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Richard Seydou Traoré, PDG de Seydoni

Seydoni est capable de réaliser un film cow-boy en mooré..."
mercredi 3 novembre 2004.

 

Il est économiste, ancien cadre de la Banque Mondiale, homme d’affaires, musicien. Seydou Richard Traoré vit depuis quelques années en Suède.

En mission dans son pays, nous l’avons rencontré le 13 octobre 2004. Dans cet entretien qui mêle humour et franchise, le patron de Seydoni Productions parle de sa vie, de ses projets, des "Tamani", de la musique burkinabè et bien d’autres questions.

Sidwaya plus (SP) : Richard Seydou Traoré est-il en vacances au Faso ?

Richard Seydou Traoré (RST) : Rires. Je suis en mission si l’on tient compte de la liste des pays que je vais traverser avant mon retour en Suède. Je change ma base chaque année. Il y a deux ans j’étais au Burkina avec toute ma famille. Maintenant je suis basé en Suède, scolarité des enfants oblige. Ici je ne suis pas en vacances mais en mission pour le Burkina, le Ghana et le Mali. Dans ces pays nous avons des filiales.

SP : Que devient Richard Seydou Traoré ?

RST : Grands rires. Traoré Seydou Richard est resté toujours ce que vous avez connu. J’ai fait "un master of business administration" en 1987 et un diplôme de troisième cycle en gestion des entreprises. Je suis économiste. Pendant mes études, je faisais de la musique. Ce qui m’a permis de payer mes études et de faire autre chose. En 1987, j’étais à la Banque mondiale. Et j’ai pris un an de disponibilité pour aller en Suède, cela parce que quand j’étudiais aux Etats-Unis en 1980, j’ai rencontré une Suédoise qui est devenu ma conjointe. Je lui avais promis que si elle venait passer quatre ans au Burkina, j’en ferais autant dans son pays. Et en 1987, c’était donc à mon tour d’aller passer au moins une année là-bas. Donc, j’ai pris une disponibilité d’un an. Quand je suis arrivé en Suède, j’ai eu beaucoup de chances parce que l’université avait besoin d’enseignants dans le domaine du marketing en année de licence.

Ensuite, il y avait un projet pour mettre en relation les investisseurs suédois et ceux du Tiers-monde. Moi, j’ai préféré prendre la zone Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que j’ai réalisé l’étude de marché. J’ai évalué les représentants pour ces sociétés. C’est ce qui m’a amené dans les affaires. Par la suite, j’ai préféré créer ma propre société de consultation de développement et de "trading" ( CDT) au lieu de revenir à la Banque mondiale. D’où le nom de CDT International. Et la grande confusion que font les gens, c’est que Seydoni n’est pas une société. Seydoni est une division de CDT International, du moins pour le moment. Nous sommes en train de travailler en ce moment avec le notaire pour séparer les deux, pour qu’il ait Seydoni Burkina S.A, une société au capital de 100 millions et CDT International Burkina S.A, une société au même capital.

SP : La CDT a - t-elle des racines en Suède ?

RST : Je peux dire que la CDT International est une société de droit commun burkinabè. Elle n’a pas de racines ailleurs. Elle n’est pas une succursale de la société suédoise. L’ancienne est une société carrément suédoise, même si elle est gérée par moi. Les employés sont tous Suédois. Et elle n’a rien à voir avec celle d’ici. Il n’y a pas de racines doubles ; pour moi des deux côtés, je suis actionnaire majoritaire des deux sociétés ou même des quinze sociétés aujourd’hui. Je passe six mois de mon temps au Burkina et en Afrique de l’Ouest et le reste en Suède.

SP : Que fait exactement la CDT Internationale ?

RST : CDT international, c’est la société de commerce. Nous faisons le commerce du lait. Ce lait sans faire de la publicité est parmi les leaders de lait, vendu en sac de 25 kg au Burkina. Beaucoup de femmes achètent ce lait pour faire du yaourt. C’est en fait le bénéfice de ce lait qui permet de financer localement les activités de Seydoni puisqu’on se plaint toujours de la piraterie. Au niveau de Seydoni, je ne peux pas dire qu’on perd de l’argent, mais on n’en gagne pas aussi. A Seydoni, il y a beaucoup de branches. Il y a le côté de Seydoni qui s’occupe de l’usine de cassettes et une imprimerie de CD.

Au départ, l’idée était de faire en sorte que cette imprimerie puisse permettre aux opérateurs économiques d’en profiter pour mettre sur supports leur rêve. A notre temps, il fallait louer une voiture et aller jusqu’à Lomé pour enregistrer. C’est pour donner une possibilité aux artistes et même aux conteurs de dupliquer et vendre leurs œuvres. Seydoni possède également une imprimerie de CD vidéo et de DVD. Seydoni est la seule unité où l’on peut dupliquer 100 cassettes et ça ne vous coûtera pas plus de 500 F CFA par cassette.

Donc avec 50 000 F CFA, on peut avoir un produit. Il y a une opportunité qui est donnée, mais malheureusement elle n’est pas comprise. Le problème, c’est que beaucoup d’artistes n’ont ni l’argent pour venir dupliquer ni l’argent pour entrer en studio, parce que cela est le deuxième volet de Seydoni. Au lieu que les gens viennent avec des enregistrements où l’on entend le bruit des moteurs en arrière-plan, on investit dans un vrai studio où ce qu’il enregistre peut sortir en dehors du Burkina et aller même en France.

Regardez Premier Gaou par exemple, ce n’est pas nous qui les avons enregistrés, mais aujourd’hui ils n’ont même plus besoin de concert. A chaque fois que leurs chansons jouent dans les radios, cela leur fait de gros sous. C’est pourquoi, dans ce jeu, il faut que les droits d’auteurs jouent leur rôle. Qu’ils soient vraiment efficaces dans la lutte contre la piraterie et dans la répartition des fonds pour la survie de l’artiste.

SP : Est-ce que Seydoni-Productions n’est pas inconnue du public ?

RST : Non, non ! Moi, je me rends compte seulement que c’est cloisonné, sinon nous avons organisé des journées portes ouvertes. Je ne sais pas si l’information n’a pas passé. Par Seydoni, le public voit les clips. Alors que ce n’est qu’une partie de Seydoni qui peut même réaliser des films. Seydoni a monté le film de Fanta Nacro par exemple. Au niveau des studios avec l’équipement disponible, nous pouvons faire un doublage de film. Par exemple, Seydoni est capable de réaliser un film cow-boy en mooré. Tout est là. Seydoni offre une gamme variée de possibilités, mais il y a une confusion totale avec d’autres maisons de production qui viennent travailler chez Seydoni.

SP : Quel est le rôle de Seydoni en tant que maison de production ?

RST : Seydoni joue un rôle d’imprimerie et donne l’occasion à des gens de s’exprimer. Ils paient le travail d’impression, de conception etc. On n’a pas le choix. Si quelqu’un vient imprimer une œuvre puis demande de signer qu’il est le directeur de publication, Seydoni ne peut lui refuser cela.En revanche s’il vient réaliser un clip et demande de ne rien signer, Seydoni respecte sa volonté.

SP : Ça ressemble au jeu qui gagne perd ? Si le produit est bien, vous n’avez pas de dividendes, si c’est l’inverse, vous n’êtes pas engagés...

RST : Non, mais l’auteur nous dit s’il faut signer. Tout ce que Seydoni signe, c’est quand la structure a investi parce que l’auteur n’a pas les moyens pour réaliser le produit ou bien c’est notre produit. C’est pour que les gens viennent dans notre imprimerie. C’est un effort et un risque que Seydoni prend. On n ’a perdu beaucoup d’argent à ce jeu. Si au départ, c’était une imprimerie de livres , on en aurait aujourd’hui des milliers au Burkina. Je ne peux pas exclure que Seydoni aille dans le livre.

De plus en plus, notre philosophie est de faire un livre suivi d’une cassette. Cela va donner l’occasion à ceux qui ont des manuscrits depuis longtemps de les faire publier. Nous sommes ouverts. C’est-à-dire qu’on pouvait à Seydoni ouvrir un département d’édition du livre et à la place de l’imprimerie, on peut créer une autre comme celle de "Sidwaya". Ainsi, on peut en même temps enrégistrer le livre dans nos studios et le vendre comme si on était en Europe, "livre et copie". Ceux qui ont du génie pourront traduire des œuvres dans d’autres langues. Il y a beaucoup de possibilités.

SP : Parlant de piraterie, dites-nous ce qu’elle occasionne en termes de perte pour Seydoni ?

RST : La piraterie est partout, dira-t-on. Mais, cela ne veut pas dire qu’on doit croiser les bras. Quand je chantais, l’album était vendu entre 2 500 ou 3 000 F CFA. L’album est devenu cassette et ça a coûté encore ce prix et tout à coup, ce même album coûte aujourd’hui 900 F CFA. Il y a quelque chose qui ne va pas parce que les sociétés qui achètent la matière première pour réaliser l’album vendent l’album en gros à 1 350 Fcfa. Nous, nous parcourons environ mille kilomètres avec cet album et nous sommes obligés de le vendre à 900 Fcfa. Cela parce que la Côte d’Ivoire a réussi malgré la piraterie à imposer au public la consommation des oeuvres originales. Les artistes se sont battus pour éliminer au maximum les cassettes parallèles.

Finalement le prix de la cassette est arrivé à un montant acceptable de 1750 à 2000 Fcfa. Si nous étions dans un tel cas de figure, le manque à gagner avec Seydoni serait de 2 à 3 millions de francs CFA. On peut donc comprendre qu’à Abidjan, il n’y ait pas une seule maison de duplication. La piraterie existe un peu plus au Burkina. Des efforts restent à consentir. Le ministère de la Culture au niveau du BBDA fait des efforts. Mais il faut que ces efforts soient poursuivis et même élargis. Il faut de la fermeté au plus haut niveau pour combattre la piraterie.

SP : Les " Tamani" font-ils la spécifité de Seydoni Mali ?

RST : C’est une initiative que nous avons prise au Mali parce que là-bas il n’y a pas de Kundé. C’est très touchant quand Oumou Sangaré fond en larmes en recevant son prix en disant qu’elle n’a jamais été distinguée de la sorte dans son pays. C’est vraiment bien. Il faut encourager les artistes. Je pense qu’il n’y a pas une concurrence entre Seydoni Mali et Seydoni Burkina. C’est le même groupe avec le même propriétaire. L’idée est que Seydoni ne doit pas seulement être burkinabè, mais africain et pourquoi pas mondial. Il y a même Seydoni France que nous avons créé. Notre ambition est de pouvoir vendre de la musique burkinabè, malienne, camerounaise...partout dans le monde.

SP : Comment Seydoni s’investit dans la promotion de la musique burkinabè ?

RST : C’est une bonne question. Je crois que la promotion de la musique burkinabè doit être un orgueil national. Nous avons décidé de nous rallier purement et simplement à ce que le ministère fait. C’est ainsi que nous avons œuvré à produire les primés du concours national de la musique ou de la Semaine nationale de la culture. Ce qui nous a permis de détecter des artistes comme Solo Dja Kabako.

Dans le cadre de la promotion de la musique, je dirais que Seydoni a donné l’outil à tous ceux qui veulent produire un artiste de pouvoir le faire. Seydoni Productions ne veut pas être le seul producteur. En 2 000 déjà, nous avons fait autant de productions et de sorties d’albums qu’en trente ans au Burkina. Cela s’est fait sans un seul sou de l’Etat. C’est de cela que je me plains un peu. Normalement, ailleurs cet effort devrait être subventionné parce que les studios sont climatisés 24 h sur 24.

SP : Quelles sont les conditions pour être produit à Seydoni ?

RST : Actuellement, nous avons fait un appel. Il y a eu 408 maquettes, et Seydoni a en retenu 14. C’était notre dernière production avec les Jeanne Bicaba, Doundosy et autres. En réalité, Seydoni souhaiterait ne pas produire beaucoup, mais qu’on nous utilise pour faire venir les producteurs. Pour ceux qui n’avaient pas les moyens, Seydoni était obligé d’assurer le rôle de distributeur par manque de professionnalisation. Les gens n’ont pas du tout compris que c’était à eux de faire la distribution.

Finalement, Seydoni se retrouve à faire tout le travail et distribue. Alors que Seydoni est une société privée qui agit avec de l’argent privé. Nous avons écrit pour demander à ne plus être taxé sur la matière première. Ce que nous payons comme TVA peut nous être reversé par l’Etat en vue de mieux soutenir les nouveaux talents. Si Seydoni n’avait pas été créé, la situation allait être toujours difficile. Seydoni a servi en tout cas, à quelque chose.

SP : Comment se comporte la musique burkinabè aujourd’hui ?

RST : Avec ce qu’on a aujourd’hui, il y a une plus grande dynamique dans l’animation des chaînes. Ce n’est plus le folklore ou les images de la Semaine nationale de la culture. Comparée à ce qu’on avait à la télévision, c’est différent maintenant. Le seul problème, c’est que ce ne sont pas les nouveaux talents et les nouveautés qui manquent ; ce qui manque ce sont les sous pour les produire et les mettre sur le marché. Seydoni ne peut pas prendre la responsabilité de produire tout le monde. Actuellement, la musique burkinabè se comporte très bien.

Mais ça pourrait aller encore mieux s’il y avait des mesures d’accompagnement. Le rythme dépend des artistes. Certains ont un rythme ivoirien. Apparemment, les gens viennent pour produire leurs œuvres à Seydoni, ce n’est pas nous qui décidons. Nous vivons dans un monde global, il faut que la musique burkinabè soit copiée en Côte d’Ivoire, à l’extérieur. Nous produisons ce que le public peut aimer. Premier gaou, qui pensait que ça allait arriver jusqu’au Japon... Mais je pense qu’il ne faut pas chercher à donner des leçons aux gens, autrement on dira de ne plus s’habiller en hip hop.

Ce que je déplore, c’est que les artistes n’essaient pas parfois de puiser de leur terroir pour innover. Actuellement, nos artistes se battent comme ils peuvent. Je remercie Sidwaya pour l’occasion que le journal m’offre de parler de la musique de notre pays. Cette tribune nous permet d’expliquer au public comment on peut accompagner nos musiciens. La presse doit arriver à expliquer aux auteurs de poèmes qu’ils pourraient chercher de belles voix pour les chanter au lieu que les artistes soient compositeurs, auteurs, chanteurs, danseurs etc.

Il y a beaucoup d’artistes qui sont vraiment bien dans leur domaine et qui auraient pu briller s’ils étaient soutenus par un compositeur talentueux. Les gens confondent, on n’est pas obligé d’être auteur, compositeur, c’est trop. Je me dis toujours que dès que j’aurai le temps, je chanterai. En ce moment, nous sommes entrain de réaliser une compil des anciens musiciens. Seydoni entend montrer au public ce que des anciens comme Oger Kaboré, Georges Ouédraogo, Méda Francis...peuvent produire avec les nouvelles techniques d’enrégistrement. C’est une expérience chaude que nous menons présentement. Il y aura également la sortie de la compil pour les vedettes femmes. Il y a entre autres, Idak, Améty, Sonia Carré d’As. Elles ont déjà toutes enrégistré. L’album sera prêt d’ici à fin novembre 2004 .

SP : D’après vous, quel est l’avenir de la musique burkinabè ?

RST : Je sens qu’il y a un vent d’espoir à l’horizon pour la musique burkinabè. Que cet espoir continue ! Je crois de plus en plus à la musique de notre pays. C’est vrai qu’il y a eu des hauts et des bas. Mais, on voit aussi que les artistes font quelque chose pour aller de l’avant. Mon dernier mot serait de voir un directeur de société faire des textes de musique et travailler avec des artistes. Que chacun y mette la main. Car il y a des artistes talentueux qui ont besoin de soutien. L’appel est qu’on continue à travailler tous ensemble et qu’on ne laisse pas seuls les artistes.

Interview réalisée par Nadoun COULIBALY
Sidwaya