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PERMIS E POUR SEMI-REMORQUES : « On confond haricot et abricot », Seydou Kaboré, expert en auto

mardi 7 février 2012.

 

La conduite d’une auto au Burkina, comme dans bien des pays, est soumise à la possession d’un permis de conduire. Si pour les catégories B, C et D, il n’y a pas matière à débat pour leur délivrance ; cela n’est pas le cas pour le permis E. Jadis délivré sur une simple demande, le permis E s’obstient depuis 1992 sur un examen. Cette décision de l’Etat burkinabè suscite aujourd’hui des réactions dont celle de l’expert agréé en auto, Seydou Roc Kaboré, consultant en sécurité routière et accidentologie, directeur du cabinet KASERO et de KASERO Consulting auto-école. A travers cette interview, l’ingénieur des travaux publics à la retraite déplore les conditions d’obtention du permis de conduire E, conteste son affectation pour la conduite des semi-remorques et apprécie la qualité de l’enseignement dans les auto-écoles du Burkina.

“Le Pays” : Pouvez-vous nous dire ce que c’est que le permis de conduire catégorie E ?

Seydou Roc Kaboré : Le permis E est celui qui est délivré pour la conduite des véhicules de catégorie B, C et D, attelés de remorques dont le poids total autorisé est supérieur à 750 kg. Ainsi, on peut avoir les catégories BE, CE et DE.

Comment obtient-on ce permis ?

Eh bien, c’est toute la problématique aujourd’hui au Burkina. Ce permis était obtenu, de 1956 à 1992, sur simple demande accompagnée d’une visite technique et des frais de timbres y relatifs. Mais depuis 1992, l’Etat a soumis son obtention à un examen théorique et pratique. Ce qui est déplorable.

Pourquoi déplorez-vous cette décision ?

Je déplore cette décision parce qu’on confond haricot et abricot. Quand on parle de permis E pour les remorques, on ne peut pas parler de ce même permis pour les semi-remorques. Ce sont deux types de véhicules différents. Les textes font cas des remorques, mais aucun texte au Burkina, même en Afrique de l’Ouest, ne fait cas, jusqu’à présent, d’un permis pour les semi-remorques. On envoie nos frères faire cet examen et payer 150 000 F CFA comme frais directs avant d’obtenir le permis E. Cela n’est pas normal.

Vous dites que les textes ne font pas cas de permis de conduire pour les semi-remorques. Pourtant, l’Etat a décidé que pour conduire une semi-remorque, il faut disposer de ce permis E. Comment expliquez-vous cela ?

Cela n’est pas normal car aucun texte ne le dit. Il faut que les gens lisent les textes et qu’ils les appliquent intégralement. Nous ne connaissons pas encore de permis concernant les semi-remorques. Même avec un permis poids lourd, on peut conduire ce type de véhicules parce que jusqu’à présent, aucun texte n’a spécifié cela. Je ne suis pas d’avis avec ces autorités qui ont pris cette décision. C’est une situation déplorable et nous sommes les seuls à faire cela dans la sous-région.

Pourquoi les responsables des auto-écoles ne se sont pas prononcés sur le sujet ?

Vous savez, dans un pays où les borgnes sont rois, c’est compliqué. S’ils ne disent rien, ils n’en sont pas conscients ou ils ne comprennent pas la situation. Si après la publication de cette interview, quelqu’un veut un débat sur ce sujet, je serai prêt à en débattre quel que soit son domaine d’activité et je lui démontrerai que ce qui se passe n’est pas bien et qu’il faut arrêter.

Qu’avez-vous fait pour amener les autorités à corriger cette situation ?

En son temps, j’ai écrit à des ministres pour leur faire comprendre que cette mesure n’était pas bonne. Mais rien n’a été fait.

Avez-vous porté le sujet sur la place publique à travers des médias comme vous le faites actuellement ?

J’ai été trop persécuté au ministère des Transports parce que j’ai beaucoup écrit sur cette mesure en envoyant des lettres aux ministres. Mais ceux qui sont à la base de cette initiative n’ont pas levé la mesure depuis 1992. J’étais un fonctionnaire donc astreint à suivre l’administration sans broncher. Mais j’ai décidé de briser le silence sur cette mesure. Même quand j’allais à la retraite, j’ai dit aux initiateurs de revenir sur leurs textes sur le permis E avant que je ne prolonge le débat. J’ai vu le directeur en son temps, ainsi que le chef du personnel et les autres responsables du ministère des Transports pour qu’ils reviennent sur leur décision parce qu’on ne gagne rien en maintenant de telles meures si ce n’est que la honte sur le plan international, mais rien n’y fit. J’ai même rencontré des journalistes afin qu’ils fassent écho de mon opinion sur cette mesure mais aucun n’a publié un article sur le sujet. Je peux même vous citer leurs noms.

Pourquoi la mesure est-elle maintenue malgré vos différentes interventions ?

Il est difficile de se faire entendre dans ce pays quand les intérêts sont menacés. Vous allez voir qu’avec cette interview, des gens diront qu’on veut mettre du sable dans leur couscous.

Quel permis proposez-vous pour la conduite des semi-remorques ?

Exactement, ce problème est un vide juridique au niveau des administrations des pays de l’Afrique de l’Ouest qui n’ont pas fait d’efforts, depuis 1960 jusqu’à nos jours, pour qu’il y ait un permis de conduire pour les semi-remorques. Il est grand temps qu’on relise les textes régissant le permis de conduire. Pourquoi cela, parce qu’on a omis la conduite des engins particuliers. A l’époque, en 1960, il n’y avait pas de semi-remorques au Burkina. Il n’y avait que les remorques qui ramassaient le coton.

Quelle appréciation faites-vous des conditions d’obtention des permis de conduire au niveau des auto-écoles qui font de plus en plus l’objet de critiques à cause des deals, c’est-à-dire les affaires qui minent le secteur ?

Moi, je forme mes élèves selon les règles en la matière. S’il y a deal, je n’en fais pas. S’il n’y a pas deal, c’est très bien. Mais je dis seulement qu’il faut que l’administration ouvre l’oeil sur ce domaine. Le directeur du Centre de formation des transporteurs routiers et des activités auxiliaires (CFTRA) a laissé entendre dans les colonnes du journal "Le Pays", qu’il forme des moniteurs, ce n’est pas exact. Un moniteur d’auto-école en France, pour un titulaire du baccalauréat qui a subi un texte d’entrée à l’école, doit faire 600 heures avant de passer l’examen final. Ici, on forme des gens à moins de 150 heures et on dit qu’ils sont prêts à être moniteurs. Vous croyez ? Des moniteurs d’écoles vous en avez vus ? Je ne suis pas moniteur de code, je suis moniteur de conduite. Est-ce que ce genre de moniteur existe ?

Un moniteur est une personne formée et titulaire d’un diplôme d’Etat tels que le Brevet pour l’exercice de la profession d’enseignant de la conduite automobile et de la sécurité routière (BEPECASER) ou d’un Certificat d’aptitudes professionnelles (CAP) pour moniteur d’auto-école par des formateurs eux-mêmes titulaires du Brevet d’aptitude à la formation du moniteur (BAFM). A cela s’ajoute la faisabilité. On l’avait autorisé à former quelques personnes en 1985 pour mettre fin au vide juridique qui existait dans ce domaine. Après cette formation, il n’avait plus le droit de former des moniteurs. C’est une faute grave. Quand on multiplie les écoles et qu’on n’a pas un seul moniteur qui peut brandir son diplôme de moniteur, pensez-vous que c’est normal ?

En tant qu’expert en auto, que faites-vous pour assainir le milieu, je veux également parler des directeurs des auto-écoles ?

Je ne peux pas agir seul. Je ne suis pas tellement au parfum des problèmes des directeurs des auto-écoles. C’est un milieu qui est un peu compliqué. Je suis un peu à l’écart pour ne pas me salir. Je les regarde faire ce qu’ils veulent. Moi, je fais mon travail. Mais il est nécessaire qu’ils prennent conscience du problème pour qu’ensemble, nous puissions trouver des solutions à ce carcan qui y règne et qui ne fait pas honneur à la nation et aux directeurs.

On assiste de plus en plus à des mauvais comportements des conducteurs. Pensez-vous que cela est dû à la qualité des enseignements reçus dans les différentes auto-écoles ?

Comme on le dit, le serment ne vaut que ce que vaut celui qui l’a prêté. En d’autres termes, l’enseignement reflète la qualité technique des moniteurs. Il y a des efforts à faire au niveau de l’administration en ce qui concerne le programme de formation.

L’incivisme des Burkinabè Cependant, je dirai que le mauvais comportement de certains conducteurs dans la circulation n’est pas lié forcement à la qualité de leur permis ou aux enseignements reçus dans les auto-écoles. C’est plutôt lié à l’incivisme des Burkinabè. C’est un problème d’éducation. Nous avons manqué le coach pour assainir la circulation dans la ville de Ouagadougou. Il y a eu des années où nous avons démarré des actions dans ce sens et je salue au passage l’apport du journal "Le Pays" à ces actions. Malheureusement, les programmes que nous avons élaborés sont restés dans les tiroirs. Je peux vous prouver que ces programmes sont toujours dans les tiroirs. Si on avait suivi ce que nous nous étions assignés comme objectifs, on n’en serait pas là. On n’allait pas assister à des accidents comme on le voit actuellement. Tout le monde serait sensibilisé et connaîtrait au moins, même ceux qui n’ont pas le permis A 1, les règles de priorité de la circulation notamment les panneaux essentiels. Le programme était bien élaboré et il avait été question, sous la révolution, que l’on commence par les chefs-lieux de provinces, suivis des départements et des villages. J’ai entrepris personnellement des actions dans ce sens pour aider la nation.

Peut-on savoir les actions que vous avez entreprises ?

J’ai entrepris la construction d’un centre d’éducation routière pour les enfants à Loumbila d’un coût d’environ 83 millions de F CFA. Si le centre n’est pas encore opérationnel, c’est parce que je suis en cours de fonds. Et je demande à tout Burkinabè soucieux de la sécurité routière de m’apporter sa contribution afin que je puisse assurer durant trois mois le salaire des employés, estimé à 600 000 F CFA. Ce centre est à but non-lucratif. Je le construis pour mon pays. Une fois achevé, il recevra 90 enfants par mois et chaque enfant obtiendra à la fin de la formation, une attestation qui prouve qu’il sait comment se déplacer.

Un mot en guise de conclusion ?

Je demande à nos autorités d’ouvrir l’oeil sur ceux qu’on place à la tête de certains postes. Il faut la personne qu’il faut à la place qu’il faut sinon, nous allons toujours rencontrer des difficultés. Un ingénieur auto n’aurait jamais accepté ce qui est arrivé. Le ministère des Transports est un secteur très sensible. Tu ne tueras point même avec ton permis de conduire. J’ai été arrêté et enfermé pendant 61 jours tout simplement parce que je voulais appliquer les textes plutôt que de suivre quelqu‘un. Ensemble luttons pour sauver des vies.

Interview réalisée par Dabadi ZOUMBARA

Le Pays



Vos commentaires

  • Le 7 février 2012 à 07:29, par Rafffaelo ® En réponse à : PERMIS E POUR SEMI-REMORQUES : « On confond haricot et abricot », Seydou Kaboré, expert en auto

    Vraiment, les auto-écoles sont très mal organisées. On sait qu’au Burkina quand un business marche, tout le monde y investit.

    C’est ainsi que l’on retrouve des écoles sans le minimum : moniteurs incompétents, sans pédagogie d’enseignement, des salles exiguës et inconfortables. Une fois le code passé, bonjour la mal-organisation. Au créneau, certains candidats ne peuvent faire qu’un tour avec le véhicule, parce que "j’ai trop de gens avec moi", comme le disent les moniteurs. En plus de cela, il y a le deal des examinateurs et des moniteurs. Vivement que l’on secoue ce cocotier-là !