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ECOUTES TELEPHONIQUES EN AFRIQUE : Une entrave aux libertés

jeudi 20 octobre 2011.

 

Même si les secrets sont généralement bien gardés, personne ne doute que les écoutes téléphoniques existent un peu partout sur le continent. Mais, qui fait quoi ? Au nom de qui ? Pourquoi ? Comment ? Faut-il laisser à « la puissance publique » la pleine liberté d’épier opposants, journalistes et autres empêcheurs de tourner en rond ? Et comment mettre fin aux abus ? Un peu partout, les pouvoirs politiques semblent avoir renoncé à porter des gants pour défendre leurs intérêts. Ainsi en est-il des écoutes téléphoniques dont le recours paraît aujourd’hui systématique dans plusieurs pays.

Il est même devenu chose banale de voir les autorités nationales violer sereinement, au quotidien, les libertés individuelles et collectives de leurs concitoyens. Sans doute dans l’intérêt du pays, certaines facilités doivent-elles être accordées au pouvoir d’Etat, afin de l’aider à neutraliser des individus jugés suspects. Mais de telles facilités ne mériteraient-elles pas d’être encadrées, de même que les activités qui en découlent ? Des dérives, il y en a toujours même dans les pays où l’on s’efforce de respecter la forme. En témoignent les expériences vécues en Occident, notamment aux Etats-Unis avec le Watergate, et plus récemment en France avec « l’affaire Bernard Squarcini », du nom du patron des services de renseignement.

Celui-ci est mis en examen dans une enquête visant l’espionnage d’un journaliste du "Monde". En Afrique, le cas le plus concret demeure à ce jour celui de la Tunisie de Ben Ali, de triste mémoire. La chute du régime dictatorial suite à la révolution du jasmin, aura ainsi permis de savoir que celui-ci excellait dans l’espionite. Les moindres propos et gestes de nombreux Tunisiens étaient donc fréquemment suivis. Il en est de même de la Libye, où la chute de Kadhafi a permis de découvrir le vaste réseau d’écoute mis en place par le dictateur. Fort heureusement, tout a une fin. Les régimes qui épient constamment, sont généralement gagnés par la mégalomanie et la boulimie du pouvoir. Ils versent facilement dans la délation et la répression.

D’où la nécessité de prendre des dispositions, afin d’encadrer tous ces agissements dans l’ombre. Ils nuisent à la démocratie et aux intérêts du contribuable. Sur le continent, la loi de l’omerta règne dans le secteur des écoutes téléphoniques, au point d’en faire un domaine réservé. Pourtant, la Constitution protège le citoyen et lui permet de revendiquer. A lui d’interpeller le législateur et de manière générale la puissance publique lorsqu’il se sent menacé ou réprimé. Un grand travail de sensibilisation et de mobilisation revient alors à la société civile. D’autant que le pouvoir en place sait se montrer reconnaissant. On le voit bien avec les derniers faits dans l’Hexagone, où le gouvernement exclut le départ de la personne chargée de l’indélicate mission.

Interpellation peut-être, mais répression non. "Présomption d’innocence", dit-on. Le fonctionnaire pris à défaut, bénéficie toujours en retour d’une forme d’impunité. Seule l’alternance démocratique permettra, un jour ou l’autre, de reconsidérer les mesures prises pour contourner la loi et tordre le cou à la démocratie. En attendant, est-il possible de savoir qui est placé sur écoute et au nom de quelles lois ? Quelles ressources sont-elles ainsi dilapidées ? Au fond, qui décide de quoi dans ce milieu ? Et pourquoi doit-il en être ainsi ? Une certaine ambigüité existe aussi dans le rôle joué par les compagnies téléphoniques.

Certes, avec les TIC et les moyens de plus en plus sophistiqués, le risque de se compromettre est de plus en plus réduit. Mais de nombreuses compagnies de télécommunication étant aujourd’hui privatisées en Afrique, la collusion des intérêts se fait chaque jour évidente. Jamais ces partenaires du privé ne prendront le risque d’offenser les pouvoirs publics qui utilisent leurs canaux. Et dans les républiques bananières d’Afrique, "la raison d’Etat", le "secret défense" et les "renseignements d’ordre militaire" peuvent continuer de servir de refuge aux abus. De quelle protection des libertés individuelles et collectives parlent donc les officiels dans leurs discours ?

Dans quelle mesure le citoyen lambda lui-même peut-il recourir à l’écoute téléphonique pour…raisons personnelles ? Peut-on rêver d’une réglementation stricte dans le secteur ? Il existe dans des pays comme le Burkina Faso, une commission qui statue sur les questions d’informatique et de libertés (CIL). Le travail vise, entre autres, à protéger les personnes, à traquer la cyber-escroquerie et à limiter les dégâts. Mais, quelle que soit la bonne volonté de ses membres, une telle structure peut-elle aller au-delà d’un certain seuil ? Du reste, lui donne-t-on suffisamment de moyens pour ce faire ? Que pourra bien faire la CIL lorsque la puissance publique elle-même est mise à l’index ? Faut-il s’attendre à voir les membres de la commission prendre le risque de scier la branche sur laquelle ils sont assis ?

Les perturbations et les ratés qui surviennent lors des conversations téléphoniques le confirment bien : nous sommes épiés ailleurs, mais aussi chez nous. Car, sous nos tropiques, les pouvoirs publics outrepassent toujours leurs prérogatives. Ouvertement et impunément, ils transgressent les lois. On écoute qui on veut, comme on veut, et quand on veut. Incontestablement, il y a des excès qui nuisent à la marche de la démocratie et au respect des droits humains élémentaires. Cette Afrique de l’opacité et de l’emprise sempiternelle du politique sur tout ce qui bouge, acceptera-t-elle un jour prochain qu’on mette fin à ses abus ? Il faudra pour cela que le citoyen électeur lui-même en fasse une vraie préoccupation.

En attendant, peu de gens se soucient de cette agression qui s’exerce sur les libertés individuelles et collectives. Pourtant, au nom de la démocratie, et pour sauver les chances d’une alternance vraie en Afrique, il faut s’intéresser à cette autre impunité qui ronge les libertés. Il convient notamment de mettre en place des structures adéquates. Celles-ci, dotées du minimum requis, devront être encadrées afin de limiter les abus en matière de communication. Dans les Etats de droit en construction, l’on ne saurait continuer à fermer les yeux sur certaines pratiques. Jusqu’à quand vont-elles échapper aux nasses des défenseurs des droits humains ?

Dans les démocraties balbutiantes mais en quête de transparence, l’on continue de rêver de voir un jour chacun assumer sa part de responsabilité. Le temps est venu, au nom de l’intérêt du public, d’instaurer une certaine routine en interpellant régulièrement les détenteurs du pouvoir d’Etat, sur ces formes sournoises de gestion des libertés individuelles et collectives des Africains. Il faut être à l’écoute des peuples et non les épier par le biais des écoutes téléphoniques.

"Le Pays"



Vos commentaires

  • Le 20 octobre 2011 à 14:02, par DIA En réponse à : ECOUTES TELEPHONIQUES EN AFRIQUE : Une entrave aux libertés

    Cette pratique est devenu malheureusement un droit pour ceux qui en profitent. Se cachant derrière un peuple ignorant, affamé, endormiet peu instruit, ils violent et abusent de sa faiblesse sociale. Aucune institution claire et digne de ce nom n’est créée pour contrôler et règlementer cette pratique. Autres lieux, c’est inadmissible puisque les libertés individuelles et collectives sont inviolables. En plus, même lorsque la loi l’a prévu, nul n’a le droit de divulguer le secret de la correspondance sous réserve d’une peine. Pour une fois au moins, nos dirigeants peuvent copier les autres au lieu d’agir à chaque fois en mouton de panurge. Bandes de médiocres ces auteurs de violences à la vie privé des autres, le temps de la dictature, de l’arbitraire, de l’esclavage est passé