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KOKOLOGO : Querelles autour d’un champ de karités

mardi 24 juillet 2012.

 

L’arrêté N° 2012- 005 du maire de Kokologo en date du 10 mai 2012 interdisant toute activité sur les espaces verts et les réserves administratives résonne dans les oreilles des héritiers de feu Naaba Boulga comme une confiscation pure et simple de la plantation de karités de leur père. La toile de fond de ce coup de force, ce sont sans doute les rivalités politico-coutumières locales dont les connexions s’étendraient même au plan national.

Ils ne sont pas nombreux les Burkinabé qui ont pris conscience de la richesse que constitue la préservation de la nature. S’ils en connaissent les avantages dont ils profitent du reste abondamment, ils ne s’investissent pas pour autant dans des actions de sauvegarde, s’en remettant pour cela à l’action de Dame Nature. Ce n’est pas le cas de Naaba Boulga de Kokologo qui avait très tôt compris l’intérêt qu’il y a à sauvegarder des essences comme le karité, un arbre aux multiples vertus. C’est en effet au début des années 40 que le chef aurait commencé à mettre en terre des plants de karité. Au moment de sa disparition, la plantation s’étendait sur une superficie dépassant les 20 hectares. C’est cela qu’un arrêté communal vient de remettre en cause au moment même où les héritiers de feu Naaba Boulga s’apprêtaient à régler la succession de leur défunt père.

Difficultés dans le règlement de la succession

L’acte de propriété provisoire de la plantation établi à la demande de Naaba Boulga portait le nom de son fils aîné. C’est ce dernier qui lui succéda au trône de Kokologo. Comme on le sait, ce fils aîné devenu par la suite naaba Koanga est mort tragiquement le 15 avril 2011. Dans le but d’établir la propriété commune de tous les héritiers sur la plantation, les frères survivants ont du recourir à la justice. C’est ainsi qu’une ordonnance de rectification d’acte foncier a été pris par le tribunal de grande Instance de Koudougou le 19 décembre 2011. La décision judiciaire s’est fondée sur l’examen d’un certain nombre de pièces dont l’arrêté d’attribution provisoire, le certificat d’hérédité et l’inventaire des biens du défunt père Naaba Boulga. Il est à noter que l’inventaire des biens avait été écrit de la main du fils aîné lui-même.

C’est donc sur ces fondements que le tribunal a conclu que l’indication de l’identité de Kaboré Roger Jean Sylvestre (le nom à l’état civil du fils aîné) sur l’arrêté portant attribution provisoire comme attributaire, est une simple erreur pouvant affecter les droits de ses cohéritiers. Le tribunal ordonne donc au receveur des domaines du Centre-Ouest-Koudougou de procéder à la rectification de l’arrêté et d’indiquer comme attributaires, les héritiers de feu Kaboré Konkebzanga Antoine » dit Naaba Boulga. L’arrêté préparé par les soins du receveur est soumis à la signature du maire le 8 février. Mais le document traine depuis dans le bureau du maire, ce qui a amèné l’avocat des héritiers à le relancer. Il demande notamment au maire de notifier au receveur des domaines ou à lui-même pour le compte de ses clients, « tout obstacle ou difficultés afin d’y suppléer s’il y a lieu. »

Cette interpellation ne connaîtra aucune suite. Par contre, une série d’actes contraires seront posés à l’initiative du maire. Le 23 février 2012, le bourgmestre réunit son conseil d’où il en sortira des décisions totalement contraires à l’esprit de la démarche des héritiers. On peut citer l’arrêté interdisant toute activité dans les espaces verts et réserves administratives. La plantation n’est pas explicitement désignée mais tout le monde comprend qu’elle est la cible principale de l’oukase communal. A preuve, la notification faite à un employé d’un des héritiers Kaboré, le seul à y avoir aménagé de mettre fin désormais à toute activité dans le domaine.

L’escalade

Le 5 juin 2012, de jeunes ouvriers convoyant des chargements de briques du CSPS de Kokologo vers celui de Mokin sont arraisonnés, sur instruction du commissaire de police. Les jeunes gens sont détenus au commissariat, de même que les charrettes et leurs contenus. Cet acte de police apparemment anodin cache en réalité des dessous autrement plus significatifs. Celui qui a instruit ces jeunes à la tâche s’appelle Emile Réné Kaboré, un des héritiers de Naaba Boulga. A la tête d’une fondation créée en 2003 (Fondaction Actions, gestion des Initiatives et des ressources pour le Développement, en abrégé AGIRD) il a entrepris un certain nombre d’activités de développement dans le département : approvisionnement en matériel médical, construction d’infrastructures sociales et éducatives.

Dans le cadre des activités sociales initiées par cette fondation, 23 000 briques avaient été confectionnées et entreposées au CSPS de Kokologo. L’Association Amitié Croisette Ternois-Kokologo, le partenaire de la Fondation dont les premiers responsables étaient en visite à Kokologo courant février 2012, avaient pourtant dans un communiqué conjoint avec M. Kaboré président de la Fondation, apporté la précision suivante : « les deux présidents ont décidé que les 13 000 briques restantes serviront en priorité à la réalisation du complexe scolaire et des maternités de Mokin et Sam Nindaga ». Du reste, il était de notoriété publique que la Fondation AGIRD était le maître d’œuvre de ces activités. Sauf à jouer la mauvaise foi, il est difficile de contester au président Kaboré de disposer de ces briques, d’autant que le Médecin chef du CSPS avait été préalablement informé et avait même marqué son accord, si l’on en croît la note adressée par Emile Kaboré au commissaire de police.

Au total : refus d’appliquer une décision judiciaire, interdiction d’activités dans un domaine foncier privé, entrave aux activités sociales de la fondation AGIRD, ce sont autant d’actes hostiles que les héritiers de Naaba Boulga appréhendent comme un acharnement dirigé contre eux. Mais tous ces actes ne sont compréhensibles que s’ils sont replacés dans le contexte des rivalités politico-coutumières qui opposent les acteurs politiques locaux. René Emile Kaboré, ancien ministre et ancien membre éminent du CDP est sans doute la cible principale de ces menées. Son divorce d’avec le CDP s’était très mal passé. On a en mémoire la fatwa familiale qui interdisait aux responsables nationaux du CDP de mettre les pieds dans la cour royale. Cette décision aurait été dictée par des actes répétés, perçus comme des tentatives de division de leur famille. Depuis, les barons locaux du CDP et les frères Kaboré, en particulier Emile, se regardent en chiens de faïence.

C’est dans ce climat délétère qu’interviennent les déboires actuels que rencontreraient les enfants de Naaba Boulga. Emile Kaboré selon toute vraisemblance ne semble pas avoir renoncé à toute prétention politique. Or l’espace vital est assez réduit pour contenir tous les éléphants locaux en mal de leadership. Par ailleurs, la mort de Naaba Koanga, le frère ainé, reste toujours une énigme. Les frères Kaboré déclarent n’avoir qu’une obsession :

découvrir la cause et les circonstances réelles de sa mort. Quoiqu’il en soit, Kokologo doit pouvoir survivre aux querelles de ses fils. Mêmes acharnées, celles-ci doivent obéir à un minimum de règles civilisées. Dans un Etat qui se veut de droit, on ne peut croire qu’une personnalité élue censée incarner la loi, foule aux pieds une décision de justice. Le MATDS qui assure la tutelle des communes est interpellé. L’incivisme des jeunes gens que tous redoutent tant, se nourrit de l’impunité de nos ‘‘grands’’ qui ne savent pas donner le bon exemple. La gestion de la succession de naaba Koanga apparait bien délicate. L’immixtion de la politique politicienne dans les affaires coutumières a toujours donné un cocktail explosif. Instruit par le précédent de Guenon dans le Nahouri (11 morts), il faut éviter que la situation à Kokologo qui bout telle une cocotte, ne se transforme en déflagration.

L’Evénement