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Un nouvel épisode de l’Affaire Thomas Sankara

vendredi 1er juillet 2011.

 

Animée par le député Vert français Noël Mamère, Maitre Bénéwindé Sankara, avocat de la famille de Thomas Sankara et opposant burkinabè, Roland Muzeau, député communiste, Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara et membre de la Coalition Justice pour Thomas Sankara (1) et Odile Tobner, présidente de l’association Survie, la conférence de presse qui s’est tenue le 28 juin dans les locaux de l’Assemblée nationale française constitue un épisode de plus dans le différend politico-judiciaire qui oppose la famille Sankara à l’Etat burkinabè.

Cette conférence de presse vise à donner un écho à la lettre envoyée le 26 avril 2011 par douze parlementaires burkinabè à leurs collègues français dans laquelle ils demandent « la création au sein du parlement français d’une commission d’enquête parlementaire sur le cadre de l’assassinat du président Thomas Sankara », en octobre 1987.

C’est en 1997, à quelques semaines du dixième anniversaire de la mort du leader de la Révolution démocratique et populaire (RDP) que sa veuve et ses enfants ont déposé une plainte contre X devant les instances judiciaires du Burkina pour « Assassinat et faux en écriture administrative », évitant de peu la prescription des faits.

Le certificat de décès, signé le 17 janvier 1988 par le médecin commandant Alidou Diébré, mentionnait que le « camarade Sankara Thomas Isidore Noël est décédé le 15 octobre 1987 à 16h30 de mort naturelle ». Estimant que les faits, c’est-à-dire le coup d’Etat au cours duquel Thomas Sankara et treize de ses collaborateurs avaient trouvé la mort, s’étaient déroulés dans une enceinte militaire, le juge civil s’était déclaré incompétent. Il revenait au ministre de la Défense d’ordonner l’ouverture d’une enquête, comme ce fut le cas dans l’affaire David Ouédraogo. Ne voyant rien venir, les plaignants se sont tournés vers des juridictions internationales.

Avec le soutien d’un Collectif juridique international, la famille Sankara a déposé une plainte devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, pour violation du Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Après avoir prononcé la recevabilité de la plainte, l’ONU avait indiqué le 5 avril 2006 que le gouvernement burkinabè n’avait pas respecté les dispositifs du Pacte et avait demandé à l’Etat burkinabè de tout mettre en œuvre pour « élucider l’assassinat de Thomas Sankara, de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale, de rectifier son certificat de décès, de prouver le lieu de son enterrement, de compenser la famille pour traumatisme subi, d’éviter que pareille tragédie ne se reproduise et de divulguer publiquement la décision du Comité ».

En réponse, le gouvernement a fait établir le 7 mars 2006 par le tribunal d’arrondissement de Baskuy un jugement supplétif d’acte de décès au nom de « Thomas Isidore Sankara, décédé le 15 octobre ». Au nom de la politique de pardon et de réconciliation, le fonds d’indemnisation des personnes victimes de la violence politique créé en juin 2006 a proposé un peu plus de 43 millions de F CFA à la famille, somme qu’elle a refusée. Sur la reconnaissance officielle de l’endroit où se trouve la tombe, le gouvernement a estimé que cette demande n’avait pas d’intérêt, puisque tous les ans, les partisans de Thomas Sankara se réunissent autour de sa tombe au cimetière de Dagnoën. Sa veuve s’y était même rendue le 15 octobre 2007 à l’occasion du 20e anniversaire de la disparition de son mari.

Dans une note rendue publique le 21 avril 2008, le Comité des droits de l’homme de l’Onu avait jugé satisfaisantes les réponses du gouvernement burkinabè et estimé « le recours de l’Etat partie comme satisfaisant aux fins du suivi de ses constatations », puis annoncé qu’il « n’ pas l’intention d’examiner cette question plus en avant au titre de la procédure ». Autrement dit, l’affaire est considérée comme close devant l’instance onusienne.

L’initiative des députés burkinabè et français a-t-elle des chances de déboucher sur une enquête parlementaire sur le rôle des services secrets français permettant de relancer le dossier ? Rien n’est moins sûr ! Le député Noël Mamère reste lucide : « Nous ne sommes dupes de rien, et il ne suffit pas de déposer une demande de commission d’enquête pour qu’elle soit acceptée », reconnait-il.

Pratiquement, la demande va d’abord être étudiée par une commission ad ’hoc où ses membres vont décider à l’unanimité de désigner ou non un rapporteur avant de l’inscrire dans l’agenda de la commission des affaires étrangères. « Mais vu la composition de l’assemblée nationale française actuellement dominée par la droite, je doute fort que la commission des Affaires étrangères se prononce pour une commission d’enquête », pronostique t-il. Comme bien d’autres avant, cette demande va certainement être enterrée, oubliée dans les tiroirs de l’assemblée nationale avec le numéro de « décès 3527 ».

Réponse d’ici peut-être le 13 juillet, date de la fin de la session extraordinaire ou à la rentrée de septembre prochain. Malgré l’issue prévisible de la demande, les animateurs de la conférence de presse affirment qu’ils ne céderont pas au découragement. « Même si la demande n’aboutit pas, le fait de la déposer avec des députés burkinabè et l’association Survie, est pour nous une manière de remettre en lumière la question de la Françafrique et dire qu’il ne faut jamais céder et ne rien laisser dans l’ombre », explique Noël Mamère.

Quant à Maître Sankara, venu spécialement pour participer à cette conférence de presse, il a expliqué que son engagement dans ce dossier procède tout simplement d’un souci de vérité, et contrairement à ce que certaines personnes peuvent croire, « je ne suis pas dans une logique de vengeance, mais de justice et de respect des droits de l’homme ».

(1)Biographie de Thomas Sankara ; La patrie ou la mort… ; éd L’Harmattan, 2007, 30 euros

Joachim Vokouma
Lefaso.net



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