Retour au format normal
lefaso.net

Elections : Le Burkinabè de l’étranger n’est pas différent de celui de l’intérieur

samedi 10 août 2013.

 

S’il y a un événement qui n’est pas passé inaperçu et qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers jours, c’est bien les élections des délégués du Conseil Supérieurs des Burkinabé de l’Etranger suivi des sénatoriales. En Amérique comme en Europe en passant par l’Afrique, les différentes missions diplomatiques ont servi de cadres appropriés pour tenir particulièrement les élections sénatoriales.

Beaucoup s’accordent à jaser que les langues ne se seraient pas déliées si l’affaire du Sénat ne s’était pas fait invité dans le débat. Et pour cause, la mise en place du Sénat polarise toutes les attentions, nourrit les débats, divise le Burkina Faso, et augure des lendemains incertains. Le Burkinabè de l’intérieur comme celui de l’étranger y va de son analyse, de sa compréhension et même de sa conviction. D’aucuns pensent que les Burkinabè de l’étranger, notamment ceux qui se sont fait élire sénateurs, devraient boycotter ces élections. Mais ce que l’on peut peut-être ignorer, c’est que le Burkinabè de l’étranger n’est pas différent de celui de l’intérieur.

Lorsque le Burkinabè émigre, il transporte avec lui tout son arsenal culturel. Et la culture étant selon David K. Berlo, expert en communication, “l’ensemble des valeurs, des croyances et des traditions qui nous ont été enseignées par nos parents et nos amis”, le Burkinabè de l’étranger, bien qu’étant un hybride culturel, se ressource toujours dans son passé, son présent et même son futur, bref dans son histoire. Les communicateurs appellent ça “The Grand Narrative”.

Faites un tour en Côte-d’Ivoire et vous serez grandement surpris de constater qu’il y a dans certaines zones, des quartiers baptisés Koudougou, Ouahigouya… Le journaliste du journal “Le Pays” qui relatait les faits il y a quelques deux années de cela, s’étonnait même de voir des pancartes plantées à l’entrée de certaines villes ivoiriennes sur lesquelles on pouvait lire “Bienvenue à Koudougou”. Tout ceci pour dire que le Burkinabè reste toujours attaché à ses valeurs culturelles bien que vivant à des milliers de kilomètres de chez lui. Et comme le dirait l’autre, le séjour d’un tronc d’arbre dans l’eau ne ferait pas de lui un caïman.

Revenons aux élections sénatoriales. Il était 17 heures, heure new yorkaise ce jour-là ; alors que je me baladais, au détour d’un boulevard, une voix me héla. Je me retourne et je reconnais la personne qui m’appelle. Elle a un large sourire jusqu’aux oreilles et les deux bras brandis en l’air avec les poings fermés en signe de victoire. « On a gagné … on a gagné ! », scandait mon interlocuteur. Confus, je lui demande ce qu’il a gagné de si précieux à tel point qu’il soit aux anges. Et de me répondre : “J’étais en direct depuis Washington et notre candidat a gagné l’élection sénatoriale pour l’Amérique du Nord ».

Son candidat c’est bien Guy Lengani, délégué du Conseil Superieur des Burkinabè de l’Etranger de Washington qui venait d’être élu comme sénateur de l’Amérique du Nord (nous étions au 4 aout 2013). Et je demande à mon interlocuteur : « Etes-vous pour ou contre le Sénat ? » Et voici sa réponse : « A vrai dire, moi je suis contre le Sénat, parce que ça n’arrange pas notre pays ». « Pourtant, tu supportes un candidat qui est devenu sénateur », je lui fais remarquer. Le visage de mon interlocuteur se renfrogne et après un moment de silence méditatif, il me demande ceci : « Que puis-je faire maintenant ? Je n’avais pas vu ça comme cela » L’exemple de ce Burkinabè de l’étranger est une illustration de comment les Burkinabè dans leur ensemble votent ; peu importe les votes et la situation géographique.

A la veille d’une élection présidentielle au Burkina Faso dans laquelle Blaise Compaoré est sorti vainqueur, l’un de mes amis qui avait voté pour lui se plaignait que ce dernier gère mal le pays. Je lui demande pourquoi a-t- il alors voté pour lui ? « Ce n’est pas pour lui que j’ai voté, je l’ai voté parce qu’il a nommé le frère de ma femme comme directeur d’une société de la place », me dit-il.

En général il y a trois types d’électeurs au Burkina Faso. Il y a d’abord la masse, la plus nombreuse et non éduquée qui, pour un paquet de sucre ou un billet de 500 f cfa, vote pour un individu. Cette masse-là, elle est naïve et exploitable. Le deuxième groupe d’électeurs, ce sont les intellectuels, imbus et repus de connaissances livresques mais dangereuses et qui font la politique du ventre, comme l’un d’entre eux, qui a occupé plusieurs postes de direction, le disait un jour lors d’une discussion sur l’opposition politique. « Tu sais, l’opposition fait mieux, nous on cherche notre pain ». Cette élite intellectuelle, ce sont les fossoyeurs de la démocratie.

La troisième catégorie d’électeurs reste ceux qui votent pour un candidat par amitié ou pour des raisons parentales, ethniques ou régionales. Vous aurez constaté que dans le pays des Hommes Intègres ou s’en fiche pas mal de programme de société.

Sous d’autres cieux, aux Etats-Unis par exemple, où se sont les électeurs qui mettent la main dans la poche pour soutenir les candidats, c’est totalement l’inverse. Lors de la campagne présidentielle de 2008 qui opposait Barack Obama, le Démocrate au Républicain John Mcain , la fille de Mcain faisait partie d’un groupe de jeune filles (Obama’s Girls, ou les filles de Obama) pour battre campagne contre son propre père parce qu’elle estimait qu’Obama avait un projet de société qui répondait à ses attentes.

En général, les candidats burkinabè de l’intérieur comme ceux de l’étranger pour les différentes élections, connaissent bien l’état d’esprit et ou psychologique des électeurs. Lors des élections pour les délégués du Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger de New York, un candidat disait que “ ceux qui lisent ne sont pas ceux qui votent” pour justifier le fait qu’il n’est pas passé par la presse pour dévoiler son projet de société. Il n’avait pas totalement tort parce que beaucoup de Burkinabè de l’étranger sont plus ou moins déconnectés en matière d’information non seulement parce qu’ils se désintéressent de la chose politique mais aussi à cause du niveau éducationnel de certains. Ils deviennent alors un bétail électoral manipulable à souhait pour n’importe quel “messie” surgissant du néant, leur promettant le salut éternel sur terre et même dans les cieux.

A New York par exemple, si beaucoup d’électeurs comprenaient l’enjeu politique pour la mise en place du Sénat, les résultats sortis des urnes pour le délégué CSBE allaient en être autrement. Ce n’est pas mon interlocuteur du 4 aout passé qui vous dira le contraire. En attendant, frottons les yeux en espérant que le coq chantera et que le jour paraîtra.

Barnabé Bazona Bado<br
Lefaso.net, New York



Vos réactions (10)