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ROYAUME DU LIPTAKO : Un fauteuil pour deux émirs

mercredi 28 décembre 2011.

 

Les problèmes de succession dans la chefferie traditionnelle au Burkina sont multiples, récurrents et souvent d’origine centenaire. Sujets de division enclins à l’avilissement des valeurs culturelles dans nos sociétés traditionnelles, ces guerres de succession dans lesquelles l’autorité se garde parfois d’intervenir, compromettent l’harmonie sociale et le développement local. Tapis dans l’ombre, le politique parfois s’en mèle et cristallise les conflits. L’autorité administrative de tutelle quant à elle, joue souvent le médecin après la mort dans la résolution de ces différends. Le cas de la dynastie Férobé (peulh) du Royaume du Liptako (Dori), où neveu et fils du défunt Emir, tous de la famille Dicko, prétendent au trône de l’Emirat du Liptako, en est l’illustration. Dans cette circonscription traditionnelle, le fil du dialogue est rompu.

Cette crise aux allures inquiétantes fait suite à la désignation par le Collège de sages de cette lignée, d’un nouvel Emir du Liptako, en remplacement du regretté Dicko Abdoulaye Nassourou, Emir du Liptako, décédé le 12 novembre 2010. Ce bicéphalisme dans l’émirat du Liptako qui couvre près de 200 villages, porte atteinte à l’image du Liptako et exacerbe, au jour le jour, des tensions. Du reste, nous nous sommes entretenus à ce sujet avec les protagonistes sur cette discorde. C’était respectivement les 10 et 14 décembre derniers avec Dicko Boubacar Bassirou et Dicko Ousmane Amirou, tous intronisés pour un même fauteuil royal. Si chacun des « Emirs » campe sur sa position à garder le trône, ils se disent tous favorables à d’éventuelles concessions de sortie de crise. Clin d’œil sur un royaume tourmenté au cœur du Sahel.

Pour mémoire et selon des sources écrites contradictoires de l’histoire du Royaume du Liptako, c’est au début du XVIIIe siècle que les Peulhs Férobé ont quitté le Macina dans les confins du Mali, pour s’installer à Wendou, en pays Gourmantché. Comme cela se faisait à cette époque et à l’instar d’autres royaumes, les Ferobé chassèrent les autochtones et occupèrent leur territoire. Brahima Seydou, 3e fils de Birmali, reçoit l’étendard de l’islam d’Ousmane Dan Fodio et devient le premier Emir du Liptako en 1810. Cette première succession qui ne s’est pas faite de père en fils va entretenir la polémique et la confusion dans la lignée peulhe, quant à la succession au trône de l’Emirat du Royaume férobé, l’une des plus grandes circonscriptions traditionnelles du Burkina.

Depuis cette période jusqu’à nos jours, tous s’accordent à témoigner que 11 chefs traditionnels et spirituels se sont succédé au trône de l’émirat du Liptako. Le règne du dernier Emir du Liptako, Sa Majesté Dicko Abdoulaye Nassourou, qui aurait succédé à son père par imposition du gouvernement de l’époque en 1963, a rompu la chaîne de la succession qui se faisait entre frères, par consensus familial au lieu de père en fils, à en croire la Famille férobé. Pour elle, le dernier Emir a transgressé l’éthique du Liptako. « C’était une malédiction car de mémoire d’homme, selon les coutumes et les traditions Férobé, un fils ne devrait pas remplacer son père au trône ; c’était une première qu’un tel cas se produisait dans notre Royaume », soutiennent des sages proches de Boubakar Ousmane Bassirou, doyen de la famille Dicko.

Après le décès du dernier Emir du Liptako, Boubacar Dicko Abdoulaye Nassourou le 12 décembre 2010, les tractations allaient bon train quant à sa succession. « Avant la fin du deuil, le fils du défunt a entamé des démarches peu orthodoxes au mépris des us et coutumes de la famille férobé, en matière de désignation d’un Emir, sillonnant les villages pour se faire élire Emir du Liptako », dénonce Dicko Boubakar Ousmane dit Bassirou, Emir élu de la Famille Dicko. Il est contesté du clan de Ousmane Dicko Amirou, Emir élu pour le même trône par des chefs coutumiers des villages relevant du Royaume.

Un trône, deux Emirs

En effet, c’est le 14 janvier 2011 que la famille Dicko auparavant divisée (familles Sory et Issa), s’est réunie pour se réconcilier, se prononcer d’une seule voix sur la personne d’entre elles qui doit porter la couronne du premier dignitaire du Royaume férobé. A l’issue d’un consensus, selon un procès- verbal (PV) de réunion, Boubacar Dicko Ousmane Bassirou a été porté au trône de son frère défunt. Ce commis de l’Etat qui a assumé les fonctions d’administrateur civil principal ne savait pas qu’il allait désormais partager le palais royal avec son neveu. Le15 janvier, soit le lendemain de son élection, un groupe de chefs de village s’est également réuni et a désigné, comme successeur de son père, Ousmane Dicko Amirou, sans notifier ce PV, ignorant ainsi « les symboles de l’Emirat du Liptako, au mépris des principes et règles coutumières Férobé dans la désignation d’un émir ».

Et Dicko Boubacar Bassirou de fulminer : « A l’exception de la nomination de feu Dicko Abdoulaye dit Nassourou, il est connu de tous que c’est la famille, elle et elle seule, qui désigne l’Emir car c’est une question de dynastie ». Microbiologiste et gestionnaire de sociétés, le prince qui s’accroche au turban et à la canne de son père est vivement rejeté par la communauté des princes du Liptako. Celle-ci dit lutter pour le respect de son choix, ainsi que celui des « principes princiers » dans la lignée du Royaume. Mais le camp adverse ne tarit pas d’arguments et d’approches battant en brèche ce qu’il appelle allégations et supercheries sur le mode de désignation d’un Emir au Liptako.

« A la suite du décès d’un Emir, ses héritiers sont convoqués par les familles férobé dont les parents ont assumé à une époque la chefferie pour concertation en vue de proposer une candidature aux chefs de village qui ont la charge d’élire l’Emir », soutient Dicko Amirou qui clame sa légitimité à occuper le palais royal. Il poursuit : « J’ai, dans cette logique, été désigné comme successeur de mon père, l’Emir Dicko Abdoulaye Nassourou, suite à une rencontre de concertation tenue entre des chefs de village, de représentants religieux, des chefs de quartier de Dori et les familles férobé du Liptako ». En effet, les deux grandes familles férobé (Sory et Issa), en vue de l’élection du nouvel Emir comme il est de tradition, ont tenu des rencontres parallèles afin que chacune présente son candidat au collège des sages. Aussi avaient-elles décidé que la notion de la famille Issa et Sory soit abolie.

Dans le souci de maintenir la cohésion familiale par l’entente et l’unité, ces deux familles, après plusieurs concertations menées par le collège des sages, ont unanimement désigné Dicko Boubakar Ousmane Bassirou comme guide spirituel et religieux du Liptako. Ces assises familiales pré -nomination, à en croire le Doyen Boubakar Bassirou Dicko et sa famille, son neveu Ousmane Amirou n’y prenait pas part. Alors, précise-t-il, qu’il y avait régulièrement été invité. Ce que réfute Amirou Dicko qui explique que l’accès à toutes ces instances de succession lui avait été formellement interdit par cette famille. « La réalité est que je n’étais pas informé de leurs réunions , et quand je surprenais une de ces réunions, mon oncle me sommait de quitter les lieux », dit-il.

Des intronisations controversées, l’autorité locale interpellée

Dans ce feuilleton de succession, le Comité des princes du Liptako s’était réuni pour préparer le 4 février 2011, date à laquelle il devait procéder à l’intronisation de Ousmane Boubacar Nassourou, comme 12e Emir du Liptako. Ce cérémonial, selon des témoignages, était prévu pour se dérouler dans l’enceinte de la Cour royale, conformément aux us et coutumes de l’Emirat. Au même moment, le camp adverse s’activait lui aussi à la préparation de l’intronisation de son dauphin, Ousmane Amirou Dicko pour la date du 31 janvier dans la même cour royale. A cinq jours des intronisations annoncées, Dramane Sanou, Haut- commissaire de la province du Séno, conscient des enjeux de la situation, a pris des mesures conservatoires par un arrêté en date du 29 janvier qui suspendait toute cérémonie d’intronisation de l’Emir du Liptako. « …Il est cependant à déplorer la division et l’absence d’un consensus autour de la désignation de l’Emir du Liptako…

Comme vous le constatez, l’existence d’une telle situation ne permet en aucun moment de favoriser la cohésion, la sérénité et la paix, valeurs chères pour lesquelles nous devrons tous œuvrer pour le bonheur des populations du Séno. C’est dans cette perspective de recherche d’une solution apaisée que l’arrêté n°2011-007 a été pris pour suspendre toute cérémonie d’intronisation de l’Emir du Liptako jusqu’à nouvel ordre », stipule l’arrêté. Cet acte de la tutelle administrative du Liptako n’est pas du goût de la population, notamment les candidats au trône et les différentes correspondances adressées au Haut-commissaire attestent de leur désaveu : « A notre avis cette présomption de monsieur le Haut-commissaire mettant injustement fin au processus de remplacement de l’Emir porte préjudice à la famille Férobé et à la population. »

C’est la substance d’une correspondance signée de la famille Férobé, tendance Boubacar Ousmane Dicko. Une autre lettre signée de Ousmane Amirou Dicko partage la même préoccupation : « Nous espérons, grâce à votre concours, trouver des solutions diligentes et idoines pour arriver à une intronisation tant souhaitée par toute la population, qui dans ses croyances pense qu’un mariage, une naissance ou même la saison hivernale ne sont guère bénis sans Emir ». Prise en sandwich, l’Administration a, en date du 27 juin 2011, procédé à la levée de la suspension. Mais de l’intronisation consensuelle, il n’en sera pas question car l’oncle et le neveu se feront introniser, le 30 juin 2011 pour le second et 8 juillet pour premier, selon le compte rendu fait au Haut commissaire du Séno.

Si les cérémonies se sont déroulées sans incident majeur, les deux camps se regardent en chiens de faïence et les populations restent quasiment sans référent coutumier consensuel. « Mon neveu qui ne rentre plus par la porte officielle du palais s’est frayé une autre entrée et cela n’est qu’un exemple de provocation parmi tant d’autres dont nous sommes objets au quotidien », s’indigne Boubacar Bassirou. Ousmane Amirou Dicko de confier : « J’ai plusieurs fois échappé à des tentatives d’assassinat ». Un homme politique, gendre du fils aîné Amirou, jouissant d’une certaine autorité à Dori, instruirait le prince à ne pas céder bien que, dit-on, la mère de ce dernier lui demande de renoncer au trône, au profit de son oncle. Somme toute, cette crise aux allures inquiétantes mérite plus d’égards et de précautions car des rumeurs font déjà état de l’intention d’un des camps de démettre bientôt les chefs de village qui ne lui feront pas allégeance.

Les conséquences qui peuvent résulter d’un tel chamboulement sont fort redoutables et des affrontements sectaires imminents dans ce clivage teint de mépris et de provocations. Pour parer à toute éventualité, il est temps que l’autorité, dans son rôle régalien, prenne ses responsabilités car, dit-on, « gouverner c’est prévoir ».


Dernière minute

Au moment où nous bouclions ce dossier, de graves incidents sont survenus lors du déplacement d’un des prétendants du trône à Falagountou, localité située à une cinquantaine de kilomètres de Dori. En effet, des partisants des deux camps se sont affrontés le 25 décembre 2011, et comme conséquence, on dénombre deux blessés graves dont un journaliste. Nous y reviendrons dans nos prochaines éditions.

Armel ILBOUDO

Le Pays



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