Retour au format normal
lefaso.net

Fait de chez nous : Les larmes d’un ex-CDR

vendredi 13 janvier 2012.

 

Issiaka, malgré la joie d’avoir un nouveau-né, n’a pu retenir ses larmes. Assis au milieu des invités présents au baptême de son bébé, il a éclaté en sanglots. L’imam qui dirigeait le cérémonial a tout suspendu pour s’occuper de lui. Du coup, chacun voulait comprendre ce dont souffrait Issiaka. « Je ne pleure pas à cause d’une maladie. Quand je pense à mon passé et que je me vois aujourd’hui vivre dans des ténèbres, je ne peux pas retenir mes larmes. Pire, je ne verrai pas le visage de ma fillette dont nous faisons le baptême ce matin. Mes frères, ma vie ne vaut plus la peine d’être vécue », a expliqué Issiaka aux invités.

Ex-délégué du Comité de défense de la révolution (CDR) d’août 1983, dans son village, Issiaka y a fait la pluie et le beau temps. D’une beauté physique imposante, et avec les honneurs de son titre de délégué CDR, il « domptait » toutes les belles femmes du village. Aussi, des familles différentes du village comptent plusieurs enfants d’Issiaka « le CDR ». Tous les enfants issus de ses « sorties » avec les femmes des autres, lui ressemblent comme deux gouttes d’eau. Le village en compte au moins six selon notre source. Des foyers ont même été brisés à cause de lui.

En son temps, Issiaka se plaisait à vilipender publiquement tous ceux qui tentaient de se plaindre de son comportement envers leurs épouses. Malgré les plaintes et autres menaces en tous genres, le CDR est resté imperturbable. « Le chien aboie, la caravane passe », semblait être sa devise. Issiaka a ainsi terrorisé ses concitoyens jusqu’au renouvellement du bureau et à la mutation des CDR en CR. Ce que Issiaka semblait ignorer « est que le sorcier oublie toujours qu’il a tué. Mais les parents de la victime n’oublient jamais ». C’est pourquoi, bien des années après la disparition des CDR, des maris offensés par lui ont semble-t-il, mis à exécution des projets de vengeance. Le beau et redouté Issiaka est d’abord devenu mal voyant, ensuite aveugle. Quand il pense à ce qu’il fut il y a bientôt trente ans, et ce qu’il est aujourd’hui, il passe toutes ses journées au pied du mur de clôture de sa concession en larmes.

Tous ceux qui se proclamaient être ses amis et parents proches, sont les premiers aujourd’hui à lui rappeler (même s’il s’en souvient), le tort qu’il a fait subir à de nombreux couples du village. Les éleveurs avaient leurs bêtes fréquemment conduites à la fourrière. Si parmi eux certains parvenaient à payer le prix, d’autres laissaient leurs animaux aux mains du CDR. Tous ces gens se plaisent à voir Issiaka dans son état actuel. Comme quoi, « quand on se force de marcher sur la planche des pieds en faisant tourner le regard de tout le monde sur soi quand on passe, on ne doit pas oublier qu’on peut marcher sur la pointe des pieds sans faire le moindre bruit », dit Patrick Iboudo.

Souro DAO (daosouro@yahoo.fr)

L’Express du Faso



Vos réactions (34)