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Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

jeudi 7 avril 2011.

 

Mon séjour tire à sa fin et je m’apprête à quitter Accra après la qualification de l’USFA en coupe CAF par forfait. Mais quand je serai à Ouaga, je n’oublierai pas que dans cette ville, la situation en Côte d’Ivoire est aussi commentée comme au « Golf » du journal. Chez un compatriote, qui tient boutique non loin de Victory, on parle beaucoup de Gbagbo et de Ouattara avec une certaine passion. Il y a aussi cette Ivoirienne qui a fui le pays et dont les études sont compromises par la guerre des intérêts.

Cela fait six jours que je suis à Accra et je me porte comme un gardon bien que j’aie des courbatures. Après ma première lettre, vous savez pourquoi je ne suis pas rentré comme prévu à Ouagadougou le mardi 5 avril 2011 ? L’Africa ayant demandé le report de son match contre l’USFA pour 48 heures avec l’accord de la CAF, mon séjour a été remis à plus tard.

Je rappelle que le match devait se jouer le dimanche 3 avril, mais un cas de force majeure a empêché les Aiglons d’être au rendez-vous. Une nouvelle date a été fixée et c’est celle du 5 avril à 15 h au stadium d’Accra. Le matin de ce jour, je me suis réveillé de bonne heure. Je passe sous la douche et après un brin de toilette, je ne mets pas du temps à m’habiller. Je regarde ma toquante. Il est 6 h. je sors de la chambre et au moment de fermer la porte, je croise une jeune fille dans le couloir. Elle me salue. Je fais de même.

- « Monsieur, pouvez-vous me laisser votre clef pour que je puisse faire le ménage ? », me demanda-t-elle.

- « Pas de problème, ma sœur », lui répondis-je.

La jeune fille inconnue m’a parlé en français. Je suis surpris et je la regarde attentivement. C’est la première fois que je la vois alors que je suis à Victory hôtel depuis le 1er avril.

- « Avez-vous oublié quelque chose dans la chambre ? », me questionne-t-elle.

Je lui réponds que je n’ai rien oublié mais que depuis que je suis là, à part mes compagnons de voyage, on ne parle que l’anglais à la réception. Elle me regarde, un sourire en coin. Il y a cinq minutes que nos causons et elle me dit qu’elle est Ivoirienne. Je reste muet de surprise. Elle me quitte pour aller vaquer à ses occupations.

L’homme de Pouytenga

Je descends et je vais à mon lieu habituel déjeuner. Il y a du monde comme d’habitude et la plupart des clients sont des Burkinabè. Le boutiquier est originaire de Pouytenga, dans la province du Kourittenga. Il répond au nom de Drissa Kaboré.

Il est à Accra il y a un an. A mon arrivée, c’est le même sujet qui alimente la conversation : la Côte d’Ivoire. En regardant ce petit monde, j’ai immédiatement pensé à ceux du journal qui se retrouvent chaque midi sous un arbre appelé le « Golf ».

A cette heure, ils doivent être certainement à leurs postes impatients de commenter ce qui se passe au bord de la lagune Ebrié. Comme au « Golf », ici aussi on n’est pas tendre avec Gbagbo dont on souhaite rapidement la chute. On parle, on gesticule, on profère des injures, on tape même sur la table parce que Gbagbo défie tout le monde.

Je vous le dis, l’insanité de certains propos est révoltante. Assis et attendant ma commande, je les écoute mais en réalité je pense à la jeune fille inconnue que je viens de quitter il y a quelques instants. Au moment où la discussion est chaude, arrive un homme qui s’invite à la causerie. Tous ces gens se connaissent et il y a certains qui sont de passage et ils viennent de Ouaga pour les affaires.

Le nouveau venu, sans même laisser d’autres terminer ce qu’ils ont à dire, ranime le débat. Selon lui, Gbagbo est un homme et sans l’ONUCI et la Licorne, les Ouattara et consorts allaient cesser de rêver du pouvoir.

Le général Mangou, ajoute-t-il, est de retour après avoir pris des plans à l’ambassade d’Afrique du Sud en Côte d’Ivoire et c’est maintenant que la guerre va commencer. « Vous allez voir, ce pays va prendre feu et si ça ne marche pas pour Gbagbo, Ouattara, Soro, Watao et les autres mourront avec lui », dit-il un peu énervé.

A peine a-t-il vidé son sac que le boutiquier demande à tout le monde de garder le silence. Le poste collé à l’oreille, il écoute les informations d’Afrique Matin de RFI. Il se retire même un moment dans un coin de sa boutique alors qu’il n’a même pas fini de me servir. C’est incroyable !

L’homme de Pouytenga ressort et annonce que Gbagbo est en difficulté et il a engagé des pourparlers pour sa reddition. On rit aux éclats et quelqu’un de demander dans quel pays il ira. On rit encore à gorge déployée et certains s’aperçoivent que leur café a refroidi. On sirote quand même son verre.

L’homme de Pouytenga prend la parole et déclare que Gbagbo, Blé Goudé, Affi N’Guessan et ceux qui sont avec eux sont finis et qu’ils ne pourront plus sortir du pays. Les Watao, s’empresse-t-il d’ajouter, s’apprêtent à lancer l’assaut final à la présidence et on ne parlera plus d’eux.

Le partisan de Gbagbo retourne à la charge et affirme que les Français qui soutiennent Ouattara sont des profiteurs, lesquels s’intéressent seulement au cacao. Or, c’est ce que Gbagbo refuse et on veut le chasser du pouvoir. Une autre voix se fait entendre : « Mady, dans quelques jours, tu ne viendras plus ici et même si tu reviens, tu vas te taire ».

En route pour le stadium

Fatigué de ce charivari, je retourne à l’hôtel où la jeune fille inconnue est en train de nettoyer une chambre. Elle me remet ma clef. Je veux lui parler mais je me sens un peu gêné. Elle ne sait pas qui je suis et j’ai lu quelque part, dans un livre, que les femmes se méfient de ceux qui les importunent quand c’est une première rencontre. A la voir, je sens qu’elle n’est pas au Ghana pour rien.

Mais comment vais-je procéder pour l’aborder ? Il faut trouver une astuce pour qu’elle ne pense pas que je veux lui conter fleurette. Tout à coup, une autre fille, qui travaille avec elle, lui parle en anglais. Je me dis que c’est une aubaine et quand l’autre s’est éloignée, j’ai aussitôt dit qu’elle a la chance de parler le français et l’anglais. Moi, c’est la troisième fois que je viens au Ghana et j’ai toujours des problèmes quand je veux acheter quelque chose. « De quel pays venez-vous ? », me demande-t-elle.

Je réponds que je viens du Burkina pour un match qu’une de nos équipes doit livrer contre un club ivoirien. Elle paraît surprise et je n’hésite pas à lui demander si elle Ghanéenne.

« Ma mère est Ghanéenne et mon père est Ivoirien », me confie-t-elle. Mon portable sonne. J’écoute celui qui m’appelle. C’est le chef de mission qui me dit d’informer les autres que le car n’aura pas le temps de venir nous chercher parce que l’USFA doit être au stade à 13 heures.

Le DG de l’OGIS nous demande de venir directement au stade avec un taxi et il nous remboursera le prix de la course. Pour ne pas traîner à cause des embouteillages, j’explique à la jeune fille inconnue ce que je viens d’entendre en promettant de la revoir si bien sûr cela ne la gêne pas. Elle hoche la tête.

La colère de Marcel Njipendi

Le temps est ensoleillé quand je quitte Victory hôtel avec trois autres confrères. Le taxi nous dépose au stadium d’Accra et nous payons la course à (5 cédis, environ 1800 FCFA). L’USFA est déjà sur place.

L’Africa Sport, lui, n’est pas là. Toutefois, on se dit que les Aiglons peuvent arriver à tout moment et aller directement au stade puisque le coup d’envoi est prévu pour 15 heures. Je jette un coup d’œil dans les tribunes. Aucun spectateur pour le moment et le stadium est pratiquement vide. Les Ghanéens, grands supporters devant l’éternel, sont-ils tous au courant qu’un match de football a lieu cet après-midi sur leur sol ?

Sur la pelouse, des pique-bœufs se promènent tranquillement en picorant je ne sais quoi. A 14 h 10, les arbitres libériens arrivent au stadium accompagnés d’un motard. L’arbitre, Jerry Yekeh, et ses deux assistants Johnson Elisha et Anthony Dopoh vont dans leur vestiaire et ressortent quelques minutes pour aller inspecter le terrain. Après cela, ils vont se changer pour revenir faire du footing.

Pendant ce temps, l’USFA a déjà porté les noms de ses joueurs sur la feuille de match et attend l’heure du match. L’Africa n’est toujours pas là et visiblement, le forfait se dessine. A 15 h, les militaires se présentent sur le terrain. Ils s’entraînent en attendant les hostilités. Le trio arbitral est vers la ligne de touche. Jerry Yekeh regarde sa montre et à 15 h 16, il siffle. Vous l’avez compris, l’USFA est déclarée vainqueur par forfait de l’adversaire. Les joueurs exultent. Ils sont qualifiés pour les huitièmes de finale de la coupe CAF et affronteront Sunshine Stars du Nigeria dans trois semaines.

Le commissaire au match, le Camerounais Marcel Njipendi, salue les arbitres et accepte de s’entretenir avec la presse. Selon lui, quand l’adversaire est absent il y a forcément un vainqueur et ce sont les burkinabè de l’USFA. Le match, rappelle-t-il, a été repoussé de 24 heures à la demande de l’Africa et finalement il n’est pas venu.

Ce qu’il ne comprend pas, c’est le fait que les dirigeants de ce club n’ont même pas eu la courtoisie d’appeler et qu’il est contraint de payer des frais supplémentaires à la compagnie qui doit le ramener au Cameroun. Il était dépité et pense que quand une situation vous empêche de faire le déplacement, ce n’est pas la peine de forcer les choses.

Côté burkinabè, on est naturellement aux anges. Pour le chef de mission, Boukaré Zoungrana, ce fut un déplacement difficile compte tenu du report du match alors qu’on devait passer quatre jours. Mais la victoire est là et elle a été méritée. Concernant l’organisation, il a dit que les charges revenaient aux deux équipes et le ministère des Sports et des Loisirs a respecté ses engagements. Maintenant, il ne reste qu’à l’Africa de s’acquitter des 50% restants et c’est à la CAF de s’adresser à la Fédération ivoirienne de football (FIF).

Le président de la section football du club militaire, le colonel Yacouba Ouédraogo, n’a pas non plus caché sa satisfaction. Selon lui, c’est une victoire qui est bon à prendre et son équipe pense à son prochain adversaire. Mais il aurait voulu affronter l’Africa parce que cela leur permet de connaître leur vraie valeur. « Les Ivoiriens ne sont pas venus et peut-être qu’un jour, on se croisera dans une autre compétition », dit-il.

Natacha Konan

Le car nous ramène à M-Plaza hôtel et de là-bas, c’est en taxi que je rejoins Victory hôtel. La rédaction de ma lettre tire à sa fin. Dois-je conclure ? Je vois que vous êtes impatients de savoir l’histoire de la jeune fille inconnue. La veille de mon départ d’Accra, c’est-à-dire le mercredi 6 avril 2011, nous nous sommes revus.

Elle s’appelle Natacha Konan. Comme vous le savez déjà, son père est Ivoirien et sa mère Ghanéenne. Elle a quitté la Côte d’Ivoire où elle résidait à Abobo. Un quartier cosmopolite en proie à des combats aux armes lourdes. Natacha est élève dans l’établissement des cours Loco où elle fait le BTS comptabilité.

Mais avec la guerre, elle ne peut se rendre à l’école et, depuis un certain temps, la famille de sa mère ne cesse de l’appeler pour qu’elle vienne au Ghana. Un matin, Natacha quitte Abobo et se retrouve à Abengourou non loin du Ghana où elle parvient à rentrer à Accra. Il y a dans ses paroles un accent de sincérité qui me touche profondément. Ses études sont compromises et pour ne pas rester ici sans rien faire, elle travaille à mi-temps à Victory.

Natacha a appris l’anglais à force de rendre souvent visite à sa mère, mais elle ne sait pas écrire dans cette langue. Elle veut s’inscrire dans une école pour apprendre l’informatique et voir si elle peut parallèlement à cela continuer ses études de BTS. A la question de savoir ce qu’elle pense de la crise ivoirienne, elle m’a dit qu’elle n’est d’aucun camp et préfère que Gbagbo et Ouattara partent pour que la paix revienne dans le pays.

« Ce que le président Houphouët-Boigny a bâti depuis l’indépendance, ils sont en train de tout détruire. La haine s’est installée partout et tous les Ivoiriens ont perdu leurs repères ». A dire vrai, elle m’a laissé paraître son désappointement.

Natacha me quitte vers les 15 heures. Une fille que la guerre a fait partir d’Abidjan. Elle n’est d’ailleurs pas seule à vivre ce calvaire. Une fois dans ma chambre, je commence à ranger mes affaires. Je suis pressé de rentrer au pays parce que j’ai des vacances à prendre.

Je n’irai pas à l’extérieur. Il y a un petit village qui m’attend dans le Boulgou. La campagne me manque et quand je serai là-bas, je vais cultiver les muses. On n’abandonne pas un recueil de vers en préparation.

Justin Daboné

L’Observateur Paalga



Vos commentaires

  • Le 7 avril 2011 à 05:23 En réponse à : Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

    Qui est Justin Dabone ? Je soupconne qu’ il doit avoir une licence ou une maitrise en literature. Il ne nous a pas tout dit de son histoire avec sa Konan de refugiee. Il ne peut meme pas tout nous dire mais on a aime ce qu’ il a pu nous dire, en menageant le suspense jusqu’ au bout...Non. Il reste un tout petit quelque chose. Comme ce Gabriel Koundjoro dans son brillant reportage avec la prostituee d’ un soir a Bobo et dans sa chambre d’ hotel. Il est tellement agreable a lire, cet Dabone. Felicitations...

    LOP.

  • Le 7 avril 2011 à 06:15, par frèrecon En réponse à : Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

    bel article, je te félicite mon cher. je crois que l’obs devrait d’envoyer le plus souvent en mission pour qu’on se délecte de tes écrits de ce genre. d’un point de vue narratif, c’est ok avec l’intrigue principale basée sur la rencontre avec l’ivoirienne. mais là tu n’as pas tout dit. en bon burkinabé tu as "chut" ...touché la pépé. surtout que les ivoiriennes ont la chose là intacte ??? bon c’est bon d’avoir toujours le dessus au propre comme au figuré...avec les filles. et en ce moment çà fait beaucoup à zéro. l’usfa gagne l’africa, les burkinabé gagnent sur gbagbo et justin sur konan natacha..

  • Le 7 avril 2011 à 14:42 En réponse à : Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

    Je dois avouer que c’est avec plaisir que j’ai lu tes récits. J’ai aimé celui du voyage au Cameroun aussi. Mais entre nous, est-ce que tu ne t’es pas tapé la petite-là ? tu as tronqué l’histoire la concernant. Malgré tout bravo !

  • Le 7 avril 2011 à 16:11, par Benebnoma En réponse à : Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

    franchement tu es bon, en toute sincérité. voilà qui fait la fierté des lecteurs, style propre ! toutes mes félicitations et courage à toi. mais sache que ceux qui t’écrivent à propos de la jeune fille le font juste pour te takiner, ce qu’on fait avec bon coeur et avec intégrité c’est ce qu’on ose relater. bon vent !!!

  • Le 7 avril 2011 à 16:53 En réponse à : Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

    Je suis toujours ravis de lire tes écrits. Encore félicitation et bon suite pour ta carrière (même si vous sembliez ....) . j’aurai souhaité vous lire très régulièrement

    Par un de vos admirateurs

  • Le 7 avril 2011 à 18:24, par Satisfait En réponse à : Lettre d’Accra : Le boutiquier, les clients et Gbagbo

    Très bon papier,félicitations car cela nous change de ces reportages rebarbatifs. Vivement, d’autres écrits d’une telle facture.