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Levée du couvre-feu à Ouagadougou : Les noctambules renouent timidement avec leurs habitudes

mercredi 25 mai 2011.

 

Le couvre-feu instauré à Ouagadougou suite aux récents événements qui ont secoué la ville avait privé bon nombre de citoyens de leurs activités nocturnes. Depuis la levée dudit couvre-feu le 16 mai dernier, les Ouagalais ont repris leurs habitudes quotidiennes mais avec timidité. Constat de l’affluence dans les boîtes de nuit, bars-dancings, maquis et autres lieux de distraction.

Il était un plus de 20h ce samedi 21 mai 2011 sur l’avenue Kwame N’Krumah, l’une des avenues les plus animées de la capitale burkinabè. Il régnait un calme plat. Pour qui connaît cette partie de la capitale, l’ambiance est inhabituelle, un week-end de surcroît. La plupart des restaurants et bars dancings qui bordent l’avenue se caractérisaient par leur faible affluence. On était au premier week-end après la levée du couvre-feu. Cette mesure avait fini par paralyser les travailleurs de nuit dans leurs activités et priver les noctambules de leur liberté de mouvoir. Bien que cette liberté soit revenue, la psychose demeure toujours au sein de la population, traduisant ainsi une reprise quasi-timide de la vie nocturne dans les différents quartiers.

Quelques-uns qui avaient déjà pris place de façon disparate autour des tables disséminées ça et là, devisais tranquillement. Pendant que certains gérants, après explication de l’objet de notre visite, ont accepté s’ouvrir à nous, d’autres par contre nous ont purement et simplement envoyé paître. Nous prenions néanmoins notre mal en patience, convaincus de l’abondance d’informations que nous allions receuillir. Noufou Compaoré de Salifou et Claude Gauthier sont tous deux gérants du restaurant "Le Savana" situé sur l’avenue Kwame N’krumah. Ils ont indiqué que le lancement officiel de leur restaurant devrait être fait en mars dernier pour valoriser la viande sauvage mais compte tenu des manifestations, cette cérémonie reste en suspens. Nous avons perdu pratiquement 10 millions de F CFA parce que nous avions envoyé des cartes d’invitation et fait également des approvisionnements de matières fraîches et comme ce sont des denrées périssables, cela a été une perte pour nous", ont-ils déploré. Non loin de là, un autre restaurant"

La Véranda" se dresse. Pas de clients d’abord en ces lieux à notre arrivée. Tout de suite, les serveurs s’empressent de nous accueillir avec tout le respect qui sied, nous assimilant ainsi aux premiers clients de la soirée. Mais à la vue de nos calepins et dictaphones, ils se sont ravisés. Après quelques échanges, le gérant Saint Clair Kiélé se prête à nos questions.

Selon lui, le couvre-feu a eu un impact négatif sur les activités. Bien qu’il soit levé, l’affluence reste toujours faible. "Les clients ont peur de sortir et qui dit manque de clients dit aussi manque de rentrée d’argent. La vraie reprise des activités va se faire peut-être dans un ou deux mois quand les clients seront sûrs que la quiétude y est totalement", a-t-il expliqué. Même son de cloche chez Alain Combes, gérant du bar-restaurant "Le moulin rouge" situé sur le même alignement que "La Véranda", lorsqu’il a déclaré que le couvre-feu a eu une répercussion catastrophique sur ses affaires. "Le couvre-feu est levé mais les gens ont toujours peur de venir au centre-ville. Actuellement, nous n’avons pas d’affluence", a-t-il ajouté.

Ambiance féerique à Gounghin et Larlé

Après l’avenue Kwame N’krumah, le cap a été mis sur le quartier Gounghin au secteur n° 9 de Ouagadougou. Dès l’entame de l’avenue du Conseil de l’entente, un bruit assourdissant provenant du maquis "Le Boukantier" nous accueille. Quelques clients sirotaient leur bière au milieu du criaillement du Disk jockey (DJ). A trois cents mètres environ, nous faisions escale devant le bar-dancing "Le Yorobo". Le manager du "coin", Henry Sosthène Tape nous renseigne qu’il a perdu la clientèle quand le couvre-feu était en vigueur. "Cela a beaucoup joué sur nos économies puisque d’habitude, on ne fermait pas", a-t-il dit. Il a néanmoins salué la levée du couvre-feu car selon lui, l’affluence y est maintenant. En témoigne la nuée d’engins qui étaient parkés à la devanture du bar. Nous faisons un tour à l’intérieur ; l’affluence est bel et bien perceptible. Sur la piste de danse, certains clients se trémoussaient tandis que d’autres étaient assis autour de leurs tables bien garnies. Un des clients, Alain Kafando, entre deux gorgées, nous confie que dans un Etat de droit, tout le monde doit être libre et rentrer à l’heure qu’il veut et que par conséquent la levée du couvre-feu lui fait énormément plaisir.

C’est également l’avis de Valentin Nikièma, un autre client, lorsqu’il souligne que la levée du couvre-feu a amélioré son train-train quotidien. A l’entendre, cela lui permet d’éviter désormais les querelles dans son foyer. "Avec le couvre-feu, on était obligé de rester à la maison. Cette situation créait souvent des malentendus entre ma femme et moi", a dit M. Nikièma avant de crier "vive la liberté !". A un jet de pierre de " Le Yorobo", se trouve le maquis "New génération". Les noctambules sont amassés en plein air au bord du bitume et un parking très compact témoignant de l’affluence qui régnait en ces lieux. Le gérant dudit maquis, François Sia, a souligné qu’il a bon espoir que les choses vont reprendre normalement. Daniel Kalmogo, vendeur de poisson et de viande devant "Le Yorobo", quant à lui, a commencé à se frotter les mains car, précise t-il, l’affluence se fait déjà sentir. Au bar-dancing "Number One", le gérant Souleymane Ouédraogo ne s’en plaint pas trop car le couvre-feu n’a pas eu d’incidence sur ses activités.

"Notre avantage est que le bar fonctionne plus le jour que la nuit", s’est-il réjoui avant de signaler tout de même que l’affluence n’y ait toujours pas avec la levée du couvre-feu du fait de la psychose. Après Gounghin, nous décidons de faire un tour au quartier Larlé, plus précisément à "Guitare bar" aux environs de 23h. Là, plusieurs personnes avaient pris d’assaut la piste pour esquisser quelques pas de danse. L’ambiance y était exceptionnelle. On sentait la joie des uns et des autres de retrouver la plénitude

Une baisse vertigineuse des chiffres d’affaires

de leur liberté. Le gérant du bar, Mahamadi Ouédraogo, a relevé que d’habitude, son bar se ferme à 2h du matin. Un programme que le couvre-feu a bouleversé, jouant du même coup sur la rentabilité du bar. M. Ouédraogo a aussi déploré l’affluence toujours timide, depuis près d’une semaine après la levée de la mesure. Mais d’une manière générale, le constat qui se dégage est que l’ambiance de la ville, traditionnellement chaude au centre, s’est déplacée vers les quartiers périphériques.

L’instauration du couvre-feu a causé d’énormes pertes des chiffres d’affaires de plusieurs maquis. Une restriction de liberté qui a paralysé bon nombre de clients et qui a ralenti les activités des débits de boissons. C’est pourquoi le gérant de "Guitare bar" a évalué ses pertes à plus de 30% tandis que M. Combes de "Le moulin rouge" a parlé de 60% de baisse. Quant à M. Tape de "Le Yorobo", il a estimé que son manque à gagner est énorme. "Nous avons évalué notre chiffre d’affaires par semaine et sincèrement, ce sont des millions qu’on a perdus", a-t-il précisé. Cette situation, si elle perdurait, risquerait de conduire certains gérants à compresser leur personnel. Plusieurs d’entre eux ont été obligés de revoir leurs horaires de travail.

"Mes pertes pouvaient avoir une incidence sur la gestion du personnel. Pour le moment, il n’y a pas eu de compression mais la situation n’est pas gérable sur du long terme", a affirmé M. Combes. Et M. Kiélé de renchérir : "que ça fonctionne ou pas, le patron est obligé d’assurer les salaires et c’est très difficile". En outre, les soi-disant pourboires souvent laissés aux serveuses par les consommateurs se sont amoindris à cause du manque de clients pendant la période et après le couvre-feu. "Les serveuses n’ont plus de pourboires car les clients se font rares alors que cela leur permettait d’arrondir leur fin de mois", a ajouté M. Kiélé. Le "Number One" fait une exception en matière de pertes subies. A la différence de autres bars, il a, selon son gérant, fait de bonnes affaires. "Nous n’avons rien senti lors du couvre-feu. Au contraire, notre chiffre d’affaires a augmenté parce que nous travaillons plus le jour", s’est expliqué M. Ouédraogo.

Quid des boîtes de nuit et des hôtels ?

Pour le vendeur de grillade, M. Kalmogo, son chiffre d’affaires journalier avant le couvre-feu s’élevait à environ 50 000 F CFA, mais avec la situation, il ne peut plus avoir plus de 20 000 F CFA.

Les hôtels, les boîtes de nuit, les stations d’essence etc, qui travaillent pour la plupart la nuit, ont également subi les contrecoups du couvre-feu. L’hôtel Avenir sis au quartier Gounghin a vu ses activités tourner au ralenti. "Nous enregistrons depuis la mutinerie, un taux d’occupation des chambres d’environ 10 à 15% alors qu’avant les manifestations, ce taux était situé entre 52 et 55%", a relevé le réceptionniste Mathieu Zongo. Selon lui, avec la levée du couvre-feu, l’activité reprend doucement et le taux d’occupation des chambres tourne autour de 20 à 25% actuellement.

Aux environs de minuit, nous étions devant la boîte de nuit "Le privé" située face à la Maison du peuple. A l’extérieur, pas assez d’engins ou de voitures indiquant la présence d’une boîte de nuit. Après échanges avec les responsables, autorisation nous fut donnée de jeter un coup d’œil à l’intérieur.

Une piste de danse déserte, quelques clients assis devant leurs bouteilles, l’ambiance était morose à l’exception de la musique qui nous transperce les tympans. Un client nous interpelle : "eh ! Sidwaya, écrivez qu’il n’y a rien de tel que la liberté, je ne vous en dis pas plus". Un autre qui a préféré garder l’anonymat dit : "On sent que les gens ont envie de reprendre les habitudes d’avant mais il y a toujours de la réticence car ils ne savent pas si la situation s’est totalement calmée ou pas". Avec la levée de cette restriction de liberté, Léa Kaboré peut se promener maintenant comme elle veut. "Nous avions prévu depuis longtemps aller en boîte mais à cause de la situation nationale, nous n’avions pas pu le faire", a-t-elle noté.

Le technicien de Relax hôtel, Marcel Ouédraogo a précisé que la boîte "Le privé" a perdu beaucoup de clients parce qu’elle n’a pas fonctionné pendant le couvre-feu. Mais, a-t-il poursuivi, avec la levée de la mesure, les gens commencent à venir petit-à-petit. M. Ouédraogo a, en outre, mentionné que son manque à gagner en termes de chiffre d’affaires est très grand. Cette situation se ressent également dans les stations-service de la ville de Ouagadougou.

En effet, après l’ambiance chaude des maquis et boîtes de nuit, nous avions voulu nous approvisionner en essence aux environs de 24h. Mais quelle ne fut notre surprise de constater que toutes les stations étaient pratiquement fermées, même celles qui fonctionnent 24h/24. A quand une reprise normale des activités nocturnes à Ouagadougou ? Cette question, beaucoup de gens se la posent d’autant plus que la paix demeure le seul gage de développement d’un pays et de l’épanouissement de ses citoyens.

Mady KABRE et Raphaël KAFANDO

Sidwaya