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Droits sociaux des travailleurs de l’ex-Air Afrique : Attendre jusqu’à ce que mort s’ensuive

mardi 19 juillet 2011.

 

« …Le paiement des droits légaux des travailleurs, donc de la dette sociale de l’entreprise, et surtout sans discrimination, n’étant pas négociable, dans quel délai le gouvernement entend-il restaurer « la dignité doublée de la fierté d’être burkinabè » de ces femmes et hommes qui ont loyalement servi la cause de l’intégration et de l’unité africaine ?... ». Dans sa question orale au ministre en charge des Transports le 19 juillet 2009, le député Mihyèmba Louis Armand Ouali s’inquiétait de la situation des travailleurs burkinabè expatriés de l’ex-Air Afrique.

Dans sa réponse, Gilbert Noël Ouédraogo soulignait que le gouvernement avait autorisé la Régie administrative chargée de la gestion de l’assistance en escale (RACGAE) d’« explorer auprès de ses partenaires financiers la possibilité de s’engager à moyen terme afin de mobiliser la somme de 2 500 000 000 de FCFA pour accompagner les personnes concernées à opérer une reconversion professionnelle pour mieux s’insérer dans la vie active ».Près de deux ans après, la machine du processus de règlement desdits droits sociaux semble s’être enrayée et 190 d’entre eux, réunis au sein de leur association, « La Famille », attendent toujours et certains ne sont pas loin de penser que, quelque part, il se trouve des compatriotes qui œuvent contre leurs intérêts. Où est-ce que ça coince ? Quelles sont les actions menées pour débloquer la machine ? Eléments de réponse.

« Comment va la Famille ? » Cette formule usuelle sous nos tropiques prend tout son sens lorsqu’on pose la question à un travailleur burkinabè de l’ex-Air Afrique. En effet, « La Famille », c’est l’appellation de l’association au sein de laquelle le personnel burkinabè expatrié de l’ex-multinationale s’est regroupé pour défendre ses droits. Et à la question usuelle, ils donnent presque tous la même réponse : « Ça va ! ». Pourtant sous ce « ça va » mi-confiant mi-résigné, se cache un profond malaise lié au non-paiement de leurs droits sociaux.

« Dieu ne dort pas »

En effet, si grâce aux acomptes versés par l’Etat burkinabè à hauteur de 318 millions FCFA en 2002, 394 millions FCFA en 2006, 400 millions FCFA en 2007 et 322 millions FCFA en 2009, 47 d’entre eux ont eu leurs droits soldés, tel n’est pas le cas pour les 190 restants, dont les impayés s’élèvent à 3 milliards 600 millions de F CFA. Et là, il y a comme un bug dans la machine du processus de règlement.

Pour « La Famille », depuis début 2004, des obstacles financiers mais aussi et surtout « humains » se dressent sur leur chemin. Comme nous le raconte un des doyens du clan, Sandé Traoré, le premier grain de sable semble être venu du processus mis en place à cet effet, comme l’a expliqué Gilbert Noël Ouédraogo himself : ainsi, selon ce dernier, le gouvernement ayant autorisé l’apurement intégral des soldes tout compte sur les recettes RACGAE, il a fallu se rendre à l’évidence que les ressources de cette structure, basées sur les recettes d’assistance, ne peuvent, à elles seules, couvrir le règlement en une traite du reliquat des droits à payer aux 190 déflatés, soit, rappelons-le, la bagatelle de 3 milliards 600 millions de nos francs.

A cela s’ajouterait le besoin d’investissement pour le renouvellement du matériel d’assistance : « Face donc à cette double équation d’apurer les droits sociaux et de s’équiper pour ne pas disparaître, le gouvernement a autorisé la RACGAE à explorer auprès de ses partenaires financiers la possibilité de s’engager à moyen terme afin de mobiliser la somme de 2 500 000 000 F CFA pour accompagner les ex-travailleurs à opérer une reconversion professionnelle pour mieux s’insérer dans la vie active ». (NDLR : extrait de la réponse à la question orale du député Ouali en octobre 2009).

Une partie de cette somme, qui devait être contractée sous forme de prêt, devait donc servir à satisfaire le besoin d’investissement de la Régie. Mais, c’est là que le hic survient à en croire Sandé Traoré : « Pour des raisons dont nous comprenons difficilement le fondement, l’évaluation des besoins d’investissements en matériel d’exploitation a été portée de 250 millions F CFA à 500 millions FCFA et finalement à 1 milliard F CFA. De plus, les frais de rapatriement devaient maintenant être supprimés alors qu’ils devaient permettre aux petites catégories du personnel ou à leurs ayants droit de rejoindre la mère-patrie.

Avec la crise ivoirienne, on avait très peur pour ceux qui sont restés à Abidjan et nous avions entrepris des démarches pour qu’on puisse les payer avant que les évènements, que l’on voyait venir, n’éclatent. Mais rien n’a été fait. Fort heureusement, Dieu ne dort pas et on n’a pas appris que quelqu’un a été touché ». « Dépitée », La Famille a alors adressé une lettre au Premier ministre (NDLR : Il s’agissait à l’époque de Tertius Zongo) dans laquelle elle proteste justement contre la suppression de la prime de rapatriement.

Ce dernier aurait accédé favorablement à leur requête et aurait donné des instructions pour que ladite prime ne soit pas supprimée. « Malgré tout, les choses sont restées en l’état. Et entre-temps, les charges de la RACGAE ont augmenté à travers l’augmentation de la masse salariale par l’intégration en février 2011 du personnel temporaire grâce à des contrats à durée indéterminée, la signature d’un moratoire pour le reversement d’environ trois ans d’IUTS retenus sur la paie du personnel, l’achat à tempérament du matériel d’exploitation rénové à Air France ». Il y a comme une volonté de rendre le prêt non négociable, estiment les ex-travailleurs, qui se désolent de n’avoir, jusque-là, aucune explication au non-paiement de leurs droits.

Leurs propositions de solutions, notamment l’augmentation des tarifs sur la plateforme, l’instauration d’une taxe sur les billets d’avions, la prise de contact avec la compagnie Air France pour qu’elle participe d’une manière ou d’une autre, seraient restées sans suite. La dernière fois qu’ils ont été reçus au ministère des Transports remonterait à l’année dernière. « On a l’impression qu’on ne veut pas nous payer même si tout le monde dit le contraire. Il y a sûrement un point de blocage quelque part qu’il faut lever. Alors, qu’on nous le dise et on va apporter notre aide à cet effet. Nous savons que la réponse sera qu’il n’y a pas d’argent, mais qu’on nous appelle, on va examiner le budget de la Régie et on va trouver tout de suite ce qui peut nous payer, ne serait-ce qu’au niveau des tarifs. En plus, une épée de Damoclès prend sur nos têtes parce qu’il semble que cette régie est en voie de privatisation », souligne M. Traoré.

Le manque de communication sur leur dossier est insoutenable pour La Famille. Aussi souhaite-t-elle rencontrer le nouveau Premier ministre afin de lui faire entendre leur son de cloche ainsi que le président de l’assemblée nationale afin de lui rendre compte de la suite donnée à la question orale. Ainsi espèrent-ils voir enfin le bout du tunnel. « Au-delà de tout, il faut penser à la situation des veuves et orphelins des anciens collègues décédés, notamment ceux encore à l’extérieur. Nous souhaitons donc que les uns et les autres puissent faire diligence et surtout garder à l’esprit que ça n’arrive pas qu’aux autres », conclut le doyen de La Famille.

Le son de cloche de l’Administration

Quelle est la version de l’Administration ? C’est le superviseur général de la Régie administrative chargée de la gestion de l’assistance en escale (RACGAE), Aly Savadogo, qui nous la fournit. Même question rituelle : comment ça va à la RACGAE ? « La Régie va pour le mieux. Nous traversons une période difficile dont les conséquences se font ressentir durement sur nos recettes, mais grâce à l’effort et aux sacrifices du personnel, nous maintenons le cap de notre programme d’activités 2011 et continuons de contribuer modestement au solutionnement du très délicat et urgent problème du dispositif social d’Air Afrique ».

Et il nous explique les raisons qui ont sous-tendu la création de la Régie : « Lors de la conférence des Chefs d’Etat qui s’est tenue à Brazzaville en 2001, il a été décidé de la liquidation communautaire d’Air Afrique sous l’égide du traité OHADA. Comme suite, le tribunal d’Abidjan a engagé la procédure en nommant et en mettant en place un commissaire et tous les organes chargés de la liquidation. Au Burkina Faso, c’est le cabinet ACECA International qui a été désigné comme liquidateur.

Le 25 avril 2002, les Etats se sont retrouvés dans une situation complexe en ce que toutes les dispositions n’avaient pas été prises par le liquidateur pour ce qui concerne la continuité de la desserte des anciens pays membres. Chaque Etat a été obligé de trouver les voies et moyens d’assurer l’assistance en escale qui est une activité vitale pour la desserte de pays enclavés comme le nôtre. Pour ce faire, l’Etat burkinabè a dû prendre des dispositions qui ont abouti à la mise en place, le 08 août 2002, d’une structure légère chargée d’assurer les activités d’assistance en escale de la desserte des plateformes du Burkina Faso : la RACGAE.

Après les décisions palliatives prises par les Etats pour faire face à la continuité des activités en escale, la question de la résorption du passif de la compagnie se posait toujours avec acuité. Le liquidateur a donc adressé une correspondance à tous les Etats pour autoriser le licenciement de l’ensemble du personnel. Pour ce qui concerne le Burkina, tous les licenciés de la direction locale d’Air Afrique ont été absorbés par la RACGAE.

Les différentes tractations pour le règlement des droits sociaux ont conduit à la décision du gouvernement de régler en 2003, sur la base des ressources générées par l’activité d’assistance, le passif pour ce qui concernait le personnel en place à Ouagadougou, et ce, à hauteur de 685 millions, que le syndic a reconnus à l’époque comme étant une dette de l’Etat burkinabè envers les organes de liquidation.

Ce solde réglé, il restait la question du solde des travailleurs restés à l’extérieur, notamment ceux d’Abidjan, de Dakar, de Bangui, du Liberia et de l’Afrique du Sud. C’est ainsi qu’en 2006, sur la demande de ces travailleurs, l’Etat a entrepris des démarches, toujours sur la base des ressources générées par l’assistance en escale, afin de pouvoir réunir des acomptes sur les droits sociaux des ex-travailleurs ».

Mais qu’est- ce qui coince alors au niveau du Reliquat ? Pour le Superviseur général, il n’y a rien d’ambigu à ce niveau : « Depuis 2006, le ministère en charge des Transports est à pied d’œuvre pour trouver des solutions adaptées au problème. C’est ainsi que la Régie a été instruite par l’Etat de trouver une solution « consistante » pour lesdits travailleurs, afin qu’ils puissent non seulement faire face à leur quotidien mais aussi envisager leur réinsertion dans le tissu économique ».

A l’en croire, ils ont alors pris contact avec les banquiers de la place afin de contracter un prêt conséquent. Et ce prêt était soumis « bien entendu » à la garantie préalable de l’aval de l’Etat parce que dans le cadre de la délocalisation de l’aéroport de Ouagadougou, il est prévu la fusion des activités aéronautiques nationales et des activités d’assistance en escale en une entité de gestion.

Aussi certaines banques ont-elles accepté de les accompagner dans leur schéma de financement. Selon M. Savadogo, en plus du règlement des droits sociaux, la Régie se trouve confrontée au problème de vieillissement de ses matériels, dont la plupart datent de 1969 : « C’est pour cela que nous avons prévu dans le prêt bancaire demandé qu’une partie du montant puisse servir au renouvellement du matériel nécessaire au fonctionnement de l’assistance en escale de l’aéroport de Ouagadougou.

A cela s’est ajouté en 2009 le souci d’équiper l’aéroport de Bobo-Dioulasso en matériel propre dans le cadre de la préparation du cinquantenaire. Il faut savoir en effet que chaque fois qu’il y avait une activité d’envergure comme le Hadj, la Régie était obligée de prélever du matériel ici à Ouagadougou pour le transférer à Bobo et ensuite le ramener. Ce sont donc ces nécessités d’équipement de nos deux principales plate-formes aéroportuaires qui ont fait évoluer les besoins en investissements ».

A quand la fin ?

Mais pourquoi la piste des créanciers de l’ex-Air Afrique tels qu’Air France n’a-t-elle pas été creusée pour solutionner le problème comme le soulignent les ex-travailleurs ? Réponse d’Aly Savadogo : « Cette décision d’impliquer Air France ne pouvait être prise que par les Etats ou par le liquidateur.

Nous avons du reste écrit à la compagnie Air France afin d’envisager la possibilité qu’elle puisse nous céder un certain nombre de sièges sur ses vols, comme cela se fait souvent, pour que nous puissions engranger des frais mais notre correspondance est restée sans suite ». Et Aly Savadogo a ajouté que le processus de liquidation d’Air Afrique reste entier car sauf erreur, il n’y a pas eu, à ce jour, une clôture officielle de la liquidation.

Ce qui veut dire légalement que les organes liquidateurs restent toujours responsables du passif d’Air Afrique. Aussi, les créanciers ne peuvent pas se retourner contre les actionnaires. « La seule alternative possible actuellement est celle de compter sur la bonne volonté des Etats pour régler définitivement le problème », ajoute-t-il.

« La bonne volonté »

Faut-il donc en déduire qu’elle n’existe pas vraiment, cette « bonne volonté », en tout cas pour ce qui concerne le Burkina, se demandent les plaignants. Qu’en est-il d’ailleurs du silence déploré par « La famille » autour de leur dossier ? « Je peux vous assurer que ce problème est une priorité pour le département des Transports et un souci constant pour le ministre, qui ne ménage aucun effort pour trouver une issue favorable et exhaustive à la question, en témoignent les multiples audiences qu’il leur a accordées en sus de celles que je leur accorde régulièrement.

Par conséquent, je reste confiant qu’une solution sera trouvée en vue de soulager tous ces travailleurs dans la souffrance. » Etant lui-même un ex-travailleur d’Air Afrique dont les droits ont été soldés, Aly Savadogo ne manque pas de signaler que l’expertise de l’ancienne compagnie sert encore de nos jours : « Nous disposons de grandes compétences formées par Air Afrique et qui restent, malgré le poids de l’âge pour certains, très professionnelles et vraiment conscientes de leurs responsabilités dans le développement du transport aérien national. C’est ainsi qu’il faut absolument capitaliser toutes ces compétences afin qu’elles contribuent à préparer une saine relève ».

Mais à l’allure de tortue où vont les choses, il faut craindre qu’en lieu et place de droits, ce ne soient un capital décès, si on peut l’appeler ainsi, qui ne soit versé aux parents des déflatés parce que ces derniers auront attendu jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Hyacinthe Sanou

L’Observateur Paalga