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ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR LES MARCHÉS PUBLICS : Des irrégularités à la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques

jeudi 19 juillet 2012.

 

Le document ci-dessous est un extrait de l’enquête parlementaire sur les marchés publics. Il porte sur le contrôle effectué par les députés à la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques. Des irrégularités y sont relevées.

L’examen du dossier CAMEG est présenté sous la forme d’une analyse globale de la gouvernance de l’entreprise, de son système d’approvisionnement et des faiblesses et risques rattachés, de même que du respect de la réglementation.
Pour ce faire, la commission ne s’est pas attachée à la présentation « marché par marché » adoptée pour les autres dossiers.

II-3-8-a- Présentation de la CAMEG et des marchés exécutés par elle
La CAMEG, créée par récépissé n°98-160/MATS/SG/DGAT/DLPAJ du 11 mai 1998, est une association à but non lucratif, dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.
Aux termes de l’article 3 de son statut, la CAMEG assure une mission de service public à finalité sociale et est notamment chargée :

de fournir aux formations sanitaires publiques et privées à but non lucratif et en priorité aux formations sanitaires de District, des médicaments essentiels génériques, des consommables médicaux et de laboratoire, ainsi que du petit matériel médical ;

d’acquérir les médicaments essentiels génériques aux meilleures conditions ;

de garantir leur disponibilité dans le respect des normes de qualité en vigueur.

Elle est administrée par un Conseil d’administration composé de onze (11) membres dont quatre (4) représentant l’Etat, deux (2) les partenaires techniques et cinq (5) les utilisateurs et autres usagers de la CAMEG. Elle compte une Direction générale comprenant trois (3) directions centrales.

Pour l’appréciation de la passation et de l’exécution des marchés par la CAMEG, une quarantaine de marchés ont été présélectionnés. Toutefois, pour des raisons de temps, onze (11) ont pu être véritablement audités. Il s’agit de sept marchés de fournitures de médicaments essentiels génériques, de quatre (4) marchés de fournitures de divers réactifs et d’un marché de fourniture de moustiquaires imprégnées.

La passation des marchés s’effectue par appel d’offres international ouvert pour la présélection des fournisseurs, puis par appel d’offres restreint ou par la procédure de gré à gré pour l’acquisition des biens à proprement parler.

Il convient de relever que les marchés de la CAMEG bénéficient d’une exonération totale des droits et taxes. En effet, aux termes de l’article 7 de la convention signée entre le gouvernement du Burkina Faso (représenté par le Ministre chargé des Finances) et la CAMEG (représentée par le président de son conseil d’administration), l’Etat lui a accordé des avantages fiscaux, notamment l’exonération de tous droits et taxes sur l’ensemble de ses activités et l’exemption des droits et taxes relatifs à l’enregistrement des marchés ainsi que des locations et acquisitions d’immeubles ou de terrains effectuées par elle dans le cadre de ses activités.

II-3-8-b- Les constats sur la passation et l’exécution des marchés
L’examen des procédures de passation et d’exécution fait apparaître les constats suivants 1- l’absence de plan de passation des marchés : la CAMEG justifie l’absence de ce document par l’existence d’un budget des approvisionnements annuels de produits pharmaceutiques qui permet d’établir un planning de passation des marchés. L’exploitation de ce document révèle cependant qu’il s’agit plutôt d’un planning de livraison qui ne concerne que les fournitures de médicaments et non l’ensemble des marchés et contrats.
Risques encourus : nombreux recours au gré à gré.

2- la non-prise en compte de l’attestation de la situation cotisante au titre des documents administratifs demandés aux candidats burkinabè aux marchés publics. Ce document devrait en effet être mentionné au même titre que les attestations de situation fiscale ou de l’agent judiciaire du Trésor.

Risques encourus : participation de fournisseurs ne remplissant pas les conditions exigées par les textes, notamment en ce qui concerne les contributions à la CNSS au profit de leurs employés.

3- la non-exigence des documents administratifs en cours de validité (attestation fiscale, attestation de l’agent judiciaire du Trésor,…) dans les appels d’offres ouverts aux fournisseurs pré-qualifiés, ceux-ci étant pré- qualifiés pour trois à quatre ans.
Risques encourus : participation de fournisseurs ne remplissant pas les conditions exigées par les textes au moment de leur participation à l’appel d’offres.

4- le non-respect de la séparation des tâches dévolues à la commission d’attribution des marchés et à la commission technique chargée de l’évaluation des offres. Aux termes de l’article 10, alinéa 2 de l’arrêté n°2010-247/MEF/CAB du 15/ 07/ 2010, portant fixation des pièces administratives exigées aux candidats aux marchés publics, il est spécifié que « la qualité de membre de la commission d’attribution des marchés est incompatible avec celle de membre de la sous-commission technique ».

Cette disposition permet un traitement et une appréciation purement technique et impartiale des offres.
Il est cependant constaté qu’à la CAMEG, les deux structures sont entièrement composées des mêmes membres et toutes les deux présidées par le Directeur général, qui se constitue, de ce fait, juge et partie. Exemple : dépouillement du CR03/2010
Risques encourus : non-respect des principes de transparence et d’équité, trafic d’influence.

5- l’absence d’autorisation préalable de l’autorité compétente pour certains marchés conclus par la procédure de gré à gré. La réglementation générale des marchés publics prévoit le recours, selon le cas et le montant, à l’autorisation du comité de gré à gré, du ministre chargé du Budget ou du conseil des ministres (ou encore du président du conseil d’administration pour les sociétés d’Etat). Cette disposition n’est pas observée par la CAMEG.
Risques encourus : recours incontrôlé aux procédures exceptionnelles de gré à gré.

6- La non-publication des résultats des délibérations. Cette formalité n’est pas prévue dans le manuel des procédures administratives, financières et comptables de la CAMEG et partant, n’est pas observée.
Risques encourus : manque de transparence dans les procédures de passation des marchés.

7- L’attribution des marchés aux mêmes fournisseurs
L’analyse des procès-verbaux de dépouillement des offres, notamment au niveau des fournitures de médicaments, permet d’observer :

l’attribution, chaque année, d’une part très importante des marchés (55-70%) à une dizaine de fournisseurs (les mêmes), contre 40 à 30% seulement pour l’ensemble des autres fournisseurs dont le nombre varie entre 65 à 80 ;

l’attribution de marchés de certains produits à des fournisseurs ne présentant pas les offres les moins disantes, ni même économiquement les plus avantageuses.

Constats de fortes impressions de favoritismes
Risques encourus : limitation du libre accès à la concurrence, inégalité de traitement des fournisseurs, favoritisme, risque de corruption, renchérissement du coût des médicaments.

8- la non-application des dispositions relatives aux pénalités de retard prévues dans les clauses de tous les marchés (1/1000 par jour de retard) : malgré les nombreux retards de livraison signalés par la CAMEG elle-même, la structure a très rarement opéré des retenues sur les paiements des fournisseurs au titre des pénalités de retard. De 2008 à 2010, un seul cas d’application de la disposition a été présenté et concerne un marché ayant accusé plus de 15 mois de retard.

Risques encourus : manque de rigueur dans l’exécution du marché, favoritisme, retards récurrents dans l’exécution des marchés.
9- le non-respect par la CAMEG de ses propres procédures
La commission a examiné la procédure de qualification des fournisseurs.

La procédure de pré qualification des fournisseurs, élaborée par la CAMEG devrait permettre d’identifier les fournisseurs professionnels du domaine des médicaments et des consommables médicaux.
En effet le dossier de pré-qualification comprend un questionnaire d’identification et d’informations sur les fournisseurs comportant les éléments suivants :

* Informations générales sur les candidats
* l’identification du candidat,
* le champ d’activité pharmaceutique,
* la dimension du personnel,
* l’identification des personnes qualifiées,
* le chiffre d’affaires des trois dernières années,
* les références commerciales (performances commerciales),
* l’état des stocks.

Informations pharmaceutiques fabricants de médicaments
* la gamme et la capacité de production ;
* la certification OMS ;
* la situation réglementaire des produits du fabricant dans son pays ;
* la situation du fabricant du plan des Bonnes pratiques de fabrication (BPF) ;
* la ligne de production ;
* le système d’assurance qualité.

Malheureusement, l’analyse des performances de certains fournisseurs laisse des doutes sur leur crédibilité. C’est le cas de la société CSEP (Centre spécialités export Pharma), 76 avenue du midi 77 63702, Cournon d’Auvergne, cedex France.
C’est une société créée en France en 1994 et dont la raison sociale est le commerce de gros de produits pharmaceutiques.
L’analyse de son chiffre d’affaires indique que la société a une activité commerciale qui stagne et qu’elle fait le gros de son chiffre d’affaires avec la CAMEG d’année en année.

* le champ d’activité pharmaceutique,
* la dimension du personnel,
* l’identification des personnes qualifiées,
* le chiffre d’affaires des trois dernières années,
* les références commerciales (performances commerciales),

En outre, l’examen de la dimension du personnel montre que l’entreprise dispose seulement de 5 à 7 personnes y compris le directeur général.

Pour une société de distribution pharmaceutique de gros, ces éléments ne sont pas de nature à lui accorder un crédit.
Risques encourus : travailler avec des sociétés peu crédibles et vivantes sur le dos de la CAMEG.

Au terme de l’analyse, on note le non respect, d’une manière générale, des dispositions prévues par le décret n°2008-173/PRES/PM/MEF du 19/04/2008, portant réglementation générale des marchés publics et des délégations de service public au Burkina. En effet, du fait de son statut d’association à but non lucratif, dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, la CAMEG s’est dotée d’un manuel des procédures administratives, financières et comptables propre à elle.

Ce manuel ne devrait pas déroger comme c’est le cas, aux dispositions du décret précité.
En effet, il est clairement indiqué à l’article 6 dudit décret que « les dispositions du présent décret s’appliquent également" :

aux marchés publics et délégations de service public passés par des personnes morales de droit privé, agissant pour le compte de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’une personne morale de droit public, d’une société d’Etat, d’une société à participation financière publique majoritaire, d’un organisme de droit public ou d’une association formée par une ou plusieurs de ces personnes morales de droit public ; - aux marchés publics et délégations de service public passés par des personnes de droit privé ou des sociétés d’économie mixte, lorsque ces marchés bénéficient du concours financier et/ou de la garantie de l’Etat ou d’une personne morale de droit public.. ».

Il convient de relever que les importants avantages fiscaux octroyés à la CAMEG sont considérés comme des concours financiers de l’Etat. Sauf dérogation spéciale, il paraît donc normal et évident que les dispositions du décret précité s’appliquent aux marchés de la CAMEG. Par ailleurs, suite à une analyse de la situation économique et financière de la CAMEG, jugée stable, la commission d’enquête parlementaire estime qu’il est opportun de procéder à une relecture de « la convention entre l’Etat et la CAMEG » pour actualiser son statut juridique et adapter ses avantages fiscaux à sa situation financière actuelle, tout en veillant à conserver les missions de service public qui lui ont été confiées.

En effet, elle a un chiffre d’affaires de 22 859 683 580 FCFA et un résultat bénéficiaire de 1 557 045 104 FCFA en 2009 et en 2010 ces données sont respectivement de 26 917 635 132 FCFA et de 2 054 0650245 FCFA. Les dons octroyés à divers organismes et associations à titre de soutien à leurs activités s’élèvent à 38 647 700 FCFA en 2008 et à 61 112 000 FCFA en 2009. La CAMEG a également entrepris la construction de ses agences dans les régions.

Source : Rapport parlementaire sur les marchés Publics

Sidwaya



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