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LUC ADOLPHE TIAO, PREMIER MINISTRE : « je pense que cette pension de député peut se justifier* »

lundi 23 juillet 2012.

 

Arrivé à la tête du gouvernement pour redresser la barre d’un navire qui prenait de l’eau de toutes parts, le Premier ministre, Beyon Luc Adolphe Tiao, est en passe de réussir son challenge. Après quinze mois de dur labeur, le gouvernement burkinabè a su ramener la paix sociale. Mieux, il travaille d’arrache-pied pour que chaque citoyen puisse jouir des retombées de la croissance économique. Reçu en Invité de la rédaction, le vendredi 13 juillet, M. Tiao a eu tous les honneurs dus à son rang, en retrouvant « la maison » où il a forgé ses premiers pas de journaliste. D’ailleurs, on a beau chasser le naturel, il revient au galop. Pour dire que M. Tiao, bien qu’occupant de hautes fonctions politiques, reste avant tout journaliste. Très direct, parfois se mettant dans la peau du journaliste, le Premier ministre, a su donner réponses à la flopée de questions.

De la crise sociopolitique et économique de 2011 au Burkina à celle actuelle au Mali en passant par l’affaire dite de Boussouma, l’indemnité de logement, etc., le Premier ministre, avec son franc-parler habillé d’humour, a su captiver son auditoire, étancher la soif de notre rédaction et, nous l’espérons, répondu avec les mots qu’il faut, aux nombreuses et légitimes préoccupations des Burkinabè.

Sidwaya (S.) : Vous avez été nommé dans un contexte de crise sociopolitique, avec pour mission prioritaire de travailler à la juguler. Aujourd’hui, peut-on affirmer que cette page trouble est définitivement tournée ?

Luc Adolphe Tiao (L.A.T.) : Quand on fait une analyse de cette nature, il faut être très prudent. Si nous faisons une comparaison entre la situation que nous avons connue au premier trimestre 2011 et celle d’aujourd’hui, sans doute, nous avons fait un long chemin en avant. De façon globale, je pense que la paix sociale est revenue et est en train de se consolider, même si par-ci par-là nous vivons des épiphénomènes qui peuvent nous rappeler les difficiles moments de 2011.
Au plan économique, même si nous avons connu cette année, une situation alimentaire difficile, il faut reconnaître que, dans l’ensemble, notre économie se porte bien.

Toutefois, il est difficile de dire que la crise est définitivement enterrée. Je suis plutôt tenté de dire que nous avons maîtrisé les facteurs principaux qui ont été à la base de cette crise. De manière générale, les Etats sont confrontés en permanence à des difficultés. Je ne pense pas qu’il y ait un Etat à l’abri de tout conflit et de tout problème.

S. : Quelles sont les leçons fortes que vous avez tirées de cette crise ?

L. A. T. : Tout Burkinabè peut en tirer des leçons. La première des leçons que nous avons tirée, c’est que nos populations ont soif de liberté et de justice. Elles attendent aussi du gouvernement et des gouvernants, davantage d’efforts à travers une bonne gouvernance ainsi qu’une prise en compte de leurs préoccupations réelles qui, je l’avoue, ne sont pas toujours théoriques. Les populations attendent également que le gouvernement et les gouvernants en général soient beaucoup plus proches d’elles. Ce sont ces leçons majeures que nous tirons, en nous disant qu’en tant que membres du gouvernement, nous devons plus que jamais nous considérer comme des serviteurs de notre peuple.

S. : Vous parlez de bonne gouvernance alors que de récents rapports d’enquêtes parlementaires font état de défaillances dans la gestion des marchés publics et de la subvention gouvernementale dans le secteur de la santé.

L.A.T. : Je dois rappeler que ces rapports ne concernent pas mon gouvernement. Ils portent sur une période allant de 2006 à 2009. Donc ce n’est ni juste, ni correct de faire le lien avec notre gestion. Nous reconnaissons cependant que les résultats de ces enquêtes sont préoccupants. En matière de gouvernance, mon gouvernement a fourni beaucoup d’efforts, sans faire de tapage. Nous avons renforcé les textes qui permettent de limiter ce qui peut être considéré comme des facteurs favorables à la corruption, à la fraude, à la mauvaise gestion.

Nous avons aussi, sans souvent le dire, relevé de hauts cadres de leurs fonctions lorsque nous avons été convaincus que des soupçons forts pesaient sur eux ; notamment sur la façon dont ils géraient les deniers publics. La question de la lutte contre la corruption n’est pas facile à résoudre. Il y a deux aspects importants à voir dans cette lutte. Premièrement, il faut des preuves, comme c’est le cas avec ces enquêtes parlementaires. Nous analyserons les différents rapports puis nous les transférerons à l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat (ASCE) pour de plus amples vérifications. Ensuite on pourrait saisir la justice pour que les personnes qui se sont rendues coupables de corruption et de mauvaise gestion dans le cadre de ces projets soient jugés. Il y a donc, un long travail à faire d’abord, pour situer clairement la culpabilité des auteurs présumés de mal gouvernance. Nous travaillons de manière méthodique pour que seuls les vrais fautifs soient effectivement devant la justice.

Deuxièmement, il faut compter sur une très forte collaboration des citoyens dans la lutte contre la corruption. Les autorités ne peuvent pas savoir tout ce qui se passe sur les chantiers, dans les bureaux, etc. Il faut bien que des personnes proches de ces lieux nous fassent remonter les informations sur les cas de mauvaise gestion ou de fraude. Une fois que nous disposons de ces informations, nous pouvons combattre efficacement la corruption.

S. : Comment se porte l’économie burkinabè après la crise nationale et dans le contexte de la crise financière internationale ?

L.A.T. : Depuis quatre ou cinq ans, l’économie mondiale traverse des difficultés. Dans la sous-région, les répercussions se font ressentir. Dans l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), le taux de croissance en 2011 était d’environ 1,7%. Dans la même période, le Burkina Faso a enregistré un taux de croissance de 4,2% de croissance. Or en 2010, nous étions à un taux de croissance économique de 7,9%. Pour cette année 2012, nous ambitionnons atteindre 7,2% en gros.

En considérant toutes ces données, je peux dire que notre économie reprend son envol. Et cela, grâce au dynamisme du secteur minier qui, aujourd’hui, nous permet de renforcer les finances publiques. Nous avons aussi réalisé une bonne production de coton l’année dernière en dépit de la saison agricole globalement déficitaire. Le recouvrement des recettes internes est également très satisfaisant, il s’améliore. Au 30 juin 2012, nous étions à plus de 486 milliards de F CFA de recettes internes recouvrées ; soit un taux de réalisation de plus de 118% comparé aux prévisions.

Dans la même période en 2011, nous étions à environ 300 milliards de F CFA. C’est dire que nous allons sans doute faire plus de recettes propres cette année que nous l’avions fait l’année dernière. Le contexte est difficile mais nous essayons de tenir la barre haute. Au plan régional, nous pensons aussi que la conjoncture devrait connaître une amélioration pour favoriser la croissance économique.

S. : D’aucuns pensent que le boom minier burkinabè profite plus aux sociétés minières qu’au gouvernement et aux populations. D’où des mouvements d’humeur de citoyens contre certaines de ces sociétés. Que fait le gouvernement pour que les mines profitent réellement au pays et surtout aux populations riveraines des mines ?

L. A.T. : Je comprends la réaction de nos compatriotes. Mais je ne partage pas toujours leurs analyses. Le secteur minier aujourd’hui au Burkina Faso est animé par sept grandes mines industrielles. Je ne compte pas les mines semi-mécanisées. Les sept grandes mines emploient plus de cinq mille personnes à travers le pays. Au titre des recettes budgétaires, nous avons engrangé en 2011, plus de 127 milliards de F CFA, pour un budget total en recettes estimé à 1 200 milliards de francs CFA. L’apport de ce secteur n’est donc pas négligeable. Dans de nombreuses régions, les sociétés minières ont fait des investissements au profit des populations. J’ai pu le constater lors de mes visites sur certains sites, récemment à Essakane et l’année dernière à Mana.
Ceci étant, je comprends souvent la réaction des populations. Je reconnais que des efforts restent à fournir. J’ai toujours dit que le périmètre de l’exploitation minière ne devrait pas se transformer en une espèce d’enclave de riches dans un océan de misère.

Nous ne pouvons pas l’accepter. Les sociétés minières doivent savoir que si elles font des investissements, elles doivent nécessairement penser à nos communautés, à travers la réalisation d’infrastructures à caractère social et économique à leur profit. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Ce manquement semble être le tendon d’Achille de nombre de nos sociétés minières.
Nous les incitons dorénavant à inclure des plans de développement communautaire dans leur espace d’implantation au profit des populations riveraines des mines. Imaginez la réaction dans un village qui, subitement, se retrouve avec de gros engins et de belles voitures, alors que les conditions de vie des habitants ne s’améliorent pas ! Cela pose forcément des problèmes. C’est pourquoi nous tenons ce nouveau langage aux sociétés minières et nous voulons qu’il en soit ainsi pour celles qui vont s’installer dans notre pays.
L’autre fait est que notre pays n’a pas vraiment une tradition minière. Alors que le secteur est très complexe en matière de législation, de fiscalité, de politique. Nous avons réellement commencé la grande exploitation, il y a à peine dix ans. Et notre code minier ne pouvait tenir compte que de ce que nous connaissions et maîtrisions. Maintenant, nous sommes en train de travailler à réviser ce code minier qui, je l’espère, sera adopté par les députés avant la fin de l’année.

Ce nouveau code va imposer de nouvelles obligations de telle sorte que nous puissions prendre en compte certaines revendications posées par les populations. Je crois que ce nouveau code minier va nous permettre de tirer le maximum de profit des ressources générées par ce secteur.

S. : Ramatoulaye, un lieu de pèlerinage musulman dans le Yatenga, au nord du pays, d’après nos informations, pourrait être délocalisé parce qu’une société minière devrait s’y installer. Qu’en est-il exactement ?

L. A. T. : Non, non ce n’est pas vrai ! Il y a trop de rumeurs. Hier (Ndlr : jeudi 12 juillet 2012), j’ai appris qu’il y aurait de l’or autour du pied-à-terre du président du Faso à Ouahigouya et que les populations menacent de le transformer en site d’orpaillage. Non ce n’est pas vrai, ne vous fiez pas aux rumeurs.
Ceci dit, pour les sociétés minières qui disposent d’un permis, il existe des conditions très précises pour leur installation. On ne peut pas déplacer les populations sans qu’elles ne soient conséquemment dédommagées. C’est ce qui s’est passé avec toutes les sociétés régulièrement implantées au Burkina Faso.

Pour le cas de Ramatoulaye, je tiens à vous dire une fois pour toute, qu’il n’est pas question pour nous de délocaliser ce village. L’exploitation minière ne peut pas passer devant notre patrimoine culturel. Je tiens à démentir formellement ces rumeurs. Il n’est pas question de délocaliser Ramatoulaye pour y installer une société minière.

S. : La prolifération de l’orpaillage dans notre pays rime avec de nombreux maux, notamment l’utilisation incontrôlée du cyanure, le travail des enfants, l’insécurité, la prostitution, etc., sur les sites. Que fait votre gouvernement pour contrer ces effets pervers de l’exploitation minière ?

L.A.T. : Je suis d’accord que l’orpaillage est un véritable fléau. Aujourd’hui, il est difficilement maîtrisable. Du jour au lendemain, vous apprenez que l’on a découvert de l’or quelque part sur le territoire national, et c’est la ruée. Dans le cadre de la révision du code minier, nous sommes en train de voir comment réglementer le secteur de l’orpaillage pour mettre fin à l’anarchie qui nous pose beaucoup de problèmes. Pour le moment, j’avoue qu’il n’y a aucune norme de sécurité. Les enfants abandonnent les classes pour y travailler. Autour de ces sites, se développent des pratiques néfastes comme la prostitution avec son lot de maladies et d’exploitation de la femme. A la fin, on se demande si l’orpaillage apporte quelque chose aux orpailleurs.
C’est une préoccupation pour nous et nous comptons sur la collaboration de la population pour trouver la solution appropriée. Parce qu’il nous est difficile de déployer sur l’ensemble du territoire, autant de forces de l’ordre pour nous assurer que les populations ne vont pas exploiter de manière anarchique certains sites. Nous espérons pouvoir réglementer l’orpaillage au même titre que l’exploitation industrielle des mines.

S. : La vie chère est une réalité au Burkina. Votre gouvernement a pris des mesures en vue de soulager un tant soit peu les populations. Etes-vous satisfait ou déçu des effets de ces mesures ?

L. A.T. : J’ai un sentiment mitigé. Nous avons eu la volonté de faire en sorte que la population ait accès aux produits de base. L’année dernière, nous avons subventionné certains de ces produits. Ce qui a permis aux populations de les acheter pendant trois ou quatre mois à des prix abordables. Mais nous sommes tout de même dans un système libéral. Cela implique que nous ne pouvons pas continuer, tout le temps, à imposer des prix qui ne reflètent pas la réalité du marché. C’est pour cette raison que nous avons pris des textes en novembre-décembre dernier qui plafonnent les marges bénéficiaires de certains de ces produits. Nous avons également donné la possibilité aux gouverneurs de contrôler les prix des produits de grande consommation dans leur région respective.

Donc au plan réglementaire, les dispositions existent ; mais les difficultés se posent dans l’application de ces mesures. Honnêtement, nous ne disposons pas de suffisamment de moyens financiers et humains pour mettre des contrôleurs de prix dans toutes les localités du Burkina Faso pour nous assurer du respect des prix convenus. Nous avons organisé, récemment, des contrôles inopinés de prix sur les marchés de certaines grandes villes, surtout pour attirer l’attention des commerçants sur la nécessité d’appliquer la réglementation, sans que nous soyons à chaque fois à leur trousse. Nous ne pourrons pas toujours courir derrière eux pour qu’ils respectent les prix fixés. La réalité est qu’il y a des gens qui veulent toujours gagner plus qu’il n’en faut.
Je peux cependant vous garantir que l’effort de réglementation marche relativement bien, même si je reconnais que les prix de certaines denrées restent encore élevés. Mais si nous n’avions rien fait, la situation aurait été pire aujourd’hui.

Le sac de maïs ou de sorgho peut se négocier entre 19 mille et 20 mille F CFA sur certains marchés. A l’intérieur du pays, moi-même j’ai pu apprécier, les prix pratiqués sur les marchés sont élevés.
Je me suis arrêté de manière inopinée dans un marché à Koukouldi dans la province du Sanguié pour demander le prix du sac de sorgho. Le commerçant m’a répondu qu’il le vendait à 26 mille francs CFA. Le plat communément appelé « yoruba » était à plus de 400 F CFA. J’ai vu à l’occasion une dame venue faire le marché qui ne pouvait pas honorer ces prix-là.
Pour remédier à cette situation, nous devons travailler pour augmenter la production céréalière au plan national. Parce que, même s’il y a un peu de spéculation, il s’agit là surtout de la conséquence de la loi de l’offre et de la demande. Et si nous arrivons à produire de grandes quantités, une bonne partie se retrouvera sur le marché et nous réussirons ainsi à faire baisser la spéculation. C’est ce que nous essayons de faire à travers notre politique de développement agricole.

S. : Au cours du mois de mars, les syndicats ont dit que votre période de grâce est terminée. Comment réagissez-vous à cela ?

L. A. T. Je ne sais pas si j’ai eu une période de grâce. Je n’ai jamais eu l’impression qu’on me caressait dans le sens du poil. Je pense que quand on gouverne un pays, il ne faut pas s’attendre à ce qu’on vous jette des fleurs tous les jours. Ce n’est même pas réaliste de penser ainsi. Quel que soit l’acte que vous allez poser, vous trouverez toujours des mécontents. Mais notre politique consiste à agir de sorte que la majorité soit satisfaite. Et s’il y a des gens qui ont été le plus satisfaits, ce sont les salariés. Nous avons pris d’importantes mesures de revalorisation du pouvoir d’achat des travailleurs. Il s’agit, notamment, de la généralisation de l’indemnité de logement et de celle de sujétion.

Il faut quand même reconnaître que ce sont des avancées qui ont été faites au plan social. Nous faisons avec ce que nous avons. Tout le monde connaît notre budget. On connaît aussi ce que nous avons comme ressources financières. Nous n’avons pas le choix. Le jour où les ressources permettront d’avoir le double de ce que nous avons, nous ferons encore mieux.
Vous l’avez dit au début, la crise économique est là de même que l’inflation. Ce n’est pas simple. Cette année, le taux d’inflation tourne autour de 2,6%. C’est quelque chose d’important. Mais nous travaillons sincèrement avec les moyens de bord et dans l’intérêt de la majorité de la population.

S. : N’y a-t-il pas lieu de revoir la copie en ce qui concerne l’incivisme, car il y a des moments où le citoyen a l’impression que le gouvernement fait profil bas. Faut-il croire que votre gouvernement a peur ?

L. A. T. : Pourquoi mon gouvernement devrait-il avoir peur (rires) ? Est-ce que je vous donne l’impression de quelqu’un qui a peur ? Il faut me donner des cas concrets. Dans quel cas nous n’avons pas réagi ? Dans le cas de la lutte contre la corruption, j’ai dit que nous avons pris des mesures pour relever un certain nombre de personnes de leur fonction. Je n’ai pas besoin de citer leurs noms ici. En ce qui concerne le rapport du parlement, nous venons de prendre connaissance de son contenu. Comme je vous l’ai dit, nous examinerons au détail près les faits incriminés. Ceux qui sont avérés, ne resteront pas impunis. Même s’il y a des cas de corruptions, de malversations avérées sous mon gouvernement, avec des preuves, la personne qui sera mise en cause assumera. J’ai tenu ce langage clair à tout le monde y compris aux membres du gouvernement. Mais je vous dis aussi que je ne peux pas inventer des gens corrompus (rires). Il faut bien qu’ils existent ! Tout simplement pour dire que le gouvernement n’a pas peur.

Nous sommes plutôt respectueux des droits des citoyens. Nous sommes respectueux des droits humains. Il y a eu, c’est vrai, dans le passé, certains abus. C’est pourquoi, face à chaque situation, nous avons une méthode. C’est d’abord de privilégier le dialogue. Si maintenant ce dialogue échoue, nous passons à la méthode forte, suivie d’une procédure judiciaire, s’il le faut.
En ce qui concerne les mouvements que nous voyons, je pense qu’il ne faut pas les dramatiser, sans non plus les sous-estimer. Connaissez-vous un pays sans remous sociaux ? Ce pays n’existe pas. Des Etats-Unis en passant par la Russie, la France…, un peu partout, c’est comme cela.
Dans la société, les gens ne sont jamais satisfaits et ils veulent toujours se soustraire à l’autorité de l’Etat. C’est à nous de nous organiser pour qu’à chaque fois qu’il y a contestation de l’autorité de l’Etat, nous le rétablissions, y compris par la force s’il le faut. A ma connaissance, personne ne peut me dire aujourd’hui, qu’il y a eu des actes d’incivisme avérés qui n’ont pas été sanctionnés ou dans lesquels l’Etat n’a pas eu le dernier mot. Qu’on me donne un seul exemple !

S. : Et le cas de Boussouma ?

L. A.T. : Ce qui est paradoxale dans cette affaire, ce sont mes confrères journalistes que je ne comprends pas. En même temps qu’on dénonce les cas d’incivisme, le manque de l’autorité de l’Etat, on me critique sévèrement d’être parti à Boussouma.
C’est quoi le cas de Boussouma ? Voilà une situation où, depuis le mois de janvier, le maire a des difficultés à pouvoir exercer ses fonctions. Une partie de la population lui interdit de se rendre dans son bureau sous prétexte qu’il refuse de rendre compte de sa gestion et l’interdit même de se rendre à Boussouma.

A l’occasion d’une visite dans la région j’ai souhaité passer saluer le Dima de Boussouma, parce que j’estime que c’est une autorité morale importante de la région. D’ailleurs, partout où je me rends, je vais toujours rendre visite aux autorités coutumières. Je l’ai fait au Moogho Naaba, au chef suprême des Bobo et au roi de Tenkodogo. Le Dima fait partie des cinq rois reconnus du Burkina Faso. Pour moi, c’était tout à fait normal d’aller lui rendre visite.
J’ai donc été présenter mes hommages au roi de Boussouma qui m’a bien reçu et je lui en suis toujours reconnaissant. Nous avons eu un long entretien au cours duquel, j’ai profité lui demander de peser de tout son poids moral pour que la paix revienne dans son royaume et, particulièrement, à Boussouma. Je savais très bien qu’il y avait un conflit. Mais, est-ce parce qu’il y a un conflit quelque part, que le Premier ministre ne doit donc pas s’y rendre ? Au contraire. Je rappelle que j’ai passé plus d’une heure chez le Boussouma parce que la pluie m’y a enfermé.

J’ai ensuite quitté le DIMA de Boussouma en me décidant d’aller saluer le maire parce que je me suis dis que ce ne serait pas intéressant que je vienne dans sa localité sans le saluer. Chose que je fais quand je voyage à l’intérieur du pays. Et après mon départ, des gens sont allés le menacer de mort. Est-ce normal, dans ces conditions, qu’on laisse la situation perdurer ? Voilà pourquoi le Gouvernement a pris ses responsabilités. Nous sommes dans un Etat républicain. Le Premier ministre peut aller là où il veut. Il peut rencontrer qui il veut, tout comme peut le faire n’importe quel citoyen burkinabè. Personne n’a le droit de contester à un autre le droit d’aller et venir là où il veut en moins d’avoir été condamné par la justice. Si nous acceptons que les populations se fassent elles-mêmes justice alors plus personne ne pourra jamais diriger ce pays.

Nous ne sommes pas allés à Boussouma raviver le conflit. Mais nous y sommes allés parce que nous pensions que c’était la meilleure façon pour nous de contribuer à régler une situation socio-politique difficile. Je crois que les mesures que nous avons prises après mon passage ont permis de mettre fin à une terreur qui impressionne certains à Boussouma. Depuis lors, le Maire vaque à ses occupations même si c’est sous protection.

S. Excellence, revenons à l’actualité. Etes-vous optimiste sur la réussite de la célébration du 11 décembre et des élections couplées communales et législatives du 02 décembre 2011 ?

L.A.T : Vous abordez ici deux préoccupations d’actualité effectivement. Je réponds d’abord au premier volet de votre question relative aux scrutins du 02 décembre. Comme vous le savez, c’est la Commission électorale national indépendante (CENI) qui conduit tout le processus jusqu’à l’expression des suffrages. Pour le moment, les informations dont je dispose me rassurent quand à la tenue effective de ces élections à cette date. C’est vrai que, au début de l’opération d’enregistrement biométrique, nous avons connu quelques difficultés techniques qui ont conduit à la prorogation de la période aux CASCADES de cinq jours. Je pense que ce retard a été résorbé avec la réorganisation du calendrier de la CENI.

Je saisis l’occasion pour renouveler mon appel à tous mes concitoyens, de quelque bord politique qu’ils soient, à se mobiliser pour s’inscrire massivement sur les listes électorales. J’invite à nouveau toutes les formations politiques, les leaders d’opinion, les autorités religieuses, administratives et coutumières à apporter leur contribution au succès de cette opération. La réussite de l’enregistrement biométrique sera déjà un bon indicateur de la réussite des élections du 02 décembre.

En ce qui concerne la commémoration de la fête de l’indépendance le 11 décembre à Koudougou, je puis également vous rassurer que le comité national d’organisation est à pied d’œuvre pour réussir ce rendez-vous qui a été reporté l’année passée compte tenu du contexte de crise que nous vivions. Il y a deux semaines, j’étais sur le chantier et j’ai pu constater l’engagement des opérateurs et promoteurs à achever leurs villas, j’ai visité les différents chantiers de la maison de la culture de Koudougou, l’hôtel administratif, le boulevard du défilé, etc. J’ai eu une rencontre avec le comité d’organisation pour faire le point.
Au terme de cette visite de suivi des préparatifs, je suis à même de dire que nous sommes bien avancés et que nous pourrons honorablement tenir le pari du 11 décembre à Koudougou.

S. : Concernant la lutte contre la corruption, vous avez dit que des actions sont entreprises, mais dans le silence. N’est-ce pas ce manque de communication qui fait que les citoyens ont le sentiment qu’il y a de l’impunité ?

L. A. T. : Les gens auront toujours le sentiment qu’il y a de l’impunité. Je vous assure que le Gouvernement ne reste passif face à corruption. J’ai ma méthode et je pense qu’il y a certaines choses sur lesquelles il ne faut pas faire trop du vacarme. Ce sont les résultats qui comptent et nous, nous mettons l’accent sur les résultats. Je l’ai dit, nous sommes un pays pauvre et on ne peut pas accepter que des personnes pensent beaucoup plus à leurs intérêts qu’à ceux de la Nation.
Je peux vous assurer que nous allons donner suite à ces rapports qui ne resteront pas, comme le pensent déjà certains, dans des tiroirs. Nous assumerons notre part de responsabilité sans excitation mais aussi sans état d’âme. Je ne suis comptable des fautes des autres même s’il ya la continuité gouvernementale.

S. : Est-ce à dire qu’il y a une différence entre votre gouvernement et les précédents gouvernements ?

L.A.T. : Chacun a sa façon de voir et son style. Le Gouvernement est une continuité mais chacun à sa façon de travailler, mais moi je suis d’abord comptable des actes que je pose. Même si je dois, au nom de la continuité, accepter ce qui s’est passé. On ne me demandera pas des comptes sur le bilan de la gestion de l’exercice 2006, puisque je n’y étais pas. S’il y a une enquête sur la gestion de mon Gouvernement, je serai beaucoup plus à l’aise pour vous en parler ou vous donner des explications.

S. : A la veille du jeûne musulman, qu’est-ce qui est fait pour éviter la surenchère du prix du sucre, devenue une coutume à chaque mois de ramadan ?

L. A.T. : Le sucre fait déjà partie des produits dont nous avons réglementé la marge bénéficiaire. En principe, on ne devrait pas assister à une augmentation qui dépasserait les prix que nous avons plafonnés. Le Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat va du reste, prendre un arrêté pour réaffirmer cette règlementation. Ce que nous craignons simplement, c’est qu’en pareilles circonstances, les gens fassent disparaître le sucre pour le vendre en cachette.

S. : Dans le domaine des transports, le gouvernement a pris des mesures contre des augmentations exagérées des prix, mais ces mesures ne sont pas appliquées. Que comptez-vous faire ?

L. A.T. : Je vais vérifier ce que vous avancez parce que j’ai l’impression que les mesures sont respectées. Mais si vous me dites que ce n’est pas le cas dans le domaine des transports, nous allons prendre nos responsabilités.

S. : De façon générale, les mesures sont prises. Mais c’est le suivi de la mise en œuvre qui pose problème. La difficulté se situe à quel niveau ?

L. A.T. : Je vous ai dit que pour faire un contrôle, il faut des moyens. Si vous voulez contrôler les prix des denrées dans les 45 provinces, c’est autant de contrôleurs de prix qu’il faut avoir. C’est autant de policiers qu’il faut avoir. C’est autant de gendarmes. Savez-vous combien de fois les contrôleurs ont été chassés des marchés ? Le contrôleur ne peut pas y aller seul, au risque d’être chassé.

Or, on ne peut pas, en même temps demander aux policiers d’assurer la sécurité des citoyens et, les mettre, en nombre suffisant, à la disposition des contrôleurs de prix, etc. Ce qui fait que s’il n’y a pas de sens de la discipline et du civisme, on ne peut pas réussir dans le contrôle des prix. S’il n’y a pas de sens de la discipline, dans aucun pays, on ne peut régler ces questions-là. Parce qu’on ne peut pas tout le temps faire ces contrôles de façon coercitive.
Si je vous dis ce que nous a coûté la petite opération qu’on a faite, vous n’en reviendrez pas ! Une petite opération, mais qui a coûté des centaines de millions. Nous ne pouvons que faire appel au sens du civisme des citoyens burkinabè et des opérateurs économiques. Si nous ne respectons pas cela, je ne pense pas que nous ayons aujourd’hui, la possibilité de s’assurer que partout, les gens vont respecter les décisions que nous prenons.

S. : Est-ce que les fraudeurs qui ont été débusqués à l’occasion des contrôles seront sanctionnés ?

L. A. T. : Une fois qu’on les débusque, ils sont traduits devant la justice. La procédure est en cours. Leur dossier est en justice. Il n’y a pas de doute là-dessus.

S. : La campagne agricole écoulée a été déficitaire. Celle en cours ne présente pas, jusqu’à présent, des signes encourageants. Anticipez-vous déjà pour faire face à une deuxième campagne déficitaire ? Si oui, à travers quelles dispositions concrètes ?

L.A.T. : Je préfère ne pas penser que la campagne sera mauvaise. Parce que nous sommes encore sous le traumatisme de la situation alimentaire actuelle. Nous avons élaboré un plan d’urgence de soutien aux personnes vulnérables.
La première phase de ce plan nous a permis de distribuer (6 800) six mille huit cents tonnes de céréales à prix social. Cette phase s’étendait de janvier à février. Nous avons ensuite, la seconde phase qui devait se terminer en fin juin, mais nous l’avons prolongée jusqu’en fin juillet. Ce qui va nous permettre de distribuer un peu plus de 35 mille tonnes de céréales sur une prévision de 50 mille tonnes.

Mais la phase la plus difficile, c’est celle qui va commencer à la fin de juillet jusqu’en septembre où il va falloir déployer plus de 100 mille tonnes de céréales. Parce que c’est la période de soudure. Mais le programme est très bien exécuté. Nous avons déjà l’appui de nos partenaires techniques et financiers. Nous avons déjà mobilisé les trois quarts de nos besoins pour faire face à cette situation. Maintenant, est-ce que la campagne qui vient sera aussi désastreuse que la précédente ? Je n’en sais rien. Les prévisions semblent optimistes. Mais quelle que soit la situation, nous avons déjà un plan qui peut se déployer immédiatement dès que nous allons avoir plus d’informations sur l’issue de cette campagne. Il n’y a donc pas d’inquiétudes parce que malgré tout, nous avons pu quand même maîtriser globalement la situation alimentaire nationale.

S. : Les spécialistes parlent d’une menace d’attaque acridienne dans les pays frontaliers, notamment au Niger et au Mali. Des dispositions sont-elles prises pour parer à une éventuelle attaque acridienne au Burkina ?

L. A.T. : Tout à fait ! En effet, lors de l’avant- dernier Conseil des ministres (04 juillet 2012), nous avons mis en place un plan d’attaque. Nous avons déjà débloqué les moyens nécessaires pour faire face à cette menace acridienne.

S. : Nous savons également que le plan de riposte contre la crise alimentaire a été mis en place sans tenir compte des réfugiés maliens. Avec cette nouvelle donne, que faire ?

L. A.T. : C’est vrai, ce n’est pas du tout facile. En ce qui concerne nos besoins financiers pour l’appui aux réfugiés maliens qui arrivent au Burkina, nous les avions estimés en début d’année à plus de cinq milliards six cent millions de francs FCFA dans le cas du scénario le moins pessimiste, pour un effectif de soixante mille réfugiés. A ce jour, nous avons reçu un appui de la communauté internationale de l’ordre d’un milliard de FCFA, au plan monétaire, mais avec un apport en vivres assez important. Le gouvernement, lui-même, a jusqu’à ce jour, dépensé plus d’un milliard de FCFA en fonds propres.
Dans le cas où la crise ne serait pas résorbée rapidement, le pire scénario que les techniciens ont élaboré estime ces besoins financiers à plus de quatorze milliards de francs CFA pour combler les besoins de cent mille réfugiés sur notre sol.

La situation est effectivement difficile parce qu’il faut, en même temps, s’occuper des populations les plus pauvres et les plus vulnérables qui se trouvent malheureusement dans le même espace que les réfugiés. Nous essayons donc de diminuer les frustrations, parce qu’au début, les populations des régions concernées avaient l’impression que le gouvernement s’intéressait plus aux réfugiés qu’à elles. Mais nous avons réglé le problème. Ces populations sont privilégiées dans la distribution gratuite des vivres.

S. : Face à la crise alimentaire, des boutiques-témoins ont été mises en place. Pensez-vous qu’elles jouent véritablement leur rôle ?

L. A. T. : Nous aurions voulu que ces boutiques se multiplient beaucoup plus. Mais ce qui est sûr, elles ont joué un rôle très important. Si l’on prend les boutiques que nous avons créées dans toutes les communes, elles ont permis aux personnes les moins nanties de se procurer les vivres à prix abordables. Le rôle de ces boutiques-témoins est de faire face à une situation ponctuelle. Nous ne les avons pas créées pour concurrencer les commerçants. Ce qui fait que nous ne pouvons pas mettre en place autant de boutiques-témoins que nous le souhaitons.

Nous sommes en train de réfléchir pour voir dans quelle mesure, la Société nationale de gestion des stocks de sécurité (SONAGESS), pourrait-elle aussi développer cet aspect des acticités commerciales. Vous savez que le rôle de la SONAGESS est de garantir des stocks alimentaires dans le pays pour prévenir toute pénurie dans les situations alimentaires difficiles. Alors, pourquoi ne pas faire de la SONAGESS, une structure de régulation des prix des céréales de première nécessité ? Si nous le faisons, il y aura plus de boutiques SONAGESS à travers le pays pour faire face à la surenchère des prix des céréales.

S. : Au titre des réformes politiques en cours, il y a la constitutionnalisation de la Chefferie coutumière ; certaines personnes même évoquent la possibilité de rémunération des intéressés. Qu’en est-il exactement à ce jour ?

L. A. T. : A l’étape actuelle, ce que nous avons fait, c’est de reconnaître la chefferie traditionnelle dans le préambule de notre Constitution. Nous l’avons reconnue parce qu’il s’agit d’une institution qui compte dans notre contexte et que nous ne pouvons plus continuer d’ignorer. Or jusque-là, elle n’avait aucune base légale. C’est la première approche que nous avons faite, à savoir, reconnaître que la chefferie traditionnelle existe et qu’elle contribue, d’une manière ou d’une autre, à l’épanouissement des Burkinabè.
Pour le moment, il n’est pas question de rétribuer les chefs coutumiers. Le débat n’est pas encore à l’ordre du jour. Sur quelles bases nous allons le faire ? Un chef, par exemple, n’a pas les mêmes statuts chez moi à Pouni qu’à Zorgho. Je pense que la réflexion doit se poursuivre pour voir comment faire pour que les chefs contribuent plus efficacement au développement du pays, à la cohésion sociale, sans que cela ne coûte vraiment à l’Etat.

S. : Vous venez d’examiner des projets de loi concernant la retraite des députés et le statut des anciens chefs d’Etat. Que pensez-vous de ces mesures, d’autant plus que votre gouvernement dit qu’il n’y a pas assez de ressources et qu’il faut serrer la ceinture ?

L. A. T. : (rires) Je pense qu’une fois de plus, nous sommes en démocratie et les parlementaires doivent être libres. Le gouvernement peut soumettre des projets de lois à l’Assemblé nationale qui les examine. Si les députés le veulent, ils les adoptent, s’ils n’en veulent pas, ils les rejettent. L’Assemblée nationale aussi peut élaborer des propositions de lois qu’elle soumet au gouvernement pour recueillir son avis. En ce moment, le gouvernement apprécie.

Une fois de plus, au début, il y avait une confusion. Certaines personnes ont critiqué le gouvernement sans chercher à comprendre cette affaire de retraite des députés. Ce n’est pas le gouvernement qui a initié ces projets de loi. Peut-on empêcher les députés de faire des propositions de lois ? Ils ont donc fait leurs propositions de lois. Ils les ont envoyées au gouvernement. Nous les avons appréciés en faisant des observations. Ce ne sont que des propositions. Cela ne veut donc pas dire qu’elles seront adoptées. Il reviendra aux députés d’assumer leurs responsabilités devant le peuple. Comme observation, le gouvernement s’est posé la question de savoir si c’était opportun d’examiner ces propositions en ce moment. Nous nous sommes posé cette question d’opportunité. C’est aux parlementaires d’apprécier. Quoi qu’il en soit, c’est le parlement qui vote le budget de l’Etat. Ce qui veut dire que les députés le connaissent bien, ce budget.

Je note cependant qu’il y a un paradoxe dans l’attitude de la presse. Quand les députés font des enquêtes sur la corruption, là, elle applaudit (rires). Maintenant qu’ils proposent de s’accorder des avantages, on tire sur eux à boulets rouges. C’est leur droit le plus absolu de faire des propositions de lois. Je suis vraiment choqué quand je vois certaines analyses sur la question. Je trouve que ce n’est pas démocratique. On peut critiquer, mais on ne peut pas leur dénier cette possibilité de faire ces propositions, quitte à laisser le débat se mener sur le sujet.

Personnellement, je pense que cette pension de député peut se justifier. Maintenant, est-elle faisable de nos jours au Burkina Faso ? C’est une question de ressources financières. Si nous avions les ressources financières suffisantes, pourquoi on ne le ferait pas ; surtout s’il s’agit aussi pour nous, de mettre en harmonie nos textes avec ceux des parlements des ensembles sous régionaux dont notre pays est membre ? Et puis, les gens se précipitent toujours sans bien lire les textes. Car, les députés cotiseront et c’est sur la base de leurs cotisations, comme vous et moi nous cotisons à la CARFO où à la CNSS. Maintenant, le gouvernement n’apporte qu’un complément. Je pense qu’il faut souvent laisser les gens discuter.

S. : Le projet de création du Sénat et l’augmentation du nombre de députés qui passe de 111 à 127, sont aussi mal perçus par bon nombre de concitoyens. Etait-il nécessaire d’entreprendre ces réformes en ces temps de vaches maigres ? Votre gouvernement ne pouvait-il pas refuser ces propositions ?

L. A. T. : Comme vous le savez, la proposition d’augmenter le nombre de députés et de créer le sénat, est le fruit d’un consensus de la classe politique réunit au sein du Cadre de Concertation pour les Réformes Politiques (CCRP).
Ce souci répond à la fois à une nécessité géopolitique interne et à la volonté de renforcer le pouvoir législatif. Certes ces réformes ont un coût. Mais pour le renforcement de nos institutions et de la démocratie, ces mesures dont défendables.

S. : Pendant qu’on demande au petit peuple de serrer la ceinture, le train de vie de l’Etat continue de croître. D’aucuns disent qu’on vous a piégé en vous faisant signer les textes qui suppriment les per diem. Qu’en dites-vous ?

L. A.T : Non. Je ne suis pas un analphabète pour signer un « document-piège ». J’ai fait l’école et je sais que quand j’appose une signature sur un document, elle m’engage. Je ne signe pas ce que je n’ai pas compris. Les gens peuvent être sûrs de cela. Sur les per diem, nous avons eu la volonté de bien faire. Lorsque nous l’avons fait, nous avons pris la mesure de façon générale. Vous pouvez avoir une très bonne volonté et vous vous rendez compte dans l’application qu’il y a des difficultés. Au moment où vous concevez cela, vous ne pouvez pas voir tous les problèmes au détail près qui vont se poser.
De façon générale, la mesure reste. Les questions de détails qui n’avaient pas été résolues, nous les avons corrigées récemment, si bien qu’aujourd’hui, nous avons apporté une réponse à tout. Il y a eu une mauvaise interprétation des textes par les financiers. L’esprit de la suppression des per diem c’est de mettre fin aux dépenses non fondées. Il n’y a aucune raison qu’un agent de la Fonction publique, après une réunion tenue dans le lieu où il réside, reçoive cinq mille (5000) ou dix mille (10 000) francs CFA. Cette pratique n’est fondée sur aucune base légale.

Aujourd’hui, nous avons repris les textes en précisant dans quelles conditions effectivement nous pouvons servir des per diem ou des gratifications. Les frais de missions à l’intérieur du pays qui n’étaient pas réglementés aussi et qui étaient flous ont été également concernés par cette réglementation. Nous avons pris de nouveaux textes qui, désormais, fixent clairement les montants des frais de mission à l’intérieur du pays. De ce côté, ce n’est pas facile. Maintenant tout le monde est concerné par ces textes.
Quand on regarde le train de vie de l’Etat, je crois qu’il y a un journal qui l’a indiqué, « Jeune Afrique » si je me souviens bien, nous sommes l’un des pays africains où les ministres sont les moins payés. C’est l’avant-dernier pays en Afrique, je crois. Il y a des ministres aujourd’hui qui n’ont même pas le tiers du salaire de certains directeurs de projet.

Si vous voulez lutter contre la corruption, les tentations, il faut accorder un traitement acceptable aux personnes qui occupent des postes de hautes responsabilités. Si on ne leur donne pas la possibilité de vivre décemment, ils "vont tendre la main", ils vont prendre ce qui ne leur appartient pas. Le 12 juillet dernier, j’étais avec les juges. Ils me disent que les présidents de tribunaux ont (20 000) vingt mille francs de carburant par mois. Mais quand même ! Comment voulez-vous que quelqu’un qui a (20 000) vingt mille francs de carburant par mois puisse résister à un commerçant qui viendrait lui faire un cadeau de (100 000) cent mille francs de carburant ? Il y a des choses qui clochent et il faut équilibrer cela.

Diminuer le train de vie ne veut pas dire ramener tout le monde au même niveau. Il faut reconnaître que dans la société, il y a des gens qui, à cause de leurs responsabilités, doivent avoir un peu plus que les autres. C’est normal et c’est comme cela. Or au Burkina Faso, on veut que tout le monde soit au même niveau. Ce n’est pas possible. Et puis concernant le train de vie de l’Etat, on a pris des mesures concernant les véhicules. Nous avons imposé dorénavant, qu’en dehors des ministres, des directeurs de cabinets, des secrétaires généraux et les présidents d’institutions, qu’il n’y ait plus de véhicules individuels. On va tenter. Est-ce que cela va marcher ou pas ? Je l’espère.

S. : Récemment, vous avez déclaré à propos de responsabilités, que les journalistes exercent un métier complexe, difficile et ingrat. Avec l’augmentation des salaires, les journalistes ont perdu un de leurs avantages, notamment l’indemnité spécifique de responsabilité. A ce jour que comptez-vous faire ?

L. A.T. : Comme je n’ai pas l’habitude de prendre des engagements que je ne peux respecter, je vais examiner ce volet. Tout ce que je peux faire, au moins pendant mon passage au Premier ministère, c’est que les journalistes sentent qu’il y a eu un journaliste qui a été à la tête du gouvernement. Sinon, ce n’est pas la peine (Rires). Je vais donc examiner cela.

S. : Sur la question des réfugiés maliens, vous avez dit lors d’une précédente conférence que leur présence ne constituait pas un danger pour le Burkina Faso. Tout récemment, il y a eu une étude menée par l’Institut danois des droits humains en collaboration avec le ministère de la Justice burkinabè, qui révèle qu’actuellement, il y a des menaces réelles d’insécurité dans les zones où habitent les réfugiés. Aussi, quand on va sur le terrain, on a l’impression que les réfugiés sont sur un terrain conquis. Est-ce que nos frontières sont protégées ?

L. A.T. : Vous savez, la question des réfugiés est complexe. Tout d’abord, les réfugiés ont des droits qu’il faut respecter. Ils ne sont pas dans un camp de concentration, ils ont la liberté d’aller et de venir. C’est normal, quand il y a une concentration de population, (60 000) soixante mille réfugiés actuellement, cela peut faire peur aux gens. Mais jusqu’à preuve du contraire, à cette date, nous n’avons pas eu des cas d’actes avérés d’agression des réfugiés contre des Burkinabè. Il y a de temps en temps des escarmouches, cela arrive n’importe où. On ne peut pas dire que ces personnes sont des terroristes ; nous n’en avons pas la preuve. Même si elles peuvent avoir de la sympathie pour les mouvements qui sont au Mali.
Notre responsabilité aujourd’hui, c’est d’abord de garantir la sécurité de ces personnes et celle de nos citoyens en essayant de mieux contrôler nos frontières. Nous sommes conscients que la situation au Mali ne sera pas facile pour nous. Je peux déjà vous confier que nous sommes en train de vouloir mettre en place une force assez conséquente anti-terroriste au Nord.
Cela va permettre de sécuriser davantage la région du Nord, protéger les Burkinabè, mais aussi protéger les réfugiés. Nous les accueillons parce que nous voulons que ces personnes vivent en paix en attendant que la situation s’arrange au Mali, mais le jour où les choses rentreront dans l’ordre, ils repartiront. Mais si jamais nous avons des preuves qu’il y a des personnes parmi les réfugiés qui sont des terroristes, et bien ces personnes-là vont partir le même jour.

S. : Concernant toujours l’insécurité qui devient préoccupante dans les rues au Burkina Faso, surtout avec les braquages en plein jour, n’est-ce pas un signe de l’inefficacité du dispositif sécuritaire ?

L. A.T. : Vous savez, nulle part au monde, il n’y a de sécurité à (100%) cent pour cents. Les agressions sont multiples un peu partout. Je tiens ici à rendre un hommage à nos forces de sécurité et de défense. Si nous n’avions pas un dispositif efficace, la situation aurait été pire. Pendant que vous dormez, vous ne … vous rendez pas compte du travail extraordinaire qu’abattent les forces de sécurité dans le pays. Nous avons des missions préliminaires qui font des rotations ici à Ouagadougou. Des fois, quand je sors tard dans la nuit, je les vois en train de tourner. Nos forces de sécurité et de défense sont sur les routes, elles sont dans les zones les plus difficiles d’accès. Maintenant, c’est aussi une question de moyen. Une fois de plus, je reviens là-dessus, nous faisons avec les moyens dont nous disposons.

Depuis l’année dernière, nous avons essayé de renforcer les capacités opérationnelles de nos forces de l’ordre et de défense. Mais la question de la sécurité n’est pas seulement une question de moyens. C’est aussi une question de mentalité, une question de collaboration. Il faut que les citoyens participent à la lutte contre l’insécurité en dénonçant les brigands parce qu’ils vivent aussi avec nous. Ce n’est pas seulement l’affaire du gouvernement. Parfois, certains citoyens sont de connivence avec de bandits de grand chemin. Ce qui rend la tâche des forces de sécurité et de défense encore plus difficiles.
Toutefois, je suis aussi conscient qu’effectivement, c’est un problème et nous allons renforcer davantage … la surveillance du territoire. Nous allons poursuivre les opérations préliminaires pour vraiment nous rassurer qu’il n’y a plus de petits bandits qui tournent de gauche à droite. Nous ferons des ratissages. Il y a des zones que nous avons ciblées où nous allons renforcer les patrouilles. Ce ne sera pas facile parce qu’aujourd’hui, c’est le contexte géopolitique qui favorise le grand banditisme.

L’instabilité de la situation en Côte d’Ivoire pendant longtemps a occasionné des entrées d’armes qui circulent et la situation que nous connaissons aujourd’hui au nord-Mali complique davantage notre tâche. Donc, nous sommes dans un contexte géopolitique qui fait que ce n’est pas demain que nous allons enrayer le grand banditisme. C’est un mal qui est commun à tous les pays voisins. Nous allons mettre l’accent sur la lutte contre l’insécurité, renforcer davantage les moyens, tout en demandant aussi aux Burkinabè d’être prudents et de collaborer avec les forces de sécurité et de défense. Il faut un minimum. Chacun doit prendre un minimum de précautions.

S. : Que comptez-vous faire pour un retour à un cycle académique normal à l’Université et qu’attendez-vous des prochains états généraux des universités burkinabè ?

L. A.T. : Vraiment, la situation de l’université est très préoccupante. C’est aussi le reflet de la situation internationale. L’enseignement supérieur pose beaucoup de problèmes chez nous ; cette situation devient chaque jour plus complexe avec le nombre croissant de nouveaux bacheliers qui arrivent à l’université. Les infrastructures ne sont pas adaptées, car elles sont totalement dépassées. Bref, il y a un véritable problème qui est posé. En plus, tout le cursus académique a chamboulé du fait des grèves et d’un certain nombre d’autres choses. Ce que nous comptons d’abord faire, j’ai pris l’engagement qu’au plus tard dans 2 ans, nous connaissions une année académique universitaire normale.

Ce que je viens de faire, c’est une primeur que je vous donne…, j’ai installé hier 12 juillet, un comité ad hoc constitué de professeurs qui ont une très grande expérience. Ce comité compte neuf membres qui vont me produire un livre blanc avec des propositions concrètes d’ici un mois au plus tard. Ce livre blanc va constituer la trame, le soubassement des états généraux, de telle sorte qu’à partir de 2013, nous prenions les mesures nécessaires pour que l’université retrouve son lustre d’antan. Le gouvernement apportera effectivement une forte contribution. Mais d’un autre côté, le problème vient aussi des étudiants.
Aujourd’hui, la contestation politique prend parfois le pas sur les ambitions académiques. Nous souhaitons vraiment que les associations des étudiants qui sont sur le campus s’inscrivent dans cette perspective, qu’elles-mêmes travaillent pour que l’université retrouve son fonctionnement normal. Mais si pour un oui ou pour un non, on va en grève, on agresse les professeurs, cela complique la situation. Je crois qu’il y a une responsabilité qui est partagée et qui est celle des étudiants, celle des associations d’étudiants et celle des professeurs. Je pense que si nous nous asseyons ensemble à l’issue de cette étude-là, nous allons pouvoir trouver effectivement une solution à cette question de l’université au Burkina Faso.

S. : L’organisation du hadj a souvent posé problème. Quelles sont les innovations que le gouvernement entend apporter à l’organisation du hadj 2012 pour éviter d’éventuels couacs ?

L. A.T. : Vous savez, le hadj est très compliqué parce qu’il touche un domaine sensible. Nous ne sommes pas les seuls gestionnaires du secteur. Nous sommes obligés pour ce faire, de composer avec la communauté musulmane etc. Les innovations majeures que nous allons introduire consisteront à libéraliser davantage le transport. L’année dernière vous avez suivi, il n’y avait qu’un seul transporteur qui avait eu le marché. D’abord, il faut libéraliser le transport dans l’espoir de casser les prix.
Ensuite, les cahiers des charges seront encore plus rigoureux en ce qui concerne les agences de voyage qui organisent les pèlerinages. Je crois que si nous arrivons à appliquer ces cahiers des charges que nous avons élaborés, nous aurons fait un grand pas dans la rigueur dans la sélection et dans l’organisation du hadj. Je pense que cette année le Hadj devrait connaitre une meilleure organisation. De façon générale, on espère également que la communauté musulmane va nous accompagner pour qu’ensemble, nous puissions diminuer toutes les frustrations qui naissent des mauvaises organisations du hadj.
Le deuxième scoop que je vous donne c’est que sur instructions de son Excellence Monsieur Blaise COMPAORE, l’Etat va également apporter un soutien financier à l’organisation des pèlerinages dans les lieux saints catholiques à partir de cette année.

S. : Les procédures de passation des marchés publics de l’Etat sont perçues par certains comme blocages à l’exécution des projets. Qu’est-ce que l’Etat envisage faire pour alléger ces procédures ?

L. A.T. : Je peux dire que je suis même le premier mécontent des procédures de passation des marchés publics actuellement. Cela nous crée plus de problèmes que ça n’en résout. Vous savez, nous avons tenu le forum des marchés publics en octobre 2011. Il y a des conclusions que nous allons essayer de mettre en œuvre. Nous allons réformer entièrement le système pour avoir non seulement un système plus souple, plus transparent, mais également qui ne compromet pas la bonne exécution de nos projets de développement. Si nous regardons notre système actuel, il y a beaucoup de blocages dus malheureusement à la mauvaise exécution des passations de marchés.

S. : Il y a également l’épineuse question du foncier. Il y aurait du feu qui couve sous les cendres à Bagré. Etes-vous informé de ce qui se passe là-bas ?

L. A. T. : Non, c’est de l’eau qui coule à Bagré, ce n’est pas du feu (rires). C’est normal, à chaque fois que vous voulez faire de grands aménagements, et ce n’est pas nous qui l’inventons, il y a toujours des conflits fonciers. … Bien sûr, parce que vous avez toujours des gens qui ne sont pas contents, qui pensent qu’ils n’ont pas été indemnisés à la hauteur de ce qu’ils attendaient ; … mais présentement, nous avons réussi à juguler la grande partie des problèmes. Maintenant, il faut qu’on avance et cela, je l’ai dit au directeur général de Bagrépôle : « il doit se mettre dans la tête qu’il va tout le temps gérer des conflits ». Ça fait partie de la vie d’un grand projet comme Bagrépôle, mais il faut qu’on avance.

On est heureux aujourd’hui de constater qu’il y a beaucoup d’investisseurs qui s’intéressent à Bagré. Ce n’est donc pas le moment pour nous de laisser la situation perdurer. Retenez une fois de plus ce que je vous ai dit. A chaque fois que l’intérêt national, l’intérêt des populations, l’intérêt général primera, l’autorité de l’Etat va primer. Personne ne peut nous empêcher de faire cet aménagement-là.

S. : En plus des problèmes de passation des marchés publics, il y a aussi les difficultés d’exécution. Qu’est-ce que vous faites pour que désormais, on ne retombe sur des cas de mauvaises exécutions de marchés publics ?

L. A. T. : C’est difficile. D’abord il y a beaucoup de défaillances. Je pense qu’une des causes les plus graves de nos défaillances, c’est le fait que nous n’avons pas souvent des entreprises capables d’exécuter les marchés auxquels elles soumissionnent et dont elles sont attributaires. C’est une des premières raisons.

La deuxième raison réside dans la faiblesse de notre gouvernance. Les gens vont s’arranger pour avoir de faux papiers. La corruption fait qu’on attribue des marchés à des gens qui ne les méritent pas ; sinon, nous avons fait beaucoup d’efforts ; mais ceci n’empêche, nous allons prendre des mesures radicales contre les fraudeurs qui trichent pour avoir des marchés publics et qui n’arrivent pas à les exécuter.
La solution sera simplement de les rayer de la liste des entreprises qui peuvent concourir à des marchés publics au Burkina Faso. On va les éliminer carrément et trouver les moyens pour qu’ils ne reviennent pas de façon contournée. Parce qu’on peut prendre des mesures par exemple contre l’entreprise « Jean-Marie et frères », et qu’elle se retrouve attributaire d’un marché public sous une autre appellation.

Nous allons prendre des dispositions parce que la mauvaise exécution des marchés publics fait perdre beaucoup d’argent à l’Etat. Nous avons évalué précédemment que l’année dernière, ce n’est pas moins de 250 milliards de F CFA que l’Etat a perdu dans ses marchés publics mal exécutés.

S. : Depuis le limogeage du DG des douanes et la révocation du ministre de la Justice, l’on n’a plus entendu parler de ces dossiers. Certaines décisions de cet ordre n’ont-elles pas été prises dans la précipitation ?

L. A.T. : Il n’ya aucun rapport d’abord entre le dossier Guiro et celui du ministre de la Justice. Il faut dissocier les choses. Pour le ministre de la Justice, le gouvernement a estimé qu’il y a des comportements que les ministres doivent avoir en public. Si vous ne les avez pas, on vous remercie gentillement. Et c’est ce qu’on a fait. Le reste ne nous regarde pas. Si les parties portent plainte contre le ministre, il va s’expliquer devant la justice.
Pour le cas Ousmane Guiro, le dossier, je pense est au niveau de la justice. Ce n’est pas à nous, ce n’est pas à moi d’appeler tous les matins le juge pour savoir où en est-on ? Je pense que ce sont des gens responsables. On attendra simplement. C’est la justice, elle prend son temps et on espère que ce dossier sera bouclé dans l’intérêt d’abord de Guiro lui-même pour qu’il soit fixé sur son sort et aussi dans l’intérêt du gouvernement pour que nous soyons situés. Il n’y a aucune raison pour nous de freiner les dossiers. La justice doit travailler de façon indépendante.

S. : Excellence monsieur le Premier ministre, les Burkinabè sont nombreux à ne plus croire en leur justice. Que leur dites-vous ?

L. A.T. : Ils ont tort de ne pas y croire. … Parce qu’il n’y a pas un corps où il n’y a pas de problèmes. Malgré tout, quand vous regardez travailler les juges, beaucoup font leur travail de façon consciencieuse. Ce qui manque en réalité, c’est la culture que le citoyen doit avoir ; c’est-à-dire, recourir à la justice chaque fois qu’il croit ses intérêts lésés. Cette culture-là manque. Si vous avez cette culture-là, même si vous avez un dossier et qu’il y a un problème, vous savez quel recours utiliser. …
Ceci étant, je constate avec vous que, non seulement il manque cette culture-là, mais il y a aussi le fait que certains juges, il faut le reconnaître, ne font pas leur travail comme il le faut. S’il faut tourner 6 mois pour instruire un dossier dont on pense logiquement qu’il peut se faire en un mois, cela pose problème. C’est cela qui fait que les gens sont souvent découragés.
C’est pourquoi quand j’ai rencontré les magistrats le 12 juillet dernier, je leur ai fait comprendre que même dans leur intérêt, il faut qu’ils se mettent à l’écoute du peuple, à l’écoute de ses exigences. J’ai pris l’engagement que le gouvernement, en fonction des ressources disponibles, va leur donner les moyens nécessaires parce que la justice est vraiment dénudée. Les juges ont peu de moyens pour pouvoir travailler efficacement et tout cela joue malheureusement sur les résultats de leurs travaux.

S. : D’aucuns pensent que la loi d’amnistie des chefs d’Etat a été taillée sur mesure pour l’actuel président du Faso.

L. A.T. : Mais qu’est-ce qu’on reproche à l’actuel président ? Qu’est-ce qu’on lui reproche ? Pour le moment, il exerce son mandat. S’il y avait quelque chose contre lui, je pense qu’on lui aurait intenté un procès. Non, je pense qu’il faut voir loin. Quand on prend certaines lois qui peuvent être sensibles, il faut voir loin, il faut voir l’intérêt du pays. Je pense que la prise en compte de cette loi d’amnistie va dans la recherche vraiment de la paix sociale au Burkina Faso. Je pense qu’il ne faut pas ramener cela au seul chef de l’Etat qui a eu le mérite d’avoir engagé justement toutes ces réformes.

S. : Le gouvernement avait décidé de ne pas lever la suspension des lotissements avant les élections couplées de peur que certains ne l’utilisent au cours du scrutin, mais en revenant sur cette suspension sous certaines conditions, ne prend-il pas le risque que des candidats en profitent ?

L. A.T. : Nous avons fait une analyse et nous nous sommes rendu compte que la suspension a permis d’assainir beaucoup de choses. Aujourd’hui, les nouvelles dispositions que nous avons prises sont tellement contraignantes qu’il sera très difficile de faire des manipulations dans les lotissements. Je peux donc vous garantir qu’avec les nouvelles dispositions, nous allons éviter les dérives que nous avons connues de par le passé.

S. : La médiation au Mali s’avère très difficile avec d’une part, la situation instable à Bamako et d’autre part les islamistes et la rébellion touarègue au Nord. Pensez-vous qu’il faut continuer les négociations ou autoriser une intervention militaire ?

L. A.T. : La situation malienne est très complexe et très difficile. Le chef de l’Etat a sans doute là, l’une de ses médiations les plus difficiles, mais connaissant l’homme d’Etat avec sa grande expérience des médiations, des acteurs et des crises, je crois qu’avec un peu de patience, il devra pouvoir aboutir à des résultats probants comme il l’a déjà fait dans d’autres pays.
Pour le président du Faso, dans tout conflit, il faut privilégier le dialogue parce que les armes ne suffisent pas. S’il n’existe pas de dialogue, vous allez utiliser les armes, mais vous ne parviendrez jamais à bout des problèmes comme vous le souhaitez. L’approche du chef de l’Etat est de négocier avec les mouvements représentatifs touaregs, mais pas question d’y associer des terroristes. Il est vrai que le Président du Faso a reçu le mouvement Ansar-Dine, mais nous avons été clairs avec ce mouvement. Nous lui avons indiqué que s’il souhaite que nous continuions à négocier avec lui, il faut qu’il brise son lien avec AQMI.

Nous ne pouvons pas négocier avec des terroristes. Maintenant, je pense qu’il faut privilégier la négociation si ces conditions sont respectées. J’étais d’ailleurs ce matin (vendredi 13 juillet 2012) très content d’entendre le Premier ministre malien dire sur les ondes de RFI qu’il est prêt à négocier avec les mouvements rebelles au Nord. Et c’est ce que le président du Faso fait depuis longtemps. C’est du reste ce qu’il a toujours défendu et que certains lui reprochaient. Maintenant, pour que les choses se stabilisent au Nord, il faut au préalable stabiliser la situation politique à Bamako.
Voilà pourquoi les chefs d’Etat proposent un gouvernement d’ouverture qui va réunir une large partie des forces politiques et des groupes sociopolitiques du Mali. Si nous allons dans ce sens, je pense que c’est une bonne chose. En résumé, on stabilise la situation au Mali, on accompagne les Maliens dans la restructuration de leur armée et en ce moment, la CEDEAO peut maintenant intervenir si cela s’avère nécessaire.

S. : Comment appréciez-vous le fait qu’un groupe se réclamant des représentants du Nord-Mali ait été expulsé de la salle de conférence lors de la réunion du groupe de contact ?

L. A.T. : Je pense que c’était des problèmes d’incompréhensions. Il faut savoir aussi que la braise est encore chaude. Le Président du Faso par sagesse, pour ne pas créer plus de problèmes au niveau de la rencontre, a préféré demander à ces personnes de se retirer. De toute façon, nous ne pouvons pas imposer des solutions au Maliens. Si ceux qui sont venus de Bamako ne désirent pas discuter avec certains interlocuteurs, nous n’allons pas le leur imposer.

S. : Le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, a été humilié par des manifestants dans son palais. Peut-il jouir encore d’une légitimité pour diriger la transition ?

L. A.T. : Premièrement, il faut saluer le courage du Président Dioncounda Traoré, car n’eut été la protection de Dieu, il ne serait pas vivant aujourd’hui. Il a vraiment vécu des moments difficiles. Je pense que les Maliens n’ont pas mis la honte au Président TRAORE Dioncounda, mais plutôt à eux-mêmes en « tabassant » leur président. Je pense néanmoins qu’il faut continuer avec lui. Tant qu’il se sent capable d’exercer sa fonction et que les Maliens continuent de lui faire confiance, c’est normal qu’il continue la transition.

S. : Quelles sont les vraies raisons de l’absence de Dioncounda Traoré à la rencontre du groupe de contact à Ouagadougou ?

L. A.T. : Je pense sincèrement que c’est pour des problèmes de santé qu’il n’a pas pu effectuer le déplacement à Ouagadougou pour la rencontre du groupe de contact.

S. : Son Premier ministre Cheick Modibo Diarra n’est pas non plus venu à la réunion.

L. A.T. : Ce n’est pas une réunion de Premier ministre. C’est une réunion de chefs d’Etat et si le Président malien voulait désigner son Premier ministre pour le faire, il l’aurait fait mais je pense que c’est le ministre en charge de l’Intégration qui est venu et qui a d’ailleurs participé activement aux travaux.

S. : Pensez-vous que la Libye retrouvera sa stabilité d’antan, avec la situation qui règne actuellement après la chute du régime de Kadhafi ?

L. A.T. : Il le faut car, si la Libye ne se stabilise pas, nous n’aurons pas la paix au Sahel. D’ailleurs ce qui se passe au Mali est un peu consécutif à la chute du régime de Kadhafi. Ce qui signifie que si la Libye continue d’avoir des problèmes, cela pourrait avoir des répercussions sérieuses sur notre sous-région. Je souhaite fortement que tout se passe bien dans ce pays. Je salue les élections qui viennent de se dérouler en Libye. Je crois que c’est un pays qui est riche et avec un peu de … volonté politique, il va s’en sortir. C’est notre vœu.

S. : Avec les massacres qui se passent en Syrie, que pensez-vous des tergiversations de la communauté internationale ?

L. A.T. : L’utilisation de la force ne donne pas forcément les résultats attendus. Pour exemple, nous avons le cas des pays comme l’Irak et l’Afghanistan où malgré l’intervention militaire, il existe toujours de nombreux problèmes. De plus, la position de la Syrie est très délicate. Nous avons à côté de ce pays, l’Iran, Israël, le Liban. C’est sûrement cette situation qui fait que la communauté internationale tergiverse un peu. Toutefois, il faut continuer à soutenir le plan de Koffi Annan. Peut-être que cela va aboutir. Je déplore tous ses massacres qui sont perpétrés contre les populations civiles.

S. : Quel est votre point de vue sur l’incapacité de l’Union africaine à se trouver un président pour la Commission ?

L. A.T. : Je pense que cette fois-ci on devrait trouver une solution

S. : Quels sont les rapports entre votre gouvernement et le nouveau gouvernement français qui vient d’être mis en place avec le Président François Hollande ?

L. A.T. : C’est la continuité car nous n’avons jamais eu de problèmes avec la France. Nous travaillons plutôt à renforcer davantage ces relations.

S. : Les membres du gouvernement ont-ils le temps de faire du sport ?

L. A. T. : Nous avons prévu de trouver un temps pour faire régulièrement du sport car cela est important pour la santé. Pour vous faire une confidence, nous avons prévu de construire une salle de sports pour les membres du gouvernement afin qu’à n’importe quelle heure, les ministres puissent aller faire du sport sans problème. J’encourage d’ailleurs tous les fonctionnaires à reprendre le sport de masse.

S. : Avez-vous le temps de vous adonner à quelques loisirs ?

L. A.T. : Il est vrai que ces temps ci, j’ai un peu diminué la pratique du sport. Je continue néanmoins de faire de la marche. J’ai un tapis roulant chez moi que j’utilise régulièrement. Cependant, j’ai de plus en plus de mal à satisfaire mes loisirs. Vous savez que j’aime le théâtre, le cinéma mais, malheureusement, je n’ai plus le temps de pouvoir assister à ces loisirs et souvent je le regrette énormément.

S. : En devenant Premier ministre, les rapports entre vous et vos amis n’ont t-ils pas changé ?

L. A.T. : Ce qui a changé, c’est que je ne peux plus voir mes amis comme avant. Mais je pense que mes vrais amis me comprennent. Vous savez, rien n’a changé dans ma tête. Je porte un costume de Premier ministre mais dans ma tête, je reste tel que je suis. Quand j’échange avec les gens, je ne me considère même pas comme Premier ministre. Les gens me voient peut-être avec des yeux de Premier ministre, mais moi, je me sens toujours simplement en Luc Adolphe TIAO.

S. : Avez-vous le sentiment d’être soutenu par vos confrères journalistes ?

L. A.T. : Je ne demande pas aux journalistes de me soutenir, mais tout simplement de faire leur travail. S’ils me font des critiques, je comprends et je les prends en compte même si certaines me paraissent souvent excessives. Je reconnais que si on devrait faire une comparaison de ce qu’on pourrait appeler « période de grâce » avec mes prédécesseurs, je suis le plus gâté. Mais je sais que si je fais des bêtises, ils n’hésiteront pas à me critiquer. Je m’efforce donc à travailler avec le gouvernement dans la ligne que nous nous sommes fixée depuis que le chef de l’Etat nous a fait confiance.

S. : Si vous aviez des conseils à donner aux jeunes journalistes actuellement, que leur diriez-vous ?

L. A.T. : Ce que je reproche souvent aux journalistes, c’est la prédominance du journalisme d’opinion qui fait que vous ne rechercher pas toujours l’équilibre dans le traitement de l’information. Malheureusement cette façon de traiter l’information se retrouve souvent dans les journaux d’information générale.
Une fois de plus, je prends le cas de l’affaire de Boussouma où nous avons eu tous les commentaires et reportages possibles, mais personne n’est jamais venu voir le Premier ministre ou ses services pour avoir sa version. Personne n’est allée voir le maire pour recueillir son avis. Je pense que dans le journalisme, il faut toujours avoir le souci de l’équilibre de l’information, même quand vous êtes critique. Il ne faut pas avoir un seul point de vue qui consiste à dire : « untel est noir, untel est blanc, un point un trait ».
Ceci dit, je trouve que dans l’ensemble, la presse burkinabè, aussi bien privée que publique, a un très bon niveau. Je pense notamment à Sidwaya qui a toujours eu d’excellents journalistes et je pense que vous perpétuerez la tradition.

S. : Ne pensez-vous pas que c’est l’accès difficile aux sources d’information qui pousse les journalistes à ne pas oser contacter certaines personnalités ?

L. A.T. : En ce qui me concerne, je suis ouvert. Si vous souhaitez me voir et avoir des informations, touchez mon conseiller en communication. Il est vrai que je n’aime pas les interviews mais si ce sont des informations que vous voulez, je vais vous les donner ou bien mes services vous les donneront sans problème. Je suis totalement ouvert.
Cependant, je suis d’accord que votre travail en la matière n’est pas toujours simple. J’ai dit aux membres du gouvernement qu’ils doivent tout le temps être disponibles pour donner les informations. Un effort a été fait par le ministère de la Communication car nous avons une nouvelle politique de la communication qui marche très bien mais il faut que les ministres, les directeurs etc., soient plus disponibles et nous allons continuer à travailler dans ce sens.

S. : L’Agence d’information du Burkina (AIB) qui est une direction des Editions Sidwaya a quelques difficultés. Est-ce que le gouvernement prévoit quelques solutions pour lui permettre de jouer pleinement son rôle ?

L. A.T. : Je crois que le ministre de la Communication a un plan de développement des médias burkinabè dans lequel les préoccupations de l’Agence d’information du Burkina sont prises en compte. L’AIB est importante même si aujourd’hui les technologies ont fait de telle sorte que l’agencier n’est plus la même chose qu’il y a dix ans à cause de la prolifération des sites d’information.
Toutefois, l’AIB peut nous permettre d’avoir des informations qui nous viennent de l’intérieur du pays. Parce qu’elle ne peut pas concurrencer les grandes agences internationales ; par contre, à l’intérieur du pays, si nous avons un dispositif qui nous permet d’avoir des informations de Gaoua, de Falangoutou, etc, cela est une bonne chose. C’est en ce moment qu’elle va jouer son rôle. Actuellement, quand vous prenez nos médias, 90% des informations concernent ce qui se passe à Ouagadougou et à Bobo. Quand vous suivez les informations, vous avez l’impression que tout se passe dans ces deux villes. Je pense que l’AIB peut profiter de ce créneau pour donner les informations des provinces, des communes, etc. Je crois vraiment à l’Agence

S. : Espériez-vous faire comme Macky Sall, c’est-à-dire, passer de Premier ministre à Président ?

L. A.T. : Cela fait 32 ans que je travaille et j’ai toujours eu une constance, c’est de faire bien ce que j’ai à faire et pour l’avenir, Dieu en disposera. Je ne suis pas préoccupé par des questions comme du genre : « après avoir été Premier ministre qu’est ce que je vais devenir » ? Je suis capable de m’adapter à n’importe quelle situation. Par contre, en tant que journaliste, je n’ai pas l’intention de créer un journal mais j’aimerais m’investir dans la formation de mes confrères. Si j’avais les moyens, j’aimerais créer un institut de qualité, d’excellence pour les journalistes parce que nous en avons besoin. Sinon, mon avenir c’est de bien faire le travail que l’on m’a confié.

S. : Que voulez-vous qu’on retienne du Premier ministre Luc Adolphe TIAO ?

L. A.T. : Que c’est un citoyen qui a toujours voulu accomplir son devoir dans la rigueur, la loyauté et l’honnêteté. Après tout, ce sera à l’histoire d’en juger. Je travaille en tout cas avec la conviction que je dois donner le meilleur de moi-même en tout temps pour que le Burkina avance.

La Rédaction

Sidwaya

* Le titre est du Lefaso.net :

[Voir titre Sidwaya : LUC ADOLPHE TIAO, PREMIER MINISTRE : « Les journalistes ne me feront pas de cadeau si je fais des conneries et des bêtises » >http://www.sidwaya.bf/quotidien/spip.php?article6536]



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