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Ecole de l’intendance et de GRH de l’armée : Comment 23 stagiaires ont été radiés

vendredi 14 octobre 2011.

 

Des innocents font-ils partie des 566 militaires radiés de l’armée en juillet dernier ? Avec le recul, il devient de plus en plus évident, que l’état-major de l’armée et le président Blaise Compaoré ont été induits en erreur. Des militaires ont été radiés sans avoir participé aux différentes mutineries. Des négligences au sein de leur encadrement leur ont été fatales. C’est le cas des 23 caporaux qui étaient en stage à l’école de l’intendance et de gestion des ressources humaines située à Gounghin. L’encadrement de l’école a commis une erreur monumentale qu’il regrette aujourd’hui. Mais le courage manque aux uns et aux autres pour signaler cette faute pour qu’on la corrige.

Quand la liste des radiés est sortie le 7 juillet dernier, beaucoup étaient surpris de voir les noms des 23 stagiaires de l’école de l’intendance et de gestion des ressources humaines y figurer. Des chefs de corps ont appelé leurs éléments pour comprendre. En effet, quand l’état-major demandait à chaque corps de l’armée de faire la liste des meneurs et de tous ceux qui sont impliqués dans les mutineries, aucun ne se souvient avoir donné leurs noms. Dans certaines unités, c’est d’ailleurs RAS (rien à signaler). Au RSP par exemple, le chef de corps a mentionné RAS et personne n’a été sanctionné. Sauf deux éléments, des caporaux qui n’ont pas pris part à la mutinerie de la garde présidentielle dans la nuit du 14 au 15 avril.

Il s’agit des caporaux Ouédraogo K. André et Ouédraogo Boukaré. Ils ont quitté le Régiment de la sécurité présidentielle dès le 1er février pour un stage de 4 mois à l’école de l’intendance militaire située au camp de Gounghin. Le premier était à la section Gestion des ressources humaines et le deuxième à la section Intendance. Les deux mutineries de Ouagadougou les ont trouvées à l’école. C’était donc une surprise de voir leurs noms figurer parmi les 566 radiés alors qu’ils n’ont participé à aucune mutinerie. Pendant ce temps, il y en a dont la participation est avérée (puisqu’il y a eu des aveux à la télévision nationale), mais qui n’ont pas été sanctionnés. Pour les 21 autres stagiaires de l’école qui ont été radiés également, c’est la même situation.

Celui qui est sorti major de l’école avec la moyenne de 17/20 a aussi fait les frais. Il s’agit du caporal Coulibaly Ousmane dont tout le monde reconnait le sérieux et la discipline. Son chef de corps, celui de la Transmission de l’armée, très choqué par cette radiation, a cherché à savoir son emploi de temps pendant les moments chauds des mutineries. Les vérifications auprès de l’encadrement de l’école n’ont révélé aucune absence pendant les mutineries. Au sein même de la direction de l’intendance militaire qui gère l’école, beaucoup de chefs sont surpris. Le chef de corps, le colonel Arouna Zampaligré qui gère directement l’école n’en revenait pas lui-même surtout quand il a vu les noms des deux stagiaires issus de l’intendance dont il dit qu’il connait comme les deux pommes de ses mains. Il s’agit des caporaux Konfé Mahamadi et de Sawadogo Mahamadi. Pourtant, lors des deux mutineries, les stagiaires sont restés tranquilles.

Enfermés dans les dortoirs

Dans la nuit du 22 au 23 mars, vers 22h, les stagiaires ont entendu des tirs du côté de leurs voisins du Génie militaire. Leurs aînés, des adjudants venus également pour un stage, ont dit de ne pas bouger, ne sachant pas de quoi il s’agit. Quelques minutes après, deux véhicules 4x4 arrivent au niveau des dortoirs des jeunes recrues 2009 du Génie militaire et commencent à tirer. Ils disent de sortir. Quelques jeunes recrues sont obligées effectivement de sortir. Mais au niveau de l’école, les stagiaires, eux, s’enferment dans leurs dortoirs et éteignent la lumière. C’est le lendemain que la plupart d’entre eux vont apprendre ce qui s’est réellement passé. A la deuxième mutinerie d’avril, c’est presque le même scénario sauf que les dégâts ont été plus énormes et la frayeur plus grande.

La deuxième mutinerie d’avril a vu en effet le pillage du plus grand magasin de l’armée qui se trouve à côté de leur école. Il contient beaucoup de matériels sauf des armes. Ce sont des tenues, des chaussures, des matelas, des groupes électrogènes, des tables etc. C’est l’intendance militaire qui gère le magasin. La nuit de la deuxième mutinerie, deux stagiaires viennent informer les adjudants qu’il y a un attroupement anormal au niveau du magasin. Un adjudant accompagné d’un stagiaire partent à la rencontre du groupe suspect. Ils tentent de dissuader le groupe de ne pas commettre la forfaiture. Mais certains éléments du groupe, surexcités, ont commencé à tirer. On leur a donné quelques secondes pour disparaitre de leur vue. Les deux stagiaires (l’adjudant et le caporal) ont replié dare-dare.

Il se trouve que tous les chefs militaires de l’intendance militaire ont trouvé refuge au sein de l’école à cette période. Ils ont déserté leur domicile après l’incendie du domicile du chef d’état-major Dominique Diendéré. Ils dormaient à l’école avec les stagiaires. Ils ont donc été informés de ce qui se tramait au niveau du magasin. Dans la même nuit, ils ont vérifié que tous les stagiaires étaient dans leurs dortoirs avant d’aller se coucher. Le lendemain matin, ils sont repassés dans les dortoirs pour une inspection inattendue. Ils n’ont rien trouvé de suspect. Le magasin, lui, a subi un pillage en règle. Une quantité importante du matériel a été emportée. Les pilleurs seraient venus du camp Lamizana et du Génie militaire. A l’école, les cours ont repris normalement et du 21 au 28 mai, tous les stagiaires ont composé à l’examen de sortie et tous étaient admis. Les résultats étaient exceptionnels puisque le dernier avait 14/20 de moyenne.

Quelques jours après, on les a libérés, chacun pour rejoindre son corps d’origine. C’est là-bas qu’ils vont apprendre la terrible nouvelle qui ampute la promotion 2011 de 23 de ses éléments. Pour comprendre comment leurs noms se sont retrouvés parmi les militaires radiés alors que tout laisse croire qu’ils sont innocents, il faut remonter aux débuts tumultueux de leur stage.

Mésentente autour du système d’internat

L’école reçoit chaque année des stagiaires de grade de caporal. Ils viennent des différentes garnisons du pays. Il y a deux types de filières : la gestion des ressources humaines et l’intendance. La formation dure 4 mois. A l’issue de la formation, les admis sortent auréolés du grade de sergent. Le 1er février 2011, l’école accueille 49 stagiaires dont 28 en GRH et 21 en Intendance. Leurs déboires commencent dès ce premier jour. En effet, leur chef de corps, le colonel Arouna Zampaligré a décidé qu’à partir de cette année, l’école va fonctionner sous le régime d’internat. Pourtant, cette décision n’a pas été portée à la connaissance des jeunes stagiaires. C’est sur place qu’ils apprennent la nouvelle. Ils n’étaient pas du tout préparés à cette éventualité. Ce régime d’internat fait perdre aux stagiaires leur prime alimentaire de 36 000 f Cfa/mois.

N’ayant pas été avertis, ils ont demandé que la décision soit ajournée. Par ailleurs, d’autres raisons militent pour le report de l’application du régime d’internat. Les travaux de construction ne sont pas terminés. L’école ne dispose pas de cuisine par exemple. Les stagiaires partagent le repas avec les jeunes recrues du Génie militaire, leurs voisins. Le repas qui leur est servi à partir du Génie militaire était, à leur avis, non seulement de mauvaise qualité, mais aussi de petite quantité. Ils ont l’impression qu’ils ne sont servis qu’après tout le monde au sein du Génie. Ce qu’ils trouvent d’ailleurs normal car en principe leur école doit disposer de sa propre cantine. La coupure des primes alimentaires ne devrait-elle pas servir à cela ?

Par mois, ils perdent 1 764 000 f cfa, ce qui est largement suffisant pour leur assurer une bonne alimentation. Ils refusent donc de manger le repas du Génie, préférant sortir acheter dans la rue. Mais l’encadrement trouve que c’est de l’indiscipline militaire. Un cours rapide sur la discipline leur est servi : dans l’armée, on ne conteste pas les décisions des chefs. Pour n’avoir pas retenu cette leçon, une batterie de sanctions sont prises. Ils subissent des manœuvres inattendues comme celle qui consiste à faire la distance Ouaga-Kamboinsin-Ouaga ou encore de se mouiller avec de l’eau fraîche très tôt le matin. Ils sont considérés comme des rebelles à réduire.

Après deux semaines de fronde, les stagiaires rejoignent les rangs. Ils acceptent de suivre toutes les conditions de l’encadrement comme « les chefs ne voulaient pas mettre de l’eau dans leur vin ». Ils se sont dits : après tout, la formation ne dure que 4 mois, il vaut mieux se concentrer et réussir pour quitter cette école. L’encadrement qui ne s’attendait pas à ce qu’ils abandonnent rapidement la lutte ne semble pas satisfait. Deux encadreurs vont s’illustrer négativement par des punitions arbitraires et des manœuvres d’intimidations à l’endroit des stagiaires. Il s’agit du sergent-chef Félix Yougbaré et de l’adjudant Kinda K. Daniel.

Ces deux éléments ont une réputation sulfureuse au sein de leur corps. Le premier a été ajourné à plusieurs reprises pour mauvaise gestion quand il était trésorier à l’intendance. Conséquence, il est toujours sergent-chef alors que ses camarades sont adjudants. Il serait extravagant dans ses comportements et très vulgaire dans ses propos au point que les stagiaires l’ont surnommé « Blé Goudé », le nom du chef des « Jeunes patriotes ivoiriens », soutiens inconditionnels de Gbagbo. Le deuxième ne serait pas très différent en termes de probité. Sous le prétexte de détecter les meneurs, ils ont continué des semaines après la fin de la fronde à faire subir aux stagiaires des manœuvres.

Sans aucun résultat, ils passent à une autre méthode : la délation. Ils convoquent les stagiaires un à un dans leur bureau. Au début, ce sont des conseils qui sont servis au stagiaire, puis on lui demande de coopérer avec en sus des récompenses ; sinon il pourrait subir des sanctions plus lourdes. C’est ainsi que dans l’école, on remarque qu’il y a des stagiaires qui subissent des punitions plus que d’autres. Cela donne l’impression d’une liste dressée à cet effet. C’est dans cette ambiance que les mutineries interviennent. Certains responsables de l’école dormaient à l’école jusqu’ à ce que la situation redevienne normale. A aucun moment, ils n’ont indexé quelqu’un qui aurait participé aux mutineries. Tous étaient témoins de la non participation des stagiaires aux événements de mars et avril.

Radiés par négligence de leurs chefs

Et pourtant, en juin, le chef de corps, le colonel Arouna Zampaligré, demande aux deux chefs décriés (le sergent-chef Félix Yougbaré et l’adjudant Kinda K. Daniel) de lui fournir une liste de stagiaires ayant participé aux mutineries. Il leur dit que c’est une instruction venant du président du Faso. Il estime qu’il ne connait pas les stagiaires individuellement et il n’a pas d’information sur leur participation aux mutineries. Il se remet donc à ses deux subordonnés qui seraient plus proches d’eux pour savoir qui a fait quoi. C’est ainsi que les deux ont transmis une liste de 23 noms au colonel Zampaligré qui l’a acheminée au camp Guillaume sans vérification.

C’est du camp Guillaume d’où relève l’intendance militaire que les noms sont partis à l’état-major. C’est quand la note de radiation est sortie qu’il a réalisée l’énormité de sa négligence. Ils étaient assaillis d’appels de gauche à droite. Les victimes et leurs chefs de corps d’origine voulaient comprendre. Il a convoqué les 23 radiés à l’école et leur a expliqué que ce n’est pas lui qui a fait la liste. Il a fait venir le sergent-chef Félix Yougbaré pour qu’il explique à chacun ce qu’il a fait pour mériter cette sanction. Ce dernier a avoué qu’ils n’ont pas participé aux mutineries. Il reconnait avoir transmis une ancienne liste dressée en février quand le climat était tendu entre les stagiaires et l’encadrement sur la question du régime d’internat de l’école. Il dit qu’il ne s’attendait pas à ce qu’on les radie.

Pour lui, on allait juste les affecter dans une autre unité ou on allait couper leurs soldes pour un temps donné. Mais jamais il n’a cru qu’on allait les radier. Voilà les explications qu’il a pu donner au chef de corps et aux victimes. Les deux encadreurs se sont excusés devant les radiés, mais cela ne règle pas leur problème. Maintenant que faire ? La direction de l’intendance militaire qui gère l’école a été informée de la situation. Elle est au courant de l’erreur de l’encadrement, mais personne ne veut faire remonter l’affaire au niveau de l’état-major. Est-ce par crainte d’être sanctionnés pour avoir induit le commandement et le chef de l’Etat en erreur que les responsables de l’école se taisent ? Les 23 stagiaires doivent-ils payés pour des fautes qu’ils n’ont pas commises ?

Le gouvernement de Luc Adolphe Tiao est interpellé. De nombreux cas similaires sont signalés un peu partout. Ne faudrait-il pas diligenter des enquêtes sérieuses pour déterminer exactement les responsabilités des uns et des autres ? Pour ces cas-ci, puisque leur encadrement a reconnu son erreur, les 23 stagiaires doivent recouvrer tous leurs droits, à commencer par leur réintégration dans les effectifs de l’armée.

Abdoulaye Ly

Mutations : Mensuel paraissant chaque 1er du mois



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