Retour au format normal
lefaso.net

LETTRE A SON EXCELLENCE LE PREMIER MINISTRE : "Il faut rompre avec cette conception selon laquelle même une dolotière peut-être haut-commissaire"

jeudi 12 mai 2011.

 

Dans la lettre ci-dessous adressée à Son Excellence Monsieur le Premier ministre, l’Amicale des agents et cadres de l’administration générale (ACAG) fait une lecture d’ensemble de l’administration publique burkinabè qu’elle voudrait "Républicaine" et débarassée des oripeaux de l’inégalité et de l’inféodation. En somme une réorganisation de l’administration en vue de lui insuffler une nouvelle dynamique.

Lettre ouverte à son Excellence le Premier ministre.

Nous avons l’honneur, au nom de l’Amicale des agents du cadre de l’administration générale (ACAG), de vous féliciter pour votre nomination à la tête du gouvernement du Burkina Faso. Cette nomination nous donne l’opportunité d’appeler votre attention sur certains points susceptibles d’imprimer une nouvelle dynamique de performance à notre administration et d’en faire une administration véritablement républicaine. Il s’agit de la réforme en profondeur du Ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la Sécurité (1), de la dépolitisation de l’administration du territoire (2) et de la création d’une administration électorale (3).

Mais avant, permettez-nous de vous présenter brièvement l’Amicale du cadre des agents de l’administration générale. L’Amicale des agents du cadre de l’administration générale est une association créée en 2007 et reconnue suivant récépissé n°2008-00838/MATD/DGLPAP/DOASOC du 5/12/2008. Elle regroupe en son sein des spécialistes en administration publique (Administrateurs civils, Secrétaires administratifs, Adjoints administratifs et Adjoints de secrétariat) et a pour but de promouvoir les échanges professionnels et la solidarité entre ses membres. Contrairement à l’appellation "Administration générale", les agents du cadre de l’administration générale ne sont pas des généralistes en Administration mais des agents ayant une formation axée sur trois domaines d’excellence à savoir :
- le management des organisations ;
- la gouvernance territoriale ;
- l’administration électorale. Monsieur le Premier ministre, Cette présentation permet de vous situer sur l’étendue des compétences dont dispose notre pays dans ce secteur.

Ces compétences continuent de se renforcer depuis l’année 2000 par le recrutement et la formation à l’ENAM de centaines d’élèves et d’étudiants issus de nos lycées et universités. Le renforcement des effectifs et des capacités des agents du cadre de l’administration générale sont des réponses apportées à des défis nouveaux. En effet, dans notre pays, beaucoup de données politiques, économiques, sociales et culturelles ont évolué. L’Etat de droit républicain s’installe progressivement. Des efforts certains sont réalisés en matière de respect des libertés individuelles et collectives.

De nos jours, Il n’est plus question d’une administration de commandement mais plutôt d’une administration de gouvernance. Il n’y a plus d’administrés mais des citoyens critiques et désireux de prendre part à toute action qui les concerne. Face à l’émergence de ces enjeux nouveaux, l’administration doit opérer une mutation en profondeur. Elle doit servir l’intérêt général, promouvoir la compétence en se reposant sur le principe d’une administration républicaine. Elle doit travailler à rendre tangible les règles de promotions hiérarchiques et de bonne gouvernance, ceci en bonne intelligence avec tous les acteurs de développement de notre pays.

Il importe de faire du principe de l’égalité des citoyens devant l’administration, une source de crédibilité de notre profession. Pour y parvenir, les trois (03) axes majeurs de réflexion ci-dessus cités (la réforme en profondeur du Ministère de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la Sécurité, la dépolitisation de l’administration et la création d’une administration électorale) doivent faire l’objet d’une attention particulière.

1- De la réforme en profondeur du Ministère de l’administration territoriale, de la décentralisation, et de la Sécurité

En ce qui concerne cet axe, nous nous réjouissons de l’adjonction de la sécurité au Ministère de l’administration territoriale, de la décentralisation. A notre sens, il aurait fallu tout simplement l’appeler Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation. En effet, la gestion du territoire doit être appréhendée dans sa globalité et non d’une manière parcellaire. Il ne s’agit pas de parler par exemple de la Commission électorale nationale indépendante (C.E.N.I) en l’isolant de la question de l’identification du citoyen, de la citoyenneté, de la sécurité des personnes et des biens et la sécurisation des processus.

Cette vision systémique de l’administration devrait être une préoccupation majeure. Elle signifie que l’administration est un tout cohérent où chaque partie se tient en s’articulant harmonieusement avec ses autres segments. A titre d’illustration, comment expliquer qu’après plus de cinquante ans d’existence d’un état civil formel, l’exception qu’est le jugement déclaratif d’acte de naissance soit devenue une règle de matérialisation de la citoyenneté au point qu’on l’établisse par des opérations "commando" ? Or, l’état civil est au début et à la fin de la citoyenneté. Mal maîtrisé et aux mains de personnes non professionnelles, le contrôle d’identité devient difficile voire problématique.

Et, si l’on est incapable d’identifier avec exactitude le citoyen, on sera également incapable d’assurer sa sécurité et celle de ses biens. Si l’on est incapable d’assurer la sécurité de ses biens, on sera bien embarrassé de requérir auprès de ces particuliers une quelconque contribution pécuniaire. Par ailleurs, si la cohérence de l’administration n’est pas établie, comment pourrait-on mettre à la disposition des collectivités territoriales l’ensemble des outils, des compétences et des ressources susceptibles d’impulser le développement local.

Monsieur le Premier ministre, Les aspects ci-dessus évoqués sont nécessaires mais ne sont pas suffisants si la part des choses n’est pas faite entre administration publique et politique.

2- De la dépolitisation de l’administration

L’administration est le bras outillé de la mise en œuvre des grandes orientations du politique, cela est un fait. Elle doit exercer sa mission en toute loyauté, mais aussi en toute impartialité. Aucune action discriminatoire ne doit être perçue par les citoyens dans ses actes quotidiens. La maison "administration" doit être le sanctuaire de la légalité, de l’égalité de l’impartialité, de l’efficacité et de l’efficience. Aucune coexistence n’est possible avec des sous-sanctuaires politiques et ou religieux. Les agents de l’Etat qui officient dans ces sanctuaires doivent être ceux-là qui ont été formés à cet effet. Par ailleurs, le territoire national est aujourd’hui subdivisé en collectivités territoriales.

Les gouvernements locaux d’élus, d’essence politique, doivent jouer entièrement et totalement leurs partitions. Il faut rendre effectif le transfert des compétences et des ressources vers ces entités décentralisées. Elles ont en charge la définition et la mise en œuvre des politiques, des projets et programmes de développement de leurs ressorts. Ainsi, et à titre d’exemple, la célébration tournante de la fête de l’indépendance est une occasion selon le gouvernement de faire des investissements dans les régions. Malheureusement, ses investissements sont coordonnés et mis en œuvre par les gouverneurs au détriment des présidents des Conseils régionaux. Pire, des fonctionnaires admis à la retraite sont réquisitionnés et placés à la tête des gouvernorats à cet effet et pour d’autres raisons.

Il faut mettre fin à ces pratiques qui ont le désavantage de plomber la décentralisation et de frustrer les élus locaux. Sans occulter la question discrétionnaire des gouvernants, l’Administration, dépositaire de l’autorité de l’Etat dans les circonscriptions administratives, quant à elle, doit jouer son rôle régalien (la tutelle, l’appui conseil etc.). Toute confusion doit être évitée à ce niveau. Pour ce faire, notre administration doit être véritablement républicaine. Les hommes et les femmes qui en ont la charge, doivent être des professionnels et inspirer la confiance des citoyens par leur savoir-faire et leur impartialité.

Ils doivent avoir, en dehors du poste de nomination, un traitement salarial et indemnitaire décent. Fort de cet acquis, la population n’aurait plus à se poser la question de savoir qu’est-ce qu’un postier ou un infirmier, ou encore un enseignant fait au poste de gouverneur, de Haut- commissaire, de préfet. Elle ne ferait aucune confusion entre les symboles de l’Etat et autres choses. Il faut avoir le courage de rompre avec cette conception de l’administration selon laquelle "Même une dolotière peut être Haut-commissaire".

Monsieur le Premier ministre, Si cette deuxième condition est remplie, on pourra envisager plus sereinement la question épineuse des élections.

3 - De la création d’une administration électorale

La dernière élection dans notre pays s’est déroulée dans des conditions particulières. Cette situation n’a pas été le fait des candidats, mais plutôt de la structure chargée de l’organisation des élections. Malheureusement, tout cela n’est pas nouveau. Des défaillances ont été constatées dans la quasi-totalité des scrutins organisés ces dernières années dans notre pays.

La conception systémique de l’administration peut résoudre définitivement la question, en termes de coût et de performance de l’organisation des élections, sans pour autant contester le bien-fondé de la CENI ; tout simplement en se fondant sur la raison d’être des parties prenantes à la question. Les partis politiques sont créés pour la conquête du pouvoir, la société civile pour défendre des valeurs qui lui sont propres. A ces titres, ces deux structures constituant la CENI ont pour rôles de guider, superviser, suivre, contrôler et évaluer le processus électoral. La mise en œuvre matérielle du processus revenant de fait et de droit à l’administration qui est mieux outillée. Il serait donc judicieux de mettre en place une administration électorale performante, constituée de personnes au- dessus de tout soupçon.

Quant à la question de la confiance à l’administration, il est établi que la méfiance est la chose la mieux partagée au Burkina Faso. Entendre de la bouche d’un politicien qu’il n’a pas confiance en l’administration est une infamie puisque lui-même n’est pas au-dessus de tout soupçon. Tenter aussi de mettre l’administration électorale à la solde serait criminel car préparant le lit à des élections à contestations violentes. On peut cependant, autour d’une table, aplanir certaines divergences pour aller à l’essentiel. A savoir, construire un pays de paix et de justice. Mais pour cela, il faut que chaque acteur accepte avec humilité que la construction de notre démocratie est une œuvre collective. Sachant compter sur votre sens élevé du dialogue et de l’écoute, nous vous prions d’agréer, Excellence, l’expression de notre haute considération.

Le bureau exécutif E-mail : amicalagentsag@yahoo.fr

Le Pays



Vos commentaires