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Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

dimanche 24 novembre 2013.

 

Les 16 et 17 avril 2012, la quasi-totalité des concessions et des biens appartenant aux Peulh ont été détruits par des jeunes bwaba de Passakongo, village situé à 5 km de Dédougou dans la province du Mouhoun. Pour avoir la vie sauve, les Peulh ont fui leur campement. Depuis un an, certains squattent dans les maisons en location à Dédougou alors que d’autres errent dans la brousse l’âme en peine.

A la demande des jeunes bwaba de Passakongo, des manifestants venus des villages environnants, excités, armés de flèches, de machettes, de gourdins, et scandant des chants de guerre, détruisent le 16 avril 2012 les maisons et tous les biens du chef des Peulh, Mamadou Diallo. Il était absent. Les membres de sa famille ont eu la vie sauve grâce à la rapidité de leurs jambes. « Les jeunes ont déclaré qu’ils cherchaient à détruire les maisons et leurs contenus mais jamais ils s’en sont pris aux Peuhl eux-mêmes », relève Lucien Sama, fonctionnaire à la retraite à Passakongo. « C’est archi faux ! Si les Peulh n’avaient pas fui les lieux, il y aurait eu mort d’homme », vocifère Mamadou Diallo qui indique avoir conseillé à sa communauté de ne point riposter devant les Bwaba. Après la destruction du domicile du chef des Peulh, les campements des Peulh seront également mis à sac le 17 avril. Les Bwaba expliquent cette montée de tension par la présence des forces de l’ordre qui, venues de Dédougou pour s’interposer entre les deux communautés, auraient plutôt pris, selon eux, fait et cause pour les Peulh. Aussi, en représailles à la charge des forces de l’ordre, les jeunes frondeurs ont-ils opté de casser toutes les autres concessions appartenant aux Peulh et leurs contenus . Presque tous les Peulh se sont enfuis de Passakongo. Ce furent des journées très pénibles à vivre ! Même la médiation le 21 avril 2012 du ministre d’Etat, ministre chargé des Relations avec les Institutions et des Réformes politiques, Arsène Bongnessan Yé qui dit être venu parler au nom du gouvernement, n’a pas produit un électrochoc positif dans l’esprit des deux groupes ethniques. Conséquence ? A la suite d’une plainte formulée par les Peulh, 67 jeunes bwaba ont été invités à répondre devant le Tribunal de grande instance de Dédougou pour « faits de dégradations volontaires aggravées de biens mobiliers et immobiliers ». Parmi ces présumés coupables, 46 personnes ont été condamnées à des peines de prison et à payer solidairement, au titre des dommages et intérêts, 35 406 500 FCFA à 56 Peulh victimes de préjudice moral et matériel. Ce jugement rendu à Dédougou a été contesté par les Bwaba qui ont interjeté appel auprès de la Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso. Depuis lors, les deux parties se trouvent engagées dans une longue procédure judiciaire avec des renvois interminables. Le 25 novembre prochain, Peulh et Bwaba sont convoqués encore au tribunal de Bobo-Dioulasso. En attendant, les Peulh continuent toujours d’errer dans la nature : certains sont dans des maisons louées à Dédougou, d’autres font de la débrouillardise pour survivre. Depuis un an, ils n’ont pas eu accès à leurs champs ni à leurs domiciles. Leur cheptel n’est plus conduit vers des pâturages appropriés. Même la teneur de l’arrêté du maire de Dédougou sommant les protagonistes de respecter les limites des terres antérieures, objet du conflit, et de ne plus défricher de nouvelles terres, est restée sans effet. « Tout le monde peut revenir à Passakongo sauf le chef des Peulh, Mamadou Diallo, déclaré persona non grata dans le village », rapporte l’ancien maire, Valentin Konaté.

La personnalisation de l’Histoire

Les Peulh ont subi la furie des Bwaba qui se disent excédés par les visées expansionnistes de leurs « cousins à plaisanterie » sur les terres de Passakongo dont les deux communautés se disputent la propriété. Autour de Passakongo, il y a particulièrement deux villages, plus anciens, dont les noms sont intimement associés à l’histoire très controversée de la création de Passakongo : Kankono et Kouna . Kankono est un village de Marka (ethnie couramment appelée Dafing) alors que Kouna est un village de Bwaba. Selon le chef des Peulh, Mamadou Diallo, les terres de Passakongo ont été cédées aux arrière- grands-parents des Peulh, à un passé lointain, par ces deux villages. D’ailleurs, le chef du village de Kankono, Boiké Zon, a confirmé que ce sont les Dafing (Marka) qui ont effectivement cédé les terres de Passakongo aux Peulh. Pour lui, les Peulh sont bel et bien les propriétaires terriens de Passakongo et par voie de conséquence, ils ne sauraient en être dépossédés. « Les deux communautés se refugient derrière l’histoire pour justifier leur position…Transcendons nos appétits et regardons ensemble l’avenir afin d’éviter à la postérité un conflit foncier de grande envergure », conseille le vieux Boiké Zon. Et au chef du village de Kouna, Tignizon Sama de renchérir : « Passakongo appartient aux Peulh. Nous nous battrons pour cette reconnaissance ». Cette allégation historique développée en faveur des Peulh est pourtant battue en brèche par les Bwaba de Passakongo qui clament furieusement qu’un Peulh n’a jamais été un propriétaire de terre. Il est, par tradition, un « nomade pastoral qui n’a jamais eu la culture de la terre », explique Lucien Sama, fonctionnaire à la retraite. Et de s’interroger : « De quelle époque date cette révolution sociologique qui fait du Peuhl un agriculteur et gestionnaire de terre ? ». Valentin Konaté, un autre cadre de Passakongo et ancien maire de la ville de Dédougou avertit : « Je mets quiconque au défi de me faire la preuve historique que Passakongo a été originellement et antérieurement habité par les Peulh avant les Bwaba. C’est de l’aberration ! », déclare-t-il. Quant au chef du village de Passakongo, Dapoua Coulibaly (un Bwaba), il dit regretter l’expansionnisme manifeste du chef de la communauté Peulh, Mamadou Diallo qui, non content de s’être « autoproclamé chef des Peulh de Passakongo, a exprimé visiblement son désir de se faire introniser chef du village de Passakongo. La preuve, quand je l’invite au conseil des sages, il décline l’invitation et fait dire que ce sont plutôt les Bwaba qui doivent venir lui faire allégeance… ». Du reste, il se murmure à Passakongo que le chef des Peulh détiendrait un pouvoir magique dont il userait pour « décimer les intellectuels de Passakongo », invective le retraité de l’enseignement de base, Lucien Sama qui s’empresse cependant de préciser : « je ne suis pas en mesure de vous donner la preuve de ce que les gens m’ont rapporté ». Où se trouve donc en définitive la vérité des faits dans cette guéguerre entre ces deux communautés traditionnellement réputées tolérantes et inoffensives ? Après avoir solidairement fait monter la tension et rendu les esprits moins réceptifs au dialogue, Peulh et Bwaba se sont retrouvés en situation de conflit.

Idrissa NOGO
babssonnogo@yahoo.fr


Les grands incendies naissent des petites étincelles

A quelle autorité, des citoyens burkinabè ou des communautés ethniques se disputant un lopin de terre peuvent-ils avoir recours pour trouver à la fois une justice sociale et une paix durable, ciment de cohésion sociale ? La réponse à cette question est contenue dans les dispositions de la loi sur le pastoralisme et la réforme foncière et agraire qui encadrent les activités agro-pastorales au Burkina. C’est donc dire que nul ne doit se rendre justice soi-même. Le contestable argument selon lequel un citoyen est premier à arriver sur un espace fait de lui le « propriétaire des lieux » est un raisonnement qui ne prend pas en compte les éléments de fait et de droit. En effet, rappeler à un Burkinabè ses origines historiques de provenance, c’est chercher à fragiliser le socle social qui fermente les liens humains. D’ailleurs, cette préoccupation existentielle est de la compétence des services techniques de l’Etat qui est le garant du mouvement et de l’établissement des personnes et de leurs biens sur un territoire donné. Dans l’exemple des Peulh de Passakongo, qui de l’Etat ou des Bwaba doit supporter les frais de logement, de restauration et les charges générées par l’abandon de la culture des champs et des activités d’élevage dont les Peulh disent tirer leur économie et leur raison de vivre ? Ces interrogations semblent pertinentes surtout que dans l’exemple de Passakongo, les Bwaba ont dit leur opposition au règlement des dommages et intérêts qu’ils sont censés payer aux Peulh. En tous les cas, les Peulh disent restés dubitatifs quant à leur retour sur les terres en ce qu’ils estiment n’avoir pas encore vu venir des signaux forts pour garantir leur sécurité à Passakongo. En tout état de cause, force doit rester à la loi pour que la cohésion sociale soit sauvegardée, et surtout « décourager » toute poussée de relents d’inhospitalité entre les membres d’une même communauté et d’une même religion…au Burkina.

I.N.

Sidwaya



Vos commentaires

  • Le 24 novembre 2013 à 21:20, par Anita Manour En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

    il conviendrait de se poser mille et une question en ce qui concerne le "rat le bol" presque généralisé des autres ethnies envers les peulhs. Parce que ces genres de conflits n’existent pas seulement dans cette autre localité du Burkina qu’est Passokongo. Au lieu que la justice assomme la communauté bwaba de la sorte, ne serait-il pas possible de trouver un autre moyen de sortie de crise car c’est en voulant gérer un conflit gagnant-perdant , on pourrait aboutir à d’autres conflits encore plus grave que celui que l’on cherche à régler.

    • Le 25 novembre 2013 à 07:44, par lingouste En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

      Bonjour Anita,
      Je pense que vous faites un très mauvais jugement. N’est-ce pas que les Juifs ont d’abord été victimes d’accusations comme RAZ DE Bol GÉNÉRALISÉ ! Est-ce pour autant que vous acceptez le massacre qu’ils ont connu durant la guerre mondiale ? Je reste persuadé que parmi les Juifs, il y avait des innocents pour lesquels on pouvait se dire : « Pourquoi les tuer tous ? Ont-ils tous commis des fautes qui méritent que l’on n’épargne aucun des leur ? ». Cette même question est valable pour les Tutsi. Bon nombre des Utu estimaient qu’il y avait le même raz le bol et qu’il fallait tuer tout Tutsi. Et vous, Anita, vous parlez de raz le bol en ce qui concerne les Peuls. Peut-être vous l’ignorez, mais vous faites partie de ceux qui préparent sournoisement, mais inévitablement « la tuerie des peuls à grande échelle ». Non ! Anita, ne faites pas cela. Refusez de telles prises de position et sachez seulement que Peuls et non Peuls sont tous victimes de la « mauvaise gouvernance » dont seul le régime est responsable. En vérité, c’est seulement au niveau des autorités politiques qu’il faudra chercher les fautifs. Ce n’est ni chez les bobo, ni chez les peuls. La situation qui prévaut à Passakongo est juste l’expression la plus vraie de la putréfaction dans laquelle se trouve notre pays, jadis peuplés d’hommes intègres.
      Issa Diallo

  • Le 24 novembre 2013 à 21:24 En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

    Nos autorités sont responsables dans la plupart des conflits fonciers que nous rencontrons au Burkina Faso. Pour preuve le conflit foncier opposant le maire de Tanghin Dassouri et la population de Zekounga relevant de l’arrondissement 8 de Ouagadougou (selon le nouveau découpage ce village relève du secteur 36) est un exempe edifiant. Le premier ministre, le Gouverneur, le haut commissaire etc , ont été saisis à maintes reprises tenez vous que le maire du dit arrondissement se dit impuissant car c’est le président du FEDABC , des ministres l’ont même avoués. est ce le cas du premier ministre ? je ne saurais le dire. Tout ce que sais c’est que la tension règne dans ce village entre les protégés du maire de Dassouri et les ressortissants du village qui subissent la pression de la gendarmerie de Dassouri . Que Dieu rende justice afin que la vérité voit le jour. Amen !

  • Le 25 novembre 2013 à 09:31, par lesaint En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

    M Idrissa NOGO, j’apprécie votre article qui expose clairement les faits. Je pense cependant que la phrase "En attendant, les Peulh continuent toujours d’errer dans la nature" n’est pas appropriée. Elle est à l’image du manque de considération que beaucoup ont à l’endroit du peuhl.

    On dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il est clair que l’histoire de l’installation des peuhl dans toutes les localités est un peu la même :

    "Nomades venu d’ailleurs à la recherche de meilleurs pâturages, se sédentarisant, très souvent à la lisière du village, et finissant par y pratiquer l’agriculture sur des terres enrichies par les bouses des animaux, et vivants en bons termes avec les communautés qu’elles y ont trouvé, depuis 5 à 6 générations."

    De même, les conflits récurrents ces dernières années prennent aussi leurs sources dans les mêmes causes :

    "Individus se plaignant de l’intrusion du bétail dans les champs, décidant de se rendre justice. Conflit individuel devenant communautaire en raison d’un sentiment selon lequel les peuhl ne sont pas chez eux"

    Au regard de cela, et avant que cet état de fait ne prenne une autre envergure comme on l’a vu dans d’autres pays, et parce que nul n’a le monopole de la force et de la violence, il est plus qu’urgent que l’état, et les collectivités s’investissent à la recherche de solutions idoines.

    Il faut régler le problème de la terre (c’est chose faite je crois avec le code foncier)
    Il faut régler le problème du pastoralisme (le Burkina c’est aussi l’élevage)
    Il faut, et c’est le point le plus important, éduquer et sensibiliser les populations sur les dispositions en matières foncières et pastorales.
    Il faut sans détour appliquer la loi et punir avec la plus grande fermeté les agresseurs, les fossoyeurs communautaires, de quelques bords qu’ils soient (peuhl ou autochtones)
    Il faut pénaliser (si ce n’est déjà fait) les actes d’incitations à la haine communautaire

  • Le 25 novembre 2013 à 10:04, par marcel En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

    je suis rester un peu sur ma faim. le journaliste n’a pas donné la parole à l’administration (maire, préfet, haut commissaire, gouverneur). cela aurait permis de voir un peu plus claire. car les protagonistes tirent chacun la couverture de son côté.

    • Le 25 novembre 2013 à 14:26, par relwind En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

      il faut que les attaques barbares ,les punitions collectives contre les PEULH cessent ils ont les mêmes droits et devoirs que tout burkinabé il y a eu Kampala(nahouri) Gaoua, tenkodogo.
      et avec ça on exhibe notre hospitalité , on célèbre la journée des communautés
      hypocrisie inoculée par le regime de blaise :médiation à l’exterieur et peu de dialogue avec ses opposants,on condamne l’assassinat des journalistes de rfi et on enterre le dossier NORBERT ZONGO.

  • Le 25 novembre 2013 à 13:44, par le villageois En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

    Le chef peulh dont on parle tant de la puissance mystique qui tuerait les bwaba est une immagination. Ceux qui le disent savent bien que quand on accapare une terre qui n’est pas la sienne et qu’on n’en consome les fruits c’est fatal et ca tous les bwaba le savent. Qu’il aillent chercher les raisons de leurs deces ailleurs.

  • Le 26 novembre 2013 à 08:51, par le fils du paysan En réponse à : Conflit foncier intercommunautaire : un an après, que deviennent les Peulh chassés ?

    cela n’est que le tout debut pour commencer ! et eux memes les autorutes qui payent les terres a des centaines d’hectares au detriments des pauvres paysans . pensez-vous que cela se passera sans consequences dans une dizaines d’annees ? et on chante que la terre appartient a l’etat. si tel est le cas,regler ce litige une fois pour toute. mediocre