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MÉLÉGUÉ TRAORÉ : « Le sous-développement et la misère constituent le terreau des crises »

mardi 24 avril 2012.

 

Il s’appelle Mélégué Traoré, l’enfant de « Kankalaba », du nom de son village dans la Léraba. Il est diplomate, conseiller des affaires étrangères, ministre plénipotentiaire. Ancien ministre de l’Enseignement supérieur et ancien président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, cet homme d’expérience, qui a un doctorat en sciences politiques, avec une grande connaissance de la pratique du droit international et des relations internationales, n’a pas « sa langue dans la poche ». Dans cet entretien réalisé, le jeudi 12 avril 2012, dans son bureau, à l’hémicycle où il est député, M. Traoré décrypte les raisons des crises en Afrique et à travers le monde. Il aborde bien d’autres questions d’actualité comme la montée de l’islamisme en Afrique de l’Ouest, le printemps arabe, la crise malienne, les médiations du président Compaoré, etc.

Sidwaya (S.) ? : Comment expliquez-vous la résurgence des conflits un peu partout dans le monde, en dépit de la disparition des deux blocs idéologiques ?

Mélégué Traoré (M.T.) : Une explication simpliste a consisté à faire croire qu’à partir du moment où la guerre froide avait pris fin, les conflits s’arrêteraient. On partait de l’idée que les deux camps, organisés autour des superpuissances soviétique et américaine ? étaient tellement disciplinés grâce à l’ordre interne instauré dans chacun des deux camps, qu’aucun conflit ne pourrait éclater à l’intérieur des groupes d’abord, et ensuite entre les alliances. On a ainsi estimé que l’équilibre de la terreur permettait de ne pas aller trop loin dans les conflits. Cette lecture de la situation internationale était évidemment beaucoup trop simple. La preuve, c’est qu’après la guerre froide, il y a toujours eu plus de guerres. Et la guerre froide, elle-même, a quelquefois été à l’origine de certaines crises ou les a aggravées en les alimentant justement par la rivalité entre les deux camps ? : l’Est d’un côté et l’Ouest de l’autre. La situation s’est compliquée par la disparition des deux blocs à partir de 1989, car ce changement a fait disparaître, non seulement la discipline à l’intérieur des deux camps, mais aussi l’équilibre qu’elle permettait. Ce qui fait que de nos jours, les crises éclatent beaucoup plus facilement ? : ça va dans tous les sens. Notre époque est un monde en crise et de crises.

S.? : Au-delà de la disparition des deux camps, d’autres raisons n’expliqueraient-elles pas la naissance des crises internationales ? ?

M.T. : Les crises internationales naissent de plusieurs types de facteurs ? : territoriaux, économiques, idéologiques, sociaux ou culturels. Et dans un monde en transition comme le nôtre, surtout en Afrique, les crises sont inévitables. Il n’y a qu’à regarder celles autour de nous. Par exemple, en Afrique, la gestion interne des Etats est propice à l’apparition des crises. Prenez des cas autour de nous. La crise ivoirienne, par exemple, est née, non pas d’un conflit territorial avec un autre pays. Elle est un produit de la malgouvernance interne et du fait que certaines populations estimaient celles du Nord, à un moment donné, qu’elles sont laissées-pour- compte et marginalisées injustement. Ces populations pensent donc qu’elles ne participent pas à la gestion du pays. Or, au même moment, nous sommes dans une période où la revendication à la participation par les populations est très forte à travers le monde. Vous connaissez le résultat pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, avec cette crise ouverte en 2002 et dont les racines remontent beaucoup plus loin dans le temps. Les exemples de ce genre sont légion. Dans certaines situations comme celles des grands lacs en Afrique, les crises allient à la fois, des facteurs internes et des facteurs externes. A ce moment-là, elles deviennent très rapidement interétatiques. Et c’est ce qui s’est passé dans le cas des grands lacs à partir de 1996.

S. : Ces crises sont-elles l’apanage de l’Afrique et de l’Asie ?

M.T. : On se focalise sur ces deux continents du fait qu’ils sont emblématiques du sous-développement. Il faut ajouter à ces deux continents, l’Amérique Latine. Ces deux dernières décennies, on voit plus les crises en Afrique et en Asie, mais il y en a aussi en Amérique Latine, même si elles sont beaucoup moins ouvertes. Cependant, sur l’échelle du temps, si vous allez au-delà des deux dernières décennies, vous remarquerez que les crises ne sont pas le monopole de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique Latine. Rappelez-vous ce qui s’est passé en Europe, dans les Balkans. Les crises balkaniques, à partir de 1989, ont été beaucoup plus violentes que celles que nous connaissons en Afrique et en Asie. Cet éclatement de crises lié aux nationalités, renvoie d’ailleurs à une situation qui existait au début du 20e siècle. Les grandes puissances ont essayé de régler la question balkanique en 1918, à la fin de la première guerre mondiale, en créant le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes devenue Yougoslavie. Aujourd’hui, les anciennes républiques yougoslaves, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Croatie, le Kosovo, la Slovénie, la Macédoine sont des Etats indépendants nés de crises violentes. Vous voyez donc que les crises ne sont pas véritablement propres à l’Asie et à l’Afrique, mais il est vrai que c’est dans ces continents que les problèmes se posent le plus.

S. : L’Afrique va-t-elle connaître des divisions ou une multiplication des coups d’Etat ?

M.T.? : On commence à craindre une multiplication désordonnée des Etats en Afrique. Mais personnellement, je ne suis pas tout à fait convaincu que cette tendance se généralise. Jusqu’à présent, le pire ne s’est pas imposé partout. Aujourd’hui, les crises que nous connaissons sont le plus souvent des crises internes à répercussions externes. Regardez les crises autour de nous ? : les crises du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, la question touarègue aujourd’hui… sont toutes, d’abord, des crises internes avec des répercussions externes. Les conflits véritablement interétatiques ont été rares ? : comme entre le Burkina et le Mali, les deux guerres des pauvres, en 1974 et en 1985. De même, il y a eu la crise à propos de la presqu’île de Bakassi entre le Cameroun et le Nigéria, ou le conflit entre le Tchad et la Libye, la guerre des grands lacs, le différend entre le Botswana et la Namibie… L’on assiste désormais, le plus souvent, à des crises internes qui finissent par éclabousser toute une région. La sagesse, quand l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a été créée, en mai 1963, a été de poser le principe de l’intangibilité des frontières au premier conseil des ministres de juillet 1964. C’est la résolution du 21 juillet 1964, qui sert de référence. La proposition venait du Président malien Modibo Keïta. L’idée était d’appliquer, en Afrique, une doctrine connue du droit international public qui s’appelle le principe de l’ « Uti possidetis juris ».

S. : Quelle est l’origine de cette doctrine ?

M.T.? : C’est un principe qui est né du droit romain antique et qui a été appliqué en 1810 en Amérique Latine lorsque les territoires ont voulu s’émanciper vis-à-vis du royaume espagnol. La règle ressuscitée était celle de l’« Uti possidetis » selon laquelle, on maintient telles quelles les frontières héritées de l’Etat prédécesseur, celui du colonisateur. Ce n’était pas au départ de vraies frontières, mais simplement des limites administratives. Si nous prenons notre cas, les limites entre le Burkina et le Mali n’étaient pas à l’origine des frontières internationales. Il s’agissait des limites de cercles, qui ont été transformées, à l’indépendance, en frontières internationales. L’application de l’« Uti possidetis » signifie qu’on ne touche pas aux frontières héritées de l’Etat colonisateur, sauf de manière conventionnelle, par exemple si deux Etats négocient et aboutissent à des transferts de territoire. D’une part, on ne modifie pas les limites héritées de la colonisation, d’autre part, les traités territoriaux signés par l’Etat prédécesseur, c’est-à-dire par l’Etat français dans notre cas avec le Mali, doivent être respectés. C’est l’un des points-clé du droit international africain. Aujourd’hui, par exemple, les frontières entre le Ghana et la Côte d’Ivoire ou entre le Niger et le Nigeria, sont issues d’une convention du 14 juin 1898 qui avait été signée par les Britanniques et les Français pour délimiter leurs possessions. On l’appelle la convention du Niger. On pensait donc avoir réglé la question frontalière en ces termes et l’OUA a eu raison.

S. : Au regard des nouvelles formes que prennent les crises, l’« Uti possidetis » n’a-t-il pas été violé ?

M.T.? : C’est vrai ? ! Car dès lors que les crises deviennent internes, la solution, ce n’est plus l’« Uti possidetis ». En plus, le respect de ce principe-là a été violenté quelquefois. Il a été violenté d’abord parce que, finalement, par exemple, l’Erythrée est parvenue, en 1993, à conquérir son indépendance vis-à-vis de l’Ethiopie. Avec cet argument curieux que les Italiens avaient créé, la colonie d’Erythrée en 1890 avant l’Ethiopie. Les Erythréens se sont toujours fondés sur le fait qu’ils constituaient une entité différente de l’Ethiopie sous les Italiens. Mais en vérité, ce sont les rapports de force militaire qui ont fini par aboutir à la sécession, car historiquement, l’Erythrée est bien la partie Nord de l’Ethiopie sur la façade de la Mer rouge. L’on voit cela souvent en Afrique. Ceux qui revendiquent leur indépendance partent d’antécédents coloniaux pour justifier de la prétention à l’Etat. C’est bizarre, mais c’est comme ça. Le cas le plus proche de nous est celui du Soudan. Au Soudan, c’est un mélange de problèmes, pas uniquement ethniques, mais aussi confessionnels qui ont produit la division du pays. Il y a en Afrique, une zone qui part du Sénégal à la Somalie. Elle se situe à la jonction entre le monde arabo-berbère et le monde négro –africain. Et dans la situation du Sud-Soudan, l’on avait atteint un point où la domination du monde arabo-berbère sur les Noirs était devenue intolérable et inacceptable dans la partie méridionale. L’islam d’un côté au Nord et les chrétiens et les animistes de l’autre côté, au Sud. Tout cela sur les tréfonds des ressentiments historiques nés de l’esclavage pratiqué par les arabes pendant des siècles. Ce sont les églises protestantes américaines, surtout les néoconservateurs, qui ont poussé à fond la révolte, par des aides soutenues aux sudistes sur plusieurs décennies. Sans cela, il n’y aurait jamais eu d’indépendance du Sud-Soudan.

Et ça, on l’oublie aujourd’hui. Mais, il est vrai que la rébellion a été sous-tendue par le mouvement intense des populations du Sud-Soudan. C’est parti en 1956 d’un mouvement qu’on appelait, dans les années 60-70, le mouvement des « Anya Nian ». C’est la révolte des Noirs de cette partie-là contre le Nord et qui s’est prolongée à partir de 1983, avec l’action de l’armée populaire de libération du Soudan (SPLA) de John Garang, mais toujours avec l’aide des Américains. Toutefois, de telles situations plutôt exceptionnelles ne sont pas faciles à reproduire ? : les Sanwi de Côte d’Ivoire et les Biafrais au Nigeria l’ont appris à leurs dépens.

S. : En vérité, ne craignez-vous pas qu’on assiste à une création d’autres Etats en Afrique ?

M.T. : Tout le monde craint une telle situation, y compris moi. Mais je ne pense pas que le pire arrivera. Personne n’imaginerait des Etats ethniques sur le continent. Ce serait un capharnaüm terrible ! Bien que parmi les politologues et les anthropologues africains, surtout en Afrique centrale, s’est faite jour cette idée, ces derniers temps, selon laquelle, comme finalement les Etats fonctionnent mal, pourquoi ne ferait-on pas correspondre les Etats aux ethnies ? Mais chacun sait qu’une telle opération serait non maîtrisable. En tout cas, cette crainte est désormais lancinante ? : imaginons un seul instant ce que serait le Nigeria ou même le Burkina, éclaté en Etats ethniques !

S. : Quelle est la responsabilité des chefs d’Etat africains et des peuples dans le déclenchement des conflits ?

M.T.? : Il est toujours difficile de parler de la responsabilité des peuples. Le peuple n’est pas une notion juridique opérationnelle en soi, sauf quand on l’applique pour les questions de souveraineté et autres. Il faut donc partir de ceux qui agissent au nom des Etats, donc les chefs d’Etat. Ceux-ci ont une lourde responsabilité dans la survenance des conflits, surtout quand il s’agit de crises internes. La crise en Côte d’Ivoire est venue en grande partie de la politique menée par certains chefs d’Etat. Mais ce n’est pas Laurent Gbagbo seulement qui est en cause. L’ivoirité est un concept qui a été forgé sous le président Henri Konan Bédié à partir de 1994, quand il a acquis sa charge de xénophobie. Elle est venue s’appuyer sur une crise latente dans la société, la pression migratoire interne et externe sur le foncier rural en Côte d’Ivoire, les questions identitaires, la décrue économique, etc. A cet égard, les racines du conflit ivoirien renvoient à l’ère du Bélier, i.e. Houphouët Boigny. De même, la crise du Biafra, en janvier 1970 au Nigeria, était venue d’un problème ethno-régionaliste. Toutefois, les crises ne naissent pas toujours de l’action des chefs d’Etat, même si leur responsabilité est évidente. C’est l’élite tout entière qui devrait s’interroger sur son rôle dans nos Etats. Par exemple, la question ethnique qu’on exhibe souvent comme étant l’une des causes des crises. Non que le problème ne soit pas réel.

Il ne faut pas ignorer la réalité qui veut que les gens s’identifient à leurs communautés ethniques, c’est naturel et normal. Mais l’identification ne se transforme véritablement en crise, surtout en crise violente que quand d’autres facteurs servent de moteur, comme la lutte pour le pouvoir. Et cette compétition pour le pouvoir, ce ne sont pas les populations qui la mènent, ce sont les intellectuels et plus globalement, les élites qui sont souvent à la tête ? ! Et ça, j’ai toujours pensé et dit que notre responsabilité, en tant qu’élites, est grande dans l’éclatement des crises. De ce fait, dans leur règlement, nous devons aussi nous engager.

S. : Les grandes superpuissances sont-elles exemptes de tout reproche ?

M.T.? : Evidemment non, elles ne sont pas exemptes de reproches puisqu’elles ont leurs propres intérêts à défendre et le font en permanence. Nul ne peut empêcher un Etat de défendre ses intérêts. Chaque pays défend les siens sur la scène internationale à partir des moyens dont il dispose. Ce qui est finalement décisif, c’est le rapport de forces. Le droit international a pour objet d’instaurer une certaine harmonie dans les relations internationales. Désormais, les juridictions internationales telles que la Cour pénale internationale (CPI) permettent d’aller au-delà des Etats et de leur souveraineté trop sacralisée. Tout cela, c’est exact, mais les grandes puissances cherchent toujours à promouvoir leurs intérêts. Et quand ces intérêts peuvent consister à diviser pour régner, elles ne se privent pas du tout de le faire. Voyez un exemple récent : la crise libyenne. C’est un cas d’école. Je n’ai jamais été un fan de Kadhafi (rires). J’ai été plusieurs fois invité en Libye et j’ai toujours refusé d’y aller, simplement parce que je n’aimais pas ce régime et le guide avec ses bouffonneries ont fait beaucoup de torts à l’Afrique. Mes collègues présidents des Assemblées ont presque tous, en Afrique, été en Libye. Chacun ramenait, semble-t-il, des valises de dollars. J’ai toujours refusé de m’y rendre et j’ai expliqué pourquoi. Je suis entier dans ce domaine. Mais cela dit, je n’ai pas accepté ce que les Occidentaux ont fait en Libye. Il ne revient pas aux Occidentaux de décider qui doit diriger chaque Etat dans le monde.

Le problème le plus grave est qu’ils n’ont pas du tout anticipé sur les conséquences et les effets de l’intervention en Libye. C’est pourquoi je dis souvent que les responsables de la déstabilisation du Mali, ce sont les Occidentaux. Ils ont tout fait pour le départ de Kadhafi, sous le prétexte d’une intervention humanitaire. A peine la crise résorbée, on a vu les entreprises occidentales, françaises et autres se ruer en Libye, comme si la destruction du pays avaient été opérée pour la reconstruction grâce aux juteux contrats pour les entreprises européennes. Cela n’est pas normal. C’est pourquoi je maintiens que leur responsabilité demeure grande. Si vous prétendez diriger le monde, il faut savoir aussi que, si des crises naissent de votre action, vous serez incriminés et vous devez aider le Mali à préserver son intégrité territoriale. Cela dit, je ne veux pas du tout exempter ou dédouaner les facteurs internes. Vous savez, dans l’histoire, on ne colonise que les sociétés colonisables, on ne domine que ceux qui se prêtent à la domination. On ne désunit que des gens prédisposés à être désunis. En 1960, nous pouvions toujours dire que c’est la France qui nous avait balkanisés. 50 ans après, nous ne pouvons plus continuer à expliquer notre désunion actuelle par l’intervention des Européens. Non ? ! Il faut que nous nous interrogions, nous-mêmes sur pourquoi c’est comme ça.

S. : En quoi ces grandes puissances peuvent-elles contribuer à l’apaisement des conflits ?

M.T.? : Elles peuvent y contribuer, d’abord, en cessant d’intervenir dans les affaires internes des Etats. Respecter le droit international consiste à ne pas intervenir dans les affaires intérieures des autres Etats. Elles peuvent aider aussi en contribuant au développement des Etats, parce que c’est le sous-développement et la misère qui constituent le terreau des crises. Les milliards de dollars qui sont engloutis dans les armements pourraient servir, plus utilement, à atténuer les crises, si on les injectait dans le développement des différents Etats du Sud. Dans beaucoup de situations, les crises naissent simplement parce que les gens ont atteint un tel niveau de misère ou d’oppression, qu’ils n’ont plus rien à perdre. Ils prennent donc les armes. Je suis convaincu que là, les puissances peuvent beaucoup aider. Elles peuvent également apporter leur contribution par le truchement des mécanismes classiques que nous connaissons ? : les négociations pour sortir.

S. : Le printemps arabe est-il justifié ?

M.T.? : Une crise est un processus social qui atteint un degré de gravité élevé à un moment donné. Mais la préoccupation n’est pas de savoir si le printemps arabe se justifie ou ne se justifie pas. J’ai fait une partie de ma formation diplomatique en Tunisie comme stagiaire à l’ambassade de France. J’ai vu fonctionner les systèmes politiques des trois pays qui ont été secoués l’année dernière, c’est-à-dire la Libye, la Tunisie et l’Egypte. Il faut savoir que leurs systèmes politiques étaient complètement bloqués. Il n’y a pas l’équivalent du type de régime politique dur en Afrique noire. Chez nous, nous avons toujours un minimum de libre expression. Ce n’était pas le cas dans ces pays-là. Une société comme celle de l’Egypte était toujours, en vérité, sous régime militaire, avec un habillage civil et ce, depuis 1952. C’est la législation de l’époque, celle adoptée par les officiers libres, qui a continué avec l’Etat d’urgence ou de siège, jusqu’au soulèvement de 2011. Mais l’an dernier, si vous écoutiez les radios internationales et si les analyses se vérifiaient, y compris dans la presse burkinabè, si on devait s’en tenir à cela, toute l’Afrique noire serait enflammée depuis longtemps. Je me souviens que j’ai déjà expliqué dans la presse en quoi le monde arabe est assez spécifique. Il est tellement spécifique qu’un événement à Nouakchott (en Mauritanie) peut faire bouger la société jusqu’en Irak, dans les 24 heures qui suivent.

C’est un espace culturel fusionnel, avec des dimensions politiques. Ce n’est pas pour rien qu’il y a une Ligue arabe. C’est pourquoi les Etats arabes d’Afrique y sont, tout en restant dans l’Union africaine. L’Afrique noire a déjà eu son printemps qui a abouti aux conférences nationales entre 1990 et 1994. A l’époque, l’Afrique du Nord n’avait pas été du tout touchée. Quand je m’étais exprimé, j’ai lu quelques critiques dans la presse indiquant que j’avais dit que ce qui est arrivé en Afrique du Nord ne peut pas arriver en Afrique noire. Il faut être sérieux, l’Afrique noire n’est pas l’Afrique du Nord. Bien sûr aujourd’hui, tout événement dans le monde a des répercussions partout. Mais il n’y a pas de contagion automatique entre ce qui se passe en Afrique du Nord et ici. Même entre les pays d’Afrique du Nord, si la contagion était si automatique, l’Algérie aussi se serait enflammée. Pourtant, tel n’est pas le cas.

S. : Mais, pensez-vous que la démocratie et la bonne gouvernance peuvent constituer la panacée aux conflits ?

M.T.? : Ma réponse sera nuancée. Quand vous mettez les citoyens à l’aise, quand vous faites en sorte que la population participe, quand les mécanismes de dévolution et d’exercice du pouvoir sont démocratiques, quand la liberté d’expression est fortement ancrée, quand les médias peuvent s’exprimer librement, il n’y a pas de doute que ces facteurs contribuent à éviter les crises ou en tout cas, à les atténuer. Il n’y a pas de doute que la démocratie et la liberté d’expression sont plus propices à favoriser des situations de paix que des systèmes heurtés. Mais la démocratie ne suffit pas. Vous avez beau avoir la liberté d’expression et tout ce que vous voulez, si les populations crèvent de faim, elles finiront par se révolter. La liberté n’y pourra rien du tout. Il m’est arrivé déjà d’expliquer aux Nations unies, au mois de novembre dernier que la finalité pour nous Africains, ce n’est pas la démocratie. La démocratie n’est qu’un moyen, une étape. Ce que nous visons, c’est que les pays africains se développent, que les Africains soient heureux, qu’ils vivent bien. C’est ça l’objectif. La démocratie, c’est l’un des moyens et non la finalité.

S. : La démocratie rime-t-elle forcément avec le développement ? ?

M.T. : La démocratie peut créer les conditions pour le bonheur des populations, leur prospérité, leur bien-être, etc. J’entends quelquefois dire que, et on le lit souvent, la démocratie assure le développement. C’est de la rigolade ?(rires). Il y a plein d’exemples historiques qui contredisent cette assertion. L’Espagne s’est industrialisée sous Franco, le Brésil, sous les généraux. La Corée du Sud s’est développée sous une dictature féroce, Taïwan l’a été avec un régime autocratique, de parti unique, c’est pareil aujourd’hui pour la Chine populaire. Il n’y a pas de relation automatique. J’ai été au Vietnam ces derniers temps ? : c’est le régime du parti unique. Le représentant du Fonds monétaire international (FMI) à Hanoï m’expliquait, l’an dernier, qu’ils sont, eux-mêmes, surpris par le dynamisme d’un pays qui est sorti de la guerre et devenu aujourd’hui un grand exportateur mondial du riz. Le revenu par tête d’habitant est passé, en une décennie, de 100 dollars à 1100 dollars. Comme quoi, il faut que les analystes soient plus lucides et qu’on ne prête pas à la démocratie libérale, des vertus qu’elle n’a pas toujours.

S. : Finalement, que faire au juste pour trouver les solutions ?

M. T.? : Il n’y a rien à faire (rires), il faut bien gérer les Etats. C’est tout. La situation malienne, proche de nous, est vraiment difficile, car la question touarègue est lancinante depuis l’époque coloniale. Les Français ont, eux-mêmes, tenté à l’époque de régler cette question, mais ils n’y sont pas parvenus. En 1962, est survenue la première révolte des Touaregs à l’ère postcoloniale et il a fallu que Modibo Keïta fasse appel à la France. De manière cyclique, cette question a ressurgi. Il faudra trouver un système de gouvernance qui mette toutes les populations à l’aise, y compris les populations du Nord, les zones de Kidal, Gao et Tombouctou. N’oublions pas que c’est plus de la moitié du territoire malien et l’existence même de l’Etat du Mali qui est en cause. C’est vrai que du point de vue démographique, la zone n’est pas très peuplée, mais du point de vue superficie, il s’agit d’une vaste partie du Mali ; deux fois le Burkina Faso. Et cette crise concerne tous les Etats voisins, à commencer par le Niger où vit une grande communauté touarègue. Il n’y a pas longtemps, en 2007, des Touaregs du Niger avaient déjà voulu faire sécession ? : ils avaient dessiné le drapeau, élaboré un hymne national et Agadès devait être leur capitale. Leur pays devait s’appeler, Gamahucha. Si aujourd’hui, le Niger s’en sort un peu mieux, ce sont des dispositions internes qui ont facilité la situation. Le Premier ministre actuel, ancien parlementaire, est un Touareg. Je crois qu’il y a un vrai débat interne à instaurer au Mali et qu’on doit reposer la question du Nord. Je ne rentre pas dans les considérations politiques internes. Mais vous savez qu’il n’y a pas de frontière entre le Mali et la Libye. Les deux frontières sont distantes de près de 1000 Km. Alors, comment les armes ont fait pour arriver au Mali ? ? Ces, armes ont traversé le Nord du Niger et le Sud-Est de l’Algérie. Donc, forcément, tout le monde est concerné. Et c’est pour cette raison que la solution doit passer par la CEDEAO.

S. : Et quelle analyse faites-vous de la situation actuelle au Mali ?

M.T. : La crise au Mali découle de la question touarègue. Il faut remonter jusqu’aux Almoravides pour comprendre comment le problème de Gao et de Tombouctou est séculaire. Le Mali est dans cette situation, de même que le Niger, le Tchad et le Soudan. C’est toute la bande entre le Sahara et l’Afrique noire qui est concernée. Il faut adapter le système de gestion de ces Etats à cette réalité. Et la réalité touarègue est vraiment spéciale. Mais cette spécificité ne doit pas remettre en cause l’existence de l’Etat malien. C’est l’intelligence de la gestion interne qui doit pouvoir donner une place aux Touaregs, sans qu’on en arrive à briser territorialement l’Etat malien. L’on a posé récemment la question du président Amadou Toumani Touré (ATT) dont l’option a toujours été de négocier, de trouver des solutions pacifiques aux facteurs qui peuvent amener des crises. On peut discuter là-dessus, mais l’option, en elle-même, n’est pas mauvaise, car de toute manière, à la longue, il n’y en a pas d’autre. En plus, il y a la question de l’armée malienne ? : c’est une armée avec à peu près 8000 hommes, dotée d’une dizaine d’avions de combat. Une étude américaine, l’année dernière, avait mis l’accent sur le fait que de toutes les armées d’Afrique de l’Ouest, l’armée malienne est l’une des moins performantes. Evidemment, elle n’a pas été rendue publique. Cela dit, le putsch militaire n’est pas une solution, d’autant plus qu’il n’a pas réglé la question du Nord qui l’a provoqué. Mais le putsch a servi de révélateur ? : il a mis le doigt sur un problème réel qui est celui de l’équipement de l’armée malienne et de ses performances.

S. : La réaction prompte et vigoureuse de la CEDEAO face à la junte malienne signifie-t-elle la fin des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest ?

M.T. : Je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Il faut, en tout cas, saluer cette réaction de la CEDEAO. Mais lorsqu’on salue l’action de la CEDEAO, on oublie très souvent (l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Si la junte a reculé au Mali, c’est aussi parce qu’on a commencé à faire agir la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Souvenez-vous, c’est l’intervention de la BCEAO, capable de couper les vivres à Laurent Gbagbo, qui avait permis de le mettre hors-jeu. De la même manière, pour la première fois, dans une situation de crise, l’Afrique de l’Ouest agit à deux niveaux ? : la CEDEAO pour l’aspect de la sécurité globale et l’UEMOA pour les mécanismes financiers. Il est très difficile de résister à une telle pression pour un Etat francophone, avec la conjonction des deux facteurs. On doit donc saluer l’action de la CEDEAO, en premier lieu, mais aussi celle de l’UEMOA qui a été prompte et déterminée. Il n’y a pas d’autres exemples en Afrique, d’une sous -région qui va aussi loin dans l’organisation de la sécurité collective. Les autres sous -régions nous envient cette capacité d’action de l’Afrique de l’Ouest.

S. : Comment voyez-vous l’issue de la crise au Mali ? Sera-t-elle résolue militairement ou par la médiation et les négociations ?

M. T. : Pour la crise du Nord-Mali, je pense qu’il faut maintenir, et l’option de la négociation et l’option de la pression militaire, à condition qu’on s’entende sur le contenu de la négociation. Il y a des questions qui ne sont pas négociables. L’intégrité territoriale du Mali, c’est-à-dire le Mali comme entité étatique n’est pas négociable. C’est pour cette raison qu’il y a eu beaucoup de qualificatifs lorsqu’on a parlé d’indépendance de l’AZAWAD. Certains dirigeants de l’Union africaine ont qualifié ce projet de plaisanterie. Plaisanterie ou pas, la sécession n’est pas acceptable parce que les conséquences en seraient incalculables pour la sous-région et l’Afrique tout entière. A part cela, tout le reste devrait pouvoir se discuter.

S. : Quelles appréciations faites-vous du rôle de médiateur du président du Faso dans les crises en Afrique de l’Ouest ?

M.T.? : Le président du Faso joue un rôle de premier plan dans la résolution des crises et cela est reconnu par tout le monde. Blaise Compaoré a hissé le Burkina Faso à un niveau d’influence diplomatique que les capacités réelles de notre pays ne permettraient pas. Traditionnellement, en Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso n’est pas une place forte diplomatique. Le Burkina Faso a bousculé la hiérarchie dans ce domaine. Pendant trois décennies, tout était centré diplomatiquement sur les quatre grands pôles que constituent Dakar, Abidjan, Accra, Lagos et aujourd’hui Abuja. Personne ne s’attendait à ce qu’un Etat aussi faible que le Burkina Faso, un Etat avec des capacités aussi limitées, un Etat dont les atouts ne sont pas très nombreux, sauf celui d’être au centre de l’Afrique de l’Ouest ? du point de vue stratégique, cela compte, arrive à un tel niveau d’influence. Et dans ce sens, il faut reconnaître que c’est un vrai exploit que Blaise Compaoré a réussi. Il fait jouer au Burkina Faso, un rôle diplomatique majeur dans les affaires internationales. Un rôle auquel nous n’étions pas du tout prédestinés.

S. : A quoi ce succès est-il dû ?

M.T. : Cela est dû à plusieurs facteurs que des gens refusent d’admettre. Je dis les choses telles que je les vois. Le rôle diplomatique du Burkina Faso, rôle qui consiste à faire en sorte que notre pays soit un acteur respecté sur la scène internationale, s’est construit progressivement à partir de la fin des années 80. La base est partie d’une rationalisation du déploiement de la diplomatie. Dans l’évolution de notre diplomatie, pour ne prendre que les dernières périodes, jusqu’aux années 80, le Burkina Faso était surtout un Etat satellite de la Côte d’Ivoire et de la France. La révolution a marqué un changement radical sur ce plan, et dans la vision qu’on a de l’Etat burkinabè, et dans son action diplomatique sur le terrain. La rationalisation intervenue au début des années 90 a amené le Burkina Faso à mieux affirmer ses positions. Des positions généralement méthodiquement équilibrées. Il y a eu, certes, des actions dont la pertinence a été discutée ? : visiblement, l’intervention au Liberia, le chef de l’Etat même l’a reconnu, n’a pas été l’action la mieux avisée. Mais à partir de là, les interventions ont été très précises, équilibrées, se situant toujours dans le cadre sous-régional ou régional. On l’oublie aujourd’hui, mais le Burkina Faso est intervenu dans la crise entre l’Erythrée et l’Ethiopie dans les années 1997-1998 où notre pays a géré ce dossier, avant de déployer sa diplomatie en Afrique de l’Ouest.

Il est indéniable qu’aujourd’hui, le Burkina Faso est une puissance diplomatique en Afrique. L’une des raisons de cette performance de Blaise Compaoré, c’est la durée au pouvoir. On a beau dire, c’est aussi cette permanence du président au pouvoir qui lui permet de jouer ce rôle. Quelqu’un qui arriverait ainsi au pouvoir tout d’un coup, ou un pays où l’on change de président tous les cinq ans ou chaque lundi, ne pourrait pas jouer un tel rôle. Il y a sûrement d’autres dimensions, mais les deux dernières sont liées. Généralement, la politique étrangère n’est efficace que quand il n’y a pas de problèmes internes. La Côte d’Ivoire, dès que l’ivoirité a été mise en avant et que sa crise a commencé, est devenue un nain diplomatique à l’époque. C’est maintenant avec Alassane Dramane Ouattara que la Côte d’Ivoire reprend son rôle de leader sous-régional. L’exemple inverse, c’est le Burkina Faso qui joue un rôle important grâce à la stabilité interne. Il faut ajouter à tout ça, un élément qu’on ne voit pas toujours. La qualité des hommes. Vous savez, les meilleurs diplomates de l’histoire ne sont pas toujours des diplomates de carrière. Les ministres des Affaires étrangères au Burkina Faso qui ont été appréciés, mais qui n’étaient pas des diplomates de carrière, on les connaît. Saye Zerbo a été un très bon ministre des Affaires étrangères, de même que le colonel Félix Tientarboum, Malick Zoromé et Djibrill Bassolé. Blaise Compaoré, sans avoir fait une école de diplomatie, est un diplomate hors pair dont personne ne peut nier, aujourd’hui, le savoir-faire diplomatique. Le bémol que je vais mettre à tout ça, c’est que notre pays a besoin de construire un outil diplomatique beaucoup plus performant.

L’outil diplomatique, c’est le ministère des Affaires étrangères, c’est l’administration diplomatique parce que c’est sur ces structures que le chef de l’Etat et le ministre des Affaires étrangères peuvent s’appuyer pour agir. Nous avons encore beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine et la décision récemment prise par le gouvernement pour faire revenir les jeunes qui avaient été, en 2007, à l’époque du ministre Issouf Ouédraogo, mis à l’écart, est une très bonne chose. Elle participe de cette construction de l’outil diplomatique.

S.?
 : Qu’est-ce qui justifie la montée de l’islamisme en Afrique de l’Ouest ?
 ?

M.T.? : C’est une question clé à laquelle je ne peux pas vous répondre. Je crois qu’il y a certainement une ambiance d’ensemble dans le monde qui alimente l’islamisme. Cette ambiance est indirectement alimentée par la crise palestinienne. Je pense que le jour où on arrivera à régler la question palestinienne, on ne mettra pas fin à l’islamisme. Beaucoup de dérapages disparaîtront d’eux-mêmes, car nombre d’islamistes s’appuient sur cette situation et finissent par disperser les effets de ce qui se passe en Palestine dans le monde. De deux, l’Afrique noire demeure un continent de conquête pour les religions de l’écriture, qui se disent révélées ? : le judaïsme, le christianisme et l’islam. C’est vrai, il y a une avancée de l’islam de manière générale. Mais une avancée de l’islam ne veut pas dire islamisme. Au Burkina Faso, on a un islam extrêmement tolérant. Les dénominations musulmanes, entre elles aussi, réussissent à vivre en bonne intelligence. De même, elles vivent en bonne intelligence avec les autres confessions qui sont l’animisme et le christianisme. Il n’en va pas toujours ainsi partout. Dans certains pays, il y a vraiment des difficultés. On le voit avec Boko Haram. En 2009, j’étais à Katsina pour animer un atelier pour la CEDEAO. On n’a pas pu terminer le séminaire. Nous avons été obligés de le raccourcir et de regagner précipitamment Kano où on est tombé dans les troubles. Pour pouvoir atteindre l’aéroport, il a fallu que la police dégage la voie. Le séminaire s’est terminé à Lagos. J’ai vu et sincèrement, je ne souhaite pas la charia à nos populations.

Ce que j’ai vu à Katsina, je ne le souhaite pas chez nous. Cela dit, je reconnais que l’ambiance d’ensemble, au Nigeria favorise l’islamisme. Or, nous avons trois grands pôles comme cela. Le Nord du Nigeria, le Sud du Niger et autour de Maradi (la zone comprise entre Maradi et Zinder), où se développe un islam de moins en moins tolérant. Imaginez-vous, à l’université de Niamey, il semble que parfois, quand tu donnes les cours, à l’heure de la prière, si tu n’arrêtes pas, les étudiants s’en vont. La mosquée aurait été construite, d’après ce que j’ai appris, sur le campus de Niamey, sans l’autorisation du ministère des Enseignements. Si c’est vrai, ce serait grave.

S.?
 : Y a-t-il des raisons d’avoir peur au Burkina Faso, parlant de la montée de l’islamisme ?
 ?

M.T.? : Vous avez un pays comme le Sénégal où l’islam est très tolérant. Mais avant le Sénégal, il y a la zone du Mali où je pense personnellement que la manière dont certaines questions ont été réglées, ces dernières années, ne favorise pas un climat apaisé. Il n’y a pas l’équivalent du rôle que joue le Conseil islamique au Mali, ni au Burkina Faso, ni au Sénégal, ni au Niger. Vous avez vu comment ils sont parvenus à faire reculer le gouvernement sur la question du Code des personnes et de la famille ? ? C’est impensable dans un quelconque de nos pays, au point qu’aujourd’hui, vous avez des questions, dès qu’on les aborde au Mali, on dit qu’il faut avoir l’avis du Conseil islamique.

Cela est grave ?

 ! Je crois qu’il y a cette ambiance d’ensemble. Or, il y a un effet d’entraînement dans tout ça. Généralement, lorsqu’un foyer de ce genre surgit quelque part et qu’il y parvient à s’implanter, c’est comme le cancer et ses métastases, de manière fusionnelle, ça s’étend un peu partout. Mais méfiez-vous, nous ne sommes pas si loin de ça. Allez dans les régions de Banfora, Orodara, chez nous, je veux dire, vous allez voir surgir maintenant des attitudes chez certains musulmans qui ne sont pas acceptables. On vous dit finalement qu’un musulman, normalement, ne doit pas célébrer des funérailles. Le Coran n’a pas dit cela. Il s’agit de petits faits de ce genre qui, colés les uns aux autres, finissent par créer une situation que ne souhaite pas la majorité des musulmans. Mais quand ça s’implante, c’est difficile de l’arracher.

S.
 : Au regard de la multiplication des conflits, surtout en Afrique, faut-il craindre pour l’avenir du continent noir ?
 ?

M.T.?
 : Non, l’Afrique est éternelle. Surtout l’Afrique noire, elle existait quand on ne savait pas que Jésus, ni Mohamed vont naître. Je n’ai donc pas peur pour l’avenir de l’Afrique. On va s’en sortir. Vous savez, chaque société secrète de manière endogène ce qui fait ses avancées. La force d’une société réside dans sa dynamique interne. Or cette dynamique, en Afrique, en tout cas, est potentiellement présente. C’est pourquoi je n’ai pas peur. Je suis optimiste. Pour finir, je voudrais revenir sur le rôle diplomatique que nous jouons dans la sous-région. Je crois qu’il faut continuer comme ça. Les Burkinabè qui étaient très complexés autrefois sur la scène internationale ne le sont plus. Il faut maintenir la cadence. Et il faut avoir l’intelligence des faits, ne pas se tromper sur ce qui a fait qu’on est devenu fort diplomatiquement. Surtout, il ne faut pas se dire que ça va continuer éternellement si nous ne nous donnon
pas les moyens.

Ali TRORE (traore_ali2005@yahoo.fr)

Sidwaya



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