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Dr Isidore Traoré, chargé du Projet VaccinVIH : « Il s’agit de renforcer les capacités des sites africains (Burkina Faso et Tanzanie) dans la réalisation des essais vaccinaux contre le VIH »

jeudi 29 décembre 2011.

 

Sidwaya (S.) : En tant que chargé du Projet VaccinVIH, présentez-nous cette structure ?
Dr Isidore Traoré (I. T.) : Le Projet vaccinVIH est un projet de renforcement des capacités des sites africains (Burkina Faso et Tanzanie) pour qu’ils soient aptes à conduire dans un avenir plus ou moins proche, des essais de vaccin contre le VIH dans les meilleures conditions possibles. L’investigateur principal du projet au Burkina est le Dr Nicolas Meda du Centre Muraz de Bobo-Dioulasso. Le projet est financé par le partenariat Europe-pays en développement pour les essais cliniques (EDCTP) et soutenu par l’Agence nationale française de recherches sur le Sida et les hépatites virales (ANRS).

Il est intitulé « Développement et renforcement des capacités en préparation des Futurs essais vaccinaux contre le VIH en Tanzanie et au Burkina Faso ». C’est juste un projet de préparation des sites du Burkina (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) et de la Tanzanie (Mwanza et Moshi). Les gens se disent qu’il y a déjà un vaccin VIH que nous sommes en train d’expérimenter, alors que non. Le principe, c’est de ne pas attendre d’avoir un vaccin prêt à être évalué à grande échelle, avant de commencer la préparation des sites africains qui participeront à ces essais.

S. : Quelle est votre mission ?

I. T. : A travers le renforcement de la coopération Sud–Sud et Nord–Sud, la préparation des deux sites du Burkina contient plusieurs volets :

- le renforcement des plateaux techniques des laboratoires des instituts de recherche abritant le projet (Centre Muraz de Bobo-Dioulasso et Université de Ouagadougou).

- La formation des jeunes chercheurs du Sud pour qu’ils puissent prendre le leadership pour les futurs essais vaccinaux contre le VIH.

- Le renforcement des capacités des équipes de recherche à constituer et suivre des cohortes de personnes à haut risque d‘infection par le VIH. A ce titre, dans le cadre de ce Projet, en plus de la cohorte Yerelon du Centre Muraz, une cohorte de jeunes filles à haut risque d‘infection par le VIH a été constituée et suivie à Ouagadougou, de 2008 à 2011.

- La réalisation des études spécifiques immunologiques, génétiques, virologiques et sociales pour répertorier les différents sous-types du VIH circulant au Burkina et identifier les facteurs génétiques et immunologiques qui protègent contre l’infection au VIH ou la progression des personnes infectées vers le stade sida etc.

- La mise en place des cliniques de recherches spécialisées qui intègrent les services de dépistage, de prévention et prise en charge des IST et du VIH (y compris par les antirétroviraux).

- La mise en place de comités consultatifs communautaires permettant une meilleure implication de la société civile dans le suivi des recherches, depuis la conception des protocoles jusqu’à la réalisation des essais et la communication des résultats.

S. : Quelle est la composition du comité consultatif communautaire ?

I.T. : Pour le comité consultatif, le projet avait l’ambition d’encourager et non de créer ce comité, afin de garantir son indépendance. Dans ce sens, avant le démarrage du projet, nous avons effectué une analyse de la situation qui nous a permis de rencontrer à peu près 85 détenteurs d’enjeux et informateurs-clefs dans les associations/ONG et aussi dans les structures étatiques qui sont impliquées dans la lutte contre le VIH. Lors de cette analyse de la situation, nous avons demandé aux détenteurs d’enjeux, quelle pouvait être la composition de ce comité consultatif, quelles seraient ses missions et comment il devrait fonctionner. En réponse, il y a eu des propositions et nous en avons fait la restitution.

C’est après cela que le bureau du comité a été constitué de 11 membres. Neuf des membres représentent les associations de lutte contre le VIH de Ouagadougou et 2, les participantes de la cohorte de Ouagadougou. Dans la mise en œuvre du projet, finalement, ce sont 2 comités qui ont été mis en place dont un à Ouagadougou et l’autre à Bobo-Dioulasso. Le comité de Bobo-Dioulasso est intégré à la Maison des associations de lutte contre le VIH de la ville de Bobo-Dioulasso. La présidence du Comité de Ouagadougou est assurée par le BURCASO qui représente la CORAB. Les associations impliquées sont l’Association Koego, ATJUB et les associations réunies dans le Groupe de travail Inter associatif sur l’éthique (Kasabati, AAS, Alavi, AJPO, SOS Santé et développement et le CIC-DOC).

S. : Au jour d’aujourd’hui, quels sont les résultats engrangés et les difficultés rencontrées ?

I. T. : Le projet a démarré en 2008 par une analyse sociologique de la situation de la prostitution féminine et des besoins, en termes de santé sexuelle et reproductive des travailleuses du sexe de la ville de Ouagadougou. Nous avons également effectué une cartographie et un comptage des différentes catégories socioprofessionnelles des femmes impliquées dans le commerce du sexe dans la ville de Ouagadougou.

En 2009, en plus de la clinique Yerelon du Centre Muraz, nous avons ouvert une deuxième clinique spécialisée dans le suivi des cohortes dans la ville de Ouagadougou, sous l’égide du site ANRS Burkina, basé à l’Université de Ouagadougou. Les résultats des sérologies VIH effectuées durant la sélection des participantes de la cohorte à Ouagadougou nous ont permis d’avoir des chiffres sur la prévalence du VIH et des IST dans les différentes catégories de travailleuses du sexe de la ville de Ouagadougou. Ces chiffres confirment que, malgré la baisse de la prévalence du VIH dans la population générale, les femmes impliquées dans le commerce du sexe restent un groupe vulnérable avec des prévalences du VIH de 5 à 10 fois supérieures à celles de la population générale.

Nous avons constitué une cohorte de 333 jeunes femmes à risque que nous avons suivies pendant 2 ans en moyenne. Nous avons offert à toutes les femmes incluses dans la cohorte des conseils pour le changement de comportement, des préservatifs, chaque fois qu’elles le désiraient, et un dépistage trimestriel du VIH et des IST, ainsi que la prise en charge de l’infection à VIH, y compris par les antirétroviraux pour les femmes qui en avaient besoin. Avec cette intervention après 2 ans de suivi, nous n’avons enregistré aucune nouvelle infection dans la cohorte. Ce résultat confirme scientifiquement comme à Bobo-Dioulasso, que notre modèle d’intervention est très efficace pour lutter contre le VIH et les IST chez les TS.

A travers les partenariats avec l’Université de Montpellier (France) et la « London School of Hygiene and Tropical Medicine » (Royaume Uni), le projet a permis le renforcement des capacités du laboratoire du Centre Muraz dans la réalisation des Tests Elispot de caractérisation des lymphocytes B et T. Plusieurs formations diplômantes dont 2 Masters et 1 PhD ont été effectués ou sont en cours.
L’un des succès du projet a été la mise en place du comité consultatif communautaire à Ouagadougou et un comité de veille associatif à Bobo-Dioulasso. Les membres de ces comités constitués des participantes aux recherches et des représentants des associations de lutte contre le VIH ont également bénéficié de formations à l’éthique de la recherche et aux bonnes pratiques de recherche clinique. En plus, le comité de Ouagadougou a bénéficié d’une visite d’échange avec son homologue de Tanzanie. Les comités de Bobo et de Ouagadougou échangent régulièrement leurs expériences, en termes de suivi des recherches et de protection des droits des participants aux recherches.

Les difficultés sont essentiellement, les contraintes budgétaires qui n’ont pas permis d’une part, la réalisation de toutes les études spécifiques sur le site du Burkina, notamment la caractérisation des types de VIH circulants et d’autre part, l’offre de plus de formations diplômantes aux jeunes impliqués dans le projet travaillant dans les centres de recherches concernés. L’autre difficulté majeure est la faible implication des initiatives locales de lutte contre le VIH dans le financement du fonctionnement des cliniques de recherches spécialisées qui ont été mises en place et qui ont démontré la qualité de leur travail dans la réduction du risque de l’infection par le VIH chez les TS à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso et dans la surveillance de l’épidémie dans ce groupe noyau de transmission.

Une grande difficulté à laquelle l’équipe du projet a été confrontée a été le harcèlement incessant des forces de sécurité contre les TS dans la ville de Ouagadougou. La prise en charge des TS, vecteur important de la transmission du VIH, fait partie intégrante des cadres stratégiques successifs de lutte contre le VIH et les IST au Burkina Faso. Cette prise en charge est financée par de nombreux partenaires dont le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le harcèlement policier ne fait que pousser davantage les TS à la clandestinité, condition extrêmement favorable à des prises de risques encore plus grands face au VIH. La seule conséquence d’une telle situation ne peut être que l’échec des efforts nationaux de contrôle de l’épidémie de VIH dans ce groupe-clé. Une réflexion est nécessaire sur l’implication des différentes parties prenantes dans la lutte contre le VIH et les IST en milieu TS.

S. : Quelles sont vos ambitions ?

I. T. : Pour les futurs essais vaccinaux, vu le faible taux de séroconversion VIH enregistré, lié en partie à l’intervention mise en place, nous serons difficilement éligibles à l’évaluation de l’efficacité des candidats vaccins VIH en phase III. Cependant, nos équipes préparées postuleront à la réalisation des essais vaccinaux de phase I/II qui portent sur de faibles effectifs de sujets et permettent de juger de la tolérance et de la capacité du candidat vaccin à provoquer une réaction immunitaire.

Pour l’intervention mise en place, nous poursuivons le plaidoyer au niveau des autorités sanitaires nationales et internationales pour la pérennisation et la dissémination de notre modèle d’intervention dans les autres villes du Burkina qui en ont également besoin.

Nous menons le plaidoyer également au niveau des centres de recherche qui ont bénéficié de ces projets pour la capitalisation des ressources humaines formées et des plateaux techniques renforcés dans le cadre de ce projet.
Notre souhait pour le comité consultatif communautaire, c’est qu’il puisse également, grandir pour couvrir toutes les recherches biomédicales menées aux Burkina Faso. Qu’il puisse également, avoir les soutiens nécessaires pour se pérenniser et être indépendant des centres de recherche qu’il va surveiller.

Entretien réalisé par Charles OUEDRAOGO et Kowoma Marc DOH

Sidwaya



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