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15 octobre 1987 : Il était une fois la Rectification

vendredi 17 octobre 2008.

 
Quelques leaders du Front populaire

Au-delà du fait que l’avènement de la Rectification est le dénouement d’une crise politico-organisationnelle qui minait le CNR, la date du 15 octobre 1987 marque le début d’un processus démocratique qui aboutira à l’institution de la Constitution de la IVe République. Retour sur une date qui a mis notre pays sur l’orbite de la démocratie.

Nombre d’analystes sont unanimes à reconnaître que le 15 octobre 1987 est l’aboutissement d’une série de contradictions au sein des camarades révolutionnaires. En prenant en effet le pouvoir le 4 août 1983, les acteurs du Conseil national de la Révolution (CNR) n’ont pu mettre en place un cadre organisationnel bien approprié qui puisse mieux orienter les objectifs de la Révolution. Or, la force des révolutionnaires réside dans l’organisation dit-on.

Selon un politologue révolutionnaire, « c’est l’organisation qui permet à la Révolution dans sa marche irréversible d’éviter au maximum les erreurs en empêchant les actions individuelles isolées des militants. En d’autres termes, c’est l’organisation qui permet au peuple d’être l’artisan de son propre bonheur ». Un autre acteur du CNR convient que « Cette absence d’une avant-garde consciente et organisée a constitué dès l’avènement de la Révolution, un handicap majeur qui menaçait d’hypothéquer l’avenir de notre expérience révolutionnaire si les révolutionnaires de notre pays n’arrivaient pas à le surmonter ».

L’ambition affichée des révolutionnaires d’août 1983, à travers notamment leurs leaders Thomas SANKARA, Blaise COMP AORE, Henri ZONGO, Jean-Baptiste LINGANI et autres, il faut le souligner, était de prendre les devants des choses parce que la situation délétère du pays l’exigeait. Mais en l’absence d’une conception claire du rôle et du fonctionnement de l’organe dirigeant dans la Révolution, il s’est instauré dans la pratique des déviations que des acteurs ont même qualifié de « graves et souvent grossières non seulement dans l’approche de la question organisationnelle mais également et surtout dans la politique pratiquée dans tous les secteurs de la vie nationale ».

Durant les deux premières années de la Révolution, le CNR a fonctionné sans textes et pratiquement sans organisation interne. Toute chose qui a développé au sein du mouvement l’esprit groupusculaire. Par ailleurs, le spontanéisme était la méthode de direction prédominante au sein du CNR et le volontarisme, la ligne politique impulsée par son président, Thomas SANKARA. « Les meilleures mesures, disait-il, sont celles qui se prennent dans la surprise générale ». Cette conviction personnelle s’est traduite par la prise à son seul niveau de décisions importantes touchant la vie nationale, de préférence lors des meetings ou de discours improvisés devant la foule, et ce à la surprise générale des membres du CNR et du gouvernement. Cependant que dans le principe, les révolutionnaires fondaient leur méthode de gestion politique sur celle du Centralisme démocratique qui commande qu’au sommet, l’action soit collégiale. Des textes adoptés en 1985 précisaient le mode de fonctionnement de l’organe dirigeant qui est le CNR. Mais...

La dérive autoritaire du président du CNR

C’était sans compter avec la conviction tenace du président du CNR qui optait d’agir « dans la surprise générale », peut-être pour épater la base mais quel cas
fait-il de ses camarades de l’organe dirigeant ? La collégialité clamée ne pouvait qu’en souffrir. Et évidemment, les errements ressentis à la base ne pouvaient aussi que déboussoler les militants qui ne comprenaient plus vers où on voulait les mener, les mots d’ordre manquant de pertinence et prouvant visiblement qu’ils n’ont pas été pensés et mûris au sein d’un collège. Ainsi, le CNR, l’instance dirigeante de la RDP était politiquement sclérosé. Les principaux acteurs étaient en rupture de communication. La suspicion prenait davantage le pas sur la confiance.
Le CNR devenu l’ombre de lui-même par la volonté de son président, Thomas SANKARA, ce dernier ramena tout à lui et transforma son cabinet seul centre de décision.

En effet, la Présidence du Faso était devenue selon l’expression de ses cadres « le centre de conception, de direction et de contrôle de l’Etat ». Le président du CNR président du Faso devenait ainsi le détenteur quasi-absolu de tous les pouvoirs et ne rendait compte qu’à sa propre conscience. Dans cette perspective, Thomas SANKARA avait créé à la Présidence du Faso des départements qui chapeautaient tous les ministères auxquels il envoyait directives sur directives sans tenir compte ni des avis ni des réalités de terrain. En outre, il a voulu militariser le régime avec cette note prise courant août 1987 qui stipulait que « désormais l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) considère que celui qui s’attaque au président du CNR s’attaque à elle-même et à la révolution ». Et l’OMR était unilatéralement définie comme « L’organisation politique militaire qui participe à l’exercice du pouvoir d’Etat au sein du CNR ».

Ce qui ne manque pas d’exacerber la crise au sein de la direction politique du CNR. Une crise qui a connu son pic avec les débats contradictoires au sein du gouvernement et dans certaines structures populaires. Si fait que le président Thomas SANKARA, assez allergique aux critiques, ne présidait plus les conseils de ministres au début du mandat du Ve gouvernement.

Si les observateurs voyaient en ces disfonctionnements et errements les signes d’essoufflement de la Révolution d’août, ils étaient loin d’imaginer que le président du CNR, Thomas SANKARA se refuserait à une lecture critique de l’avancée de ce processus révolutionnaire pour voir en ses échecs le fait de manigances de ses principaux collaborateurs et non de la révolution elle-même, de sa direction et des sacrifices qu’elle exigeait à un peuple, las d’attendre les retombées de son engagement et exacerbé par les abus des CDR. La plupart des structures révolutionnaires avaient commencé à désobéir aux mots d’ordre du CNR. Le 2 octobre 1987 à Tenkodogo, jour anniversaire du DOP (Discours d’orientation politique), le responsable national des étudiants parlant au nom de la jeunesse n’a pu s’empêcher de dénoncer la déviation militaro-fasciste du CNR. Thomas SANKARA considéra ce discours comme une attaque contre sa personne au lieu de reconnaître ses torts et de s’amender. Ainsi, il opta pour la manière forte en créant la Force d’intervention du ministère de l’Administration Territoriale et de la Sécurité, une force militaire, qu’il confia au mercenaire Vincent SIGUE. L’objectif était de se débarrasser des autres chefs historiques du CNR notamment Blaise CAMPAORE afin de rester, seul maître à bord. Du reste en conseil des ministres du 14 octobre 1987, le ministre de l’Administration Territoriale et de la Sécurité, Nongma Ernest OUEDRAOGO, qui savait bien de quoi il parlait, a justifié la création de la FIMATS en ces termes : « Pendant longtemps, nous nous sommes occupés de nos ennemis ; maintenant nous allons nous occuper de nos amis ».

Tout est dit et plus rien ne devrait surprendre.

Le décor du règlement de comptes était ainsi bien planté. Un plan de liquidation des chefs militaires, Blaise COMPAORE, Henri ZONGO, Jean- Baptiste LINGANI programmé pour être exécuté le 15 octobre 1987 à 20h, appelé "Opération de 20h" sera découvert et le complot éventé de justesse par des soldats qu’on a voulu mobiliser pour cette forfaiture. Ainsi Thomas SANKARA s’est fait prendre dans son propre piège aux environs de 16h le même 15 octobre 1987. Le dénouement s’est fait par les armes et ce qui devait arriver, arriva.

Le Front Populaire ou le début d’un processus rédempteur.
Après que les soldats opposés à " l’Opération de 20h" l’ont déjouée, ce qui a malheureusement coûté la vie à son instigateur Thomas SANKARA, les autres chefs historiques de la Révolution ont lancé le mouvement de Rectification dirigé par Blaise COMPAORE avec pour instance suprême, le Front Populaire. Les premières actions étaient de corriger les erreurs commises sous le CNR par la réhabilitation des personnes abusivement dégagées à l’instar des enseignants et des magistrats syndicalistes, de donner une dimension démocratique aux idéaux de la révolution.

Cinq jours seulement après l’avènement de la Rectification, soit le 19 octobre 1987, Blaise CaMP AORE prononce un discours dit « L’Appel du 19 octobre » dans lequel il prône l’ouverture démocratique du système politique. Cet appel visait d’abord à rassurer les différentes sensibilités politiques en vue de les amener à contribuer au débat national sur le cheminement vers l’Etat de droit démocratique. Dans cette optique, il autorise l’existence légale des partis politiques par une zatu (décret). Ce décret stipulait également que les organisations et partis politiques pouvaient participer « à toutes les instances où se discutent les grandes questions de la vie nationale, d’ester en justice, de disposer de moyens de presse, d’acquérir, posséder et administrer des biens, meubles, immeubles nécessaires à l’accomplissement de leurs activités ». Ces dispositions légales, il faut le dire, ont sonné le printemps des partis politiques, signe d’un pluralisme démocratique.

Ainsi s’affichait cette volonté de Blaise COMPAORE de tourner définitivement la page des régimes d’exception et de faire du Burkina Faso, une nation démocratique. Il suggère donc des Assises nationales réunissant toutes les sensibilités politiques dans le but de mieux prendre en compte les aspirations des uns et des autres. Au sortir de celles-ci, le président COMPAORE voyant la nécessité d’associer le peuple chaque fois qu’il s’agit de déterminer son destin, a mis en place une commission constitutionnelle pour l’élaboration de l’avant- projet de la Constitution. Et le 2 juin 1991, une nouvelle Constitution a été soumise à référendum aux Burkinabé qui l’ont massivement adoptée. Ainsi naît la IVe République et le pays des Hommes Intègres renoua avec la vie démocratique et la liberté...

Par Drissa TRAORE

L’Opinion