Retour au format normal
lefaso.net

Gouvernance sanitaire au Burkina : Un secteur oublié depuis 24 ans ?

mardi 17 mai 2011.

 

« Le développement harmonieux du Burkina, où l’homme est au cœur de tout système, passe par une révolution sanitaire ». Conviction de Angelain Bekuoné Poda, Doctorant en droit de la santé. Dans l’écrit qui suit, il épluche, sans détours, ses convictions par rapport à la gouvernance sanitaire au Burkina Faso.

L’élection présidentielle est derrière nous ; elle a emporté avec elle ses lots de promesses. Aujourd’hui, les vérités apparaissent dans leur nudité tragique pour les Burkinabè qui ont porté leur choix sur le locataire actuel de Kosyam. La crise ivoirienne est venue un peu occulter les dures réalités du pays des Hommes intègres. Beaucoup de Burkinabè, passionnés par ladite crise, ont oublié que le prix des soins a doublé et que désormais, il va leur être encore plus difficile de se soigner. Ils ont oublié aussi que Simon Compaoré hausse le ton pour sa fameuse TDC (NDLR : Taxe de développement communal). Aujourd’hui, l’inondation des promesses électorales est inévitablement déjà passée ; il faut maintenant faire place à la gestion des sinistrés électoraux.

La hausse du prix des actes médicaux dans les établissements publics de santé hospitaliers : est-ce là le cadeau du Président élu à ses électeurs ?

Par un arrêté conjoint n°2010-236/MS/MEF, portant tarification des consultations dans les établissements publics de santé hospitaliers du Burkina Faso, le gouvernement a choisi de répondre à la difficulté d’accès des soins des Burkinabè par une augmentation du prix d’accès auxdits soins. Cela pour, dit-il, offrir des soins de qualité à la population. Et si ce nuage de cendre était juste là pour cacher l’incompétence du gouvernement à organiser les ressources humaines du ministère de la Santé, notamment celles chargées des soins ?

Je me pose la question de savoir si cet arrêté, vu le contexte de pauvreté des Burkinabè dans leur grande majorité, n’est pas illégal, voire anticonstitutionnel. En effet, l’augmentation du prix des actes médicaux, et la réorganisation des soins touchent à un droit essentiel garanti par la Constitution : le droit à la santé. Le droit à la santé est un droit reconnu par la Communauté internationale comme « un droit fondamental » depuis l’adoption de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, en 1946. La Constitution burkinabè l’a entériné en son article 26, et l’Etat s’est engagé à le promouvoir. C’est un droit qui a une prééminence sur toutes les politiques économiques. Voilà pourquoi dans l’organisation des soins, le gouvernement ne doit pas voir la rentabilité, mais le pouvoir d’achat des populations. Sans jeter une pierre à la médecine traditionnelle (quand elle est pratiquée par de vrais spécialistes, elle produit de meilleurs résultats), je suis obligé de constater que la politique actuelle du gouvernement est une incitation à y recourir. Or, l’on sait que cette médecine traditionnelle regorge, de nos jours, de beaucoup de charlatans. Par conséquent, si elle redevient le pilier des soins de premiers recours, le Burkina aura regressé de cinquante ans.

De l’insuffisance de la politique préventive

Au Burkina Faso, la situation de la santé des populations n’est pas reluisante. La difficulté d’accès aux soins est une réalité quotidienne pour nombre de Burkinabè. Pire, on a même l’impression que la volonté politique et l’engagement des pouvoirs publics font défaut. L’Etat providence a disparu et la solidarité familiale prend du recul du fait de la paupérisation galopante. L’Etat ne fournit aucun effort (si l’on veut sérieusement apprécier selon les objectifs qu’il doit atteindre), en tout cas pas assez (pour peu que l’on veuille prendre en compte les quelques tentations de réalisations) pour protéger la vie des populations, bien que notre Constitution en son article 2 contraigne le gouvernement à garantir cette protection. En Afrique généralement, c’est lorsque l’on porte atteinte à la sérénité du pouvoir d’un dirigeant, qu’il évoque le caractère anticonstitutionnel des actes, jamais quand cela concerne la violation d’un droit reconnu au peuple. L’assurance maladie pour tous est encore un rêve. Nous avons une caisse de sécurité sociale qui (hélas !) semble faire plus « d’affaire » (logements, prêt à des particuliers, etc.) qu’elle ne s’occupe de la santé et des autres risques de ses adhérents.

L’accent est beaucoup plus mis sur le curatif, en oubliant le préventif (précisons que le préventif ne consiste pas uniquement à faire vacciner les gens). Apparemment, au Burkina Faso, tous les efforts sont concentrés sur la lutte contre le VIH/Sida, le paludisme et la tuberculose, oubliant presque certaines maladies et surtout leur prévention. Le défaut d’hygiène, aussi bien dans nos centres de santé (privé comme public) que dans notre quotidien est la cause de beaucoup de maladies. Ce manque d’hygiène et de précaution dans nos hôpitaux draine tout un lot de maladies nosocomiales dont personne ne parle et qui tuent silencieusement les usagers des hôpitaux.

Un service d’hygiène existe, certes, mais ses missions ne sont pas connues, et ses actions sont presque invisibles. L’ONEA nous prélève une taxe d’assainissement, mais les eaux de toilette, les urines et les eaux de ménage sont toujours déversées dans les rues dans beaucoup de quartiers dans les grandes villes. Les WC sont vidés dans les rues. A quoi servent alors ces taxes ? Nous savons tous que ces excrétas humains véhiculent de nombreux germes pathogènes. Nombre de nos maladies sont liées au défaut d’assainissement.

L’environnement est un facteur de santé, de sa qualité dépend la qualité de la santé des populations. Ici au Faso, beaucoup de quartiers sont dits viabilisés, mais ils ne le sont que sur la carte des villes. Car, dans la réalité, ces quartiers sont de véritables porcheries en saison de pluie, avec des marres pleines de crapauds, juste devant les concessions. Je ne suis pas spécialiste du domaine, mais la lutte contre le paludisme ne passe-t-elle pas d’abord par l’éradication de tous ces foyers de prolifération des moustiques, plutôt que dans la distribution approximative de moustiquaires ? A cette allure, il est peu à croire que nous atteindrons les objectifs du présent millénaire dans encore mille ans, si nous croisons les doigts et remettons tout à Dieu. Dieu, il sait reconnaître les siens, ceux qui se soucient de leur devenir. La préoccupation première de nos autorités dans les quartiers, c’est la vente des parcelles ; elles s’en foutent éperdument du reste.

De l’accès aux médicaments

Un autre point qui relève des prérogatives de l’Etat et qui pouvait soulager les populations est l’accès aux médicaments. La politique actuelle du médicament générique semble être une politique de la séduction des bailleurs de fonds. La politique du générique est insuffisante et invisible, donc non productive d’intérêts pour les patients.

Le personnel hospitalier, quel que soit son niveau, a toujours une réticence à prescrire le médicament sous le nom DCI (Dénomination commune internationale). L’habitude ou la meilleure connaissance des spécialités pharmaceutiques sous nom de marque, héritées du cursus médical ou infirmier, est souvent la raison invoquée, mais, en réalité, les délégués médicaux y sont pour beaucoup, eux qui sillonnent les cabinets médicaux pour faire la promotion de leurs produits. Les délégués médicaux jouent un rôle important dans les prescriptions de beaucoup de médecins, alors que les médicaments que les laboratoires proposent via leurs délégués locaux sont, pour la plupart, des spécialités, sinon tous. Là encore, le malade en a pour ses yeux. La CAMEG, censée défendre la promotion des MEG se cantonne sur un slogan : « Spécialités et génériques : Même chose, mais pas même prix ». Là, je suis entièrement d’accord. Mais quand plus loin la publicité dit : « Je demande mon ordonnance en générique ». Là, soyons sérieux.

Ce n’est pas « Je » qui doit demander le générique. C’est le médecin qui doit le prescrire librement, quitte à ce que le malade s’oppose à la prescription du générique. Si la CAMEG avait mis l’accent au début sur les médecins prescripteurs et les pharmaciens dispensateurs de médicaments, aujourd’hui, l’équation aurait à moitié été résolue. Moi-même j’ai été malade du palu ; j’ai demandé du générique de la CAMEG ; le médecin m’a carrément fait savoir qu’il était mieux d’acheter une spécialité, si j’en avais les moyens. Le médecin, même s’il a prêté serment de soigner, sans demander salaire, doit être motivé dans la prescription des génériques ; aussi, les marges bénéficiaires de ces médicaments doivent être revues pour inciter les pharmaciens à les vendre. Tous ces aspects vont orienter le malade pauvre à s’approvisionner dans la rue, où au moins il a l’avantage d’acheter son médicament en détail.

Comme l’Etat semble nous faire « laisse-guidon », contrôlons au moins ce que nous mangeons

La population burkinabè n’est pas totalement dédouanée. Quand la politique d’un Etat ne vous satisfait pas, chacun doit essayer de préserver son capital santé. Encore faut-il avoir les capacités de comprendre le danger qu’on court. Jetons un coup d’œil sur nos habitudes alimentaires. Les viandes consommées dans les maquis sont souvent cuites dans des casseroles rouillées. Des viandes sont grillées avec du feu non pas de bois, mais de bois améliorés avec des morceaux de pneus. Des poulets sont rôtis dans de l’huile douteuse ; cette huile sert à rôtir tous les poulets, souvent durant une semaine sans être changée. Même là encore, le gouvernement a un devoir « d’éducation », afin de sensibiliser les Burkinabè sur les dangers présents et surtout futurs de leurs actes quotidiens. Le développement durable dont on nous parle tous les jours passe aussi par ce chemin de la bonne santé.

Le niveau de développement de tout pays se mesure par l’état de santé de sa population. Il est donc urgent d’investir dans le secteur santé. Vu sur un plan microéconomique, on dira que c’est un investissement à perte, et vouloir donc augmenter les différents prix pour rendre les soins productifs de bénéfices. Lorsque, par exemple, les recettes réalisées par un hôpital public ne lui permettent pas de subvenir aux dépenses, et que cet hôpital est toujours en déficit, si le résultat de ce déficit purement économique est la bonne santé de la population, cet investissement est productif. La bonne santé est gage de croissance économique. Le Premier ministre a décidé de recruter des gestionnaires de formation comme Directeurs généraux des hôpitaux publics ; espérons que leur objectif principal ne sera pas de faire des bénéfices au détriment de l’accès aux soins. Sinon, l’hôpital pourrait être malade de la rentabilité et la santé deviendra sans nul doute une marchandise. Le développement harmonieux du Burkina, où l’homme est au cœur de tout système, passe par la révolution sanitaire.

Au Burkina, les spécialistes nous brandissent le spectre de taux de croissance qui serait en net progrès ; je ne suis pas économiste, mais je dois dire que, soit ces croissances sont réalisées dans des secteurs qui ne génèrent pas de réels effets d’entraînement sur l’ensemble des activités du pays, soit cette croissance est mal partagée. L’un dans l’autre, cette croissance ne profite pas à l’ensemble des Burkinabè qui doivent toujours payer pour se soigner, payer la scolarité des enfants, faire face à l’augmentation croissante du prix des produits de première nécessité et qui croulent sous le poids de taxes, dont l’imposition demeure discutable.

C’est dans toute cette galère, où le progrès continu nous oblige déjà à plier l’échine tous les jours, qu’on nous impose d’autres charges à longueur de jours. Dans ce théâtre de marionnettes, aucun véritable contre-pouvoir n’existe. Il est tellement difficile de tenir un rôle d’opposant que certains acteurs de la scène politique préfèrent mettre leur parti « sous protectorat » du Kosyam Naaba 1er, se déclarant qui de la mouvance présidentielle, qui de la majorité présidentielle. Notre modeste cerveau ne peut malheureusement pas faire une différence entre ces deux termes. Vivement qu’une solution palliative soit trouvée à cette hausse des prix des soins.

De la médecine privée dans le public

Dans l’absolu, cette excursion de la médecine privée dans le public n’est pas une catastrophe. Le phénomène existe dans beaucoup de pays. Mais le problème, c’est qu’au Burkina Faso, tout semble être voué au « laisser-aller ». Ouvrir une brèche aux médecins d’exercer une activité privée au sein des hôpitaux publics peut être dangereux à la longue. L’hôpital déjà vampirisé par des pratiques peu orthodoxes, sans éthique ni déontologie, où le pauvre est souvent abandonné sous les arbres, il faut un encadrement strict de la loi et surtout un contrôle bien suivi. Sinon, on va vers la consécration d’un « véritable îlot de médecine libérale au sein des hôpitaux publics ». L’arrêté conjoint n’est visible dans aucun média actuellement ; il est donc difficile de savoir l’encadrement de cette activité. Mais, elle court le danger de voir les médecins friands de « gombo » diriger systématiquement leurs patients vers les plages horaires privées qui leur sont réservées.

Surtout que nos hôpitaux publics gémissent déjà dans un carcan de désordre où les directeurs n’ont aucune autorité sur les activités des médecins. C’est ainsi que des professeurs chefs de service ont un quart de pied à l’hôpital, trois quarts de pied dans leur cabinet privé et un pied dans une autre clinique privée (car généralement leur cabinet n’a pas un plateau technique très étoffé). Tout cela au nez et à la barbe du ministère et de l’Ordre des médecins, qui peinent à trouver la chimiothérapie adaptée pour enrayer ce cancer qui ronge le service public hospitalier. Les effets pervers de cette introduction du privé dans le public doivent être contenus pour éviter la dictature des grands professeurs qui sont si heureux de nous dire qu’ils « sont seuls » dans leur discipline. Si ce n’est pas ridicule, c’est égoïste et cynique de se complaire d’être le seul spécialiste dans un domaine en médecine au Burkina. Ces grands professeurs devraient avoir honte de n’avoir pas pu former de « petits ». Le savoir, dit-on, n’a de valeur que s’il est partagé.

Une autre chose est l’impôt. A quel régime fiscal ces médecins seront soumis lorsqu’ils exercent leur activité privée dans le secteur public ? Ou bien l’Etat leur offre un paradis fiscal ?

BEKUONE PODA Baimanai Angelain
Doctorant en droit de la santé
E-mail : podange@yahoo.fr

Le Reporter



Vos commentaires

  • Le 17 mai 2011 à 10:57, par l’ancêtre En réponse à : Gouvernance sanitaire au Burkina : Un secteur oublié depuis 24 ans ?

    Bonjour mon frère BEKUONE PODA

    Votre article touche bien un domaine sensible. Je partage entiérement votre position.

    l’ancêtre

  • Le 17 mai 2011 à 14:19, par Wendpanga En réponse à : Gouvernance sanitaire au Burkina : Un secteur oublié depuis 24 ans ?

    {}Merci Bekuone, tu as diagnostiqué le vrai problème de notre cher pays. Nous sommes de braves populations qui cherchons à vivre dans la paix et la prospérité. Mais l’égoïsme de l’être humain érigé en système de réussite sociale dans notre pays, nous empêche d’avoir des actions magnanimes de développement intégral pour tous sans exception, sans discrimination d’appartenance politique, religieuse, ethnique, régionale, villageoise, sensibilité,... et que sais-je encore. Bref, il s’agit de refuser tout ce qui retient notre pays à la remorque des bailleurs et des directives d’autres nations qui luttent aussi pour vivre heureux. Soyons solidaires en humanité avec elles mais nous n’avons pas le droit de consentir à leurs directives sur nous pour leur bonheur mais pour notre malheur. La situation est tellement compliquée et complexe que mes quelques lignes ici restent insignifiantes mais notre développement doit passer par beaucoup de sacrifices individuels, collectifs et nationals... autrement nous serons toujours sous-développés et dans la misère... Ne nous trompons, pas le semblant de progrès que quelques infrastructures citadines et la prospérité individuelle de quelques personnes au Faso ne sont que de la poudre aux yeux et même que cela, mal exploité, contribue à maintenir le pays dans la misère... Notre émergence n’est pas pour demain dans une telle ambiance...

  • Le 17 mai 2011 à 18:59, par triste et écoeuré En réponse à : Gouvernance sanitaire au Burkina : Un secteur oublié depuis 24 ans ?

    merci beaucoup pour cet article car en effet ce secteur de la santé semble oublié alors que je pense que c’est le plus important. Un peuple malade ne peut être productif.
    Savez-vous qu’il existe un bâtiment dans l’enceinte de l’hôpital Yalgado, a coté des Urgences Médicales devant abriter un service de Médecine Nucléaire ?? peu de gens le savent.
    Il s’agit d’un service dans lequel on fera de l’imagerie de pointe pour de multiples diagnostics dont de nombreux cancers. Ce bâtiment est fin prêt depuis près de 2 ans, des équipements très couteux y stagnent depuis plus d’1 an et le personnel formé pour y travailler est au chômage technique… Tout ceci financé par un organisme international.
    Quelle honte… Qui doit décider quoi ? Personne ne le sait et ceux qui doivent le faire s’en moquent. Qui en pâtit ? et bien les patients. Les plus chanceux et les mieux nantis sont évacués vers d’autres cieux pour ce genre d’actes médicaux.
    Et avec ce genre de comportement on espère avancer au Faso ? Moi ca me dégoute tout simplement.

    • Le 17 mai 2011 à 19:52, par pierre En réponse à : Gouvernance sanitaire au Burkina : Un secteur oublié depuis 24 ans ?

      Je ne sais si ce que vous dites est vrai, mais si c’est vrai c’est très grave. Je vais faire un tour et interroger des gens. Mais je ne comprends aussi pourquoi l’organisme qui a financé ça ne réagi pas. Il n’a pas financé un tel joyau pour qu’on le laisse aux margouillats et autres lézards. Pauvre de nous. Comme le dit l’auteur de cet article. Vivement une révolution sanitaire au BUrkina

      piere