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Doulaye Corentin Ki, président de l’ASCUNA : « En Afrique noire traditionnelle, le chef est à la fois une autorité politique, administrative et morale »

lundi 20 juin 2011.

 

Il totalise 40 années de carrière diplomatique. Fonctionnaire de l’ex-Organisation de l’Unité africaine (OUA) depuis 1996, Doulaye Corentin Ki est actuellement le Chef du Bureau de l’Union africaine à N’Djamena, au Tchad. Natif de Kissan dans la province du Nayala, le grand diplomate africain reste profondément attaché à sa culture. Fidèle et actif dans son engagement culturel, le monument de la diplomatie burkinabè a séjourné récemment au pays dans le cadre de la 2e assemblée générale de l’Association culturelle du Nayala (ASCUNA). Dans l’entretien qu’il nous a accordé juste avant son vol retour sur la capitale tchadienne, l’Ambassadeur de la culture san revient entre autres sur la genèse et la vie de l’ASCUNA dont il est le président depuis 2 ans. Il s’est également prononcé sur des sujets d’actualité tels que la chefferie traditionnelle et ses rapports avec la politique, lui-même étant chef coutumier de son village.

Comment justifiez-vous la création l’ASCUN A ?

La création d’une association culturelle dans la province du Nayala procède d’une réflexion faite par un groupe de personnes issues de la province et qui a constaté que le développement culturel du Nayala était à la traine alors que partout dans les autres provinces du Burkina, on constatait un essor et un regain culturel qui se développe à travers diverses manifestations telles que les festivals régionaux et d’autres manifestations à caractère ludique. Or nous nous rappelons toujours la phrase de notre grand frère Joseph Ki-Zerbo qui disait, je paraphrase : si tu dors, tu meurs. Bien entendu, nous ne voulions pas laisser le Nayala mourir culturellement ; c’est pourquoi nous avons décidé de nous réveiller et de créer l’ASCUNA. Nous avons donc tenu une assemblée générale le 1er mai 2009 au cours de laquelle les statuts et règlement intérieurs ont été adoptés et un Comité exécutif a été mis en place. J’ai l’honneur d’avoir été choisi comme le président de cette structure.


Quels sont les objectifs visés par la structure ?

Les objectifs de l’ASCUNA sont clairement consignés dans ses statuts que vous pouvez par ailleurs lire sur notre site http://ascuna.voila.fr. Il s’agit essentiellement d’abord de mener une réflexion sur tous les aspects de la culture au Nayala. Ceci concerne bien sur le peuple San, mais aussi les autres peuples d’immigration dans la région à savoir les peulhs, les mossi, les marka etc. Il s’agira ensuite de faire mieux connaitre cette richesse culturelle par l’organisation de manifestations culturelles ou l’assistance à l’organisation de manifestations culturelles car l’ASCUNA a un dessein fédérateur. Elle ne veut pas détruire ce qui existe ou pourrait exister mais au contraire les consolider. Ainsi, nous avons un projet d’une grande manifestation culturelle dénommée FESTANA (Festival des Arts du Nayala) qui pourrait se tenir en 2012.

Nous nous sommes aussi donnés pour objectif d’étudier et de faire connaitre aussi bien les sites touristiques que les divers rites et traditions du Nayala et il y en a beaucoup. Enfin, avec la mise sur pied d’une bibliothèque qui porte le nom du Prof. Joseph Ki-Zerbo, nous voulons que les écrits des fils du Nayala ou portant sur le Nayala soient disponibles à Toma, chef lieu de la province, afin que les chercheurs puissent les consulter sur place. A ce propos, nous avons lancé un appel à tous ceux qui peuvent nous aider à acquérir les ouvrages nécessaires.

Quelque part, votre démarche ne peut-elle pas avoir des effets néfastes sur la construction de la nation burkinabè ?

Si je me réfère au discours officiel, la Nation burkinabè est constituée de plusieurs peuples qui en font la richesse culturelle. Je pense que plus la culture de ces peuples est féconde, plus riche sera la Nation burkinabè. D’ailleurs c’est toute la philosophie des Semaines nationales de la culture.

Justement, n’êtes-vous pas en train de faire le travail du secrétariat permanent de la SNC ?

Le Secrétariat permanent des Semaines nationales de la culture ne fait que coordonner un travail qui doit se faire à la base. Des organisations comme l’ASCUNA peuvent lui être d’un grand secours dans la préparation de ses activités. Il faut aussi rappeler que les SNC ne se tiennent que tous les deux ans et que pendant ce temps, les activités culturelles quotidiennes continuent partout à travers le Burkina. Il vous souviendra qu’à Toma, nous avons eu la troupe « Logouè » qui a été proclamée « artiste du peuple » pour avoir remporté trois fois de suite le grand prix de la SNC dans la série « danse de force et d’acrobatie ». Eh bien, cette troupe a été formée par des personnes qui avaient une haute idée de la culture, notamment son promoteur qui n’est autre que le secrétaire général actuel de l’ASCUNA, Monsieur Fidèle Toé.

Vous venez de participer le 8 mai dernier à Toma à l’assemblée générale de l’ASCUNA. Brièvement, quel est le bilan en 2 ans d’existence ?

La 2è Assemblée générale s’est tenue le 4 juin. L’ASCUNA a été créée le 1er mai 2009. Chaque année, nous tenons une Assemblée générale pour passer en revue les activités entreprises au cours de l’année écoulée, mais aussi présenter les activités que le Comité exécutif entend mener pour l’année à venir. Il est hautement important que les membres de l’Assemblée générale discutent les rapports d’activités, le rapport moral et financier présentés par le Comité exécutif, et donne quitus. Vous savez, beaucoup trop d’organisations appartiennent seulement à leur concepteur de telle façon qu’elles meurent dès que celui-ci quitte l’organisation ou n’est plus en mesure de la supporter. Nous voulons que l’ASCUNA démontre qu’elle peut être gérée autrement. Concernant le bilan des 2 années d’existence, je dois rappeler que notre première tâche était de consolider les structures avec la mise sur pied des Comités communaux des Arts et Cultures du Nayala (CCAC) sur qui repose la tâche de collecte des informations sur les sites et activités culturelles dans les 7 Communes de la province.

C’est une tache qui est déjà bien avancée et sera complétée d’ici la fin de l’année après les tournées d’information qui ont déjà eu lieu dans les communes. Ce faisant, nous avons travaillé pour notre objectif de faire connaitre notre association dans le Nayala. Pour l’extérieur, nous avons créé un site Web dont j’ai donné l’adresse ci-dessus. Autres activités : depuis la création de l’ASCUNA, nous avons organisé déjà 2 coupes de football pour les jeunes des écoles secondaires. La première coupe a été remportée par Gassan et la deuxième vient d’être remportée par Biba. Ces coupes ont maintenant acquis une grande popularité et nous avons l’intention de les continuer et de les renforcer car elles permettent d’apporter quelque chose à la jeunesse scolaire du Nayala.

Une autre activité entreprise par l’ASCUNA a trait à la revalorisation du chant traditionnel. Nous avons commencé par les chorales compte tenu des échéances qui se présentent à nous. En effet, en 2013 sera célébré le centenaire de la paroisse de Toma. En organisant la première édition de la « Nuit des chorales », l’ASCUNA veut déjà commencer à préparer ce centenaire. La deuxième édition de cette nuit des chorales aura lieu à Zaba, en pays marka. Enfin, ici et là, l’ASCUNA a apporté une assistance, certes minime mais significative, à des groupes culturels locaux dans l’organisation de certains évènements. Enfin, je voudrais refaire allusion à la bibliothèque que nous avons créée et qui comporte près de 700 ouvrages déjà. Je ne pense pas que ce soit un bilan exhaustif mais je crois que c’est l’essentiel.

Vous avez organisé en marge de la présente AG un certain nombre de manifestations. Pouvez-vous en deux mots nous en parlez ?

Pendant l’Assemblée générale, il est difficile d’organiser d’autres activités car l’AG prend pratiquement toute la journée. Des représentants de l’ASCUNA viennent d’un peu partout, de Ouaga, de Bobo, de Nouna, de Ouahigouya etc. et après la présentation des différents rapports, nous écoutons tous ces représentants nous décrire les efforts qu’ils font dans leurs localités ou exprimer les attentes qu’ils ont de l’organisation.
Les différentes autres activités ont tourné autour des rencontres que j’ai eues, en tant que président, avec les différents acteurs de la vie de l’ASCUNA en vue de la préparation des prochaines manifestations notamment la 2è édition de la Coupe et la prochaine nuit des chorales.

Votre appréciation globale du déroulement de ces activités ?

Toutes nos activités se sont très bien déroulées et j’en suis satisfait.

Tout n’a pas été rose. Vous avez certainement rencontré des difficultés…

Toute entreprise humaine a ses propres difficultés. Elles aident à avancer. En ce qui concerne la coupe de football, la difficulté essentielle cette année était de l’organiser dans un contexte de grogne sociale et scolaire à laquelle la province du Nayala et la ville de Toma n’ont pas échappé ; Compte tenu de l’agitation en milieu scolaire, nous nous sommes adaptés et nous avons fait un tournoi court sans l’habituel aller-retour. C’était donc par élimination directe, ce qui a permis de faire la finale le 11 juin, avant les examens scolaires. L’autre difficulté vient de nous-mêmes : il est très difficile de mobiliser les gens aujourd’hui s’il n’y a pas d’intérêt financier, d’où quelquefois des incompréhensions car l’ASCUNA travaille sur la base du volontariat et de l’engagement libre et consenti.

On voit que le sport tient une place centrale dans vos actions. Une explication …

Le sport a toujours été un excellent moyen de mobilisation, particulièrement des jeunes. Pour une jeune association comme la nôtre, le sport et en particulier le football, est un moyen idéal pour se faire connaitre par la jeunesse. Mais au-delà de la nécessaire propagande pour les idéaux de l’ASCUNA qui, au demeurant sont nobles, c’est une façon pour nous d’apporter une contribution à l’épanouissement de la jeunesse et de doter les établissements scolaires de certains moyens. Et puis, il est temps de sortir la jeunesse du Nayala de cette tendance irrésistible vers le « dolo » et autres « qui m’a pousse », qui est un alcool distillé très dangeureux pour la santé et est très destructrice pour notre jeunesse. Par quoi faut-il remplacer les cabarets sinon par les terrains de sports ?

Qui de parle de sport, parle de moyens. Alors, comment vous vous êtes pris en tant que jeune association pour pouvoir organiser d’aussi importantes manifestations ?

L’organisation d’une « petite » compétition comme la coupe ASCUNA ne coûte pas moins de 2 millions de francs tout compris. Pour le moment l’ASCUNA ne bénéficie pas d’un soutien financier ni de l’Etat, ni d’aucun partenaire extérieur. Cependant, les parrains que nous choisissons nous donnent une contribution, généralement en nature (ballons, maillots…). Je suis heureux de constater que pour l’édition de cette année, le parain, Monsieur Jean Baptiste Sô, de la Société ACECA, nous a apporté une contribution financière en plus de la contribution matérielle. Je l’en remercie tout comme je remercie le Ministre Paré Joseph qui fut le premier parrain des coupes ASCUNA. Sa généreuse contribution matérielle et morale à la première édition nous a réconfortés. Le reste des contributions provient de nos frais d’inscription, des cotisations des membres et de la contribution du président que je suis. Les responsables des établissements scolaires en compétition apportent aussi une bonne contribution de diverses manières. J’ai bon espoir qu’avec le temps, nous aurons des soutiens de plus en plus élargis de tous ceux qui veulent soutenir le développement de la province du Nayala.

Personnellement, quelle a été votre contribution ?

Il serait mal séant de donner ici un chiffre. Sachez seulement que ma contribution ressort dans les rapports financiers que nous présentons à l’Assemblée générale. Elle est à la hauteur de l’engagement que j’ai pris de travailler pour revitaliser la culture au Nayala. Au demeurant, je suis de ceux qui pensent qu’il faut payer de retour, d’une façon ou d’une autre, les bienfaits de sa terre nourricière afin que d’autres en profitent. L’aspect le plus important de ma contribution est mon engagement qui encourage d’autre à s’engager.

Pourquoi autant d’engagement de votre part ?

Comme je l’ai dit, il faut payer de retour ce que vous avez reçu. En tant qu’intellectuels, nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis des populations de nos régions respectives. Je crois que les gens choisissent différentes façons de le faire. Au demeurant, il y a une satisfaction morale à contribuer à l’évolution de son pays ou de sa région.

Comment faites-vous pour conjuguer vos obligations d’agent de l’UA et de président de l’ASCUNA ?

Le plus gros problème que je rencontre est de ne pas pouvoir être disponible tout le temps pour les activités de l’ASCUNA car comme vous le savez, je travaille actuellement au Tchad en tant que représentant de l’Union africaine. Mais il faut savoir que nous voulons concevoir l’ASCUNA comme une organisation qui ne doit pas dépendre d’une personne ou même d’une coalition de personnes. Vous l’avez vu, je n’étais pas présent pour la finale de la 2è édition de la coupe ASCUNA, pourtant elle s’est formidablement bien passée. En tout état de cause, les nouvelles technologies de l’information nous permettent de travailler sans forcément être ensemble et ça marche bien. Mon éloignement n’est pas un handicap insurmontable.

Nourrissez-vous des ambitions politiques ?

Il m’est arrivé de faire de la politique. Comme tout bon samo j’ai milité au MLN et à l’UPV. Mon dernier engagement fut au sein de la CNPP qui, comme vous le savez, s’est sabordé avec l’ODP-MT pour former le CDP. Depuis lors, étant hors du Burkina, je n’ai pas vraiment exercé d’activités politiques. De ce point de vue, je n’ai pas d’ambitions politiques d’autant plus que j’ai succédé, depuis 2008, à mon père en tant que chef du village de Kissan (Nayala). A 65 ans d’âge, il faut laisser la place aux jeunes. Bien sur, je ne m’interdit pas d’avoir mon propre choix politique ou de soutenir ceux que j’estime pouvoir travailler pour mon pays et ma région. Mais je dois dire aussi que l’ASCUNA est une organisation apolitique et que je veille jalousement à ce qu’elle conserve ce caractère et n’aille pas se perdre dans les méandres de la politique.

Vous êtes par ailleurs chef coutumier de Kissan, votre village. Que pensez-vous des rapports entre chefferie et politique ?

Ecoutez, je suis de ceux qui pensent que la chefferie traditionnelle ne devrait pas s’impliquer de façon lourde dans la politique. On voit comment les hommes politiques exacerbent les antagonistes un peu partout dans le pays afin de s’assurer que le chef leur est favorable. Ceci dit, dans l’Afrique noire traditionnelle, le chef est tout à la fois une autorité politique, administrative et morale. Il est protecteur et garant du respect des us et coutumes de sa communauté et arbitre des conflits entre ses administrés. Malheureusement, on constate aujourd’hui que la chefferie s’apparente de plus en plus à une « députation » villageoise. De nombreux chefs, une fois installés ne se préoccupent que de leur bien-être personnel. Alors, tant que la chefferie n’aura pas un statut constitutionnel clair, il fera toujours l’objet de toutes les manipulations. Je reconnais toutefois que la question est délicate et depuis l’indépendance, elle n’a jamais fait l’unanimité dans la classe politique burkinabè.

Quelles sont les activités à court et moyen terme de votre association ?

J’ai déjà évoqué certaines de nos activités à court terme, activité que nous menons déjà, telles que la Coupe de football ou la Nuit des chorales ou encore la mise sur pied de la bibliothèque ASCUNA. Je dois ajouter qu’à partir de la rentrée scolaire prochaine, nous instituons les « bourses ASCUNA » par lesquelles l’association va aider des jeunes nouvellement certifiés mais dont les parents n’ont pas de moyens, à continuer leurs études dans le secondaire. Une dizaine de bourses seront accordées dès la prochaine rentrée. A court terme, nous allons aussi organiser la 1ère édition du FESTANA, compléter la mise en place des Comité communaux des arts. A moyen terme, nous envisageons de commencer à mener un travail de fond sur les arts, traditions, sites et rites culturels du Nayala. Nous élargirons nos activités culturelles à des domaines propres au Nayala. A long terme, nous avons l’ambition de créer un Centre récréatif Communautaire qui abritera la bibliothèque, un Musée des Arts du Nayala et constituera un centre culturel et d’échanges.

En quelques mots, que voudriez-vous dire de plus ?

Je voudrais remercier et féliciter Lefaso.net pour le travail remarquable qu’il fait pour informer les burkinabè et tous ceux qui sont à la recherche de l’information. Pour nous qui sommes à l’extérieur du pays, Lefaso.net constitue un instrument irremplaçable. Je vous encourage à persévérer dans la voie que vous avez choisie : celle de la cyber-information car c’est la voie de l’avenir. Les mutations que nous voyons poindre nous indiquent que bientôt, nous ne pourrons plus lire notre bon vieux journal du matin en sirotant notre tasse de café. C’est probablement notre IPAD qu’il faudra allumer et à travers le WIFI, prendre connaissance des nouvelles du jour.

Propos recueillis par Grégoire B. BAZIE

Lefaso.net



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