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SOUMANE TOURE, PRESIDENT DU PITJ : « Rien n’autorise la prolongation du mandat des députés »

mercredi 30 mai 2012.

 

Le Parti de l’indépendance, du travail et de la justice (PITJ), à travers cette lettre ouverte au président du Conseil constitutionnel, s’insurge contre la prorogation du mandat des députés. Tout en exhortant le président du Conseil constitutionnel à veiller au respect de la loi, il estime que le « Burkina Faso n’a plus d’Assemblée nationale », puisque, dit-il, le président du parlement avait déjà proclamé la fin de la session ordinaire, mettant ainsi fin à l’existence de l’Assemblée nationale. Lisez !

L’Assemblée nationale a saisi votre institution pour connaître de la constitutionnalité de la loi constitutionnelle n°001-2012/AN du 22 mars 2012 portant modification de l’art. 81 de la Constitution aux fins de prolonger le mandat des députés de la IVe législature de la IVe République devant prendre normalement fin le 3 juin 2012. Votre institution, après examen et délibération, par décision n° 2012-008/CC, sur la conformité à la Constitution de la loi ci-dessus citée, a décidé à l’art. 2, de sa non-conformité à la Constitution. Décision salutaire en ce qu’elle donne un coup de frein aux multiples manipulations des textes régissant notre processus démocratique (Constitution, Code électoral…) dont le régime est coutumier pour couvrir ses turpitudes et les nombreux parjures de ses responsables.

Le PITJ, connaissant bien le régime de la IVe République, n’a eu de cesse de mettre à nu et de dénoncer publiquement par écrit ces manipulations et ces pratiques sordides. Pour faire court, aux assises nationales sur les réformes politiques convoquées en décembre 2011, le PITJ attirait publiquement l’attention de tout le monde sur la fin constitutionnelle du mandat des députés de la IVe législature en fin mai 2012 et que rien ne permettait de prolonger leur mandat. Le 12 mars 2012, au cours de la rencontre avec toute la classe politique que le Premier ministre a convoquée, ce dernier a annoncé que son gouvernement allait introduire un projet de loi pour réviser l’art. 81 de la Constitution aux fins de prolonger le mandat des députés. Au cours des débats, notre parti, le PITJ, a pris la parole pour marquer son désaccord avec la démarche après avoir rappelé sa position sur la question au cours des assises nationales sur les réformes politiques de décembre 2011.

En dépit des dispositions constitutionnelles et du bon sens, le gouvernement a tout de même introduit son projet et l’Assemblée nationale en a fait une loi le 22 mars 2012. Votre institution l’a rejetée pour non-conformité à la Constitution. D’aucuns soutiennent que vous avez induit en erreur le gouvernement et l’Assemblée nationale par votre avis n° 2012-001/CC du 20 janvier 2012 portant conditions de report des élections législatives de 2012. D’autres soutiennent qu’à cela ne tienne, qu’il suffirait dans ce cas de reformuler la loi pour lui donner une portée générale afin de la rendre conforme à la Constitution.

M. le Président, L’art. 81 de la Constitution est rédigé en français facile : « La durée de la législature est de cinq (05) ans ». Il nous semble difficile de trouver une formulation générale sans qu’elle « laisse apparaître que celle-ci dispose uniquement sur le cas spécifique de la législature en cours, alors qu’une loi constitutionnelle portant révision de la Constitution devrait être de portée générale » (Cf. 12e considérant de la décision n° 2012-008/CC du 26 Avril 2012).

Sur la révision de la durée des mandats prescrits par la Constitution, il nous a été donné de voir le mandat présidentiel révisé du septennat au quinquennat avec tous les arguments pour ou contre sans que la conformité à la Constitution soit posée, la polémique étant venue sur le point de savoir si Blaise Compaoré qui avait déjà joui de deux septennats pouvait se prévaloir de la jouissance de cette révision. En ce qui concerne l’art. 81 de la Constitution, aucun argument ne peut convaincre que sa révision ne dispose pas uniquement sur le cas spécifique de la législature en cours. L’argument supposé massu qu’il faut prolonger le mandat des députés pour éviter un vide institutionnel ne tient pas la route. On en est arrivé là parce que les élections législatives qui devaient permettre de renouveler l’Assemblée à terme échu n’ont pu avoir lieu faute d’un fichier électoral conforme à la loi. Et pourtant, notre parti, dix (10) ans durant, sous la présidence de feu Moussa Michel TAPSOBA à la CENI, a dénoncé l’inexistence d’un fichier électoral fiable et légal, allant jusqu’à vous inviter vous-même à annuler le scrutin présidentiel de 2010 pour défaut d’un fichier électoral fiable et légal.

On devient député à l’issue d’un scrutin législatif et l’Assemblée se réunit après proclamation officielle des résultats par le Conseil constitutionnel. L’Assemblée ainsi réunie valide son mandat pour cinq (05) ans. En dehors de cette procédure prescrite par la Constitution en ses art. 80, 81 et 82, nul ne peut conférer la qualité de député à un quelconque citoyen, fût-il ancien député, a fortiori prolonger son mandat. Au Sénégal où la vie constitutionnelle a cours sans interruption depuis 1960, soit 52 ans, donc plus que nos 20 ans d’apprentissage sous cette IVe République, après la dernière présidentielle qui a consacré l’élection de Macky Sall, la nécessité s’est posée de faire des réglages pour la tenue des législatives en vue de renouveler l’Assemblée.

La date de tenue de ces législatives devait donc être repoussée. Unanimement, le report a été accepté. Et encore, tout aussi unanimement, il a été décidé qu’au terme du mandat prescrit, l’Assemblée sera dissoute. Voici un bel exemple de respect des dispositions de la Constitution et de l’ordre institutionnel. C’est tout le contraire que le régime de la IVe République voudrait faire dans notre pays, le Burkina Faso, Pays des Hommes Intègres. Prendre prétexte de la nécessité de légiférer sur les réformes consensuelles des assises nationales sur les réformes politiques de décembre 2011, prendre prétexte de l’unanimité faite autour de l’adoption de la biométrie pour avoir une Assemblée démocratiquement et proprement élue, tout cela pour prolonger le mandat d’une Assemblée mal élue, en violation de l’art. 81 de la Constitution, c’est vouloir faire tout le contraire de ce qui est autorisé par la Constitution.

C’est dire que rien n’autorise la prolongation du mandat des députés de la IVe législature. C’est dire aussi que personne, ni aucune institution n’a le droit ou le pouvoir de prolonger leur mandat sauf à porter délibérément atteinte à la Constitution.

M. le Président, C’est vous-même et votre institution qui avez reçu le serment du Président du Faso Blaise Compaoré de respecter la Constitution et de la faire respecter. Avant même d’être élu et de venir prêter serment devant vous, son parti, le CDP, à travers son président Roch Marc Christian Kaboré, par ailleurs président de l’Assemblée nationale et M. Mahama Sawadogo, président du groupe parlementaire CDP, l’incitaient déjà au parjure en lui proposant la révision de l’art. 37 de la Constitution. Devant la colère, l’indignation et l’opposition populaire à une telle forfaiture, ils ont mis un bémol à leur campagne sans renoncer à leur funeste projet. A preuve, les mêmes ont pu l’amener à introduire ce projet de loi en vue de prolonger leur mandat à l’Assemblée nationale dans le but certainement de mener à terme leurs projets contraires à la Constitution.

M. le Président, Le PITJ demeure convaincu que votre décision n° 2012-008/CC du 26 avril 2012 est un coup de frein aux dérives anti-constitutionnelles auxquelles nous ont habitués le régime de Blaise Compaoré et son CDP. Ce coup-ci, votre institution est redevenue le dernier rempart du respect de l’ordre constitutionnel et de la paix dans notre pays. Elle est encore constitutionnellement la seule à pouvoir sauver Blaise Compaoré du parjure, donc de la haute trahison. Votre institution doit tenir bon, s’arc-bouter même pour ne pas laisser passer une quelconque loi, quelle que soit sa formulation portant prolongation du mandat des députés de la IVe législature de la IVe République.

Au demeurant, le président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré, en personne, en accord avec Mahama Sawadogo, président du groupe parlementaire CDP et en accord avec tous les groupes parlementaires et tous les députés, vous ont facilité la tâche en mettant fin eux-mêmes à leur mandat en déclarant close la 1re session ordinaire de l’année 2012 qui est la dernière session de la IVe législature de la IVe République. En effet, l’art.87 de la Constitution stipule : « L’Assemblée se réunit de plein droit chaque année en deux sessions ordinaires. La durée de chacune ne saurait excéder quatre-vingt-dix (90) jours. La première session s’ouvre le premier mercredi de Mars et la seconde le dernier mercredi de septembre ».

En déclarant close la session qui a démarré le premier mercredi du mois de mars de l’année en cours, c’est que l’Assemblée, logiquement, a fini le travail qu’il avait à faire durant cette session appelée session des lois. On est donc en droit de penser que l’Assemblée a fini de légiférer avant les quatre-vingt-dix jours sur tous les projets et propositions de lois y compris les projets de lois relatifs aux réformes consensuelles issues des assises nationales sur les réformes politiques de décembre 2011. En tout état de cause, en déclarant close la première session ordinaire de l’année en cours, le président a mis fin aux termes de la Constitution, au mandat des députés de la IVe législature de la IVe République.

C’est pourquoi le bon sens et la logique ordinaire sont mis à rude épreuve lorsque le président de l’Assemblée nationale annonce en même temps la convocation d’une session extraordinaire alors que le temps (90 jours) imparti à la session ordinaire n’est pas épuisé. Selon la logique et le bon sens, dès lors que le président de l’Assemblée nationale a proclamé la fin de la session ordinaire, il a également mis fin à l’existence de l’Assemblée nationale. Donc, depuis la proclamation de la clôture de la session ordinaire par le Président de l’Assemblée Nationale, le Burkina Faso n’a plus d’Assemblée Nationale. Clore la session ordinaire avant terme et ouvrir automatiquement une session extraordinaire est une manœuvre ni innocente ni gratuite. Dans le cas d’espèce, cela constitue une atteinte grave à l’ordre constitutionnel.

L’Assemblée nationale, après avoir mis fin à son mandat avant le temps qui lui est constitutionnellement imparti peut-elle automatiquement renaître de ses cendres de sa propre volonté par le truchement de la convocation d’une session extraordinaire ? Quelle est la valeur d’un tel mandat que les députés se seraient octroyé ? Et quelle valeur accorder à leurs délibérations ? Une telle Assemblée peut-elle saisir le Conseil constitutionnel de ses délibérations et être reçue ? Il est constant que pour être reçu par quelque juridiction que ce soit, il faut réunir trois conditions : Avoir qualité, capacité, et intérêt. Pour ce qui est de l’intérêt, nos députés sont prompts à trouver des subterfuges pour bâfrer indûment les deniers publics.

Par contre, ont-ils qualité et capacité alors qu’ils ont eux-mêmes mis fin à leur mandat en déclarant close la dernière session de leur mandature ? Clore la session ordinaire avant terme et ouvrir automatiquement une session extraordinaire est une manœuvre ni innocente ni gratuite. Dans le cas d’espèce, cela constitue une atteinte grave à l’ordre constitutionnel.

L’art. 88 de la Constitution stipule : « L’Assemblée Nationale se réunit en session extraordinaire sur convocation de son président à la demande du Premier Ministre ou de celle de la majorité absolue des députés sur un ordre du jour déterminé. La session extraordinaire est close dès épuisement de l’ordre du jour ». En mettant fin avant terme à la session ordinaire, le régime de Blaise Compaoré et son CDP soutiendront que tout ce qu’ils font est conforme à la Constitution notamment à son art. 88. Et comme ce sont eux qui vont fixer l’ordre du jour de cette session extraordinaire, il leur est loisible de le faire long et touffu, et l’Assemblée va l’examiner en traînant les pieds. Ils espèrent ainsi aller jusqu’au 3 juin 2013 tel qu’ils l’avaient déjà annoncé sous le fallacieux prétexte de ne pas mettre la pression sur la CENI.

M. le Président, Visiblement, votre décision n°2012-008/CC du 26 Avril 2012 a été bien comprise par le régime de Blaise Compaoré et de son CDP. Ils ont de ce fait déjà pris des mesures de contournement de votre rejet de la loi portant prolongation du mandat des députés et ont de ce fait installé une situation bordélique en décidant d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale. S’ils venaient à vous saisir à nouveau par une autre formulation, ce serait pour vous amener à entériner la violation de la Constitution qu’ils ont déjà opérée. S’ils n’éprouvent plus le besoin de vous saisir à nouveau par une autre formulation parce qu’ils sont déjà en session extraordinaire, ils engageraient tout de même grandement votre responsabilité parce que vous avez manqué de fermeté lorsque votre avis a été requis sur la prolongation possible du mandat des députés.

L’art. 166 de la Constitution stipule : « La trahison de la patrie et l’atteinte à la Constitution constituent les crimes les plus graves commis à l’encontre du peuple ». Dans l’histoire des peuples et de leurs luttes pour la démocratie, il arrive des moments où nul ne peut se dérober, où chacun doit s’assumer et assumer ses responsabilités. Nous sommes rendus à un tel moment dans notre pays. Pour notre part, nous n’avons d’autres ressources que de vous exhorter à faire respecter les dispositions constitutionnelles, à faire respecter la discipline républicaine pour nous éviter, « en cas ne sait jamais » comme disait un tirailleur, des dérapages et une situation dans lesquels même la CEDEAO ne saurait à quel ordre constitutionnel s’accrocher.

Veuillez recevoir, M. le Président, le soutien patriotique et républicain du PITJ.

Soumane TOURE

Le Pays



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