaoré n’a pas pris le pouvoir par la démocratie. Il est venu au pouvoir par la force et en prenant le pouvoir, il n’a demandé l’avis de personne. Je ne vois pas comment on peut discuter en termes de légalité avec une telle personnalité qui, en réalité, n’a jamais cru en la légalité. Rappelez-vous que Hermann Yaméogo de l’UNDD avait attaqué la candidature de Blaise Compaoré en 2005 sur la notion de rétroactivité de la loi. Aujourd’hui, on amène le débat sur la modification de l’article 37. Chaque fois, il déplace le débat et il nous envoie où il veut. Je crois qu’à un moment donné, il faut que nous soyons raisonnables et conséquents avec nous-mêmes pour arrêter de suivre ce monsieur dans son jeu.

Pour moi, il n’y a qu’un seul combat qui vaille d’être mené aujourd’hui au Burkina Faso. C’est le combat pour l’alternative. Moi j’ai besoin d’une révolution dans ce pays. Quand je dis révolution, chacun prendra le mot dans le sens idéologique qu’il souhaite. Mais en tout cas, qu’il y ait un changement fort et que ce système en place qui est un système de riches contre les pauvres soit balayé. Et qu’il soit remplacé par un système qui permette à une grande partie de la masse sociale de bénéficier des richesses de ce pays. Qu’il y ait un partage plus équitable des richesses pour que moi qui m’en sort relativement bien, je ne sois pas obligé de tendre la main à mes parents et à mes proches pour qu’ils puissent manger. Voilà pour moi le combat que j’estime qui vaille.

Alors que conseillez-vous concrètement ?

Aujourd’hui, je pense d’abord que les Burkinabè doivent être conséquents et savoir qu’est-ce qu’ils veulent. Je ne suis pas sûr qu’on ait atteint un stade où la conscience politique de ce peuple lui permette d’apprécier sereinement les choses. On a vu comment ce régime a régné depuis son accession au pouvoir. Pendant 26 ans, ce régime a joué quelques fois sur l’inculture politique de ce peuple. Nous avons un peuple qui est courageux, vaillant, sincère, mais qui a aussi des limites. Il appartient à ceux qui ont un minimum de connaissances d’apporter leur contribution à l’accroissement de la compréhension et du niveau idéologique et politique de ce peuple.

La préparation d’une révolution est aussi importante que la révolution elle-même. Et qu’il n’y a pas de temps perdu à préparer un changement. Nous sommes tous pressés pour le changement, à commencer par moi. Parce que ça fait 25 ans que je subis ce régime. J’en ai ras-le-bol comme tous les autres Burkinabè. Il ne sert à rien d’aller au changement tant qu’on n’a pas pris le temps de conscientiser les masses pour les mettre à un niveau de comprendre et d’adhérer à des idéaux. Je pense que c’est ça la défaillance de l’élite et de nous autres de la société civile et des politiques. Pendant 25 ans, nous n’avons quasiment rien fait. Pendant 25 ans, nous avons suivi ce régime dans ses atermoiements. Et puis du jour au lendemain, on s’est réveillé pour dire qu’il faut une révolution. Comment va-t-on faire une révolution sans soldats ? On peut avoir des généraux, des capitaines, des commandants, etc. Nous avons les érudits de toutes les idéologies. Mais est-ce que les gens ont des soldats qui sont prêts pour le combat ? Je doute fort que les soldats qui sont disponibles soient en nombre suffisant et surtout en qualité.

Le travail n’a pas été suffisamment fait à la base. Si nous savons où nous allons, il faut procéder d’abord à une organisation concrète des forces du changement pour pouvoir prétendre à un moment ou à un autre à la révolution parce que la révolution n’a pas de temps. A tout moment, une révolution peut survenir et les conditions sont réunies pour réaliser une révolution au Burkina Faso. Maintenant, est-ce que nous sommes prêts ? C’est là la question. Il faut surtout travailler à apprêter les forces du changement. Malheureusement, cela ne relève pas de mon ressort. Mais les personnes les mieux outillées devraient y songer.

Mais justement, seriez-vous prêt à organiser ces forces du changement que vous évoquez ?

Personne ne doit s’arroger la compétence et le pouvoir de diriger un peuple. Du reste, personne n’en a la compétence. Moi j’ai la conviction que les vraies révolutions viennent des masses. Sauf que dans la tourmente des révolutions, on a des révélations individuelles qui jaillissent. Mais il ne faut pas faire l’inverse. Il ne faut pas penser qu’il y a des gens qui sont prédestinés ou prédéterminés pour diriger ou guider les masses vers une révolution. Je pense que chacun de nous est un leader. Chaque Burkinabè épris de paix, de justice et de démocratie qui aspire à une révolution est un leader et doit se sentir comme tel au même rang que toute autre personne.

C’est vrai que les peuples ont besoin de leader. Mais il ne faut pas voir cette notion de leadership du peuple comme étant l’émergence individuelle de personnes pour le guider comme si les gens étaient des moutons. C’est plutôt l’émergence d’idées qui doit primer et cette émergence d’idées doit être portée par tous les révolutionnaires à quelque niveau où ils se trouvent. C’est d’ailleurs la condition sine qua non pour qu’il puisse avoir une révolution réelle qui engage tout le peuple. Sinon, si on pense que parce que y a quelqu’un qui a une aura et qu’il va opérer la révolution comme un magicien, on se trompe. Moi à mon niveau, je fais et je ferai ce que je peux pour qu’on puisse aller en avant.

L’actualité judiciaire a été marquée par des plaintes de magistrats pour outrage à magistrats. Comment avez-vous vécu ces feuilletons judiciaires ?

Cela nous ramène à la question de la crédibilité de la justice. Les magistrats sont des citoyens comme les autres. Ils ont le droit de recourir à la justice. Pour moi, la problématique n’est pas à ce niveau. Par contre, là où il y a problème, c’est qu’aujourd’hui, on a le ressentiment que la justice est devenue un appareil aux mains de certaines personnes qui en font une utilisation personnelle ou à des fins qui en tout cas n’ont rien à voir avec l’intérêt général.

Ces épisodes ont donné l’impression que certains juges ont la sensation d’être hyper puissants et, profitant de cette posture que le peuple leur a concédés, ils se rendent justice eux-mêmes. Ce qui ne dénote pas d’une certaine grandeur à mon sens. Alors que j’ai la faiblesse de croire que quand on est à des postes comme celui de la justice, ce sont des postes où doit prévaloir une grandeur d’esprit. Pour que cette institution soit crédible pour nous tous et surtout pour ceux qui en sont les acteurs, on a besoin que les gens s’élèvent au-dessus de la mêlée.

L’affaire Thomas Sankara passera à la barre le 22 janvier 2014. Il s’agit de quel volet du dossier ?

Il s’agit de la procédure qui avait été introduite pour obtenir que soit expertisé le contenu de la tombe qui est supposée être celle du président Thomas Sankara. C’est ce dossier qui sera plaidé le 22 janvier prochain.

Y a-t-il des doutes sur la tombe du Président du Conseil national de la Révolution (CNR) située à Dagnoen ?

Oui bien sûr ! Il y a des doutes humains et naturels, ce d’autant plus que personne n’a jamais vu le contenu de la tombe. On suppose depuis 1987 que le capitaine Sankara y est enterré. On y croit, mais rien ne nous donne la preuve que cela est vrai. Puisse qu’il n’y a que ceux qui l’ont tué, assassiné et enterré qui peuvent en être certains. Or, ces personnes là ne parlent pas. Et même si elles parlaient, on ne sait pas quel degré de crédibilité aurait leur parole. Donc il me semble que ce doute là est naturel et fondé.

Mais si ces personnes ne parlent pas, pensez-vous pouvoir avancer avec le dossier ?

Si avec la procédure du 22 janvier, il est établi que le corps qui se trouve dans la tombe est bien celui du Capitaine Sankara, on aura déjà évacué un doute et on aurait franchi alors un pas. Maintenant pour le reste, le dossier Thomas Sankara et celui de Norbert Zongo, moi je pense qu’ils sont intimement liés par rapport à leur sort. Il ne faut pas rêver. Moi je suis personnellement convaincu que si aujourd’hui, le Christ ou le prophète Mohamed venait à descendre pour identifier l’auteur ou les auteurs de ces crimes, ce régime ne ferait rien parce qu’évidemment, il est intimement impliqué et lié à ces dossiers. Pour le dossier Sankara, c’est le crime fondateur même du règne du président Blaise Compaoré. Quant à l’affaire Norbert Zongo, personne ne doute que son assassinat est intimement lié à une affaire proche de la famille présidentielle. On comprend que par tous les moyens, ils tentent de faire taire cette affaire. Mais je suis persuadé qu’un jour, la justice va éclater. Le combat que nous menons a pour but de maintenir le flambeau allumé en attendant ce jour.

La tombe du président Sankara vient justement d’être à nouveau profanée. Alors que suite à une première profanation, la justice s’était saisie du dossier. Mais plus rien. La police avait évacué les lieux depuis longtemps…

Le commentaire que je fais par rapport à de tels actes ignobles, ce n’est pas en tant qu’avocat, mais en tant que citoyen et en tant qu’être humain. Je pense que nous avons une culture qui enseigne le respect et la reconnaissance d’une certaine dignité aux morts et tout ce qui entoure la mort. Déjà, c’est blessant et écœurant de voir que nous avons dans notre société, comme dans toutes les sociétés décadentes, des individus qui sont d’un esprit aussi bas. Mais que voulez-vous ? Dans toutes les sociétés, la proportion des imbéciles est toujours constante.

C’est regrettable de voir la tombe d’un homme comme Thomas Sankara être profanée alors que ce pays a connu de grands criminels dont les tombes ne sont pas touchées. Je ne dis pas que ces tombes devaient être profanées. Mais en même temps, je suis lucide pour comprendre que Sankara n’avait pas que des amis. Donc on peut comprendre que des gens qui n’ont jamais été ses amis lui en veuillent jusqu’au fond de sa tombe. Mais cette manière d’exprimer son inimitié est purement démoniaque.

Le gouvernement avait promis le procès de l’affaire Guiro pour le mois d’octobre dernier. Nous sommes en décembre. Qu’est-ce qui, selon vous, est à l’origine de ces rendez-vous reportés ?

(Rires.) Vous savez, tous les menteurs vivent aux dépens de ceux qui les croient. Moi je ne sais pas pourquoi les gens ont toujours cru en ce régime qui pendant 26 ans n’a jamais tenu une seule de ses paroles et a fait la preuve de sa versatilité. Le plus grand reproche que je fais au président Compaoré, c’est que, ce n’est pas un homme de parole. Il n’a jamais tenu parole face aux questions d’ordre national qui concerne le peuple et le pays. L’histoire du pays enseigne que chaque fois que le président Compaoré était en difficulté, il a toujours pris des engagements. Mais il est toujours revenu sur ses engagements et sur sa parole chaque fois qu’il y a eu une accalmie.

Or, dans une société, ce qui compte le plus par rapport à ses dirigeants, c’est le respect de la parole donnée. Et moi je pense qu’aujourd’hui, Blaise Compaoré est indigne de gouverner ce pays parce qu’il ne respecte pas sa parole. Ce seul argument me suffit pour dire qu’il faut qu’il parte. Que légalement l’article 37 soit susceptible de modification ou pas, ce n’est pas cela le problème. Parce que si on lui permettait de modifier cet article 37, il fera autre chose demain. Alors qu’on élit quelqu’un pour qu’il respecte sa parole.

Mais c’est la logique de ce gouvernement. Ce gouvernement ne prend des engagements que pour le temps de pouvoir soupirer et respirer et induire le peuple en erreur. Malheureusement, je constate qu’il y a des gens qui continuent de le croire. Cette affaire Guiro relève d’une foutaise à la limite. Comment vous pouvez comprendre qu’on ait retrouvé des milliards entre les mains d’un individu et qu’on ne puisse même pas nous dire exactement les origines de cet argent. Alors que nous savons tous que le Burkina Faso est un Etat policier et qu’aucun geste ne peut se faire dans ce pays sans que les services de renseignement ne soient mis au courant !

De deux, je crois que Guiro a été élu conseiller municipal sous la bannière du CDP, le parti au pouvoir. On n’a pas besoin d’être allé à l’école pour savoir qu’on se moque de nous. Comment quelqu’un qui est suspecté de détournement et d’être auteur d’une faute aussi grave, comment un pouvoir peut retenir un tel individu comme candidat si ce n’est pas pour narguer le peuple ? Et cela veut dire aussi que le pouvoir ne lui reproche rien du point de vue de sa crédibilité et de sa moralité. Si le CDP lui trouve digne d’être candidat sur sa liste, c’est qu’il est convaincu qu’il n’a rien fait. Dans ces conditions, je ne sais pas ce qu’on peut avoir comme espoir dans ce dossier Guiro.

Mais il y a une logique dans cette affaire. Car dans la chaîne, Guiro qui avait été épinglé avec environ 2 milliards est peut-être le plus faible maillon. Si on venait à remonter la chaîne, on verrait que d’autres en sont à des centaines de milliards détournés ou volés. Donc ils ont raison de considérer dans leur logique que Guiro n’a rien fait. Je pense qu’il faut être lucide et puis ne pas donner du crédit à tous les ergotages que ce gouvernement ou ce régime peut nous servir. Il faut rester constant sur ce que veut ce peuple et ce que veut ce peuple, c’est de changer ce régime. C’est changer ce système. Tant pis pour nous si nous croyons au colmatage et aux effets d’annonces distillés pour endormir notre conscience.

Ces derniers temps, le pouvoir s’est levé pour combattre l’incivisme. Il vient d’organiser un forum sur le sujet, mais en ne ciblant que la jeunesse. Alors que l’incivisme n’est pas l’apanage de la jeunesse. N’a-t-on pas oublié d’autres acteurs ?

Il faut savoir apprécier les choses. Il y a un amalgame qui est fait sur la question de l’incivisme. C’est à bon droit que le régime considère que toutes les manifestations populaires venant des élèves et des étudiants relèvent de l’incivisme. C’est de bonne guerre. Mais le chantre de l’incivisme au Burkina Faso, c’est le gouvernement. Quand des ministres arrivent au gouvernement quasiment démunis et qu’en un temps record, ces derniers mènent un train de vie de milliardaires, et que tout le monde voie bien que les marchés publics sont le fonds d’enrichissement de ces gens ; quand vous piquez l’argent du peuple, c’est pire que de l’incivisme. Si le gouvernement a fait de l’incivisme, le mode de vie normal, il ne faut pas qu’il s’étonne demain que tout le monde vive selon ce mode de vie.

Et puis du reste, le gouvernement fait volontairement un amalgame sur la notion de l’incivisme. Quand le peuple exprime son ras-le bol, cela n’est pas de l’incivisme, mais de l’insurrection. Et l’insurrection est autorisée par la constitution. Mais on ne fait pas une insurrection avec des fleurs. Une insurrection est violente par essence. Ce régime a habitué ce peuple à comprendre qu’il ne réagit que si la manifestation de la colère a atteint un certain degré. Parce que quand vous vous exprimez dans un cadre citoyen sans violence, dans le calme, on se moque de vous. S’il ne comprend pas que la manifestation de la colère est le début des assises d’une révolution et qu’il appelle cela de « l’incivisme », c’est tant pis. Qu’ils attendent un peu et ils verront.

Quand les gens cassent les feux, on crie que les feux, c’est pour nous tous. Oui c’est vrai que c’est pour nous tous. Vous voyez, quand on attaque la Bastille et qu’on la détruit, vous pensez que la Bastille appartient à ceux qui l’ont détruite ? Non, la Bastille appartenait à la France et aux Français. Et sa destruction a été l’acte fondateur de la révolution française de 1789. Donc pour moi, l’incivisme qu’ils évoquent est un germe de la révolution qui arrive. Et il faut qu’ils le comprennent.

Maintenant, il y a un autre aspect de ce qu’ils appellent « incivisme ». Vous voyez, quand quelqu’un fait un accident, mortel ou pas, il risque de voir sa voiture brûlée par les populations. Ils appellent cela de l’incivisme. Ce sont des actes regrettables effectivement. Mais cette réaction ne vient pas de nulle part. Elle a une explication. Le pouvoir a semé dans la conscience du peuple qu’il y a deux catégories de Burkinabè avec d’une part les riches qui sont des intouchables et qui ont tous les droits et les pauvres d’autre part qui sont démunis et qui n’ont droit à rien sauf à exprimer leurs désaccords par tous les moyens, y compris la violence. Et les propriétaires de véhicules font aujourd’hui les frais de ce sentiment d’indignation.

La preuve, si vous faites un accident à vélo, on ne vous en veut pas, mais si vous êtes en voiture, vous risquez de voir partir votre véhicule en fumée. Parce que dans la conscience populaire, aujourd’hui tous les détenteurs de voiture sont assimilés aux riches, aux voleurs, etc. Par conséquent, la réaction est déguisée parce que c’est une forme de protestation contre le régime en place. Et malheureusement, chacun de nous pourrait faire les frais de cette colère parce qu’on ne distingue plus qui a acquis son bien honnêtement ou pas. Mais en même temps, nous sommes tous responsables de ce délitement parce que cela fait des années que nous avons laissé faire ce système sans lui opposer un réel contre pouvoir efficace et permanent.

Comment comptez-vous vivre la date du 13 Décembre cette année ?

Ce 13 décembre sera sous le sceau d’une situation nationale toute particulière. Vu que le dossier Norbert Zongo est relancé au niveau de la CADHP à Arusha et que le peuple burkinabè traverse une période délicate de sa vie. Avec tous ces ingrédients mis ensemble, je fais le vœu que ce 13 décembre 2013 soit une occasion de mobilisation autour de thèmes très porteurs. L’accent doit être mis non seulement sur les thèmes habituels de justice et contre l’impunité, mais aussi sur les thèmes de changement et de l’aspiration de la révolution à la tête de ce pays. Ce ne sont que des incantations. L’action appartient au peuple. Et le peuple quand il veut, il peut.

Interview réalisée par Touwendinda Zongo

MUTATIONS N° 42 du 1er décembre 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web : www.mutationsbf.net)



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