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Situation nationale : Manifestation violente d’une crise de confiance

mercredi 16 mars 2011.

 

Depuis quelque quatre semaines, le Burkina tout entier est secoué par une autre affaire Zongo, du nom de l’élève Justin Zongo, décédé le dimanche 20 février 2011 dans des circonstances jusque-là non élucidées. Mort naturelle, comme le soutiennent les autorités locales ou plutôt bavures policières, comme le crie l’entourage du défunt ?

Les versions contradictoires ont produit un arc électrique dont la décharge a touché tout le pays. En effet, au cours d’une rencontre tenue le mardi 22 février, et en présence du ministre de la Santé, Seydou Bouda, les autorités locales de la région du Centre-Ouest, ont avancé la version de la mort naturelle :

« Il [NDLR : L’élève] est revenu le 17 février, référé par le CSPS de Ralo pour les mêmes motifs. Après les examens, le corps médical a conclu qu’il souffrait toujours de la méningite. Malgré les soins, Justin Zongo est décédé le dimanche 20 février à 2h du matin ». Explications fournies par le docteur Berthe Souly de l’hôpital de l’Amitié de Koudougou.

Mais pour les parents et camarades de classe du défunt, la couleuvre est trop grosse pour être avalée. D’autant que, clament-ils, l’élève portait des signes de sévices corporels chaque fois qu’il revenait de la police où une plainte avait été déposée contre lui par une condisciple.

La suite, on la connaît. De Koudougou, épicentre de la contestation, puisque c’est là qu’est survenu le drame, à Ziniaré, patelin du chef de l’Etat, en passant par Ouahigouya, Ouagadougou, Dori, Fada, Léo, Koupéla, et nous en passons, un vent de fronde, plus ou moins violent, souffle contre tout ce qui symbolise l’Etat : gouvernorat, mairie, commissariat de police, palais de justice, sont pris pour cibles par des foules de manifestants qui scandent : « Justice et vérité pour Justin Zongo ! ». Jusqu’où évoluera cette nouvelle friture sociale dont le bilan humain se chiffre déjà à neuf morts (tous à Koudougou) et une centaine de blessés auxquels s’ajoutent des dégâts matériels très importants ? Nul ne peut le prévoir.

D’autant qu’à la détermination des élèves et étudiants viennent s’ajouter les maladresses et autres faux-fuyants que ne cessent de multiplier le Pouvoir public et ses cerbères. Un cocktail détonant qui ne présage rien de bon. Qu’on se le dise. Dans l’absolu, on ne peut qu’être fier d’une jeunesse qui refuse, au nom de ses intérêts et de ses convictions, de se laisser conduire docilement là où elle ne veut pas.

On le sait, les universités et les établissements d’enseignement secondaire sont, par essence, des foyers inextinguibles de contestation. Sinon ils ne mériteraient pas l’appellation de temple du savoir ou de creuset de l’intelligentsia. C’est seulement sur la forme que prend cette contestation que l’on doit oui ou non désapprouver ces mouvements de mécontentement des jeunes.

Au regard de ce dernier point, l’on ne peut que regretter les actes de vandalisme enregistrés ici et là depuis le déclenchement de la crise. Car, tôt ou tard, la facture de la reconstitution de tous ces biens mobiliers et immobiliers détruits ou cannibalisés sera supportée par tous : décideurs, étudiants, élèves et parents d’élèves.

Sans compter que dans l’immédiat, les premières victimes de la mise à sac de commissariats de police, de mairie ou de palais de justice pourraient être les auteurs de ces actes de vandalisme eux-mêmes. On a toujours en mémoire la galère vécue par nombre de personnes à Koudougou pour l’obtention qui d’un certificat de nationalité, qui d’un casier judiciaire après le saccage du palais de justice de la ville au temps fort de la « crise Norbert Zongo ». Toutefois, il incombe surtout et d’abord au gouvernement de trouver les remèdes les meilleurs à cette crise au lieu de calmer le mal.

C’est vrai que dès les premiers jours de la crise, des têtes, celles du gouverneur de la région du Centre-Ouest et du directeur régional de la police, ont été offertes aux manifestants qui ne veulent pas s’en contenter. C’est vrai aussi que le ministre de la Justice a annoncé que bientôt une instruction judiciaire permettra de « faire la lumière sur les conditions de détention et de garde à vue, dans les locaux de la police, de feu Justin Zongo ».

Mais force est de constater que toutes ces décisions et autres mesures sont restées, jusqu’ici en tout cas, sans effets sur la colère des manifestants. Pourquoi ? Tout simplement parce que depuis un certain temps, gouvernés et gouvernants sont séparés par un déficit abyssal de confiance. Et ce ne sont pas les raisons qui manquent au petit peuple pour justifier sa méfiance vis-à-vis des “môgo puissants” du moment. Tant des dossiers de crimes de sang et de crimes économiques jaunissent dans les placards de nos Palais de (déni) Justice.

Tant des serments enflammés ont été trahis. Tant des paroles données n’ont pas été tenues. A force de ruser, jusqu’au mépris, avec les Burkinabè « d’en bas », les gens « d’en haut » ont fini par poser le pied sur leurs propres trappes. Alors, aujourd’hui, ils ne font que payer pour leurs propres turpitudes. Vu sur un autre registre, la crise actuelle révèle l’incapacité ou le manque de volonté des autorités à trouver les réponses aux préoccupations des manifestants. Depuis le déclenchement de la fronde, que de thérapies fumeuses et d’accusations aveugles ! A chaque jour son lot de tâtonnements infructueux.

La suspension des cours d’une semaine suivie depuis avant-hier du congé anticipé du deuxième trimestre ? Une mesure inopérante et inopportune. C’est comme un cautère sur jambe de bois. La preuve, hier à Ouagadougou, des incidents sont survenus dans plusieurs quartiers de la ville comme à la zone du Bois, aux 1200 Logements, et à Wemtenga. Autre signe de la gestion calamiteuse de cette crise, le développement de la thèse d’une conspiration contre le régime.

En effet, dans sa déclaration du 11 mars 2011 (Lire page 20) le président du parti au pouvoir, Roch Marc Christian Kaboré, n’y est pas allé par quatre chemins pour pointer du doigt une cinquième colonne à la solde de l’étranger : « Le cours actuel des événements atteste clairement à présent, que des forces occultes à l’affût se sont saisies de cette situation que nous déplorons, pour déstabiliser notre pays en accord avec leurs alliés extérieurs, comme le montre la comptabilité de cette maniaque pyromanie, savamment inoculée à notre jeunesse et largement financée ». Si tel est le cas, que, preuves à l’appui, l’on mette aux arrêts ces complices intérieurs du complot afin qu’ils répondent de leurs actes. Sinon qu’on arrête de nous saouler avec de pareilles ritournelles.

Mais une chose est sûre : suscitée ou pas par l’opposition, exploitée ou non par l’extérieur, la crise actuelle a un fond de contestation politique née des dérives supposées ou réelles du régime de Blaise Compaoré. Un signal fort vient d’être lancé. Au pouvoir d’en tirer toutes les leçons qui s’imposent.

Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga



Vos commentaires

  • Le 16 mars 2011 à 10:39, par Mark En réponse à : Situation nationale : Manifestation violente d’une crise de confiance

    Rien à dire, analyse pertinente.
    Pourvu que les mogos puissants du moment comprennent le message lancé par les manifestants, s’ils ne le comprennent pas, Justin Zongo à qui ils ont refusé justice les emportera.
    Depuis 23 ans, ils ne font que tricher avec une justice aux ordres, si le peuple ne dit rien cela ne veut pas dire qu’il est d’accord, quand le vent changera de direction, tous les dossiers tripatouillés referont surface, tôt ou tard.

  • Le 16 mars 2011 à 13:07, par yamsoaba En réponse à : Situation nationale : Manifestation violente d’une crise de confiance

    Bel Article mon cher journaliste. Au moins tout n`est pas perdu car il ya des gens qui comprennent tjrs le role du metiers de JOURNALISTE. « Dire la VERITE rien que la VERITE », dans les articles precedents, nombreux sont tes confreres qui ne savaient que condamne aveuglement les etudiants comme s`ils ne connaissent pas la situation reelle du pays, du taux tres eleve de « CRIMES IMPUNIS et Abus de pouvoir ». On dirais qu`ils n`ont pas ete etudiants, ou qu`ils n`ont pas de freres et soeurs etudiant(e)s... On ne veux que le changement !!! Bonnce chance a tous...

  • Le 16 mars 2011 à 13:23 En réponse à : Situation nationale : Manifestation violente d’une crise de confiance

    Alain : vous êtes réellement un SAINT, à part votre redacteur en Chef, je n’ai jamais vu un journaliste de l’Observateur avoir le courage de dire crument certaines verités à notre 4éme République. A certains actes immoraux de certains Môgos puissants, c’est à l’Observateur qu’on a d’ailleurs trouvé des Mercenaires de la Plume pour tenter de desinformer notre peuple.
    Bravo Alain, vous êtes parmis les vrais journalistes de notre Pays.
    Longue vie à vous.

  • Le 16 mars 2011 à 17:47, par koutou En réponse à : Situation nationale : Manifestation violente d’une crise de confiance

    C’est une analyse solide comme on en demande souvent. Comme le dit le journaliste, il faut arrêter de saouler les gens avec des thèses bidons. Personne ne cautionne les casses. Mais pour les éviter le regime doit simplement éviter de donner du grain à moudre aux eventuels casseurs. C’est aussi simple que ça. Si on est honnête on ne devrait pas se contenter de condamner les casses. On doit aussi faire allusion aux cas antecédents d’impunité sur lesquels s’appuient les casseurs. Et de fait, l’élève Zongo est allé 2 fois chez le Procureur, sans succès.