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Maternité au Burkina : Quand les jumeaux deviennent des objets à monnayer

vendredi 17 août 2012.

 

Accoucher de jumeaux est devenu une source de revenu pour certaines familles pauvres même si, en général, les jumeaux sont considérés dans nos différentes cultures comme des êtres exceptionnels. Certains brandissent la tradition pour s’autoriser ces pratiques. Il existe pourtant beaucoup de formes de mendicité avec des enfants jumeaux si bien qu’il est nécessaire de connaitre la vérité qui entoure ces pratiques.

La mendicité connait une nouvelle forme au Burkina. Cette fois ce sont les femmes qui pensent faire figure de bonnes auspices en prétextant les coutumes pour valider cette pratique. Elles sont donc de plus en plus nombreuses ces femmes qui s’adonnent à cœur joie à cette pratique en associant leurs enfants à la découverte de la facilité. Chaque jour qui passe, on les voit à côté des feux tricolores et aux abords des ruelles, le regard hagard, implorant avec pitié les passants. Ceux dont la sensibilité se réveille sous le regard des enfants que tiennent ses femmes ne se privent pas de gestes humanitaires.

Ceux qui au contraire, habitué à ses routines déconcertantes finissent par passer outre les génuflexions itératives qui captent l’attention des passants afin de les obliger à céder aux nombreuses demandes. Se déplaçant en permanence sous le soleil, c’est la santé de ces jumeaux qui est mise en jeu par ces femmes en échange de quelques pièces de monnaie ou de menus présents à valeur modestes. Quelques fois, sans y accorder une quelconque attention, ces petits sont laissés dans la boue ou la poussière, un palliatif au confort et aux soins qu’ils réclament à leurs mères. Une mère qui a connu la souffrance d’une grossesse ne rêvera pas pour son enfant cette vie de misère et de petitesse à laquelle les femmes mendiant avec les jumeaux exposent leurs progénitures.

Il apparait clairement que toutes ne sont pas les vrais génitrices de ces enfants. Certaines l’avouent et en expliquent les raisons : « vivre à Ouaga est compliqué. Mon mari ne me donne aucun argent pour la popote mais il veut rentrer à chaque fois trouver quelque chose à manger. Je ne suis pas au village où je peux faire un petit jardin derrière ma concession pour cultiver des tomates, feuilles, etc. Je sais pourtant m’occuper des enfants. C’est ainsi que je demande souvent aux femmes fonctionnaires qui ont des jumeaux et qui ont peur de mendier pour sauver la vie de leurs enfants de me permettre de le faire.

C’est la tradition qui le dit : si tu ne mendie pas, tes enfants vont mourir. Je le fais donc pour elles et ce que je gagne avec les enfants je fais le compte et je prélève ma part le soir lorsque que les ramène », nous confit Rasmata Sedogo, habitant au secteur 24. Kadidiatou Tapsoba quant à elle porte les jumeaux qu’elle a elle-même mis au monde. Elle dit trouver dans ce geste une manière de supporter le coût de la vie lorsqu’on met au monde deux enfants et qu’il faut assurer leur survie. « Au début j’avais honte, mais cela fait 2 mois que je mendie. Ces enfants sont nés avec la chance car ils peuvent me rapporter 5000 f la journée. C’est nettement mieux que si j’étais restée à la maison. En plus la tradition moaga le recommande sinon les enfants ne survivront pas ». Heureusement que toutes celles qui ont eu des enfants jumeaux n’ont pas choisit cette voie car si tel était le cas, toutes les rues seront inondées par les cris et pleurs juvéniles.

Le paradoxe de la réalité

Alors que l’on croyait abréger la vie des enfants jumeaux lorsqu’ils n’étaient pas assujettis à la mendicité, ceux dont les mères se sont abstenues de le faire n’ont pourtant pas enterré de jeunes cadavres. Madame Ilboudo Josiane est de celles-là. « Je n’ai pas soumis à la mendicité mes deux filles jumelles jusque-là mais vous voyez, les voici, elles sont grandes prêtes à se marier. Elles ne sont donc pas mortes. Ce sont des spéculations. Peut-être même que la tradition ne dit pas de faire ça forcément. Est-ce que la tradition peut faire éviter d’avoir des jumeaux ? les gens exagèrent je trouve », nous confit-elle. Le paradoxe est que celles qui utilisent les enfants jumeaux pour mendier ne sont pas des mossis.

Alors la tradition moaga s’applique-t-elle à l’ensemble des Burkinabè ?. Certainement pas. Une source indique bien que dans la ville de Bobo-Dioulasso cette forme de mendicité existe, mais contrairement à toute attente, parmi celles qui le font, les autres ethnies sont dominantes. C’est le cas de Claire Sanou qui réside à Ouaga et qui est à sa troisième année dans cette voie de mendicité. « Pour moi c’est un choix que j’ai fait. J’ai eu la chance de visiter quelques pays côtiers et la bas celles dont les maris étaient des immigrés quelque part le font pour prouver à leur beau parent qu’elles sont prêtes à tous pour les enfants. En Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin, au Mali il ya ce phénomène. Certaines même nourrissent toute une famille avec ça. Mes enfants sont grands maintenant mais je suis habitué à ça. Je ne peux plus arrêter », nous confit-elle. Elles ont pourtant presqu’une manière commune d’exercer ce « nouveau métier ».

Lorsqu’elles vous approchent, elle vous lance un bonjour accompagné d’un sourire, vous présente les jumeaux ensuite et tiennent ce langage : « Les jumeaux vous demandent quelque chose ». Elles choisissent aussi les endroits les plus propices. Elles connaissent tous les quartiers et secteurs de la ville de Ouagadougou. Elles connaissent aussi les endroits et les jours où les gens sont plus généreux. Généralement c’est le vendredi que les gens sont plus généreux, c’est pourquoi leurs présence est très remarquable aux alentours de la grande mosquée. C’est là que beaucoup de personnes viennent souvent leur faire des offrandes, au nom des jumeaux. Pourtant les enfants que ces mères tiennent ne sont pas tout le temps des jumeaux. Il ya parmi eux des traits distinctifs qui permettent de le découvrir.

Certaines femmes révèlent qu’elles négocient des enfants des voisins, prétextant avoir un amour pour eux et négociant la permission d’aller en ville avec eux. Elles trompent ainsi la vigilance des vrais mères qui profitent de l’absence de leurs enfant pour faire la lessive et la cuisine pendant que les enfants sont dans les mains de profiteuses circonstancielles. Une femme qui n’a pas voulu donner son nom dit qu’elle trouve un alibi pour amener l’enfant. Lorsqu’elle rentre après elle achète de l’oseille ou des oignons pour calmer la vraie mère en lui mentant qu’elle était allée rendre visite à sa tante.

La tradition ne cautionne pas ce comportement

Face aux spéculations qui entourent cette pratique, le Larlé Naaba se veut ferme sur l’accusation que certaines personnes font peser sur la tradition moaga. Selon lui, l’apparition de jumeaux ne date pas d’aujourd’hui. En tout temps ces jumeaux ont toujours fait l’objet d’attention particulière ou même de crainte. Le passé révèle que dans certaines contrées les jumeaux ont été servit en holocauste pour demander des faveurs à des ancêtres car les gens qui étaient à l’origine de ces actes croyaient fermement aux bienfaits que leur sacrifice pouvait apporter. L’expérience a permis par la suite de condamner ces comportements et d’accueillir l’arrivée des jumeaux comme un événement extraordinaire que Dieu a voulu. C’est ainsi que dès l’arrivée de jumeaux dans une famille, des efforts sont faits pour préparer une nourriture spéciale et célébrer une fête en leur nom. C’est le cas des mossis qui accueillent la venue des jumeaux comme un événement heureux.

En l’occasion, la tradition veut que le nombre de fois que les mères sortent pour se présenter au marché avec les jumeaux n’excède pas 4. Selon le Larlé Naaba, si les jumeaux sont uniquement des garçons, le nombre de fois autorisé pour leur promenade au marché est 3. Si ce sont des filles cela se fait 4 fois. Les jours également ne sont pas choisit au hasard. Le Kassiri Naaba précise que lorsque les nouveaux-nés sont des jumelles, généralement ce sont les quatre mercredi qui suivent leur naissance qui sont choisit pour aller au marché demander. Chaque mercredi jusqu’à 4 fois cela est autorisé.

A l’issue de la dernière sortie, les parents préparent du tô de mil avec de la sauce de sésame en leur honneur. Ils les mettent ensemble dans une case et dépose la nourriture près d’eux. Ceux qui ont les moyens peuvent accompagner la sauce de poulet. Pour les garçons jumeaux les sorties se font trois fois et c’est généralement le jeudi qui est choisit pour cela. Eux-aussi doivent bénéficier de ce traitement en matière de nourriture. Même si les parents sont à l’étranger et n’ont pas pu respecter cette tradition, ils peuvent se racheter une fois qu’ils reviennent au pays.

Le Larlé Naaba exhorte la population, surtout les mossis a ne pas accuser la tradition en s’autorisant une mendicité éternelle. Ce phénomène doit prendre fin si nous voulons préserver la vie de ces jumeaux à qui l’on donne toute sorte d’aliments souillés en prétextant faire des sacrifices. Déjà qu’ils sont fragiles, évitons donc de retomber dans ce temps où seule leur mort par tous les moyens était le but principal des garants de traditions ancestrales.

Par Michaël Pacodi (pacomik@yahoo.fr)

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